Lettres du Iappon, de l’an M.D.LXXX

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Lettres du Iappon, de l’an M.D.LXXX.
chez Thomas Brumen (p. 4-100).


LETTRES DV IAPPON, DE L’AN M. D. LXXX.
envoyees par les preſtres de la Compagnie de Ieſus, vacans à la conuerſion des infideles audit lieu.

Coppie d’une lettre du pere Louys Froës, eſcrite aux peres & freres de la Compagnie de Ieſus du 6.Iuing. 1577.

A PARIS,

Chez Thomas Brumen, demeurant au clos Bruneau, à l’enſeigne de l’Oliuier

M. D. LXXX.

AVEC PRIVILEGE.

A MONSEIGNEVR L'ILLVSTRISSIME CARDINAL DE BOURBON


Monseigneur ayans receu quelques nouueaux aduis du progrez & aduancement de la foy Catholicque, és pays du Iappon, contenans aucuns poincts remerquables, de ce que noſtre Seigneur y a operé à l'exaltation de ſon nom en l'an 1577, qui ſont les plus fraiches nouuelles qu'on en a peu reveuoir à cauſe de la diſtance des lieux : La nouuelle obligation que nous auons auec une infinité d'autres à V. illuſtriſ. S. pour un ſi grand bien comme eſt celuy qu'elle nous a fait ces iours paſſez, nous a induit en teſmoignage de recongnoiſſance de les faire ſortir en lumiere ſoubs l'authorité de voſtre nom, aimé & reſpecté d'un chacun pour la vertu & pieté qu'il repreſente. Et d'autant plus que de telles maiſons que celle qu'il vous a pleu nous dreſſer en ceſte ville de Paris, ſortent ordinairement ceux, leſquels apres une longue preuue de leur vie, doctrine, & dexterité à ayder les ames, ſe treuuent dignes d'une ſi haute & excelente entrepinſe, que de voyager par toute l'eſtendue du monde,
pour lamplification du royaume de Dieu. Pour à quoy paruenir nous eſperons d’eſtre grandement aydez par les merites & interceſsion du glorieux ſainct Louys Roy de France, voſtre grand pere & deuancier, qui à eſté tant deſireux de la conuerſion des Payens & infidelles, que non contente d’avoir enuoyé iuſques au grand Cam de Tartarie, pluſieurs rares & doctes perſonnages de ſon royaume, pour y annoncer le ſainct Euangile : luy meſme n’a voulu eſpargner ſa propre vie & perſonne, pour le reſtablir & remettre par tout le demeurant de l’Aſie & Afrique : Attendu que eſmeu & pouſſé de meſme zele & deuotion & à meſme fin & pour nous exciter de plus en plus au but & perfection de noſtre vocation, Vous auez voulu par une ſinguliere prouidence de Dieu, baſtir & edifier ladite maiſon & Egliſe à l’honneur & memoire dudit ſainct Louys. Receuez donc MONSEIGNEVR ſ’il vous plaiſt, comme premices & premiers fruits de ce nouueau verger planté de voſtre main feconde, ce petit preſent encore que ce ne ſoit qu’un recit de ce que font telles maiſons ailleurs, attendant que par la roſee de vos graces, l’aſpect de ce clair & reſplandiſſant aſtre, monſieur S. Louys, & par la chaleur du ſoleil de iuſstice, Dieu vous face la grace de voir par longues annees & en abondance les propres fruicts de la voſtre. Comme treſ-humblement nous en ſupplions ſa diuine maiesté. De S. Louys voſtre maiſon à Paris ce 20. Auril 1580.

LETTRES DV IAPPON, DE L'AN M.D.LXXX.
envoyees par les preſtres de la Compagnie de Ieſus, vacans à la conuerſion des infideles audit lieu.

Copie d'une lettre du Pere Louys Froës eſcrite aux peres, & freres de la Compagnie de Ieſus, du 6.Iuing. 1577.


sçachant bien qu'en Europe on reçoit grand plaiſir & contentement en noſtre Seigneur, des nouuelles du Iappon, i'auroys grand deſir d'auoir la commodité de vous faire entendre par le menu le progrés, & aduancement de ceſte nouuelle Chreſtienté. Mais pour ce que nous ſommes accablez d'affaires, & vrgentes occupations, & ſommes iournellement pour eſpandre le ſang, & employer la vie pour noſtre ſaincte foy, laiſſant à part pluſieurs autres choſes, i'en eſcriray ſeulement vne des plus graues & ſerieuſes qui ſoient iuſques à preſent aduenues en ces quartiers de pardeça. Et premierement faut qu'entendiez qu'en toute ceſte grande Iſle nous ſommes de la Compagnie vingt & trois preſtres, & autant d'autres, qui ne ſont pas preſtres, & y a deſia vingt huict ans, que les noſtres mirent le pied en ce Royaume de Bungo, le Roy duquel nous a touſiours fauoriſé : & nonobſtant qu'il ſoit pour encores payen, outre les autres faueurs, qu'il nous a faites, il nous a donné vn lieu fort bien aëré, ſitué tout pres de ſon Palais, & voiſin de la mer, fort propre pour nos exercices, & qui a de circuit demy lieuë, là où on à deſia donné aſſez bon commencement à vn College, choſe que nous auions fort deſiré, auquel à la maniere de noſtre inſtitut, & ſe rafraiſchir des trauaux & continuels labeurs, qu'ils endurent. L'on y pourra auſſi dreſſer vn Seminaire propre pour enſeigner diuerſes facultez, & langues, & nommement la Iapponoiſe. Or d'autant plus que qu'en toutes choſes nous auons eſté aydez, & fauoriſez du Roy, d'autant plus au contraire auons nous touſiours eſté mal-voulus, & moleſtez de la Royne, laquelle de pluſieurs eſt appellee Ieſabel, par ce qu'elle n'eſt en rien diſſemblable à icelle, ſi vous regardez la haine que elle porte aux choſes appartenantes à l'honneur de Dieu, & l'effort qu'elle fait de reculer l'accroiſſement de noſtre foy. Elle à ſollicité le Roy en toute extremité, que les peres de la Compagnie fuſſent chaſſez de ſon royaume, & auec eux tous les Chreſtiens, leur mettant ſus, que c'eſtoit vne ſecte de grand preiudice à l'eſtat, & fort abominable : mais le Roy facilement confutant ce qu'elle propoſoit, la reprimoit, & luy diſoit : Auant que ces peres vinſent icy, ie n'eſtois ſeigneur d'autre, que de ce royaume de Bungo : & maintenant ie porte la coronne de cinq royaumes : & vous, qui au parauant eſtiez ſterile, auez à preſent ſix ou ſept fils ou filles, & richeſſes en abondance. Parquoy iamais, tant que ie viue, ie ne lairray de fauoriſer à tous les Chreſtiens. Ceſte bonne Royne à vn ſien frere appellé Cicacatà, qui eſt la ſeconde, ou troiſieſme perſonne de ce royaume, tant en nombre de ſubiets, qu'en puiſſance & richeſſes : Ceſtui-cy n'ayant point d'enfans, qui puiſſent ſucceder à ſes eſtats, adopta vn ieune enfant de Meaco, lequel eſtoit fils d’vn Cungue, Ces Cungues ſont les premieres, & principales perſonnes du Iappon, car ils ont charge de ſeruir immediatement le Vò, auquel de droit appartient la ſeigneurerie des ſoixante ſix royaumes du Iappon, & eſtant Cicacata perſonne de ſi grande qualité, il ſceut auſſi bien choiſir vn enfant pour ce l’adopter, conforme à ſon deſir : lequel enfant lors qu’il fut amené à Bungo, pouuoit auoir de ſix à ſept ans, auquel en brief on deſcouurit des dons, & qualitez treſ-rares. Car outre ce qu’il eſt aſſez beau de corps, & gratieux, il a vn eſprit ſi excellent, qu’en tout ce qu’il ſ’eſt applicqué, il à, en fort peu de temps, ſurpaſſe les meſmes maiſtres, comme à iouer de toutes ſortes d’inſtrumens de muſique, chanter, lire, eſcrire, paindre, eſcrimer, & en tous les exercices de l’art militaire : Mais particulierement me diſoit, noſtre frere Iean Iapponois, qu’il ſ’eſtoit ſurmonté ſoy meſmes en apprenant les lettres de la Chine, qui ſont certaines characteres, pour leſquels apprendre les Bonzes emploient toute leur vie, & qu’en tous ces royaumes n’y a homme pour docte qu’il ſoit, qui ſçache mieux former leſdits characteres, ny en faire de plus de ſortes, & manieres. Parquoy ſe retrouuant en ceſt enfant tant de qualitez ensemble, & ſi rares, & ſur tout ayant le iugement fort bon, le Roy, & la Royne furent d’aduis qu’ils ne pourroient trouuer en tout le lappon ny meilleur, ny plus honorable party à vne de leurs filles, que ce ieune ſeigneur. Et l’ayant communiqué à Cicacata, finablement conclurent par enſemble, le que mariage ſ’effectueroit lors, que tous deux ſeroient en aage, qui ſeroit en ceſte preſente annee mil cinq cens ſoixante & dix-ſept eſtant deſia le ieune prince de ſeize ans, & la princeſſe de treize.

Or aduint il depuis qu’ayant attaint le ſuſdit ieune ſeigneur l’an quatorzieſme de ſon aage, ſon pere l’amena en noſtre Egliſe de Suqui, là où ſe tient la Cour du Roy, & fit inſtance au pere François Cabral noſtre ſuperieur, de luy vouloir faire enſeigner la doctrine Chreſtienne, promettant qu’il eſtoit content que ſon fils fuſt chreſtienné. En ce temps meſme aduint encores qu’vne femme poſſedee de l’ennemy, qui ſe tenoit pres du Palais de Cicacata, ne peut iamais eſtre deliuree par les Bonzes, encores qu’ils y trauaillaſſent beaucoup, & qui’ils y applicaſſent diuers remedes, laquelle neantmoins fut deliuree en noſtre Egliſe auecques grande facilité, comme il pleut à Dieu noſtre Seigneur, & furent baptiſez, elle, ſon mary, ſes enfans, & toute ſa famille : Ce qu’ayant veu Cicatora (ainsi ſ’appelle ce ieune enfant) il iugea tresbien, que cela ne pouuoit d’ailleurs proceder, que de la vertu diuine. Parquoy illuſtré de la lumiere de ceſt œuure miraculeux, il ſollicita de rechef d’eſtre inſtruict, & enſeigné : & pour ceſt effect noſtre frere Iean lapponois alla en ſa maiſon pour luy declairer le Catechiſme, auquel il fit ſi grand fruit & progrez & comprint ſi bien tous les poincts, & myſteres de noſtre ſaincte foy, aidé de la grace diuine, & de la viuacité de ſon eſprit, qu’il ſe dit eſtre deſia reſolu de ſe faire Chreſtien. Ce qu’eſtant venu aux aureilles de la Royne, ſoudain elle commença à luy contredire, & faire tout effort pour empeſcher ceſte ſienne deliberation. Son pere auſſi ſe conformant à la Royne ſa ſœur commença à luy faire mauuais traictement, & à le reſſerrer comme en priſon, d’autant qu’il luy diſoit, qu’il ne pouuoit reſiſter, ny contredire à la verité de noſtre ſaincte foy, qu’il auoit ouye, & entendue, & que pourueu, qu’il luy fuſt permis d’eſtre Chreſtien, il ne ſe ſoucioit de viure toute ſa vie en une eſtable, ou bien de retourner à Meaco. On defendit, que perſonne ne luy parlaſt, & fut tourmenté en pluſieurs ſortes à ce qu’il departiſt de ſon bon & ſainct propos, mais voiant qu’on trauailloit en vain ſon pere, & la Royne, ſe reſolurent de l’enuoyer au royaume de Figen, duquel eſt gouuerneur Cicacata, & là luy fuſt donnée bonne & ſeure garde, à ce qu’il ne fuſt accoſté de perſonne qui le peuſt confirmer en ſa bonne reſolution.

Eſtant de ce deuëment informé le pere Cabral, qui pour lors eſtoit audit royaume de Figen, il eſcriuit vne lettre à Cicatora, par laquelle il luy perſuadoit auec force raiſons d’eſtre ferme & conſtant, puis qu’il ſçauoit combien geand’ gloire & erite luy en reuiendroit. Il eſcriuit vne autre lettre au pere Iean Baptiſte, par vn de nos freres appellé Roch, affin qu’il moyennaſt par tous moyens poſſibles que la lettre vint és mains de Cicatora, & que ledit Roch, ſ’il eſtoit loiſible, tachaſt de luy parler, & l’encourager en noſtre Seigneur. Il pleuſt à Dieu, que l’effect ſ'en enſuiuit. Car il print treſgrande conſolation de la lettre du pere Cabral, à laquelle il fiſt reſponce en ſubſtance, que pour vray il auoit beaucoup paty & enduré pour la confeſſion de lafoy, & pour le deſir, qu’il auoit d’eſtre baptiſé, mais que ſa reuerence ſ'aſſeuraſt, & qu’elle ne fuſt en aucune peine, ny ſoucy de luyn puis qu’il ſentoit ſon coeur plus ferme, & conſtant, que iamais & que cependant qu’il eſtoit ainſi reſſerré, il auoit eu le moyen d’apprendre la maniere de prier Dieu, & la doctrine Chreſtienne ; qu’il auoit vn chappelet, lequel il diſoit ſouuent, & que de iour à autre, il attendoit que le Prince le rappellaſt à Bungo, là où il effectueroit ce que plus il deſiroit en ceſte vie, qu’eſtoit d’eſtre baptiſé.

Penſant donques Cicacata, qu’ayant tenu ſon fils ſi long temps eſloigné de la conuerſation des Chreſtiens, ceſt ardant deſir, qu’il auoit d’eſtre Chreſtien fut refroidy, ou du tout eſtaint, il le fit retourner accompaigné de ſoixante & dix cheuaux, & à ſon arriuee ſortirent pour le receuoir tous les principaux ſeigneurs de ceſte Cour : en laquelle il fut recueilly auecques feſte & honneur extraordinaire. Mais il n’y fut pas long temps, qu’ayant entendu, que le pere Cabral, eſtoit arriué auecques Iean Iapponois, il les ſollicita bien fort par perſonnes ſecretement interpoſees d’eſtre baptiſé ſuiuant l’ardant deſir qu’il en auoit auant que nouueaux troubles, ou empeſchemens ſuruinſent.

Estant arriué Cicatora à Bungo ſon pere auoit deſir de le faire, condeſcendre à quelque choſe, à laquelle il ne ſe fut iamais voulu plier, ou auecques grand’difficulté : Dequoy ſ’eſtant prins garde Cicatora il vouluſt preuenir ſon pere, & ſ’en alla droit au Roy luy contant par le menu toutes les iniures, & mauuais traictemens, qu’on luy auoit fait auecques toutes les circonſtances des temps, lieux, & perſonnes, refutant de poinct en poinct auecques raiſons preignantes & efficaces tout ce qu’on luy mettoit ſus, tellement, que le Roy non ſeulement demeura conuaincu, mais auſſi eſtonné de la viuacité de ſon eſprit, & de voir en vn enfant de ſeize ans ſi grand ſens, & prudence. Parquoy ne pouuant le Roy, ny le Prince ſon fils, qui ſe trouua preſent, perſuader à Cicatora de condeſcendre à tout ce que ſon pere vouloit de luy, le licencierent, & renuoierent en ſa maiſon. Voyant donques Cicacata, qu’il ſe tourmentoit en vain, il l’enuoya icy en noſtre maison vn de ſes principaux gentilshommes, lequel (comme de ſoy meſme, & non comme enuoyé d’autruy) dit à noſtre frere Iean, que Cicatora n’obeiſſoit pas à ſon pere, & que puis qu’il feroit plus par ſaperſuaſion, que d’aucun autre, il luy ſembloit, qu’il feroit bien d’exhorter auecques vn petit mot de lettre ledit Cicatora de donner contentement & ſatisfaction à ſon pere. Ce que noſtredit frere fit par permiſſion du pere Cabral, luy eſcriuant, que hormis les choſes, qui eſtoient contre la loy de Dieu, & le ſalut de ſon ame, il eſtoit obligé d’obéir en tout, & par tout à ſon pere, nonobſtant qu’il fuſt Gentil : & que pour l’obeiſſance du pere, & ſeruice de ſon Roy il ne deuoit eſpargner ſa propre vie, quand l’importance du fait le requeroit. On luy porta ceſte lettre, & l’ayant leuë il ſe la mit ſur ſa teſte en pleurant, & puis en ſon ſein, diſant, qu’il ne faudroit de faire tout ce qu’on luy venoit d’eſcrire : & reſcriuit remerciant grandement des bons aduertiſſemens, & conſeils qu’on luy auoit donné. Ce que donna occaſion de treſgrande allegreſſe a ſon pere, & à toute la Cour ; voyant auec qu’elle promptitude il ſe ſoubmettoit aux conſeils de l’Egliſe, & des peres.

