Lettres du Nord et du Midi de l’Europe – La Sicile/03

La bibliothèque libre.



LETTRES DU NORD
ET
DU MIDI DE L’EUROPE.

LA SICILE.

iii.[1]

Je ne sais, monsieur, si vous et vos lecteurs, vous vous souviendrez d’un correspondant que vous aviez du côté de Palerme, et à qui il prend envie de vous parler aujourd’hui de la Sicile. J’écris à mes loisirs, et je vous avoue que j’en trouve peu sur les grandes routes et sur les mers où je réside souvent ; mais je n’ai pas oublié les engagemens que j’ai pris avec vous, et, pour peu que vous consentiez à accueillir des notes âgées de deux années, je vous reprendrai à la porte de Palerme où ma dernière lettre vous a laissé, et nous suivrons, si vous voulez bien, la route de Catane.

Quand nous partîmes pour cette ville, moi et mes gens, les muletiers, dans leur costume pittoresque, couvraient déjà la route. Le jour commençait à peine. Une brume de novembre venait de la mer, et les émanations chaudes du rivage demi-africain y mêlaient une teinte d’or. À notre droite et derrière nous, se montraient de grandes ombres que formaient sur l’horizon le mont Pellegrino et les hautes montagnes qui se dessinent au-delà de Palerme, et devant nous s’ouvrait la route de Vallelonga, bordée d’Opuntii aux longues membrures grises et décharnées, qui ressemblaient, dans la clarté confuse de l’aurore, à des haies poudreuses élevées avec des ossemens humains. À chaque moment, nous entendions les tintemens des lourdes clochettes et le bruit de la secousse des chaînes qui pendaient aux bâts des mulets que chassait devant lui un homme monté sur un cheval maigre et qui était lui-même couvert d’un manteau noir doublé de blanc, dont le capuchon conique lui couvrait le front jusqu’aux yeux. Quelquefois ces spectres voilés psalmodiaient à mi-voix, sur un ton plaintif, une chanson sicilienne, et il était impossible de ne pas se livrer à des pensées mélancoliques, en entendant des paroles du genre de celles-ci, dont le rhythme, l’accent et l’idiome s’accordaient si bien avec tout ce qui passait devant nos yeux : Sti silencio, sti muntagni, sti vallati, l’ha criati la natura pri li cori inamurati[2]. Souvent aussi des moines déchaux de la Merci et d’autres religieux passaient sur leurs mules comme des ombres, et nous en trouvions d’autres immobiles près d’informes piliers mauresques, couverts de mousse, d’où découle une onde fraîche qui s’élève d’elle-même du sol, grace au simple et ingénieux procédé dont le génie des Arabes a doté la Sicile. Peu à peu, le soleil qui se levait nous montra des champs d’oliviers garnis de pampres, et une riante verdure, qu’on apercevait dans les intervalles d’un bois d’aloès et de figuiers d’Inde, jusqu’au moment où nous arrivâmes aux montagnes, où la nature change d’aspect.

Là, il semble qu’on voyage dans un cratère, et sans la splendeur du ciel qui se déploie sur votre tête, et la route admirable qui coupe ces masses de rochers, on se croirait perdu dans les entrailles d’une mine. Je ne puis comparer cette route, pour sa beauté, qu’à celle qui traverse les deux Calabres, la principauté de Citra, et s’étend de Villa-Giovanni jusqu’à Salerne. Imaginez une large chaussée, construite en mille endroits sur des aqueducs de marbre, jetée en d’autres sur des rochers qui bordent d’immenses précipices, dominant les gorges, les torrens, tournant autour des pics où sont construites les petites cités siciliennes, y menant par une pente rapide, et vous aurez à peine une idée de cette magnifique construction, pour laquelle les matériaux n’ont pas manqué, il est vrai ; car d’innombrables blocs de granit et de marbre la bordent comme de hautes murailles, et offrent partout leurs fragmens pour la raffermir. Ce n’est pas une des moindres curiosités de ce trajet, que la vue des richesses minérales qu’on rencontre partout. Les palais sont en quelque sorte rangés devant vous dans ces montagnes ; il n’y manque que le péristyle et les fenêtres, qu’on voudrait voir creusés dans les grands rocs de marbre blanc qui s’élèvent avec une sorte de régularité sur votre passage. Quelquefois on descend dans des plaines fertiles, où la terre rend trente fois le grain que le cultivateur jette négligemment à sa surface ; mais, au sortir de la vallée de Palerme, dès l’auberge isolée de Manganara jusqu’à Castrogiovanni, le centre de l’île, on chemine suspendu entre les rochers.