Depuis le retour de Cicatora en ceſte cour, le Diable ſ'eſtudioit d’exciter au pere plus grande auerſion des choſes de Dieu, & donner plus grand eſpouuantement à l’enfant. Car toutes les nuits on iettoit tant de pierres dans les logis de Cicatora, que tous en eſtoient eſpouuantez, & leur eſtant aduis, que le bruit de ſes pierres fuſt dans les ſalles, on faiſoit ſoudain allumer des torches, & lors ny voyoit on plus rien. Parquoy Circatora ſollicitoit auec plus grand’inſtance, que le bapteſme luy fuſt donné, affin que cela ſeruiſt de ſigne euident à ſon pere, ſ'aſſeurant pour certain qu’eſtant baptiſé les diables ſ’enfuyrent de là.

Finablement Cicatora vint en noſtre maiſon pour ouyr les derniers diſcours du Catechiſme : & luy eſtant propoſez aucuns noms des ſaincts, affin qu’il en choiſit vn tel qu’il voudroit, il choiſit Simon, lequel nom, eſcrit en characteres de la Chine, ſignifie celuy qui eſt enſeigné du maiſtre, & ne voulut pas qu’on y adiouſtat Dom, qui eſt vn tiltre de Nobleſſe. Toutesfois on ne le baptiſa point encore, maisle priaſt-on de patienter quelque peu d’auantage pour le plus grand bien de ſon ame. Ce pendant il alla viſiter la Royne, & comme il fut requis & interrogé d’elle, ſ’il eſtoit Chreſtien, il reſpondit hardiment qu’ouy : De quoy la Roync ſ'altera grandement, & pleine de deſdein le tenſa, & rabroua bien aigrement.

Cicatora retourna derechef en noſtre maiſon, pour faire toute inſtance d’eſtre baptiſé, & ne ſe pouuant, ne debuant plus delayer, le pere Cabral le baptiſa, auec trois autres ieunes gentilshommes de ſa maiſon, la veille du glorieux ſainct Marc Euangeliſte. Il demeura durant tout le ſeruice à genoux Jes mains eſleuees au ciel, & auec grande ſerenité de viſage : & apres le bapteſme il ſe retira en vne de nos chambres, pour parler auec aucuns, auſquels il ſ’eſtimoit d’eſtre plus obligé. Et entre les autrechoſes qu’il profera pour demonſtrer l’allegreſſe qu’il ſentoit en ſon cœur, dit, que pour accompliſſement total de fa felicité, il deſireroit (ſi c’eſtoit le bon plaiſir de Dieu) que bien toſt la mort luy ſerraſt les yeux, auant que ſon ame fuſt ſouillee d’aucun péché. Le pere Cabral luy fit preſent d’vn fort beau chapelet d’os de cheual marin, lequel il cheriſt & priſe beaucoup, & ſoudain le mit en ſon col, donnant celuy qu’il auoit au parauant, à vn des trois, qui ſ’estoient baptisez auec luy. Et dés lors en auant ne fut plus ouy en ſon logis le bruit & tintamarre des pierres qu’on y auoit ouy toutes les nuicts precedentes.

Peu de iours apres Simon ſ’en alla auec ſon pere à quatre lieuës d’icy, là où le Roy & le Prince ſon fils eſtoient à la chaſſe. Et y fit on vn beau feſtin, apres lequel, ce pendant que le pçre deuiſoit auec le Roy, Simon ſ’en retourna à grande haſte & diligence, nonobſtant qu’il pleuſt bien fort, eſtant iour de Samedy, affin que couchant en ſa maiſon il peut le Dimenche matin ouyr la Meſſe, choſe qu’il deſiroit, treſardamment. Et combien que le Dimenche il ne ceſſat de pleuuoir, il ne laiſſa pourtant devenir à noſtre Egliſe à beau pied, là où durant la Meſſe il fut touſiours à genoux, adorant le treſſainct Sacrement auec autant de reuerence & deuotion comme ſi deſia il y eut pluſieurs annees qu’il euſt eſté Chreſtien. Ie vous laiſſe à penſer la ioye & conſolation qu’eurent lors les Chreſtiens le voyant à l’Egliſe : il ouyſt auſſi le ſermon que fit le P. François Cabral auquel il print occaſion par la preſence de Sîmon de le conforter en noſtre ſainte foy, luy propoſant le ſalaire ſi grand que Dieu pour peu de trauail qu’on a ſouffert pour ſon amour en ceſte vie, à accouſtumé de rendre à ſes eſleuz en la vie eternelle. Apres le ſermon, Simon dit à tous les Chreſtiens, qui eſtoient la preſens, que combien que (pour eſtre nouuellement conuerty) il ne ſçeut encores, & n’entendit les myſteres repreſentez en la ſaincte Meſſe, que neantmoins toutes les ceremonies, qu’il auoit veu en icelle luy ſembloient ſainctes, pleines de hauts & admirables ſecrets, & de conſolation à eux, qui, les entendoient, & qu’il leur portoit grande enuie pour la commoditté, qu’ils auoient de venir ouyr la Meſſe chaque fois, qu’ils vouloient, ce qu’a luy pour maintenant n’eſtoit loiſible. Et ainſi prenant congé de tons amiablemcht, ſ’en retourna à ſa maiſon.

Vn autre iour Simon faiſant ſemblant d’aller auecques l’arquebuze chaſſer aux oyſeaux entra dans vne petite barquette, & ſ’en vinſt à noſtre maiſon, là où on luy expliqua quelques myſteres de la ſainte foy. Ce que ne peuſt eſtre ſi ſecretement fait, qu’il ne vinſt iuſques aux aureilles de Cicacata ſon pere, lequel comme celuy qui eſtoit extremement indigné, luy voyant porter le chappelet au col en ſigne qu’il eſtoit Chreſtien, fut fort eſmeu d’entendre, qu’il auoit eſté chez nous, & ne pouuant plus diſſimuler la paſſion vehemente, ny refrener l’impetuoſité de ſa cholere fit ſçauoir à ſon fils par vn tiers (car telle eſt la couſtume du Iappon entre les grands, aux choſes d’importance, de ne ſe parler enſemble, mais par perſonne interpoſée encores, que ce ſoit de pere à fils) qu’il pouuoit deſormais bien entendre combien ce luy eſtoit chose deſplaiſante & à contre-coeur qu’il feuſt Chreſtien, & que lors qu’il penſoit, qu’il ſe feuſt retiré de ce deſſaing ,pour le luy auoir commandé, il luy voyoit porter le chappellet comme Chreſtien, & ſçauoit, qu’il auoit eſté quelques fois à l’Egliſe, & pourtant qu’il ſe gardaſt doreſenauant de plus faire choſe ſemblable, autrement que ſans faillir il feroit mourir quel que ce feuſt de ſes ſeruiteurs, qui luy feroit eſcorte, & compaignie. Et ſ'il eſtoit si mal-aduisé, que de ſe mettre en chemin pour y aller ſeul, qu’il le chaſſeroit de ſa maiſon, & le renuoyeroit à Meaco, ce qui luy retourneroit à honte, & deshonneur. A toutes ſes menaces reſpondit Simon, qu'il eſtoit deſia Chreſtien, & comme tel ne pouuoit laiſſer, iouxte l’obligation, qu’il y auoit, de frequenter l’Egliſe, faire oraiſon, & recommander ſon ame à ſon createur, quand bien pour ceſte cauſe il deuſt endurer toute ſorte de maux, voire meſme perdre la vie, & auec ceſte reſponce depeſcha celuy qui au nom de ſon pere luy tenoit ſes propos,& remercia Dieu, qui luy auoit enuoyé, ſi belle occaſion de deſcouurir à ſon pere, & à tous, qu'il eſtoit deſia Chreſtien, comme luy de tout ſon coeur deſiroit, & ſoudain par letres fit entendre au pere Cabral, qu’il eſtoit deſia venu au bout de ſon deſſeing de ſe declarer pour tel qu’il eſtoit, & qu’il ſe recommandoit aux prieres de tous.

En ce meſme temps Simon fut derechef r’enſerré ſi eſtroittement qu’il eſtoit comme en priſon ſoubs bonne & ſeure garde, tant de iour que de nuict, tellement qu’il ne pouuoit eſtre viſité, ny conforté de nous. Ce nonobſtant l'on fit tant qu’on treuua moyen de luy faire tomber entre les mains la vie du glorieux ſainct Sebaſtien, traduicte en bonne langue Iapponnoiſe, où eſtoient aucunes belles exhortations de celles qu’il faiſoit aux Martyrs pour les retirer de la crainte que ils auoient d’endurer, affin que Simon fuſt aydé, & encouragé par tels exemples au milieu de ſes plus grands trauaux, comme il fuſt par apres. Ayant Cicacata receu la reſponce de Simon, il en fut fort indigné, & de nouueau commença auecques la Royne ſa ſoeur de conſpirer contre ſon fils, & tous deux par force de menaſſes taſchoient de l’accabler du tout, & luy faire donner du nez en terre. Ils luy oſterent vn Chreſtien, qui luy enſeignoit la Muſique, & l’enuoyerent en exil. Apres fut chaſſé vn des trois,qui ſ'estoient baptiſez auecques Simon, duquel Cicacata ſe lamentoit, diſant qu’il l’auoit mis aupres de ſon fils pour l’ayder, & qu’il auoit eſté ſi hardy, que de ſe faire Chreſtien auecques luy, & luy commanda de ſe partir incontinent, luy diſant qu’il l’euſt fait mourir, ſ’il n’euſt eu eſgard à ſon ieune & bat aage, & qu’il ne fuſt ſi oſé & temeraire de iamais ſe trouuer deuant luy, ſur peine de ſa vie, de celles de ſes pere, mere, freres, & parens. Les autres deux n’ayans refuge eurent recours à nous, & furent receuillis du pere Cabral, qui pourueuſt à leur neceſſité, & les ayda pour ſe retirer en autre pays. Le meſme Cicacata commanda qu’on fiſt encores mourir vng des troys getilshommes qui s’eſtoient Chreſtiennez aueques Simon : mais la choſe ne reuſſit, par ce que Simon ne le laiſſa partir, & luy donna courage, & l’aſſeura, luy diſant par ce que il l’aymoit vniquement, pluſtoſt on me decoupperoit touts les membres en pieces, que à toy les habillements. Vng autre ſeruiteur luy feuſt encores oſté, qui lui eſtoit demeuré tout ſeul, lequel il auoit amené de Meaco, & de la maiſon de ſon propre pere. Il feuſt enuoyé en exil pour ce que l’on entendiſt, que par ſon moyen Simon nous enuoyoit des lettres, & en receuoit.

Eſtant ainſi priué Simon de touts ſes ſeruiteurs, & de ſes plus chers amis, & demeurant abandonné de tous, fuſt de nouueau plus viuement aſſailly en pluſieurs manieres, & importuné de laiſſer la foy, tellement qu’on ne le laiſſoit repoſer ny iour, ny nuit. Tantoſt luy alloit parler vng des premiers ſeigneurs de la Cour, au nom de la Royne, & de son pere, tantoſt vn autre, & tous d’vn accord luy diſoient : Vous eſtes apres le Roy la premiere, ou ſeconde perſonne de ces royaumes. Le Roy a delibéré de vous donner la princeſſe ſa fille pour femme. Tout le royaume de Bungo obeiſt à vos commandemens. Vous auez à voſtre ſolde quinze mille hommes d’armes, & quatre vingts mille ducats de rente : tous ont les yeux ietez ſur vous. Voulez vous doncques tresbucher & dechoir d’vn ſi haut de gré d’honneur ? Ne voyez vous pas que ſi vous ne vous retirez a bonne heure de ceſte loy Chreſtiene, que non ſeulement vous ferez perte de toutes vos grandeurs, & preeminences, ains encores mettrez au hazard voſtre propre vie ? A quoy Simon reſpondit franchement, d’vne contenance aſſeurée : Ie ne fais grand eſtat d’eſtre gendre du Roy, ny d’auoir tant de rentes, n’y d’eſtre fils adoptif de Cicacata, ny de marcher accompaigné de tant de mille hommes de guerre, ny finablement d’eſtre ſeigneur du royaume de Bungo : Ie deſie ſeulement viure Chreſtien. Voyla tout mon ſouuerain plaiſir & contentement, encore qu’au reſte ie deuſſe eſtre traité, comme vn pauure beliſtre, qui eſt contrainct de mandier ſa vie de porte en porte, ou comme vn eſclaue attaché à la cadene. Auſſi quand ie fus baptiſé fiſ-je reſolution de courir toute fortune & ſouffrir brauement toute ſorte de trauerſes pour le bien & ſalut de mon ame, & pour l’amour & honneur de mon Seigneur, qui ſ’est daigné mourir pour moy. Les Payens meſmes eſtoient rauis & eſtonnez de voir en vn ieune homme vn courage ſi haut & asseuré, & les Chreſtiens admiroient ſi grande plenitude & abondance de lumiere & de grace qui ſe deſcouuroit en Simon, voyans qu’au milieu de ſi grands & furieux aſſauts, & perſecutions, priué de tout ayde humain, il ſe monſtroit ſi ferme & ſi conſtant en la confeſſion de la foy : De quoy tous luy portoient vne louable & ſaincte enuie.

Voyant donques Cicacata, que toute ſon induſtrie & celle de la Royne, de ſes parens & amis eſtoit reduite à neant, & ſe perſuadant, que par le moyen & entremiſe de nos peres, il pourroit obtenir tout ce qu’il deſiroit, il ſe reſolut d’eſſayer ceſte voye, & depeſcha vers le pere Cabral vn de ſes gentilshommes qui luy eſtoit parent, homme accort pour traiter auecques luy ces trois choſes. La premiere que auant, que ſon fils se rengeaſt à la foy & religion Chreſtienne, il portoit tel reſpect, & obeyſſance qu’il eſtoit conuenable : mais, que de puis il luy auroit eſté rebelle, & deſobeyſſant en pluſieurs choſes, parquoy il ſe douloit & eſtoit fort marry de ce que ledit pere l’auoit baptiſé. La ſeconde, qu’eſtant ſon fils de ſi grande & noble maiſon, ſon honneur eſtoit grandement intereſſé de ce, qu’il alloit ſi ſouuent à l’Egliſe, & qu’il portoit le Chapellet au col. La troiſieſme eſtoit, que y ayant tant de temples deſdiez à Camis, & Fotoques, (qui ſont leurs Dieux) tant au royaume de Figen, comme en ſes autres ſeigneuries bien pourueus de bonnes rentes, & remarquez pour les grandes feſtes & ſolemnitez annuelles qu’on y faiſoit, ſi Cicatora perſeueroit en la loy Chreſtienne, le culte, & honneur de ces ſiens dieux ſeroit eſteinct, les rentes perdues, & les ſolennitez abolies. Et pour ces regards il demandoit inſtamment du pere Cabral, qu’il vouſſiſt donner conſeil à ſon fils d’abandonner la foy, & qu’en recompenſe il ne manqueroit de faire autant de faueurs aux Chreſtiens, & aduancer autant le progrez de la conuerſion des Gentils, comme ſi Cicatora fuſt touſiours auecques nous. Le pere Cabral fit reſponce à la premiere propoſition, que ſon excellence n’auoit aucune raison de ſe douloir, que ſon fils fuſt Chreſtien veu que luy meſme l’auoit ſollicité d’ouyr la doctrine Chreſtienne, & que luy meſme l’auoit conduit & amené pour ceſt effect à l’Egliſe. Par ainſi, ſi en ce il y auoit de la faute, il la deuoit imputer à ſoy meſmes. Et quant a ce qu’il ſe plaignoit de la deſobeyssance de ſon fils, il reſpondoit, que l’experience en pluſieurs occurrences auoit deſia monſtré euidemment le contraire, & ſpecialement à ſon retour de Figen, lors qu’ayant receu vn petit mot de lettre, il ſe ſoubmit promptement à faire tout ce que ſon excellence luy commanderoit, combien que pour lors il ne fuſt encores Chreſtien, & que depuis qu’il ſ’eſtoit baptiſé, il ne pouuoit en cela auoir beaucoup failly, veu qu’il y auoit ſi peu de iours qu’il auoit receu le bapteſme. A la ſeconde il reſpondit, qu’aux royaumes de Meaco il y auoit des Cungues, & Voiacats Chreſtiens, qui n’eſtoient en rien moindres & inferieurs à ſon fils, & que ſon nepueu Dom Sebaſtien fils du Roy de Bungo eſtoit auſſi Chreſtien : & qui plus eſt, qu’aux royaumes d’Europe (à comparaiſon deſquels le Iappon n’eſtoit eſtimé qu’vne petite iſle n’a gueures incongneuë) il y auoit des Roys Chreſtiens, leſquels gouuernoient le monde, & commandoient à d’autres Roys beaucoup plus grands en dignité, que n’eſtoit le Roy de tout le Iappon, & que neantmoins le plus grand honneur qu’ils auoient eſtoit de ſouuent frequenter les Egliſes, là où ils ſe retirent pour recognoiſtre le Createur de l’vniuers, & Sauueur du monde pour leur ſeigneur & maiſtre, pour humblement luy demander ſon ayde, & faueur. Et que quant a ce, que Simon portoit le Chappelet au col, qu’en cela il pouuoit faire, ce qui luy plairoit, puis que ce n’eſtoit choſe eſſentiele de noſtre loy mais quant à la frequentation de l’Egliſe, que ſon excellence ſe perſuadaſt, que nous ne luy donrions conſeil, qui l’en peuſt deſtourner. A la troiſieſme, qui faiſoit mention de l’extermination de leurs dieux, fit reſponce le pere Cabral que l’on n’en eſtoit encores venu là, mais quand bien il aduiendroit en brief, ce n’eſtoit choſe dommageable auſdits royaumes, comme l’experience l’auoit monſtré à Nabunanga, lequel eſtant Gentil, & le plus grand de tous les ſeigneurs du Iappon, eſtoit auſſi le plus grand ennemy, & le plus grand perſecuteur de Camis & Fotoques, & toutesfois tant ſ’en faut, qu’il ait eſté chaſtié de ſes dieux, comme les Gentils, le penſant deterrer luy predisoient, qu’au contraire tant plus il les a perſecutez, & ruiné leurs temples, d’autant a il plus proſperé, & conquesté nouueaux pays, royaumes, & richeſſes. Somme quand à ce que ſon excellence requeroit que les noſtres feiſſent tant que ſon fils abandonnaſt la foy : il reſpondit, que telle requeſte de ſon excellence procedoit de ce qu’il n’entendoit pas encores bien la pureté, & sincerité de la loy de Dieu, laquelle ne ſouffroit, ny approuuoit aucun péché pour petit qu’il ſçeuſt eſtre beaucoup moins vne telle, & ſi lourde offenſe, que ceſte-cy, & principalement en ceux qui ont charge de ſemer la parolle de Dieu, & inſtruire les autres, & pourtant qu’il ſ’aſſeuraſt, que pluſtoſt les peres expoſeroient la vie, & conſentiroient à la deſtruction de toutes les Egliſes du Iappon, voire de tout le monde, que de donner vn ſemblable conſeil à Chreſtien quel qui ce fuſt. Que son excellence pluſtoſt deuoit laiſſer en paix ſon fils, ſans le plus troubler ny moleſter pour le regard de ſa foy, & conſcience, qu’au reſte il faiſoit bon, que Simon luy feroit touſiours trèshumble, & treſobeyſſant. En ce meſme temps accreurent ſi fort les perſecutions & faſcheries de Simon, qu’il ſignifia par lettres au pere Cabral, qu’il eſtoit deſia las de tant endurer, & pourtant le prioit de certiorer le Roy par quelqu’vn des noſtres de tout ce qu’on braſſoit contre luy. Le pere deſpeſcha Iean Iapponois au Roy, qui pour lors eſtoit en la montaigne à trois lieues d’icy, auec le Prince son fils, & aduertit ſon Alteſſe par le menu, de tout ce qui ſ’eſtoit paſſé ſuiuant les informations, qu’il auoit porté quand & foy. Le Roy reſpondit, que ſans faulte Cicacata auoit tort, veu que luy meſme auoit mené ſon fils à l’Egliſe pour luy faire ouyr la parolle de Dieu, & que le pere Cabral l’auoit entretenu vn an & demy auant que le baptiſer, pour le mieux ſonder, ioinct qu’il dependoit de la volonté d’vn chacun de choiſir telle loy qui luy ſembleroit la meilleure : neantmoins, que pour ceſte heure il eſtoit expedient qu’il diſſimulaſt & feiſt ſemblant de n’en rien ſçauoir, pour ne donner occaſion à Cicacata homme bouillant de ſon naturel de remuer & embrouiller les cartes, mais qu’il promettoit bien de mettre la main à bon eſcient auec le temps à ceſt affaire, lequel il auoit en ſinguliere recommandation.

La Royne derechef ſollivitoit ſon frere de ne ceſſer aucunement iuſques à ce qu’il euſt fait plier ſon fils, autrement qu’elle ne luy donneroit iamais ſa fille pour femme. Cecy fut cauſe, que Cicacata renuoya au pere Cabral luy promettant beaucoup, ſ’il faiſoit ce dequoy il l’auoit ſollicité, qu’il baſtiroit pluſieurs Egliſes, & feroit en sorte que grand nombre de ſes vaſſaux receuroient le ſainct bapteſme adiouſtant en outre pluſieurs autres ſemblables promeſſes accompaignees toutesfois de fort grandes menaſſes, aduenant qu’il fuſt fruſtré de ſon attente, & aſſeurant qu’il permettroit bien que ſon fils vint à noſtre Egliſe, mais auſſi que puis que par noz menees, il perdoit ſon fils, & que par ce moyen le nom & armes de ſa maiſon eſtoient enſepuelies luy n’ayant autre heritier que ceſtui-cy, il ſ’en ſçauroit bien venger, commendant de raser l’Egliſe, & mettre en pieces tous ceux qui ſ’y trouueroient, & puis que le Roy feiſt ce que bon luy ſembleroit. Car il ſ’en ſoucioit bien peu.

La couſtume du Iappon eſt, que lors que les ſeigneurs menaſſent les Bonzes qui sont leurs preſtres, ou cerchent occaſion de les ruyner en quelque ſorte que ce ſoit, leſdits Bonzes gaignent au pied, & abandonnant leurs temples & idoles, ſe retirent ailleurs pour crainte de la mort, ou de la perte des biens temporels, ou pour le moins taſchent auecques grands dons, & preſens, d’appaiſer leur indignation, & cholere. On a opinion que la Royne, & Cicacata feirent les menaſſes ſuſdites, ſe perſuadant que les peres de la Compaignie feroient comme les Bonzes, & que par ce moyen l’affaire reuſſiroit ſelon leur deſir & pretendu : mais ils ſe trouuerent bien eſloignez de leur comte. Car la premiere reſponce leut ſeruit de ſeconde, ſinon qu’on y adiousta, que quant aux promeſſes, que Cicacata faiſoit de baſtir l’Egliſe, donner rentes, & faire conuertir beaucoup de gens, ſon excellence pouuoit auoir entendu qu’ayant les peres de la Compaigne abandonné leurs propres patries pour venir en pays ſi loingtain, ils n’auoient autre deſſein, que de faire vn contrechange des choſes temporelles aux choſes eternelles, & de ne tenir comte aucun, ny faire eſtime de choſe aucune que de Dieu, & de ſon S.ſeruice. Et quand aux menaſſes de ſaccager l’Egliſe, & de nous faire mourir, nous eſtions bien marris de n’auoir qu’vne ſeule vie pour l’offrir à Dieu, veu que ſi chacun de nous en auoit cent mille, il les offriroit toutes volontiers à ſa diuine maieſté. Adiousta auſſi le pere Cabral que la pourſuite que ſon excellence faiſoit de faire abandonner la foy à ſon fils, pouuoit proceder de deux raiſons, ou pour ce qu’il luy ſembloit que la loy de Dieu fuſt vile, & abiecte, ou faulſe, & non de Dieu, mais bien du diable. Mais qu’il ſe trompoit en gros : car comme desſa on luy auoit fait ſçauoir, les plus grands Empereurs & Monarques du monde auoient esté Chreſtiens : par conſequent, que la la loy de Dieu eſtoit noble, haute, & pleine d’excellence, ſurpaſſant en grandeur & maieſté toutes les loix du monde. Que ſi ſon excellence vouloit faire preuue, ſi elle eſtoit vraye, & donnee de Dieu, qu’il ſ’estudiaſt de vuyder, & nettoyer ſon cœur de tout paſſion, & qu’il ſe reſoluſt d’employer quelque temps pour l’eſcouter auecques repos & tranquillité d’eſprit, & que ſans doute il ſe feroit capable de la vérité. Et que luy eſtant ſi grand ſeigneur, & luy faiſant le Roy ceſt honneur que de luy donner charge & gouuernement de la plus grand’partie de ſes eſtats, il luy eſtoit mal ſeant de contredire à la raiſon, & ne se laiſſer regir & gouuerner par icelle, meſmes que de ſon conſeil & aduis pendoit la paix, & conſeruation de tant de royaumes. En fin quand il ſe voudroit de tant oublier de toute equité, & de son deuoir que de vouloir ruiner l’Egliſe, & nous meurtrir nous autres pauures eſtrangers, qui ne ſommes icy pour autre fin que pour monſtrer aux Iapponois le droit chemin de leur ſalut, qu’il ſ’aſſeuraſt qu’il nous trouueroit touts preſts, non pas auec les armes au poing, n’y les portes fermees, mais bien armez de prieres, & de grande confiance, que nous auons au ſeigneur lequel nous ſeruons.

Et d’autant que le Roy auoit commandé au pere Cabral, qu’on luy donnaſt aduertiſſement de tout ce qui ſe paſſeroit, ledit pere prenant occaſion de ceſte nouuelle ambaſſade, enuoya au Roy vn gentil-homme nommé Clement, le certiorant de tout ce qui eſtoit aduenu, & luy faiſant entendre qu’il ne deuoit se donner peine, ſi pour l’honneur de Dieu, & defence de noſtre foy, nous eſtions mis à mort, veu que c’eſtoit noſtre gloire, & félicité. Mais que luy & nous, nous deuions reſſentir du mauuais traittement qu’on faiſoit à Simon. Le Roy feit reſponce, qu’il n’euſt eſté neceſſaire d’amener à Cicacata des raiſons ſi viues & pertinentes, que c’euſt aſſez eſté luy remonſtrer que le bapteſme, & la conuerſion n’eſtoient choſes de ſi petit prix & conſequence qu’on les deubt vilipender, & beaucoup moins empeſcher, & que le pere Cabral ne luy euſt deu promettre qu’en tous autres endroits Simon luy preſteroit obeyſſance eſtant Cicacata homme, qui ſ’attache facilement à toutes heurtes, & auec lequel on n’auoit iamais faict, & que quoy que l’on fiſt touſiours ſe lamenteroit-il, diſant que ſon fils ne luy tenoit ce, qu’on luy auoit promis, adiouſtant que Cicacata pouuoit diſpoſer de ſon fils, comme bon luy ſembloit, mais que quand à l’Egliſe il la tenoit pour ſienne, & que luy & le Prince ſon fils en auoient prins la protection, & pourtant qu’on ne doutaſt aucunement qu’il ne la defendiſt, comme il auoit fait touſiours iuſques icy.

S’apperceuans les inſtrumens & ſuppos de Satan, que rien ne ſeruiroit pour peruertir Simon de luy propoſer la perte de ſon honneur, des biens, ny de la vie, ils ſe vont aduiſer d’vn nouueau ſtratageme, luy mettant en auant ce que ſur toute autre choſe le pouuoit eſmouuoir. Ils enuoyerent doncques vne perſonne, à laquelle Simon ſe confioit le plus, pour l’aduertir que ſon pere eſtoit reſolu de mettre le feu à l’Egliſe ce iour meſme, ou le lendemain, & qu’à ſon occaſion les Peres de la Compaignie & tous les Chreſtiens ſ’eroient exterminez, l’Egliſe ruynee, le royaume renuerſé, que ſon pere meſme finiroit ſes iours deuant le temps pour voir ſa maiſon & famille ainſi enſepuelie, & qu’il ſ’en enſuiuroit vne infinité d’autres maux, & eſclandres, le moindre deſquels eſtoit ſuffiſant pour le deſtourner de ſon deſſeing. Puis luy diſt, i’ay parlé aux peres, & leur ay declaré que voſtre intention eſtoit de viure & mourir en la foi Chreſtienne, d’ériger pluſieurs Egliſes, & de faire baptizer tous vos vaſſaulx lors qu’il plaira à Dieu vous donner le gouuernement en main. Et ils m’ont reſpondu, que puis que vous auez ſi bonne, & ferme intention, vous pouuiez cependant ſans aucun ſcrupule diſſimuler la foy exterieurement & en preſence des hommes, & afin que voſtre pere ne mette la main aux armes, & n’execute ſon deſſaing d’exterminer les peres, il faut que tout maintenant ſans plus attendre, vous me donniez reſponſe. Se voyant Simon ſi preſſé il ſe retira dans vne chambre pleurant en oraison tout le long du iour & combien qu’il ne ſe peut perſuader que les peres euſſent donné tel conſeil, toutesfois ne ſçaçhant rien de certain, & voyant que ſ’il ne conſentoit, il ſ’en enſuiuroit vne infinité de deſaſtres, & ſur tous la mort des peres, qui luy peſoit plus, que tout le demeurant, n’ayant auſſi personne, à qui il ſe peuſt fier, n’y demander conseil, & iugeant, que pour lors il n’auoit autre remede plus conuenable, il ſe reſolut en enfant, & eſcriuit en vn petit breuet, qu’il ne contrediroit au vouloir de ſon pere, ains qu’il luy obeyroit en toutes choſes. Les aduerſaires ſoudain interpretans ſa lettre, dirent que ſon intention eſtoit de retourner arriere, & abandonner la foy. Au logis de Cicacata, & de la Royne l’on en faiſoit les feux de ioye, & ſi les Gentils ſaultoient d’allegreſſe, cuydans que ce ſeul acte ſeroit ſuffiſant pour renuerser la loy de Dieu. Cependant celuy qui auoit ainſi deceu Simon, ſoudain print la fuite, & ſe retira bien loing en vne autre contree, de peur d’eſtre d’eſcouuert.

S’eſtant Simon apperceu de la malice, & trahiſon, il fut infiniment affligé pour ce qu’il auoit fait, & ſignifia au pere Cabral les motifs, & raiſons, qui l’auoient induict d’eſcrire le petit breuet, & en reſſentant treſgrand remord de conſcience, demandoit de tout ſon cœur pardon de ceſte faute à Dieu, & à ſa Reuerence, le ſuppliant de luy vouloir eſcrire les expedians, qu’il pourroit tenir, pour y donner remede. Car encore que tout le Iappon ſe deuſt conuertir en tenebres, ſon cœur toutes-fois, moyennant la grace de Dieu, ne perdroit la lumiere, qui luy auoit eſté departie. Et ſi ſa Reuerence trouuoit bon, qu’il depeſchaſt autres lettres, par leſquelles il confeſſaſt ouuertement qu’il eſtoit Chreſtien, comme deuant, & ſe dediſt de tout ce qu’il auoit peu donner à entendre par ſes precedantes, il le feroit ſans plus attendre, encores qu’il ſceust pour certain, qu’on luy deuſt incontinent trancher la teſte, ou ſi le pere le trouuoit bon il ſ’en viendroit à l’Egliſe pour mourir enſemble auecques nous. En fin il demandoit au pere quelques reliques pour ſ’en armer, & en fortifier ſon ame. Le pere Cabral reſpondit amplement à tout, & luy fit entendre en ſomme qu’il eſtoit obligé de confeſſer clerement par œuure la foy qu’il auoit receuë, toutes & quantes fois que beſoing en ſeroit, sans auoir eſgard à la vie des peres, ny à choſe quelconque du monde, ioinct que pour vn pere ou deux qui mourroient pour ceſte querelle, il en viendroit de l’Inde en leur lieu vingt & trente. Ayant Simon receu ceste reſponce d’vn cceur genereux, & ſans crainte, il eſcriuit vne autre lettre à ſon pere, luy deſcouurant ouuertement qu’il eſtoit Chreſtien, comme deſia auparauant il luy auoit declairé, & qu’il perſeuereroit en ceſte foy iuſquces à la mort. Au reſte qu’il fiſt de luy ce qu’il voudroit, ou qu’il le fiſt mourir, ou bien qu’il le renuoyaſt à Meaco, ou ſ’il le chaſſoit de ſa maiſon, il ſe rendroit en la Compagnie des peres.