À voir les villes de l’intérieur de la Sicile, on comprend la durée des guerres et des révoltes qui ont eu lieu dans ce pays. Castrogiovanni, dont je viens de parler, et Calatascibetta, deux de ces villes, sont situées vis-à-vis l’une de l’autre sur deux pics opposés qu’on découvre déjà en sortant du bourg de San-Caterina. Castrogiovanni, vous pouvez l’avoir oublié tant il y a long-temps que je vous l’ai dit, Castrogiovanni est l’antique Enna, et domine la fertile campagne ainsi que le petit lac de Perguse, au bord duquel jouait avec d’autres jeunes filles la belle Proserpine quand Pluton sortit de quelque solfatarre voisine pour l’enlever. La route passe entre les deux pics, et il ne tient qu’aux habitans de ces deux villes de ne pas descendre de leurs rocs respectifs pour rester parfaitement étrangers les uns aux autres, comme au reste de la terre. En outre, ils n’ont qu’à fermer leurs portes pour être imprenables, et même, si on les forçait, chaque maison étant bâtie sur des gorges de montagne et assise sur un rocher, dans des lieux qui semblent inaccessibles même à ceux qui ont gravi les aiguilles où reposent ces étranges cités, chaque maison est une citadelle dont des Siciliens seuls pourraient tenter de s’emparer. À cette hauteur l’hiver est très rigoureux. Mon épaisse pelisse russe, qui était un objet de curiosité pour les habitans, me préservait à peine du froid. La montée de Castrogiovanni ne laisse pas que d’être rude ; mais, à mesure qu’on gravit, de ravissans aspects se présentent à vos regards. Le sentier se couvrait de paysans et de bergers qui montaient en même temps que nous, précédés par leurs mules, ornées de rubans et de paillons, ou conduisant des bœufs d’une espèce particulière à l’île, et dont les cornes, droites et longues, s’élancent d’une petite tête élégante comme celle des chevaux. Les bergers, chaussés d’espadrilles, un manteau noir négligemment jeté sur l’épaule, se faisaient remarquer par la finesse de leurs traits et la fierté de leur visage que relevaient encore leurs petites moustaches noires. Les autres paysans portaient un costume encore plus pittoresque, et leur justaucorps de velours bleu ou noir, serré par un large ceinturon de cuir bouclé devant, leurs longues guêtres de laine drapées, leur double surtout de laine blanche et noire, rappelaient le moyen âge, et se trouvaient parfaitement en harmonie avec la vieille tour octogone bâtie par Frédéric II, qui s’élève sur l’esplanade où se termine la montée. La ville s’offrit alors à nous avec sa porte et ses murs délabrés, ses vieux châteaux flanqués de tours à demi écroulées, et les toits élevés de ses dix-sept monastères. Au détour d’une rue, nous trouvions souvent un sentier percé dans les rochers qui mènent au sommet de la ville, et, dans les parties les plus populeuses, les maisons sont bâties sur le bord de précipices profonds. Les habitations ne diffèrent pas moins entre elles que les diverses parties du sol, et il n’est pas rare de voir, entre deux maisons de bonne apparence, une grotte dont la voûte est soutenue par des piliers et où vivent de misérables familles ; mais bientôt on est dédommagé de ce triste aspect en approchant du vieux château. Là, tout à coup, la Sicile entière se déroule à vos pieds. Devant vous, si vous vous tournez vers la mer Thyrrénienne, vous découvrez un chaos de vallées et de montagnes, semé de villes et de petites bourgades, les unes jetées à la cime de pics semblables à celui où vous êtes, les autres ensevelies dans des gorges profondes où elles apparaissent comme des points blancs et lumineux. Plus au nord se dressent les longues chaînes des monts Pelore et Madonia, qui vont, jusqu’au détroit de Messine, faire face aux montagnes de la Calabre ultérieure première, et, traversant toute l’île, touchent à son autre extrémité Palerme et Trapani ; et au sud vous voyez la Sicile s’abaisser vers la mer d’Afrique par les vallées de Caltanisetta et de Syracuse, mais s’abaisser graduellement par divers amphithéâtres de rochers et de montagnes entre lesquels se dérobent les vertes profondeurs où gisent Mazzarino, Scordia, Lentini, Modica et une foule de petites cités entourées de campagnes fertiles. Nous étions au mois de novembre ; le ciel était pur, dégagé de vapeurs, et l’œil pouvait suivre les nuances géologiques de ces diverses hauteurs parmi lesquelles on voyait dominer les pitons noirs des rochers qui forment la crête des montagnes, puis au-dessous les teintes vertes des pâturages qu’on trouve sur les chaînes secondaires, puis plus bas encore les flancs jaunes et blancs des soufrières, des mines de sel gemme et des carrières de marbre blanc ; et, au dernier plan, couraient les lignes argentées des ruisseaux et des torrens qui fuient entre les plus basses collines et se répandent dans les plaines. Tournant enfin mes regards vers la mer Ionienne, j’aperçus au plus haut du ciel, dominant toutes les montagnes et remplissant tout un côté de l’horizon, l’immense cime couverte de neige du vieux roi des volcans, de l’Etna. En voyant l’Etna, on est de l’avis de Spallanzani, qui, dans sa nomenclature, nomme le Vésuve un volcan de cabinet !