Auant que ſon pere receuſt ces ſecondes lettres, noſtre pere enuoya noſtre frere Iean vers le Roy pour traicter ceſt affaire : lequel receut reſponce du prince pleine de ſi grand amour & faueur vers l’Egliſe & les noſtres, qu’à grande defficulté les pourroit-on expliquer. Et à fin que vous entendiez mieux les choſes que ie diray puis apres, il vous faut preſuppoſer que le Roy de Bongue a trois fils & trois filles : le premier des maſles comme heritier du royaume a desſa le gouuernement en main, luy ayant ſon pere reſigné le royaume & tous ſes eſtats, ſi bien qu’il luy ſert ſeulement de conſeil où & quand il est beſoing : le ſecond fils aagé de ſeize ou enuiron ne voulant en façon du monde ſe mettre en la religion des Bonzes comme les ſiens le deſiroient, fut amené par le Roy vers le pere François Cabral, à fin qu’il le baptizaſt, & receuſt en ſon bapteſme le nom de Dom Sebaſtien. Ce ieune prince eſt grand amy & familier de Simon comme celuy lequel à cauſe de l’adoption deſia mentionnee luy eſt couſin germain & encores beau frere à raiſon du futur mariage auec ſa ſœur. Or craignant Simon plus d’eſtre banny & dechaſſé, que de perdre la vie pour euiter vn ſi grand inconuenient, il ſ’aduiſa de ce beau traict. C’eſt qu’il ſignifia par homme expres à Dom Sebaſtien, qu’il auroit grand deſir de luy pouuoir parler, & puis que cela ne ſe pouuoit bonnement faire en ſon logis, taſcheroit de l’aller trouuer en autre lieu tel qu’il aduiſeroit. Suyuant quoy bien toſt apres ſortant ſecretement de ſa maiſon ſe tranſporta au lieu nommé, accompaigné ſeulement de deux ſeruiteurs. L’apperçeuant Dom Sebaſtien fut ſoudain eſmeu d’vne bien grande compaſſion, tant il eſtoit deffiguré, debile & decharné, à l’occaſion des afflictions & peines qu’il auoit ſouffertes, outre qu’il le voyoit en si pauure eſtat, depourueu du grand nombre des courtiſans, leſquels ordinairement il auoit à ſa ſuicte, & ſur le champ, luy dit Simon : i’ay eſcrit à mon pere, telle & telle choſe, dont ie n’attens que ou la mort ou l’exil, & banniſſement. Et puis que vous eſtes fils de Roy, & mon amy & parent ſi eſtroit, & ce qui eſt plus, Chreſtien, & d’autre part puis que ie n’ay où ie me puiſſe retirer eſtant priué de tout ſecours & faueur humain : ie vous adiure de me vouloir eſtre ſupport & ayde en ce mien trauail & affliction treſgrande. A quoy reſpondant Dom Sebaſtien l’aſſeura qu’il l’ayderoit en tout ce qu’il luy feroit possible, & que ſ’il eſtoit enuoyé en exil, qu’il ne permettroit qu’il y allaſt ſeul, ains luy tiendroit bonne & ſeure compaignie. De ce traict ſ’aduiſa Simon, à fin que ſçachant la Royne, & Cicacata, la reſolution qu’auroit fait Dom Sebaſtien de ſuyure en tous lieux ſon bien aymé Simon, n’euſſent la hardieſſe de tramer son banniſſement. Or pour reuenir au propos commencé, dés auſſi toſt que Cicacata eut receu ces autres lettres, par leſquelles Simon ſe declaroit ouuertement Chreſtien, il feit courir le bruit d’aſſembler grande multitude d’hommes pour venir maſſacrer nos peres, tuer le pere Cabral, & tailler en pieces noſtre frere Iean, comme le plus coulpable, par ce qu’eſtant de nation Iapponoiſe, il auroit auec ſa langue naturelle plus auancé la ſeduction de ſon fils : en outre bruſler l’Egliſe. Quant à nous autres ne fiſmes faute d’auoir encor’recours à nos armes ſpirituelles, offrans prieres, oraisons, ieuſnes, & tous autres ſacrifices de l’Egliſe, le requerant de vouloir departir à Simon grace & force de cœur, à fin qu’il peuſt perſecuter ferme & constant en la ſainte foy. Tous les gentilshommes Chreſtiens vindrent auec grande alegreſſe ſe retirer dans noſtre Egliſe auec grand desir de la coronne du martyre. Et cependant que nous eſtions ensemble au dedans de l’Egliſe, l’on ne tenoit propos d’autre choſe que du triumphe des Martyrs, de la felicité eternelle, & de la briefueté des ſouffrances, auec leſquelles elle ſe pouuoit acquerir, & eſtoit ſi grande la ioye auec laquelle ils couroient au martyre, que pluſieurs ſe faiſoient faire tout exprez de nouueaux vestemens pour ſe parer & preparer à vne ſi grand’feſte. Noſtre pere leur enuoya dire par pluſieurs fois qu’ils ſe retiraſſent, puis que le commandement & vouloir de Cicacata eſtoit, que tant ſeulement nous autres fuſſions maſſacrez : & ce faiſoit-il à ce qu’il ne vint en fantaſie du Roy & des Gentils, que nous ne voulſiſſions auec ceſte trouppe & force d’armes retarder & empeſcher ce dequoy nous eſtions ſi fort deſireux. Mais ils reſpondoient à noſtre frere, qu’ils n’eſtoient point là venuz pour nous priuer du ſainct martyre, ains leur deſir eſtoit d’en eſtre participans, de ſorte que ſi c’eſtoit la volonté du Roy de les faire mourir pour la querelle de la foy & religion, ſoudain ſans plus attendre, mettans les armes bas, flechiſſans les genoux, leuans les mains au ciel, tendroient le col au glaiue du bourreau. Mais d’autant que ceſte preſcription ne procedoit du Roy, ains de la malice & peruerſité de Cicacata & tournoit au meſprix de la foy, n’eſtoient reſoluz de demeurer les bras croiſez, & ſans ſe mettre en deuoir de defenſe auec le peril de leur propre vie : Et ce d’autant plus qu’ils ne doubtoient aucunement qu’en ce faiſant ils ne feiſſent ſeruice au Roy & choſe treſagreable à la diuine maiesté. Si bien qu’en cachettes & à noſtre deſçeu ils feirent amas de grand nombre d’arquebuſes, arcs, fleches & autre attirail de guerre. Ce temps pendant nous eſtions en prieres & oraiſons, & le pere Cabral se confeſſa generalement & d’heure en heure attendions l’euenement tant & tant ſouhaitté. Quant aux paremens de l’Egliſe, le pere iugea qu’il n’eſtoit neceſſaire de ſauluer rien autre que certains calices, la cuſtode & quelques reliquaires, & tels autres ioyaux d’argent. Ce qui fut tout mis dans deux coffres, deſquels en vouluſmes bailler en garde vn a vn gentil-homme, à fin que noſtre mort aduenant, il le rendiſt au pere Iean Baptiſte, qui fait ſa reſidence à Funay, ou ſi luy encores mouroit, à quiconque ſeroit ſuperieur de noſtre Compaignie en l’Iſle du Iappon. Mais le bon gentil-homme ne le voulut accepter, diſant : Mon pere, ſi vous eſtes en danger, aſſeurez vous que ie courray la meſme fortune, puis que ſouſtiens la meſme querelle, & ainſi touſiours voſtre coffre l’eſgarera. Toutesfois voyant le beſoing i’en tiendray propos à ma femme & le luy bailleray en charge. S’eſtant donc retiré en ſa maiſon, il en confera auec ſa femme, laquelle eſtoit vne princeſſe de fort noble maiſon, laquelle feit ceſte reſponse à ſon marry : Il me ſemble choſe fort eſtrange, qu’attendu que les peres doibuent ceſte nuict endurer le martyre & que vous meſmes eſtes totalement reſolut de leur tenir çompagnie, me vueillez perſuader de demeurer à garder leur argent priuee du ſainct martyre. Retournez hardiment en l’Egliſe, car ſoudainement ie vous ſuy auec le reſte des Chreſtiens, & quoy que ie ſçeuſſe deuoir eſtre maſſacrée au milieu du chemin ne lairray pourtant de vous venir trouuer. Et ne la pouuant perſuader de ſe mettre en repos & de demeurer en la maiſon, luy demanda ſon aduis & ce que l’on pourroit faire de ce coffre, & en ſomme l’vn & l’autre iugerent qu’il ſeroit expedient de le bailler en garde à l’vne de ſes douze damoiſelles, de la loyauté deſquelles ne faiſoient aucune doute. Car elles eſtoient ſemblablement Chreſtiennes. Mais il n’y en eut pas vne qui fy voulſiſt accorder, allégans pour leur raiſon auec vne force & conſtance admirable, que leur reſolution eſtoit d’endurer & ſouffrir la mort auec leur dame & maistreſſe & tous les autres Chreſtiens : partant ne ſçachant plus que faire, fut contrainct de le mettre entre les mains de ſon beau pere encores payen : toutesfois homme noble & fauorit du Roy & de la Royne, laiſſant par memoire ce qu’il feroit apres ſa mort des meubles & ioyaux qui eſtoient dans ce coffre. Nous deliberions de bailler l’autre coffre à vn ieune ſeigneur, frere aiſné du ſuſnommé, lequel auoit vn Palais pres de l’Egliſe, fort & bien muny, la femme duquel eſtoit niepce de la Royne : mais ny luy encores le voulut receuoir, aſſeurant que ſa reſolution finale eſtoit de mourir auec les autres, & de fait il n’attendoit rien autre auec toute famille, qui eſtoit grand nombre de seruiteurs, de gentilshommes & damoiſelles, que le premier ſigne & aduertiſſement pour ſ’en venir à l’Egliſe pour recepuoir le martyre. Dont les Gentils voyans l’incroyable ferueur de ces nouueaux Chreſtiens, eſtoient remplis de merueilles, & nous autres, pour confeſſer la vérité, de grande honte & confuſion, & par ce que Dom Sebaſtien pour cauſe & raiſon de certains propos eſtoit en picque auec ſon oncle Cicacata, & ne luy parloit : luy ayant le Roy fait tel commandement, il voulut encores luy ſe retirer en noſtre Egliſe, & ſ’il fuſt ainſi arriué, mourir enſemble auec les autres : mais à fin de n’exciter quelque tumulte & emotion, il trouua plus expedient de ſ’absenter. Ce qu’il feit laiſſant là ſes trouppes & ſ’en allant vers le Roy & vers le Prince ſon frere, ayant au preallable enchargé à aucuns des ſiens, qu’aduenant quelque trouble ils ne feiſſent faute de luy en donner ſoudain aduertiſſement, à fin qu’il eust ceſt heur que de ſe retrouuer auec les autres, & ſi toute la nuict il ne ceſſa d’enuoyer d’heure à heure hommes expres pour eſtre certioré comme tout ſe paſſoit. Enuiron la minuict nous entendiſmes que l’on frappoit bien fort à la porte de l’Egliſe, & y accourans viſtemens ayant puuert la porte trouuaſmes que c’eſtoit vn grand nombre de femmes Chreſtiennes, entre leſquelles eſtoient trois grandes dames & pluſieurs autres de grand qualibre, leſquelles ne ſouloient ſortir de la maiſon ſans bonne compaignie de gens à pied & à cheual, & viute tellement retirées, que meſmes elles ne parloient a leurs propres couſins germains, ſinon par lettres ou par perſonnes interpoſées. Et neantmoins eſtans leurs marys dans l’Egliſe ne feirent aucune difficulté de venir en icelle, eſmeuës principalement du deſir du martyre : parmy icelles eſtoit la femme de celuy qui n’auoit voulu receuoir le coffre, laquelle poulſee du zele & ferueur, & craignant de ſortir par la porte de ſa maiſon, à fin de n’eſtre decouuerte de ceux de la maiſon de ſon pere & mere, pour encores payens, demourans tout ioignant d’icelle, feit rompre & abbatre vn pan de muraille de ſon Palais par ſes chambrieres & damoiſelles : en sortant auec ſa trouppe par ceſte breſche, ſ’en alla trouuer vne autre dame qui l’attendoit auec bonne deuotion, & vindrent toutes deux parmy l’obſcurité de la nuict iuſques à noſtre Egliſe. Le pere ſ’eſſaya & feit tout ce qu’il peut pour leur faire rebrouſſer chemin, & les faire retourner en leurs maiſons, mais il perdit ſa peine, & ne fut en ſa puiſſance de faire qu’elles ne demeuraſſent tout le long de la nuict en priere & oraison auec vne ioye & conſolation ſinguliere & vn desir du martyre admirable : &, ainſi que par apres nous l’auons entendu de leurs propres marys, vne chacune d’elles portoit ſecretement ſoubs leurs riches accouſtremens, dont elles ſ’eſtoient parées, comme pour une grande feste, leur petit piſtolet, & dague, ou traquer, non ia pour nuire à l’ennemy, mais pluſtoſt pour l’agaſſer & prouocquer, aduenaut que pour le reſpect du ſexe, ou autrement il voulſiſt vſer de miſericorde, & par conſequence les priuer de la couronne du pretieux martyre. S’y trouua encores vne autre dame de maiſon femme d’vn couſin germain de la femme de Cicacata noſtre grand, & intime amy, & fort bon Chreſtien, laquelle ayant vn fils vnique aagé de ſix ans le print entre ſes bras & feit tant qu’en le breſſant il ſ’endormit. Et alors elle le laiſſa ſur ſon lict, & arriua en noſtre Egliſe auec toutes ſes chambrieres ſur la poincte du iour, ſe perſuadant que ce que les ennemis n’auoient fait de nuict, ils l’executeroient de iour. Que ſi ie voulois racomter par le menu toutes les particularitez qui ont peu eſtre remarquees en ceſt accident, ie ſerois par trop prolixe & ennuyeux. Tant y a qu’on y veid choſes de ſi grande conſolation & allegreſſe, qu’elles ſeroient ſuffiſantes pour enhardir & encourager les plus laſches & bas de cœur, & pour perſuader que cent mille vies ſeroient plus que mieux employees pour l’inſtruction & endoctrinement de ces pauures Chreſtiens. Il y a ia vingt iours que ceſte trauerſe & perſecution de l’Egliſe dure, & encores ne ceſſe la malicieuſe Royne d’excogiter les plus ſubtils & plus ruſez moyens pour mettre à fin ſon malheureux deſſaing qui n’eſt autre, ſinon de contraindre ces nouueaux Chreſtiens à faire banque-route à la foy & religion qu’ils ont ia profeſſee.

Pendant ce temps le Roy deſpeſcha vn Chreſtien vers le pere Cabral, pour l’aduertir & luy dire qu’il eſtoit deuëment informé, que toutes ces algarades & machinations ne procedoient d’ailleurs que de la trame de ma dame la Royne, & que partant il euſt eu bon deſir de la repudier & chaſſer de ſa maiſon royale, mais conſideré qu’elle auoit eſté ſa femme par l’eſpace de trente ans, & qu’il auoit eu d’elle ſix ou ſept enfans, il ſe doutoit fort que ſ’il euſt effectué ſon deſir, cela fuſt eſté occaſion de beaucoup de reuoltes & ſeditions parmy tous ſes royaumes, & par ainſi puis que meſmes le pere Cabral auoit ia propoſé & reſolut de ſ’en aller au Royaume de Figen, qu’il voulſiſt haſter ſon departement, & menaſt quant & ſoy noſtre frere Iean, qu’auec le temps les choſes ſe pourroient appaiſer, & meſme eſperant que par ce moyen les affaires ſe raccoyſeroient & luy-meſmes ſe pourroit aduiſer de quelque bon, expedient, remede à la preſente neceſſité. Et touchant l’Egliſe qu’il ne feiſt aucune doute, que quand le beſoing l’euſt ainſi recerché, luy meſme en personne auec Dom Sebaſtien ſe ſeroit mis en deuoir pour la garentir & defendre, & en preſence de pluſieurs grands ſeigneurs feit vne grande exclamation, disant tout haut auec cholere, Qui fera si oſé & temeraire que de prendre la hardieſſe de moleſter ou bouleuerſer l’Egliſe, l’Egliſe diſ-je laquelle i’ay ſoubs ma protection & ſauuegarde, & à laquelle il y a ia tant d’annees, que i’ay continuellement porté faueur & appuy ?