Dès qu’on a vu l’Etna de ce point central de Castrogiovanni, on ne le perd plus de vue ; et soit qu’on remonte de Catane à Messine, soit qu’on descende vers le midi de l’île, par les vallées du centre ou le long du rivage, à Augusta, à Syracuse, à Noto, au cap Negro, l’Etna reparaît sans cesse devant vos yeux, vous montrant une de ses faces, ou présentant sa cime blanche au-dessus des autres montagnes. De la mer, près du cap Santa-Croce, sous la citadelle d’Augusta d’où l’on découvre toute la baie de Catane, j’ai vu l’Etna dans tout son développement, et sans les interpositions des autres montagnes qui en dérobent souvent la base. L’effet en est prodigieux, et on ne peut s’en faire une idée si on ne l’a pas vu, qu’en se figurant une pyramide dont la base serait de dix lieues. On peut affirmer du moins que, depuis le rocher de Taormine jusqu’au lac Gurrita, de là à Troïne, de Troïne à Centorbi, de cette ville à Catane, et de Catane au roc de Taormine, c’est-à-dire sur une étendue de terrain de soixante lieues de tour, tout n’est que laves et cendres vomies par l’Etna. Dix heures avant d’arriver à Catane, nos chevaux enfonçaient déjà jusqu’à mi-jambes dans la cendre brune et fine que le volcan a répandue autour de lui ; et, en sortant de cette ville pour aller à Messine, nous voyageâmes un jour et une nuit à travers les laves, suffoquant au milieu de ces émanations cinéraires, et labourant des pieds de nos montures les scories friables dont se forme la terre végétale de cette partie si fertile du sol sicilien.

À Leonforte, ville également perchée sur un pic immense, vis-à-vis d’un autre roc perpendiculaire où se trouve la ville d’Azaro, je vis l’Etna encore plus gigantesque ; mais déjà le spectacle de la misère publique me frappait plus vivement que toutes les magnificences du sol. À San-Philippo-d’Argiro, à Regal-Buta, qui sont aussi sur des cimes, je trouvai de malheureux habitans demi-nus, dont la faim disputait quelques fruits gâtés à leur maigre bétail, et des enfans tellement défigurés par la saleté et les privations, qu’on ne pouvait distinguer leur peau des lambeaux grisâtres qui la couvraient à peine. À Leonforte, la détresse des habitans était la même et ils restaient couchés pêle-mêle sur le seuil de leurs misérables maisons, dans une oisiveté forcée. Une mine de soufre qui se trouve dans le voisinage avait été abandonnée et sur ce sol où gisent le bitume, l’asphalte, le pétrole, où l’olivier et les grains de toute espèce se trouvent en abondance, des milliers de malheureux mouraient de faim.