Le pere Cabral pour reſponse luy enuoya par le meſme Chreſtien certains poincts & articles leſquels eſtoient tels en ſubſtance :

Premierement, Que noſtre profeſſion eſtoit de preſcher la vraye loy de Dieu auec paroles & œuures, n’eſpargnans en ceſt affaire ny le ſang ny la vie, & n’ayans autre but que le ſalut des ames principalement, & puis auſſi la conſeruation & entretenement des peuples en l’obeyſſance & amour qu’ils doibuent à leurs ſeigneurs, les enfans à leurs peres, & les ſeruiteurs à leurs maiſtres. Et par ce que nous nous occupions à ſi ſaincts exercices nous eſtions ennuiez, & malvouluz de pluſieurs, leſquels deſiroient d’aneantir la loy de Dieu, & faiſoient tout leur effort de meſdire & detracter de nous aupres du Roy, & d’eſteindre, & aſſopir en luy l’amitié, & bien-vueillance, qu’il nous auoit touſiours porté, & retarder le progrez, & auancement de la conuerſion des pauures ignorans & aueuglez. Le ſecond article portoit que nous tous par la grace de Dieu eſtions preſts & diſposez auec vn grand courage d’abandonner la vie, les temples materielz, & toutes les petites richeſſes, qui estoient en iceux, pour l’aſſertion, & defence de la ſincerité & verité de noſtre ſaincte foy. Le troiſieſme reduiſoit en memoire à ſa maieſté, combien long eſpace de temps il y auoit, que nous auions faict reſidence en ce royaume, nous fatigans iour, & nuict ſans porter nuiſance à perſonne, ſeulement pour le ſeruice, & honneur de noſtre Dieu, Seigneur de l’vniuers, & cerchans conformement a noſtre, profeſſion de correſpondre à tant de benefices, qu’auions receuz de ſa maieſté, comme du premier Roy qui nous auroit receuz en ceſte iſle du Iappon & és pays de ſon obeyſſance, outre les graces particulieres & faueurs ſignalees que durant tout ce temps il nous auroit faictes : conſideration qui nous auroit eſmeuz à prendre toutes les peines & fatigues du monde pour reduire ſes regnicoles & vaſſaux à la congnoiſſance du vray Dieu, & pour leur apprendre la fidelité & obeyſſance, laquelle ſuyuant la loy de Dieu ils doiuent à leur Roy & Prince naturel.

Le quatrieſme ſeruoit de reſponce aux aduerſaires & haineux de la foy, leſquels nous mettoient ſus toute ta faute de ceſt inconuenient l’exaggerans & crians ſans ceſſe qu’il eſtoit ſuffiſant pour renuerſer de fond en comble tout l’eſtat du royaume, & leur monſtroit-on que ce n’auions-nous point eſté qui auions ſoubleué vne ſi grande eſmeute, ains pluſtost Cicacata ſon couſin, lequel debuoit premier meurement & prudemment conſiderer le tout, & n’aller point ainſi a taſtons & à l’aduenture pour puis apres penſer pouuoir ayſément rabiller ſes inaduertances & deſſeins hazardeux & temeraires entreprinſes au detriment nuiſance & dommage de la pauure Egliſe de noſtre Seigneur Iesus affligee à tort & ſans cause (comme de tout temps) combien qu’elle n’en peult mais : & que ce n’eſt ſa faute, ains en est du tout innocente : Toutesfois ſi Cicacata ſe contentoit de permettre que Simon perſeueraſt conſtant & ferme en la loy & religion qu’il auoit iuree, & ſ’il promettoit de n’exciter à l’aduenir ſemblables bourraſques & tragedies le pere feroit fort ayſe de luy donner ſa vie, d’abondant luy mettre entre les mains la teſte de noſtre frere Iean.

Au cinquieſme on maintenoit fort & ferme que le bruit qu’on faiſoit courir eſtoit plein de mensonge & calomnie, à ſçauoir que noſtre intention n’eſtoit autre que de retenir Simon dedans l’Egliſe pour nous ſeruir de luy comme d’vn bouclier & rempart aſſeuré. Mais qu’il eſtoit bien veritable qu’eſtant Simon iecté au milieu de la flamme de la perſecution nous ſouhettions qu’il s’en vint à l’Egliſe comme à vn ſeur aſyle puis qu’il eſtoit Chreſtien, & auions opinion en ce faisant de faire choſe aggreable à Dieu, encor que pour l’ayder a secourir en vne ſi grande detreſſe nous deuſſions deſpendre & conſumer tout ce qui ſe pourroit ſiner des Egliſes du Iappon & voire meſmes de toutes celles qui ſont és Indes ſoubz le gouuernement & adminiſtration de noſtre compagnie.

Le Roy reſpondit à ces articles. Et quant au premier qu’il n’eſtoit ia beſoing de luy faire plus grand narré, & recit de tout ce que deſſus, d’autant qu’il en eſtoit deuëment informé, ayans les peres faict reſidence en ſes prouinces, & royaumes l’eſpace de vingt ſept ans, & ce auec ſon grand contentement, & edification.

Au ſecond qu’il auoit bien congneu par experience que les peres eſtoient tout preſts, & diſposez à tolerer, & ſouffrir toute ſorte de perſecution pour la defence de la loy de Dieu. Au demourant qu’il eſtimoit, qu’il y alloit de ſon honneur de defendre l’Egliſe qu’il auoit vne fois priſe ſoubs ſa protection, & ſauvegarde, de ſorte que quoy que Cicacata luy appartint & ne luy fuſt beaucoup inferieur en extraction, & nobleſſe de race, ſi eſt-ce qu’il ſe declareroit ſon ouuert ennemy, aduenant qu’il braſſaſt, derechef la ruine de l’Egliſe, meſmes que ſi ſon propre fils (lequel pour le preſent à le gouuernement du Royaume) entreprenoit le meſme, ne luy feroit aucune grace, ni pardon : ains ſe pourroit aſſeurer de perdre la teſte. Au troiſieſme, que venant par mer de la Chine au Iappon il eut en ſa compaignie plus de trois ans entiers vn certain Portugais, lequel guerit le Roy d’Amangucci ſon frere d’vn coup d’arquebuſade, duquel il ſ’enqueroit fort volontiers des affaires de Portugal, & des Indes, & ſur tout de l’eſtat, façon, & maniere de viure des religieux. Choſe qui l’eſmeut de ſorte, que pour en eſtre certioré, depeſcha tout exprzs, il y a ia vingt ſix ans, vn ſien gentilhomme vers les Indes Orientales, lequel y fut reduict, & ſ’en retourna chreſtienné, & qu’il entendit d’icéluy que, ce que luy en auoit raconté le Portugais, eſtoit bien peu de cas au reſpect de ce qu’il auroit veu & que cecy luy auoir de beaucoup augmenté l’affection que de ſon propre mouuement il portoit à noz peres. Au quatrieſme qu’il regracioit noſtre pere de ce qu’il luy auoit fait entendre comme le principal motif de routes ces eſmeutes n’eſtoit autre que Cicacata.Ce queiuſques à preſent il n’auoit peu deſcouurir. Qu’il congnoiſſoit tresbien que les Roys ſont heureux, qui peuuent tenir leurs monarchies, & principautez en repos, & tranquillité, & au contraire infortunez. Ce qu’il recongnoiſſoit ne prouenir d’ailleurs que du mauuais & desbordé reiglement des Roys meſmes, & de ce, que plus ſouuent ils fauoriſent, & entretiennent l’iniuſtice ; & que par tant il eſtoit reſolu de traicter ſerieuſement de toutes ces affaires auec ſon fils & auec pluſieurs autres des premiers & plus ſignalez de tout ſon royaume, pour par ce moyen y apporter remede conuenient & opportun. Et depuis adiousta qu’il ſçauoit tresbien que ce que les payens ennemis des Chreſtiens leur auoient impoſé, eſtoit malicieuſement controuué, Scauoir eſt, que la ruine deſtruction d’Amaugouci & de Meaco eſtoit arriuee par ce qu’on auoit librement annoncé & preſché la loy de Dieu, en ceſdites contrees : conſideré que le malheur n’auoit prins ſa ſource de ce commencement comme il eſtoit à tous euident & notoire, ains pluſtoſt de ce que les Roys auoient conniué & diſſimulé les torts griefs & iniures que leurs lieutenans & autres magiſtrats faiſoient d’ordinaire à leurs pauures ſubiects & vaſſaux.

Au cinquieſme il faiſoit reſponſe que ſon deuoir le recerchoit d’eſpouſer la querelle de Cicacata de sorte que quant bien ſon pere feroit eſtat de le chaſſer de ſa maiſon & de le renuoyer à Meaco, luy pourtant ne l’abandonneroit, ains fuyuant ſon premier deſſeing ne feroit faute de luy doner ſa fille, nonobſtant que pour lors elle fuſt de fort bas aage, & adiouſta diſant, ſi ie prens les torts & iniures faictcs à ces bons peres és royaumes forains & eſtrangers comme faictes à moy meſmes, à combien plus forte raiſon me reſſentiray-ie de ce qu’on leur fera és pays de mon obeyſſance ? De tout cecy eſtoient bien certiorez la Royne & Cicacata, & neantmoins ne ceſſoicnt aucunement de fleſchir & alterer le courage du Roy & du Prince, & si furent tant importuns, que le Roy pour ne monſtrer de faire peu de cas d’iceux fut contrainct & neceſſité d’enuoyer dire à Simon que ſ’il eſtoit poſſible il diſſimulaſt la foy & religion qu’il auoit profeſſée pour quelque peu de iours à fin que son pere appaiſaſt ſa cholere, & que au demourant il luy donneroit ſa fille, laquelle peu de temps apres à ſa propre requeſte & ſolicitation ſe feroit Chreſtienne aussi bien que luy. A cecy reſpondit Simon que toutes autres choſes ſe pourroient couurir & diſſimuler hormis & excepté la foy, le priant bien humblement que puis qu’il eſtoit Chreſtien ſa maieſté ne voulſiſt permettre que pour vne ſi ſaincte & ſi iuſte querelle il fuſt ſi laſchement & indignement traité & ſi par autre voye il eſcriuit au pere Cabral, luy donnant aduertiſſement qu’il n’euſt à condeſcendre en aucune façon ou au Roy ou à ſon pere és choſes de ſa religion, & ſalut par ce, qu’il pouuoit croire d’aſſeurance, que luy, moyennant l’aſſiſtence de Dieu, ne fleſchiroit iamais, ny par peine ny par tourmens, ny meſmes par la perte de ſa propre vie.

Eſtans les menees de Cicacata rapportees à Dom Sebaſtien, il luy enuoya ſoudain deux de ſes gentilshomes pour luy faire entendre, que ores que le Roy ſon pere l’euſt amené en l’Egliſe, & euſt aſſiſté à son bapteſme, toutesfois il n’auoit eſté incité à receuoir la foy pour ces conſiderations : ains par ce, qu’il auoit eſté ſurmonté, & vaincu par l’energie, & force de la vérité : que l’intention de fondit pere en ce cas n’auoit eſté autre, ſinon qu’il auoit iugé, que ſa conuerſion pourroit eſtre moyen & occaſion treſpropre pour l’amplification, & accroiſſement de la foy parmy tous ſes royaumes ; de façon que, luy entreprenant de detracquer, & deſbaucher Simon de la religion venoit à deſpriſer ce que luy, & ſon pere auoient en grande eſtime, & reputation, & partant qu’il entendiſt que ceſt affaire concernoit ſon honneur, & qu’il conſideraſt ſoingneuſement comme il le traiteroit, puis qu’il ne pouuoit ignorer, qu’il auoit pris les peres pour guides, & maiſtres és affaires appartenantes au ſalut de ſon ame : Qui eſtoit la cause, qu’i alloit tous les iours en leur Egliſe, & lors qu’il entreprendroit de maſſacrer les peres, & bouleuerser leur Egliſe, qu’il conſideraſt ſur qui pourroit par apres tomber le deshonneur, & vitupere. Et outre plus diſoit, que iaçoit que l’entreprinſe n’euſt eſté effectuée, neantmoins l’iniure, qu’en cecy luy eſtoit faicte, demeuroit touſiours en pied, & enſemble l’occaſſon iuſte d’en prendre la vengeance en temps & lieu propice, & ne luy ſembloit choſe, qui ſe deuſt ſouffrir ce, que Cicacata auoit commandé, de mettre à mort indifferemment ceux de ſes ſeruiteurs, qui ſ’ingereroient a porter nouuelles, & autres deſpeſches à Simon : & ſuiuant cecy qu’il vouloit, qu’il ſçeust, que luy meſmes feroit le ſemblable, & vſeroit de parolle courtoiſe vers tous ſes ſeruiteurs, qu’il pourroit rencontrer : & qu’il l’euſt volontiers pluſtoſt certioré de ſa reſolution, ſ’il n’euſt eſté empeſché du Roy ſon pere, lequel auoit prins ſur ſoy tout ceſt affaire, l’aſſeurant qu’il la meneroit à fin ſans detriment de l’honneur, & reputation de ſon fils.

Vn chacun peut penſer combien fut enflambee la fureur de Cicacata & de la Royne à l’occaſion de ceſte aſſemblée. Certes la Royne n’auoit honte de crier tout publiquement qu’elle ne tenoit Dom Sebaſtien pour ſon fils, & requit inſtamment le Roy de laiſſer paſſer ainſi à la legere vn negoce de ſi grande conſequence, conſideré qu’elle tenoit de bonne part que les Chreſtiens ſ’eſtoient liguez par enſemble, prenans pour chefs & conducteurs Dom Sebaſtien & Cicacata, qu’il ouuriſt les yeux a bonne heure, que ſi les Chreſtiens eſtans ſi petit nombre donnoient tant à faire & ſeruoient le Roy ſi deſloyaument que feroient-ils ſ’ils multiplioient & croissoient en grand nombre ? & que pour ceſte cause il auroit eſté expedient d’obuier à bonne heure & au commencement, exterminant du tout ceſte mauldite race deuant que la deſolation extreme du royaume ſ’en enſuyuiſt ou quelque grand & deplorable eſclandre, ſi comme pour ſemblable occaſion il eſtoit aduenu à pluſieurs autres Roys ; comme ainſi ſoit qu’en quelconque part que les peres euſſent mis le pied toutes choſes y eſtoient allees ſans deſſus deſſoubs, amenant en ieu pour preuue de ſon dire pluſieurs faulx exemples deduicts & narrez auec ſi grand aigreur & efficace par la mere au fils, & par l’oncle au nepueu encores Iennaſtre & Gentil qu’ils eſtoient baſtans d’extorquer de luy commandement expres à ce que tous les Chreſtiens fuſſent taillez en pieces ſi la bonté de Dieu n’euſt eſté noſtre ſupport & ayde opportune laquelle au milieu des loups a eu ſi grand ſoing de ſes pauures ouailles que rien de tout cecy n’a eſté ſuffiſant pour aigrir le cœur & volunté du Roy & du Prince a l’encontre de nous : bien que le Prince deſirant complaire en quelque petite choſe à ſa mere enuoya dire au Pere qu’il eſtoit treſ-affectionné à Cicatora pour les rares & inſignes qualitez dont il eſtoit doué & que par tant il fuſt en aſſeurance & qu’il ne ſe doubtaſt de ſes aduerſaires, puiſque meſme deſia les noſtres auoient peu cognoiſtre combien grandement il eſtoit affectionné vers la loy de Dieu & quel deſir il auoit quelle ſe dilataſt par tous ſes royaumes, dequoy il auoit donné bien clair & manifeſte argument lors qu’il permit que ſes petis enfans receuſſent le Bapteſme. Ce neantmoins qu’il ne pouuoit prendre en bonne part ce qu’on faiſoit courir, Sçauoir, que les Chreſtiens (leſquels auoient eſté ſi bien & humainement receuz audict royaume du Iappon) ayans traiſtreuſement coniuré contre leur Roy, faiſoient eſtat de ſuiure Cicacata en quelconque part, qu’il ſe retireroit, dont auroit deſir d’entendre, ſi la loy de Dieu contenoit tels commandemens, ou non : conſideré que, ſ’il eſtoit ainſi, tous ſes royaumes ſeroient pour en receuoir en brief grand preiudice, & peril extreme. Le pere pour reſponse, le regracia bien humblement pour l’embaſſade tant fauorable & pleine d’affection, qu’il ſ’eſtoit daigné luy enuoyer. En apres l’aſſeura de iamais n’auoir ouy choſe ſemblable : Que toutesfois il eſtoit bien vray que Dom Sebaſtien auoit promis à Simon toute faueur, & amitié, aduenant que les choſes allaſſent mal pour luy, ſi comme encor faiſoit le Roy, & ſemblablement ſon Alteſſe. Au reſte que la loy de Dieu portoit expreſſement que les ſubiets pretaſſent toute obeyſſance à leurs Princes, & Roys en toutes les choſes, qui ne contreuiendroient à ceſte meſme loy. Ce que l’experience auoit touſiours monſtré au pays du Iappon.

Apres tout cecy reſtoit encores à Simon de paſſer vne autre trauerſe, car à la pourſuite, & ſolicitation de la Royne, & de Cicacata ſe meirent enſemble les ſix principaux ſeigneurs, qui ont en main le conſeil, & gouuernement de ſes royaumes, & prenant pour chef, & pour guide vne des ſœurs de la Royne, de commun accord ſ’en alloient vers Simon pour le corrompre, & peruertir : mais dés auſſi toſt, que Simon entendit que ceux-cy eſtoient venuz pour parlementer auec luy, il ſe peſsa bien pourquoy, & à quelle fin ils eſtoient là conduicts, & print reſolution de ne leur donner audience, leur enuoyant dire, que ſ’il croioit luy eſtre loyſible d’appointer leur demande, ne ſeroit deſdaigné de deſcendre pour leur parler : mais d’autant que, eſtant deſia Chreſtien, il eſtoit plus obligé de ſatisfaire à la loy de ſon Dieu, que aux deſirs & ceremonies des hommes, il ſe doutoit fort qu’il ne leur pourroit donner telle reſponce, qui les rendiſt contens, & ſatisfaits, & que partant il les ſupploit ſe retirer ſans plus attendre.

Pour vray, mes treſchers freres, les iuentions, & cautelles de l’ennemy ont eſt, admirables tendentes aux fins d’abbatre, & culbuter ceſte colomne, & par meſme moyen bouleuerſer tout, ce que par l’eſpace de trente ans auoit eſté baſty, & edifié en la cité de Bungo. Mais la prouidence de Dieu noſtre Seigneur n’a point eſté moindre pour la conſeruation de ſes eſleuz ny ſa puiſſance pour recueillir de treſgrands biens de ſi grands maux, conſideré qu’auec ceſte occaſion l’energie & efficace de la grace diuine s’eſt bien fort deſcouuerte. Et ces nouueaux Chreſtiens ont donné preuue & argument de la foy qu’ils tenoient comme cachee & enſeuelie au milieu de leurs ames par le moyen des œuures principalement de l’amour & charité qu’ils ont monſtré vers Dieu, & les plus douillets & debiles ont eſté merueilleuſement encouragez par la vertu de tels & ſi vifs exemples & aucuns autres qui par laps de temps ſ’eſtoient attiedis ont eſté enflambez, & ſont pour le iourd’huy les plus feruens du monde, & finalement pluſieurs d’entre les Gentils eſpoinçonnez d’vn tel exemple ſont venus à la foy, deſquels le pere François Cabral en à baptizé vingt & trois & parmy eux vn grand Cheſcui fort eſtimé des Bonzes. Le bapteſme duquel fut honoré de la preſence de Dom Sebaſtien & d’vn banquet que ce ieune Seigneur donna à l’aſſiſtance. La conuerſion de ce Cheſcui a eſté d’autant plus admirable qu’il s’eſtoit par le paſſé monſtré opiniaſtre & obſtiné en ſa fauſe opinion, en laquelle il auoit demeuré touſiours ferme & conſtant, ſans ſ’en vouloir laiſſer deſtourner d’vn ſeul poinct, ny par doulces paroles & remonſtrances ny par aucun autre moyen. Car quoy que le ſeigneur duquel il eſtoit vaſſal, & autres ſix perſonnes à luy bien fort intimes apres auoir receu le bapteſme ſe forçaſſent par tous moyens de le gaigner ſ’il ne ſe ploya-il iamais par l’espace de trois ans, & neantmoins auec le ſeul exemple de la conſtance & fermeté des Chreſtiens eſt venu de luy meſmes à noſtre Egliſe, aſſeurant qu’il eſtoit reſolu de receuoir la couronne du martyre & à ces fins demanda le bapteſme pour ſoy, ſa femme, ſes enfans & toute ſa famille, auquel & à pluſieurs autres eſmeuz ſemblablement d’vn tel exemple, nous faiſons tous les iours trois predications pour les diſpoſer au bapteſme, & y a grand nombre de nobleſſe qui n’attend que l’occaſion & opportunité pour venir ouyr, & les meſmes Gentils aperceuans le zele & deuotion ſi rare des Chreſtiens, & reiectans la mauuaise opinion qu’ils auoient eu par le paſſé furent remplis d’admiration & eſtonnement, proferant pluſieurs paroles grandement differences de celles que premierement ils debagouloient auec grande audace & d’vn cœur ſuperbe, ſe truffans & mocquans de la loy du ſouuerain. Et ſi d’auantage, la diuine bonté n’a laiſé ſes aduerſaires, & les noſtres enſemble ſans admonition paternelle, ſ’ils l’euſſent prinſe en bonne part, & ſ’en fuſſent voulu ſeruir, & garder. Car la veille de la Pentecoſte eſtant la Royne Ieſabel forcenee de rage, & fureur contre l’Egliſe Chreſtienne, ſoudainement fut aggreſſee du diable qui la traicta de sorte, que ſix personnes robuſtes, & gaillardes ne la pouuoient tenir, dont les Gentils ſont en toutes les peines du monde : & ne ceſſent offrir ſacrifices & oblations à la gentileſque, que faire pelerinages, vœux, & choſes ſemblables : mais s’apperceuans, que rien ne proffite, & ne retouuans, ny ſecours, ny ayde en leurs idoles, ils ont eu recours aux remedes naturels, & faict-on courir le bruit, qu’ils ont enuoyé à Meaco querir en poſte vn medecin le plus renommé de tout le Iappon auec promeſſe de trois mille eſcus : ſi fort trauaillent ils de couurir l’inconuenient, à fin qu’on ne die que c’eſt punition de Dieu : conſideré meſmement que les medecins payens en ſont là reſoluz, qu’elle n’a autre maladie, ſinon de Satan, qui pour ſes pechez la bourrelle. Par le moyen de ce fléau la tormente de l’Egliſe s’acoyſa pour vn peu, la Royne nous ſignifiant, que ce ſeroit la derniere perſecution, qu’elle braſſeroit contre nous. Plaiſe à noſtre bon Dieu, que si son corps est affligé, l’eſprit pour le moins en soit garenty, & ſauué. Et quant à la ſœur de la Royne, elle n’a eſté ſans punition, car il y a trois iours que le feu bruſla, & conſuma tout ſon palais, ſans q’une milliace d’hommes qui y accoururent, y peuſſent donner ordre : tant ſeulement eſchapperent ce furieux embraſement certains edifices, que Dom Sebaſtien ia Chreſtien y auoit dreſſé, nonobſtant q’uils fuſſent conioincts au corps dudict palais, qui fut bruſlé. Ie laiſſe à part pour n’eſtre trop prolixe, pluſieurs autres particularitez, quoy q’uelles ſoient de grande conſolation, & m’en viens à la concluſion. Mes bien-aymez freres, l’hyuer paſſa bien toſt apres, & les fleurs ſ’appareurent en noſtre terre, le Roy deſpeſchant vn ſien familier pour dire au P. François Cabral, quil auoit occaſion de rendre graves immortelles à Dieu, & de ſoy r’allegrer auec tous les autres, puiſque l’affaire eſtoit venu au port, qu’ils pretendoient, & nous auec tous les Chreſtiens auions ſouhaitté. Bien que pour tout cela il ne ſe deuoit endormir, ains pluſtoſt s’adextrer et prendre toute peine à ce que l’honneur de Dieu & de l’Egliſe ne fuſt à l’aduenir aucunement intereſſé, ny Simon reculaſt en arriere de ſon bon propos, n’y Cicacata euſt occaſion de s’aigrir dauantage ſ’il voyoit que ſon fils le deſpriſaſt & portaſt plus d’affection aux Percs qu’à luy meſme, & que pour le preſent Simon perſeueroit en la religion, & quoy que ce fuſt contre la volonté de ſon pere, ſi eſt-ce toutesfois qu’ils eſtoient reconciliez enſemble, & l’aduoüoit ſon pere comme auparauant pour ſon fils & heritier, & adioutoit le Roy qu’on print ſoigneuse garde de n’abuſer d’vne tant ſignalee & fauorable victoire, comme eſtoit celle que par la grace de Dieu nous auons obtenue. Ce qui ſe pourroit faire, ſi par nos aduertiſſemens Simon ſe deportoit enuers ſon pere auec toute prudence & modeſtie, en ne ſe vantant, ny ne faiſant choſe quelconque de nouueau, qui peuſt vlcerer derechef la volonté de ſondict pere. Et oultre plus aduertiſſoit ſa Maieſté, les Peres & tous les Chreſtiens de ſe garder de venteries & faire ſemblant d’allegreſſe exterieure à fin que cela ne depleuſt à Cicacata. En fin concluoit que pour le preſent il nous auoit bien voulu ainſi ſuccinctement aduertir de tout ce que deſſus pour nous deliurer de tout chagrin & ſolicitude, & que par apres il traicteroit plus à loyſir auec les peres, pluſieurs autres particularitez, en quoy ils pourroient remarquer & cognoiſtre l’amour & l’affection qu’il nous portoit.

Pour reſponce luy fut eſcript au nom de tous que nous regracions bien humblement & affectueuſement ſa maieſté, & ne manquerions de preſenter humbles requeſtes à noſtre Dieu à ce qu’il se daignaſt remunerer bien largement vne telle faueur & courtoiſie. Le meſme iour nous receuſmes aduertiſſement de Simon, de ceſt heureux & ſouhetté ſucces, & du bon traictement qu’il receuoit de ſon Pere, ne plus ne moins qu’au parauant : Choſe qui l’occaſionnoit de rendre graces infinies à Dieu qui l’auoit deliuré, & aux Peres, & à tous les Chreſtiens pour tous les accidens qu’ils auoient voluntiers & gayement ſouffers & tolerez pour ſon regard & occaſion. Bien que quant à ſoy, il lyu deſplaiſoit fort de n’auoir eſté digne de la couronne du martyre qu’il ſouhaittoit, auec bonne deuotion. Voyla la fin de nos perſecutions, & en quelle façon & maniere la diuine maieſté nous à ſecouru lors, que humainement parlant nous n’attendions rien mois.

Eſtant Simon remis en ſa premiere liberté, il vient à l’Egliſe auec Dom Sebaſtien la veille de la treſſaincte Trinité ſur la nuict Ie vous laiſſe à penſer l’allegreſſe, que nous tous en receuſmes Le P. Cabral luy donna vn beau petit pourtraict de noſtre Dame, qu’il receut fortvoluntiers, & eſtant le dit P. preſt pour aller au Royaume de Figen, le Prince lui enuoya de don vn beau cheual, luy promettant, qu’a ſon abſence il tiendroit ſoubs ſa protection particuliere, & l’Egliſe, & Simon.

C’eſt tout ce que i’ai penſé vous debuoir eſtre eſcript touchant c’eſt affaire. Et croyez moy, mes freres, que ſe trouuer quelquesfois en ſemblables deſtreſſes ſert de beaucoup, voire aux plus laſchez, & remis, par ce que l’homme ſe conioinct, & vnit plus eſtroitement auec ſon Dieu, & vit comme ſi d’heure à heure il attendoit la mort. Ie me recommande bien affectueuſement aux ſaincts ſacrifices, & deuotes prieres de tous. De Bungo ce ſixieme de Iuin. 1577.

Par ordonnance du P. François Cabral.
Seruiteur de tous Loys Froes.

DV MESME PERE LOIS FRŒS


Novs auons eſté certiorez par vne lettre du pere Figaredo reſident à Facata, comme luy, & ſon compagnon ont eſté en grandiſſime peril de leur vie, parceque la Cité leur auoit aſſigné pour demeure vn certain temple de leurs pagods où ils ſouloient faire certaines feſtes, ce que ne trouuant bon, & voulant empeſcher ledit pere, toute la cité s’eſmeut de ſorte qu’ils auoient reſolue de maſſacrer tous les noſtres : mais Dieu les ſecourut au beſoin, & fiſt couler tellement ſes ſainctes graces ſur ce peuple inſencé, que pluſieurs conuaincus de raiſons peremptoires, que ce bon pere leur miſt deuant les yeux, furent reduicts de leur aueuglement, & tenebres eſpoiſſes à la claire, & rayonante lumiere de noſtre ſaincte foy, iuſques au nombre de quatre cens ou d’aduantage.

Nous auons au ſemblable ſceu par vne autre miſſiue de noſtre frere Michel Vatz, que tout le Royaume de Dom Bertelemy où il faict ſa demeure, eſtoit conuerty de maniere, qu’en iceluy ne ſe voit payen ou aucun infidele, & y ont eſté celebrés de bien grands & celebres bapteſmes, & vn entre les autres de mille & deux centz ames.

Nous auons encore entendu la mort de Don Andre Roy Dorima frere de Don Bertelemy lequel ſ’eſtoit conuerty lannee paſſée, & a laiſſé vn filz pour ſucceſſeur lequel ſuyuant la religion payenne dont il faict profeſſion a donné commencement a vne tres cruelle & ſanglante perſecution contre les Chreſtiens nous auons toutefois bon eſpoir qu’il ſe conuertira auec tout son Royaume parce qu’il eſt apres à prendre femme l’vne des filles de Don Bertelemy. Ce temps pendant pluſieurs des noſtres ont eſté enuoyes par cy par la en pluſieurs & diuerſes regions & royaumes d ou nous eſperons grand fruit. Car ilz ont eſté receus auec grand faueur & courtoisie des Roys & Potentas qui de leur propre motif nous auoient requis de ce faire. De tout ſoit gloire & honneur a la diuine Mageſté.

Copie d’vne lettre du pere Organtin av pere viſiteur de l’Inde eſcripte du Iapon le 20.de Septembre 1577.


NOus auons receu grand’conſolation en noſtre S des lettres de voſtre R. & du bon nombre des ouuriers que vous nous auez enuoye ceſte annee, & auec ce nous nous ſommes tous renouueles, & auons prins plus grand cœur & courage pour trauailler en ceſte haulte & louable entreprinse de la conuerſion des payens. Les nouuelles de ces contrees de Meaco ſont la grace à Dieu aſſes bonnes, Ie les eſcriuis au Pere François Cabral afin qu’il en fiſt part a voſtre R. comme ie croy qu’il fera, conſideré qu’il y a de fort grande conſolation pour vn chacun. Le ſommaire en eſt tel, du depuis le commencement du Kareſme iuſques a ceſte heure ont eſté reduites à noſtre ſaincte loy en ces contrees plus de 7ooo.perſonnes, & pour amener le tout à fin heureuſe, deſirons de recepuoir de vous quelque bonnes personnes pour nous aider, & conſideré que le fruict que nous faiſons en ces quartiers redonde au plus grand bien de tout le Iappon ce ne ſeroit que bien faict de nous enuoyer force bons ouuriers afin qu’iceux nous defaillans ne ſoyons fruſtres du fruict que pourrions attendre. Il eſt neceſſaire que ceux qui viendront par deça ſoient triez & choiſis pour pouuoir dextrement manier ceſte Nation, en laquelle apres tant dannees ie me trouue comme tout nouueau tant ils sont accors & bien aduisez.

Nous auons icy dreſſé vne egliſe à l’honneur de l’aſſmuption de noſtre Dame, d’autant que ce meſme iour le pere François Kauier aborda la premiere fois au Iappon, & eſt ſi bien, & gentiment trouſſee, qu’elle rauit les yeux, non ſeulement des Chreſtiens, ains auſſi de gentils. Et comme ce n’a eſté ſans grand trauail, auſſi attendont nous, que l’honneur, & reputation des Chreſtiens en ſera augmentée, & deſia en apperceuons nous quelques ſignes : car ainſi comme la haine, que les payens nous portoient, n’eſtoit grande, & bien petite la reputation, en laquelle ils nous auroient, ainſi maintenant tous nous honorent, & ne ſe trouue perſonne, qui detracte, ou meſdiſe de nous, & de noſtre ſaincte foy. Et non ſeulement celà arriue en ceſte ville de Meaco, ains ſ’eſtend encore le bon odeur de la doctrine de Ieſuſchriſt iuſques au plus eſlongnuées, & eſcartées Prouinces du Iappon de façon que ſans aucune contradiction, ou deſtourbier nous pourrons librement publier la parole de Dieu par toute l’iſle. Oultre plus ont eſté faictes deux aultres grandes & belles egliſses, l’vne en la fortereſſe de Sanga, l’autre à Vacaiama. Ie vous ſupplie au nom de Dieu de demander pour nous à ces ſeigneurs de Indes quelque piere de drap d’or pour parer noſtre egliſe : car vous ne penſeriez combien les lapponois ſont curieux de toutes choſes apparrenantes aux ornements exterieurs de leurs temples, & moſquees. Et ce faiſant ſeront participans tous ces ſieurs de tous les fruicts, que nous recueillirons en ces quartiers du Iappon.