Je me suis enquis souvent des causes de la misère qui règne ou qui régnait dans cette partie de l’île, quand je la visitai il y a deux ans, et j’en suis venu à l’attribuer à la fois aux habitans, aux circonstances et à l’administration. Dans cette petite ville de Leonforte, par exemple, et sur son territoire, l’exploitation des minières de soufre et de bitume, l’agriculture et le travail des fabriques pouvaient occuper bien des bras ; mais l’hôte qui me logeait exerçait la profession de fabricant de vases de terre cuite, et un nouvel impôt sur l’argile l’avait forcé de renoncer à cette industrie ; le mauvais système des jachères laissait en friche un tiers des propriétés ; l’argent manquait aux propriétaires pour exploiter leurs mines, et, pour comble de détresse, le choléra ravageait le pays. Plus de deux cent cinquante personnes avaient péri, en peu de jours dans cette petite ville, déjà bien dépeuplée, et la basse classe, manquant de tout, réduite à vivre de fruits malsains, ne pouvait rien faire pour se préserver du fléau.

Dans les petites villes et dans les campagnes de la Sicile, les classes inférieures se composent des laboureurs et des ouvriers qui travaillent aux mines. Voici ce que j’ai recueilli, sur les lieux même, touchant les différentes conditions de leur existence. Ce qu’on peut nommer la population agricole se divise en trois classes : les borgesi, les inquilini ou sous-locataires ; et les contadini ou paysans. Les borgesi peuvent encore se diviser en deux sections ; la première embrasse les barons ou les nobles de tous rangs qui vivent sur leurs terres, et qu’on peut comparer aux statesmen du nord de l’Angleterre. Ils cultivent leurs propres champs ; à Palerme, à Messine, on les voit surtout adonnés à la culture des orangers et des limoniers, et, dans le district de Caltagirone, à celle des céréales. La seconde, comprend les gabilotti, ou intermédiaires entre les propriétaires, et les laboureurs. Les sous-locataires se divisent en censuarii, qui louent par bail emphytéotique, et les metatieri ou métayers.

Les gabilotti sont des personnes qui ont un capital de 12 à 40,000 fr. Ils louent à bail les terres des églises et des monastères, ainsi que celles des grands propriétaires. D’ordinaire, les terres ecclésiastiques sont louées pour trois ans. Les baux des grands propriétaires embrassent une période de six et quelquefois neuf ans. Ces gabilotti sous-louent aux autres inquilini qui les paient souvent en nature ; quant à eux, ils paient la rente de la terre aux propriétaires, par tiers, tous les quatre mois, à compter du 1er janvier. En beaucoup de localités, on fixe une partie des fermages du sous-locataire en argent. Tel est le cas dans tout le duché de Bronte, donné en 1801, par la munificence royale de Ferdinand IV, à l’amiral Nelson, et dont lady Bredport, sa nièce, est aujourd’hui propriétaire ; mais à Bronte et ailleurs, quand les inquilini ne peuvent pas payer, les gabilotti se font livrer tous les fermages en nature, et les prix sont fixés par un tribunal ad hoc, composé des autorités du district. Dans le sud de l’île, les sous-fermiers ne contractent que pour une récolte, et paient en nature.

Le contrat des censuarii se nomme censo perpetuo. Ce contrat est légué du père aux enfans, et des parens consanguins à leurs enfans. On paie une amende d’une année si on le vend à un étranger ; en pareil cas, le propriétaire a la préférence, et peut racheter au même prix. L’usage de ces sortes de contrats était presque universel en Sicile ; mais il diminue chaque jour. En général, la courte durée des baux exerce une fâcheuse influence sur l’état de l’agriculture. En ce qui est de la Sicile, la plupart des grands propriétaires, vivant à Palerme ou à Catane, ne se rendent presque jamais dans leurs terres, et j’en ai connu quelques-uns qui ne les ont jamais vues, bien qu’ils n’eussent qu’une petite distance à parcourir pour les visiter. Pendant ce temps, les razionali ou comptables, qui s’enrichissent à leurs dépens, les entretiennent dans des illusions continuelles, et leur font espérer tantôt la découverte d’une mine, tantôt une hausse subite des denrées. Dans cet espoir, les propriétaires refusent de contracter des baux trop longs, et le terme de six années, qui est généralement adopté, ne permet pas au métayer de se livrer à un système de culture propre à améliorer la terre.