Nous auons celebré pluſieurs ſolennels bapteſmes aueç grand triomphe & alegreſſe, & auons dreſſé pluſieurs belles, & grandes croix, en pluſieurs lieux aueç grande reuerence, & deuotion, de sorte que plusieurs payens, & Idolatres, ſans qu’ils euſſent notice aucune de la vertu & efficace de la ſaincte Croix, pour voir ſeulement la deuotion, & ferueur des Chreſtiens, eſtoient pouſſez, & eſmeus de nous requerir le bapteſme. Mais ne pouuant Satan ſouffrir vn ſi grand fruict, encré qu’il eſtoit corps de quelques Idolatres criant à gorge deſployee, que ces croix empeſchoient grandement l’honneur, & progrès des loix Iapponnoiſes, partant qu’on y pourueut à l’heure, autrement tout le Iappon s’en iroit à uaul de route, & deſolation extreme, & leurs dieux les delaiſſants prendroient party ailleurs.

Trois lieues loing d’icy ſe voit vne montaigne fort haulte, & toute deſerte, où il y a vn pagode ou temple dédié principalement au diable, auquel les Iapponnois accourent pour demander vengeance de leurs ennemys & pour autres effects pleins de meſchanceté & pour ceſte cause eſt reputé beaucoup & tenu en grande reuerence & veneration, & illec font demeure pluſieurs Bonzes qui vacquent aux ceremonies accouſtumees, & ont ſoin des ioyaux & paremens de ce temple. Ie ne ſuis iamais en compagnie des Chreſtiens que ie ne leur tienne propos du grand deſir que i’aurois de ruiner ce Pagode, & de ſacrer ce lieu & en faire vn beau temple à l’honneur de monſieur ſainct Michel archange, & de planter aau plus hault de la montagne vne fort grande croix, afin qu’on la deſcouuriſt de tous les endroits du Meaco, & eſtant deſcouuerte fuſt adoree de tous, me ſemblant choſe indigne & mal à propos, que celuy lequel par ſa fierté et ſuperbe treſbucha du hault des cieux, maintenant fuſt adoré en vn lieu ſi eminent. Ie coniecture que ce mien deſir vint aux oreilles des Bonzes qui ont charge de ce temple : car s’eſtans retirez vers Nabunanga dreſſerent des complaintes à l’encontre de nous, le ſupplians de nous prohiber & defendre de mettre la main ſur ceſt idole, parce qu’ils se doubtoient fort qu’auenant qu’elle fuſt deplacee de grands encombriers & deſaſtres ne ſ’en enſuiuiſſent. Mais ie me confie que les ſeruiteurs de Dieu auront le deſſus, & quant à moy i’ay bonne eſperance qu’auec mes mains ie ietteray par terre, & bruſleray tous ces monaſteres & pagodes de ces pauures & miſerables abuſeurs, afin que par ce moyen i’apporte au diable plus grand peine & tourment, & plus grand confuſion à ſa ſuperbe & arrogance. Et venant par deça voſtre reuerence ſans doubte aucune le ſeigneur Dieu nous ouurira quelque chemin pour mettre afin ceſte entreprinſe & culbuté que ſera le chef ne ſera difficile de bouleuerſer les membres & le reſte de tous les Pagodes de tout le Iappon.

En vn de ces Royaumes qui ſont ſous l’hommage du Roy de Meaco où il y a plus de quatre mille Chreſtiens baptizez pour la plus part de ceſte annee, le ſeigneur d’iceluy nous permiſt que puiſſions faire Chreſtiens tous ceux de la ſecte de Voiaca, & qu’enſemble prechiſſions aux autres la ſaincte foy, afin que qui en auroit le deſir ſ’y rengeaſt ſelon qu’il iugeroit eſtre plus expédient pour le ſalut de ſon ame. Or cependant que nous nous diſpoſions pour vne telle empriſe Sathan prenant la forme & figure d’vn certain homme ancien appellé Tigrin, lequel eſt tenu & adoré pour dieu de ces pauures payens, luy chantans des hymnes, & louanges, apparut audit Seigneur, & parce meſme iour luy aduindrent pluſieurs choſes, qu’il auoit de long tems ſouhaitées. Il attribua le tout à l’aparition, & faueurs de ce Tigrin, & fiſt faire grand feſte, & ſolennité en l’honneur d’iceluy, & ensemble feſtoya fort ſomptueuſement tous ſes principaux ſeigneurs, & gentishommes, & en ſomme il fiſt deſpendre & conſumer toute ceſte iournee à chanter hymnes, & louanges à ce Demon. Le demeurant du peuple vaquoit à ſes ceremonies, & le Sacerdot alloit aſpergeant, & arrouſans les vns, & les aultres à tout de l’eau chaude. Mais le temps pendant voicy le diable, lequel ces aueugléz appellent le Dieu Tigrin, qui prent logis dedans ſon corps, & par ſa bouche ſe prent à crier, & à ſe plaindre de ce que tous ſes ſeruiteurs luy auroient eſté enleués ; choſe qui le tourmentoit fort, d’autant qu’il eſtoit contrainct de ſe ſeruir ſoy meſme, & s’en reſentoit d’autant plus par ce, que l’inconuenient luy eſtoit aduenu en ſon abſence, & cependant, qu’il n’eſtoit en ſa caſe, ains ſe pourmenoit ça, & là parmy les montaignes. Car il ſe faiſoit fort, que s’il eut eſté preſent, n’euſt iamais ſouffert telle eſcorne. En particulier il ſe plaignoit bien fort de moy, par ce que retournant vne fois de celebrer vn bapteſme de quatre cents perſonnes, i’entray hardiment auec les Chreſtiens au dedans de ſon temple, & ruay par terre toutes les ſtatues que i’y trouuay commandant aux Chreſtiens de leur oſter les teſtes. Ce qu’ils excecuterent, entre leſquelles ſtatues il y en auoit deux en forme de lyons, leſquels ſelon l’opinion de ce vulgaire abeſtiſſoient les Seruiteurs & angages de ce grand Dieu. Or cependant que le Roy eſtoit au plus grand de la feſte, & que ce pauure endiablé vrloit voicy venir comme vne nue de cailloux, qui leur donnerent ſur le dos auec vne ſi grande furie, & vehemence, qu’ils prindrent tous la fuitte. Tellement que de plus de vingts milles perſonnes, qui eſtoient à la feſte, n’en demeura vn ſeul, ſi grande eſtoit la multitude des cailloux, & l’effroy, & terreur, qui leur chauffa les eſperons, & ſi iamais ne peurent deſcouurir, d’où procedoit ceſte tempeſte, ny par qui ces cailloux pouuoient eſtre iettés. I’ay coniecturé à par moy, que c’eſtoient les bienheureux anges, leſquels à noſtre faueur combattoient la querelle de Dieu, choſe qui à merueilleuſement encouragé les Chreſtiens, & aſſeuré en la saincte foy, cognoissans par là que les Dieux du Iappon n’eſtoient aſſez puiſſans pour trouuer d’autres ſeruiteurs, ny pour defendre ceux qu’ils auoient deſia eus, & par ainſi vindrent a recognoiſtre & confeſſer que c’eſtoient inuentions de Sathan. Soudainement apres les Chreſtiens dreſſerent vne croix deux iets de pierre loin de ce temple pour faire plus grand deſpit & creuecœur à ce diable. Ie ne puis plus eſcripre pour le preſent parce qu’il me fault aller de ce pas, ouyr les confeſſions des Chreſtiens de Cauache, leſquels d’icy à trois iours ſe mettront en chemin pour aller à la guerre. Ie me recommande bien fort aux prieres & ſaincts ſacrifices, de voſtre reuerence, De Meaco ce iour de ſainct Matthieu 1573.

De voſtre Reuerence, fils & ſeruiteur en noſtre Seigneur,

Organtin.

Copie d’vne lettre dv pere Iehan François Stephanon, eſcripte de Meaco au Pere uiſiteur au Moys d’Aouſt M. D. LXX.


J’escriuis il y a vn an à voſtre reuerence, auec ſi grande conſolation d’eſprit, que noſtre Seigneur ſçait, & pour autant ſi bien à l’occaſion que ie ſuis en pais ſi eſloigné, ie n’ay peu receuoir de vos lettres, auſquelles ie doiue faire reſponce, ie n’ay toutesfois voulu obmettre de la preuenir, auec ce peu de parolles. Les nouuelles des noſtres ſont, que par la grace de Dieu nous sommes tous en bon eſtat. La Chreſtienté du Meaco prend vn accroiſſement admirable, de sorte, que deſpuis quatre moys ença ont eſté baptizez en la fortereſſe de Sangua mil & cinq cens perſonnes, ſi bien que deſia tous les ſuiets de ceſte ſeigneurie ont receu noſtre religion. En trois autres fortereſſes, 3520. leſquels auec certains autres, que nous baptizaſmes de diuers lieux, viennent au nombre de ſept mil ames, plaiſe à noſtre bon Dieu nous departir tant de ſon amour & dilection, qu’il eſt neceſſaire pour vn affaire de ſi grand conſequence, & que le beſoin de ce poure peuple recherche, n’ayant eſgard à mes imperfections, & defectuoſitez, leſquelles ne fermants la porte de la diuine miſericorde, ie vous peux dire d’aſſeurance qu’vne aultre nous en fera ouuerte pour recueillir des fruicts precieux, & admirables : conſideré qu’oultre les ſuſdits nous en catechiſons autres troys mille pour les baptizer en temps, & lieu oportun.

L’vng des principaux ſeigneurs de ceux de Nabunangua alant faire la reueüe d’vne fortereſſe d’vng Baron, qui luy eſtoit vaſſal, ouyr raconter les grands feſtes, & ſolennités, que nous faiſions ez bapteſmes des Chreſtiens, ainſin il luy print volonté de les veoir, & luy agreerent de ſorte, qu’il dict apres, qu’on deuoit procurer par toutes voyes, & promouuoir l’eſtendue, & amplification de la Chreſtienté, & ſoudain fiſt vn edict ſigné de ſa propre main, par lequel il enioignoit à touts ceux de la ſecte des Icoxes, leſquels ſurpaſſoyent le nombre de cinquante mille, de ſe faire Chreſtiens, & commandoit ſemblablement à ceux d’vne autre ſecte de venir ouyr les predications, & le Catechiſme. Le P. Organtin l’alla regratier, lequel y fuſt le tresbien venu, & recueilly de ce Prince auec toute humanité, & courtoiſie, & obtint d’iceluy, ce qu’il deſiroit, ſçauoir est, que tous les habitans de son royaume receuſſent la foy, & relifion Chreſtienne : & conſideré, diſoit il par apres, que rien ne manque de ma part, ie vous ſupplie, que de voſtre coſté vous faſſiez ſi bien, que ce noſtre commun deſir reuſſiſſe le pluſtoſt qu’il nous fera poſſible, alleguant pour raiſon de ſes edicts, & ordonnances qu’il eſtoit conuaincu par la force des arguments, qu’on amenoit en ieu pour perſuader, & confirmer noſtre treſſaincte foy : qu’il entendoit tresbien, que la cauſe de ſon indiſpoſition ne procedoit d’ailleurs, que de ſes enormes pechez, leſquels noſtre loy deteſte, & commande de fuyr, & qu’il ſe feroit volontiers Chreſtien, n’eſtoit qu’il treuuoit noſtre loy treſaſpre, difficile, & malayſee à garder. Eſtant vng iour ce meſme Sieur aueques Nabunangua y ſuruindrent autres Seigneurs d’vne ſecte ſurnommée des Focoxes, en intention de remonſtrer & perſuader à Nabunangua, que pour pluſieurs raiſons les noſtres debuoient eſtre chaſſes, & mis hors de Meaco. Alors Nabunangua pria ce Seigneur duquel maintenant nous parlions, luy vouloir declairer quelle opinion il auoit des noſtres. Lequel luy fit reſponſe, qu’il n’auoit pas telle cognoiſſance de noſtre loy, qu’il en peut aſſeoir jugement, que toutesfois il ſçauoit par experience, que quelques ſeigneurs Chreſtiens ſes vaſſaux luy eſtoient treſobeyſſans, & que c’eſtoit vn peuple, lequel ſ’estudioit ſeulement de fuyr le vice, & ſuyure la vertu, & qu’il auoit le meſme ſentiment, & opinion des peres leurs enſeigneurs & maiſtres. Pour lors le Roy feit la meſme demande à pluſieurs autres ſeigneurs, leſquels firent ſemblable reſponse. Ce qu’entendant Nabunangua dit, qu’encore luy eſtoit de meſme aduis, de façon, que iaçoit que toutesfois & quantes que les peres le viſitoient, il les receut auecques grande humanité, neantmoins du depuis il leur monſtra plus grande amitié, & leur fit plus grand honneur, que iamais il n’auoit fait. Car l’eſtans allez les Peres ſalüer le premier iout de l’an, encores que la ſale fut pleine de Seigneurs les plus remarquez du Royaume, qui l’attendoient pour luy donner les bonnes feſtes, neantmoins dés auſſi toſt ils furent par luy conduicts iuſques en la ſale, & placez au lieu le plus honorable. Et ſi depuis il alla en ſa propre perſonne pour aduertir Nabunangua, que les noſtres eſtoient là venus pour parler à ſa maieſté, & furent ſur le champ, menez dans la chambre meſme, ou Nabunangua dormoit. Ce que ne fiſt pas peu eſmerueiller tous les aſſiſtans, & tant qu’ils diſoient, que Nabunangua eſtoit venu a demy Chreſtien : il traicta & parlementa auec eux auec grand priuauté & courtoisie. Ce q’il ne fit à pas vn de tous ſes Seigneurs. Car ſortant de ſa ſale auec ſon accouſtumee grauité dict à vn Bonze vne ſeule parolle. Il nous à en telle eſtime & reputation, qu’arraiſonnant autrefois ces Seigneurs de Meaco, leur dict, que nous ſommes meilleurs que tous les Bonzes. Il ſe mit vn iour à diſputer auec vn Chreſtien, lequel peu de iours au parauant ſ’eſtoit conuerty, & print ſi grand plaiſir à ceſte conference, qu’il la fiſt continuer du midy iuſques à la nuict. Et encores, que le Chreſtien fuſt encore nouice, toutesfois noſtre bon Dieu luy departit si grand lumiere, & entendement, qu’il reſpondit aſſez pertinemment de tout ce qu’on luy propoſoit. N’ayant plus grand loiſir, & commodité i’obmets de vous eſcrire pluſieurs autres particularitez, par ce que hier meſmes ie fis vn bapteſme de trois cens perſonnes, & pour l’heure preſente ie ſuis encores apres pour en dreſſer & dispoſer vn autre : ne vous oubliez point pour l’amour de Dieu de ceſte Chreſtienté, & Gentilité, & ne faillez de nous enuoyer de bons & fideles ouuriers, à fin qu’ils nous aydent à reſſerrer vne ſi grande moiſſon. De Sangua la veille du glorieux Apoſtre ſainct Iacques, 1577.


Voſtre indigne ſeruiteur Iean François.


Copie d’vne lettre dv pere François Cabral, av r.p. general de la Compagnie de Iesus, enuoyee de Cochinoque, le premier de Septembre, 1577.


Parce que l’an paſſé i’aduertis voſtre Paternité du grand fruit, que noſtre bon Dieu ſ’estoit daigné faire en ces quartiers du Iappon eſtant venu le nombre de ceux, qui en diuers endroits auoient receu le ſainct bapteſme iuſques à quarante mille : maintenant ie la certioreray en peu de paroles de tout ce qui s’eſt paſſé ceſte preſente annee mille cinq cens ſoixante & dix ſept, depuis le dernier departement des nauires, me remettant au reſte aux lettres particulieres, que nos peres vous eſcriuent des lieux où ils font residence : & bien que le nombre des conuertis n’ayt eſté ſi grand que ces annees paſſees : toutesfois la condition, & qualibre des perſonnes, qui ſont entrées au pourpris de l’Egliſe, ſurmonte de beaucoup, par ce que outre le fils du Roy de Bungo, duquel nous vous auons eſcrit autre fois, a eſté baptiſé le gendre du meſme Roy, fils adoptif d’vn des principaux ſeigneurs, qui eſt frere de la Royne, & a en main le gouuernement de trois royaumes. A l’occaſion de la reduction de ce ieune prince ſ’eſmeut vne reuolte, qui ne fut pas petite, & luy & tous ceux, qui eſtions à Bungo, encourumes vn danger extreme de perdre la vie pour la querelle de lesus Chriſt. Ce qui feuſt aduenu ſans point de faute, ſi la prouidence diuine n’euſt fleſchy le cœur du Roy à compaſſion pour y interpoſer ſon authorité, qui a fait de forte, que le ieune prince eſt demeuré Chreſtien, encores que ſon pere, & la Royne ſa tante ayt mis ſans deſſus deſſoubs tout le royaume penſans le deſtourner : I’aſſeure voſtre paternité, que le Roy ſ’employa en ce negoce en noſtre faueur auec ſi grande affection, que voſtre Paternité n’en euſt ſçeu faire d’auantage, & parce que le Pere Loys Froez, qui pour lors eſtoit auec moy en ce trauail, vous mande bien au long toute ceſte histoire, i’ay eſtimé qu’il n’eſtoit neceſſaire de m’amuſer à vous eſcrire toutes les particularitez qui y furent remarquees. Nous auons pareillement en ce Royaume de Bungo faict pluſieurs autres Chreſtiens. Au Royaume de Ciccucen, qui est tout ioignant la cité de Facate, ou faict ſa demeure ordinaire le Pere Melchior Figaaredo, ont eſté baptizez cinq ou ſix cens perſonnes du Royaume de Figen, A Faguamen mil & cinq cens, és Royaumes de Cauachi & Cyunugum, qui eſt pres du Meaco, ou reſide le Pere Organtin auec vn autre Pere, & noſtre frere Laurens Iapponois ont receu le Bapteſme cinq mille ames, & par faute & penurie de predicateurs, pluſieurs autres ont differé de ſe faire Chreſtiens. En quelques autres Royaumes pluſieurs autres ont eſté reduits : de façon que le nombre de ceux, qui ceſte annee mil cinq cens ſoixante & dixſept, ont eſté gaignees à noſtre ſaincte foy ; vient iuſques à huit mil ames. Louange en ſoit à Dieu, duquel tout bien procede.

Certes la conſolation & allegreſſe, que nous receumes de l’illumination de tant de poures aueuglez, fuſt ſinguliere, mais il pleuſt à noſtre Seigneur de la nous diminuer aucunement auec le meſlange de la douleur, que nous a cauſé la mort du bon Roy de Arima dom André, lequel pour celebrer la feſte de ſainct André ſon aduocat vinſt à noſtre Egliſe, & auec ſes fils, & les principaux ſeigneurs de ſon Royaume, tant Chreſtiens que Gentils deſpendit deux iours entiers en diuers exercices & eſbaſtements, au bout deſquels il commença a ſe trouuer mal, à l’occaſſon d’vne apoſtume qui luy ſortiſt entre les coſtes, laquelle en moins de vingt iours l’enuoya, comme nous eſperons a vne meilleure vie. Et parce que tant son fils aiſné, que les autres ſeigneurs, qui eſtoient Gentils ne nous-voulurent oncques permettre de luy aſſiſter à l’heure de ſa mort pour le ſecourir en vne extremité ſi grande, ie ne puis vous en particularizer dauantage. Vne chose ſçayie bien, qu’il eſt mort Chreſtien, & auec la croix, qu’il portoit ſur ſoy continuellement. Et combien que les Bonzes, qui y furent appellez s’eſſayaſſent de le faire tourner arriere, neantmoins il ne voulut entendre leurs diabolicques perſuaſions, aydé ſans, point de doute de la faueur particuliere du benoiſt ſainct Eſprit. Mais auſſi toſt qu’il eut rendu ſon ame, ſon corps fut baillé és mains des Bonzes, lesquels sont en grand nombre, & ſeigneuriſent pour la plus part ce royaume, parce que preſque tous ſont fils, ou freres des principaux ſeigneurs d’iceluy. Le nouueau Roy & les plus puiſſans gentilshommes, nous dreſſerent incontinent vne furieuſe perſecution, faiſant mettre en pieces les croix, qui auoient eſté dreſſees, commandans à ces nouueaux Chreſtiens ſoubs peine de la vie, de reprendre leurs premieres erres, & retourner au paganisme. Ce que la plus grand part d’iceux fiſt aſſez promptement, n’eſtans encores bien affermis, ains comme nouuelles plantes non gueres bien cultiuees par faute de bons ouuriers. Cependant ſ’en treuua-il touſiours quelque bon nombre de fermes, & conſtans, & reſolus de pluſtoſt aller en exil, & de perdre meſme la vie que d’abandonner la foy & religion, qu’ils auoient profeſſee. Et y en euſt quelques autres Ieſques ne pouuans ſurmonter la crainte de la mort, nioient de bouche la ſaincte foy, bien que interieurement ils ne la niaſſent, & venoient de nuict vers nous pleurer & confeſſer leur laſcheté, & leur peu de courage. Or iuge maintenant voſtre Paternité en quelles angoiſſes a faſcheries moy, le pere Antoine Lopés, & noſtre frere Loys nous retrouuaſmes, & bien que d’heure à heure nous attendions la mort, comme ſouuent elle nous eſtoit annoncée, toutesfois il ne pleut point à Dieu de nous faire ſi ſinguliere grace, auec tout ce, que nous ne laiſſions d’encourager les laſches, & inciter ceux, qui eſtoient tombez de ſe releuer, & fuſmes en tel eſtat, iuſques à ce que l’on nous bruſla l’Egliſe. Car lors fuſmes contrains de nous retirer à Cochinogu, d’ou i’enuoyay mes compagnons à Amagouza, & ie m’en allay à Bungo par lieux eſtranges & diuers & chemins bien differens de ceux, qui m’eſtoient proposez, qui fut vn trait de la prouidence diuine : car autrement ſ'eſtoit fait de ma vie, d’autant que quelques miens ennemis m’auoient dreſſé embuſches au milieu du chemin ordinaire. En eſchange de ceſte affliction noſtre bon Dieu nous conſola par le moyen de l’heureuſe reduction de toute ceſte ville de Maguza, ou preſque tous les habitans ont receu le bapteſme, & ceux, qui ne l’ont voulu receuoir ont eſté chaſſez hors auecques perte de tous leurs reuenus, parce que combien, que le ſeigneur de ceſte Iſle euſt eſté fait Chreſtien il y a ia ſix ans, neantmoins iuſques à maintenant il y auoit touſiours eu grand nombre de Gentils, retenans en leur entier leurs temples, & Moſques. Y reſtoient ſemblablement pluſieurs Bonzes auec leurs Idoles & reuenus, leſquels empeſchoient que le demeurant des Gentils ne ſe conuertiſt, & que ceux qui eſtoient deſia reduits ne cheminaſſent conformément à la loy Chreſtienne. Et de ce principallement eſtoit cauſe la femme du meſme ſeigneur, qui eſtoit Payenne, & grande ennemie des Chreſtiens, & nous auoit touſiours braſſé pluſieurs perſequutions, & faict tourner arriere pluſieurs nouueaux Chreſtiens eſtant par trop adonnee à la loy du Iappon, & aſſez bien entendue & verſee en icelle, comme encores aſſez docte és ſciences de ce pais. Mais la miſericorde diuine dispoſa ſi bien l’affaire qu’elle eſtant venue l’an paſſé pour viſiter ceſte ville, ouit quaſi contre ſon gré noſtre predication : laquelle oüie, alla touſiours deſpuis adouciſſant petit à petit l’aigreur & fierté de son cœur, de façon qu’en fin elle ſe conuertit, & auec elle quaſi tous ceux, qui eſtoient encores Gentils. Et ſachant bien, que le tout deſpendoit de ceste dame, ie mis grand peine de la bien informer & inſtruire es choſes de la foy, leſquelles, comme elle eſt femme de grand dexterité, & entendement, elle à comprins auec grande facilité, & y a ia trois mois, qu’à mon retour de Bungo elle me pria fort inſtamment de la vouloir ouir en confeſſion, toutesfois parce qu’il eſtoit neceſſaire, que premierement elle euſt cognoiſſance des choses appartenantes à ce Sacrement, ie ne le voulus faire, ains luy enuoyay vn de nos freres de nation Iapponois, afin qu’il la preſchaſt deux ou trois iours ſur le ſuiet de la confeſſion, & ſatiſfaction. Ce qu’eſtant faict luy fuſt ſignifié, que pour ſe confeſſer & receuoir la grace, & ſe pouuoir ſauuer, eſtoit neceſſaire qu’elle fiſt deux choſes, l’vne eſtoit qu’elle fiſt reſtitution de toutes les vſures, que cependant qu’elle eſtoit Gentille elle auoit receuës de ſes vaſſaux, eſtant choſe ordinaire à ces ſeigneurs Iapponois, donner à leurs ſuiets cent pour en receuoir cent ſoixante au temps de la cueillete, & tant ſ’en fault, qu’ils tiennent cecy à peché, que meſmes ils le font, & pratiquent, comme vne tresbonne œuure. L’autre chose eſtoit de rendre à leurs maris toutes les femmes qu’elle tenoit eſclaues, eſtant la couſtume du Iappon, que ſi quelque femme a quelque caſtille & different auec son mary, & s’enfuyant de la maiſon d’iceluy a recours vers le palais du roy, ou ſeigneur, ſoudain ſans autre forme de droit elle demeure eſclaue, & de ces poures, & miſerables elle tenoit grand nombre. Et bien que ces deux choſes ſoient icy nouuelles & beaucoup difficiles à eſtre executees en ce pays du Iappon, voyant toutesfois qu’elle ne ſe pouuoit confeſſer, ſi au prealable ces deux empeſchemens n’eſtoient oſtez, elle ſe reſolut de le faire, & par ainſi vint à ſe confeſſer, & en peu de temps demeura ſi bien instruicte, & tant affectionnee és choſes appartenantes à noſtre ſaincte foy, quelle ſollicita ſon mary à ne conſentir, qu’il fuſt permis aux Gentils de faire plus longue demeure aux pays de ſon obeyſſance, & de faire entendre aux Bonzes, qu’ils euſſent à ſe faire Chreſtiens, ou à quiter tous leurs reuenus, leſquels eſtoient fort grans, par ainſi qui il viendroit a retrencher tout ce qui pourroit retarder le progrez de la foy, & ſoudain enuoya prendre tous leurs idoles, & liures & fit tout porter à l’Egliſe. Quelques Bonzes ſ’en allerent ne ſe ſoucians de laiſſer leurs monaſteres, & reuenus, mais pluſieurs autres ſe firent Chreſtiens donnans librement leurs idoles & liures, & ſont maintenant aſſidus à ouyr les predications de noſtre frere Iean Iapponois, & viennent deux fois le iour à ceſte Egliſe, qui eſt la plus grande mortification, qui leur ſceuſt aduenir. Car ce ſont gens ſuperbes & hautains, & tels qu’ils ſe reputoient pour dieux de la terre, & maintenant ſont enſeignez d’vn ieune homme de 20.ans ou enuiron, quoy que par my eux il en y ayt quelques vns de ſoixante, & outre ce d’vn maintien, & preſence venerable, de façon que tous les ſubiects de ce ſeigneur ſont par la grace de Dieu deſia Chreſtiens ſans aucun deſtourbier des Bonzes, ny des idoles, ny d’autre choſe gentileſque. Ce que doit eſtre d’autant plus eſtimé, que ce pays eſt de grand’eſtendue, & bien fort peuplé. Nous auons deſia dreſſé enuiron trente Egliſes, & ſerons contrains d’en dreſſer autres quarante. Ce qui manque pour maintenant en toute ceſte contrée : & generalement en tout le Iappon, ſont ouuriers & perſonnes, qui ſçachent la langue du pays. A quoy comme i’eſpere, ſera pourueu aſſez ayſément, ſ’il plaiſt à voſtre Parternité commander, qu’on erige vn college, où l’on puiſſe adextrer, & façonner les ſubiects neceſſaires. Le pere Alexandre Valignan noſtre viſiteur nous a enuoyé ceſte annee mil cinq cens ſoixante & dixſept, quatorze de nos freres du college de Goa, à fin que apres qu’on auroit pourueu à certaines neceſſitez nous peuſſions donner commencement à ceſte ſaincte & louable entreprinſe, de laquelle i’eſpere, qu’on doiue recueillir grand fruict, d’autant que eſtans eſleuez en ce ſeminaire quelques Iapponois, qui puiſſent preſcher, ne ſera choſe difficile de reduire en peu de temps tout le Iappon entierement. Nous auons deliberé de donner commencement à ce college au royaume de Bungo, parce que c’eſt la prouince la plus payſible de tout le Iappon, & où il y a plus grand nombre de Chreſtiens & ou le Roy nous eſt plus fauorable, & meſmement en c’eſt affaire. Car ayant entendu courir le bruit, que nous voulions dreſſer vng ſemblable college au Iappon, m’enuoya ſoudainement ſignifier, qu’il deſiroit que ce feuſt en l’vn de ſes Royaumes, & que par ainſi conſideraſſe quel lieu ſeroit plus à propos, & ſubdain luy en donnaſſe aduertiſſement auecques promeſſe, que rien ne me ſeroit deſnié, ores que ie demendaſſe vne ville toute entiere de quelque Seigneur qu’elle peult eſtre. Et ſuyuant cecy, ayant veu & conſideré quelques lieux, où le Roy fait ſa demeure ordinaire, i’en choiſis vn voyſin de la mer ioignant le palais du Roy en fort belle ſituation, & ayant quelques fontaines au dedans : lequel nous fut ſur le champ ottroié de ſa maieſté ayant donné recompenſe aux poſceſſeurs de quelques pieces de terre, qui estoient en ceſt enclos, de façon, qu’il ne reſte que d’encommencer l’œuure, ce que comme i’eſpere, nous ferons au premier iour.

Iaçoit que nous ayons eſté ſollicitez, & requis de pluſieurs royaumes de leur aller preſcher la loy de dieu, toutesfois il ne nous a eſté poſſible à cauſé du petit nombre, que nous ſommes. Et quand bien nous ſerions autres cent nous ny ſçaurions aduenir ; ce nonobſtant appuiez de ceux, qui nous ont eſté enuoyez, & de l’eſperance que nous auons d’en receuoir d’auantage, nous allons commencer vne maiſon & reſidence au royaume de Saxuma, & ceux, qui y iront les premiers ſont le pere Baltazar Lopés, lequel vint des Indes auecques moy il y a ia neuf ans, & noſtre frere Iean Alexandre ancien en ce pays, & predicateur en langue laponoiſe. Nous eſperons, que noſtre Dieu ſe ſeruira de leur trauail & industrie pour le ſalut & conuerſion de pluſieurs ames. Outre plus vn autre pere, & l’vn de nos freres, qui ſcait fort bien la langue ſ’acheminent au royaume de Iquicuſen, & vn autre à Meaco, pour ſoulager & ayder ceux qui y ſont deſia. Vn autre ſ’en va és quartiers de Ferando pour ſecourir le pere Sebastien Louzalez, qui eſt là tout ſeul. Deux autres ſ’aresteront és marchez d’Omura, où il ſeroit beſoin, qu’il y en euſt au moins trente pour bien aſſaiſonner, & cultiuer ceſte Chreſtienté. Les autres qui reſtent ſe tranſportent à Bungo demeurans toutes les autres prouinces deſpourueuës par faute & manquement d'ouuriers. Plaiſe à la diuine bonté, nous deſpartir comme ie me confie quelle fera pluſieurs & ſuffiſans moyens pour entretenir & ſuſtenter en ces quartiers, pluſieurs de nos ſuppoſts, auecques leſquels non ſeulement nous entretenions ce que deſia eſt aduancé, ains encores iettions par tout le Iappon le grain, & la ſemence du ſainct Euangile. Ie pourrois eſcrire à voſtre Paternité pluſieurs autres choſes, voire meſmes quelques vnes, qui ſurpaſſent la nature, comme noſtre ſeigneur de iour à autre ſe daigne les monſtrer en ces pauures pays, leſquelles ie laiſſe à part tant par ce que vous les pourrez entendre des autres lettres, qui vous ſont enuoyees, tant auſſi, par ce que mes occupations bien vrgeantes, & ordinaires ne me permettent faire plus long recit. Pour concluſion ie ſuppliray treshumblement, & affectioneement voſtre Paternité, qu'il lui plaiſe pour l'amour de noſtre Seigneur, vouloir ſe ſouuenir de l'Iſle du Iappon, ſe perſuadant, que c'eſt vne des plus belles, & hautes entreprinſes, qui ſoient en mains de noſtre Compagnie, Noſtre bon Dieu vous maintienne & conſerue en ſanté, & force corporelle, & ſpirituelle, à fin que plus ayſeément vous puiſſiez mieux conſoler, & conduire vos enfans par les voyes & ſentiers de ſes diuins commandemens.

De voſtre Paternité fils & ſeruiteur indigne en noſtre ſeigneur François Cabral.