Les métayers ont une condition misérable. Ils cultivent à la part, et ont un tiers ou moins, selon le genre de la culture. Les inquilini, ou, sous-tenanciers, mieux partagés, possèdent des bœufs et des instrumens de labourage ; mais malheureusement la loi permet, en Sicile, de saisir les ustensiles de la ferme et les instrumens aratoires, et souvent cet excès de rigueur change un pauvre cultivateur honnête ou un ouvrier en mendiant qui finit par exercer le brigandage sur les routes et dans les gorges des monts. Enfin, il y a les ouvriers ruraux, qui ont établi la résidence de leur famille dans les villes. Ils vont à la campagne le lundi matin, et ne reviennent que le samedi soir dans leur ménage. Ces ouvriers dépensent ainsi dans la ville ce qu’ils gagnent à la campagne, mais ils apportent aussi leur misère dans la cité pendant les temps de chômage. Pour les contadini, ou paysans, on en trouve diverses sortes dans les communes rurales : les surveillans, arpenteurs ou comptables, les laboureurs, les sous-laboureurs, bergers, bouviers ou chevriers, et les garçons de ferme.

Toute cette population agricole vit dans un état voisin de l’indigence, et souvent dans un dénuement complet ; car, aux causes de misère que j’ai énumérées, il faut joindre le manque absolu de circulation dans l’intérieur de l’île, où l’on ne trouve ni routes ni canaux, la cherté de l’administration, le mode de perception des impôts, ainsi que les effets de la loi du 30 novembre 1824, par laquelle les marchandises envoyées de Naples dans les ports de Sicile, et qui, ayant déjà été soumises aux droits de douane dans la partie du royaume des Deux-Siciles située en-deçà du phare, sont tenues d’acquitter une seconde fois le droit, comme si la Sicile n’était pas une partie du royaume napolitain. Il n’est pas, admirez la fatalité ! jusqu’à la présence du corps d’occupation anglais en Sicile qui n’ait contribué à l’état fâcheux où se trouve ce pays aujourd’hui. On sait que, lors du départ de la cour de Naples pour Palerme, le gouvernement anglais expédia trente mille hommes en Sicile, qui y séjournèrent plusieurs années. Cinq millions de livres sterling, sans compter les dépenses personnelles des officiers et des soldats, passaient alors annuellement d’Angleterre en Sicile. Le numéraire y devint donc très abondant ; et, bien que les Anglais fissent venir du dehors même les fourrages de leurs chevaux, les denrées haussèrent bientôt tellement que la salme de blé se payait de 8 à 10 onces. Elle en vaut à peine 2 maintenant, c’est-à-dire que l’hectolitre, qui valait de 36 à 45 francs, en vaut aujourd’hui 9. C’est sur ces bases que le gouvernement, qui fit dresser un cadastre général en 1816, a établi l’impôt foncier. La valeur des céréales en fut la base, et on les frappa d’une taxe qui s’élève avec la surtaxe à 12 1/2 pour 100 ; ce qui, vu la dépréciation actuelle des grains, porte en réalité cet impôt au taux énorme de 62 1/2 p. 100. Les autres taxes, établies sur le prix des denrées pendant l’occupation anglaise, ne sont pas moins hors de proportion avec les ressources du pays. Il faut remarquer en outre que, sur 1,700,000 onces dont se compose le budget des dépenses de la Sicile, 900,000 environ se dépensent hors de l’île, et passent à Naples pour acquitter le contingent de la Sicile, dans les dépenses du budget général du royaume des Deux-Siciles.

On m’a assuré en Sicile, mais j’ai peine à le croire en songeant à l’état où j’ai trouvé le centre de l’île, ainsi que le littoral de Catane à Messine, et de Messine à Syracuse ; on m’a assuré, dis-je, qu’en 1810 l’état de l’agriculture était pire encore en Sicile qu’il n’est aujourd’hui, et que la pauvreté des agriculteurs, ainsi que leur condition, rappelaient l’état agricole du royaume de Naples en 1734, quand, au lieu d’être distribué en petites propriétés comme il l’est aujourd’hui que le chiffre des contribuables est de plus d’un million, le territoire napolitain était dans les mains du roi, du clergé, des barons et des villes municipales. En 1810, le territoire sicilien était ainsi partagé ; les routes étaient infectées de bandits, les manufactures en petit nombre ou délaissées, le cabotage dangereux à cause des pirates, et l’échange des produits indigènes rendu difficile par mille règlemens locaux, expression des haines que se portaient entre elles les municipalités.

Il paraît que des améliorations avaient eu lieu depuis jusqu’à ces dernières années où la condition sociale de la population sicilienne semble avoir rétrogradé de nouveau. Il est certain, toutefois, que la laine s’exporte à Malte sans obstacle, que la pression du vin et des olives s’est perfectionnée, que l’extraction du sel et du soufre a augmenté, que des manufactures de soie, de coton, de papier et de crème de tartre, établies par des étrangers, ont employé des capitaux considérables, et que le seul établissement fondé en 1815 à Marzala, par M. Woodhouse, pour le commerce des vins de la Sicile, a répandu une certaine prospérité sur ce point du littoral. En outre, le commerce extérieur embrasse le centre et le midi de l’Europe, ainsi que certaines contrées du nord et du sud de l’Amérique ; le cabotage et les pêcheries emploient nombre de marins, et on n’en peut douter, car une statistique municipale porte en 1835 la marine marchande de la Sicile à 2,058 navires mesurant ensemble 41,800 tonneaux. D’où vient donc la détresse actuelle de la Sicile ? les fautes administratives que je vous ai signalées l’ont-elles seules produite tout entière ? Je ne puis le penser.

Les soufres, cette matière qui vient d’acquérir une si haute importance politique, par les difficultés qui s’élèvent en ce moment entre le gouvernement des Deux-Siciles et l’Angleterre, avaient été, jusqu’en cette année 1835, une source de richesse et de prospérité. Sur la route que je parcourais en me rendant à Catane, à la fin de l’année 1837, et particulièrement du côté de Villa-Rosa et de Castrogiovanni, je rencontrais sans cesse de légères voitures tirées par un seul cheval et chargées de fragmens de soufre. La route, semée d’une épaisse poussière jaune, attestait le fréquent passage de ces transports qui se dirigeaient à la fois sur Palerme et sur Catane, deux ports opposés, mais également favorables à l’exportation. J’appris cependant que les principales mines de soufre étaient remplies d’eau, et qu’on ne pouvait les dessécher faute de machines à vapeur et de charbon de terre pour alimenter les pompes. Remarquez que le charbon de terre se trouve en Sicile, mais on néglige de l’exploiter. Les mines de soufre de Girgenti, sur la côte, étaient seules en pleine exploitation, et toute une population ouvrière, autre que celle des villes et des campagnes, pâtissait de l’état d’abandon où se trouvaient les soufrières.

Si vous tenez, monsieur, à prendre une idée de l’importance de cette production pour la Sicile et le gouvernement, veuillez, surmontant la répugnance que causent toujours, à juste titre, les colonnes de chiffres, jeter les yeux sur ceux qui suivent et que j’ai recueillis d’après des documens exacts.

En remontant jusqu’à 1826, vous verrez que la Sicile produisit, en cette année, 500,000 cantares de soufre[3].

La production fut :

En 1830 de 350,000 cantares.
1831 et 32 de 400,000
1833 de 495,769
1834 de 668,256
1835 de 663,573

La distribution s’en fit de la manière suivante :

À L’ANGLETERRE À LA FRANCE À D’AUTRES PAYS
En 1833 259,126 201,126 35,517
1834 238,085 293,110 37,061
1835 325,753 262,774 75,008

Ces exportations se firent par les points suivans :

En 1833. En 1834.
De Palerme 
54,715 cantares 63,683 cantares
De Messine 
43,696 41,146

De Catane 
47,508 cantares 69,600 cantares
De Syracuse 
» 70
De Terranova 
40,870 76,574
De Licata 
216,381 302,080
De Palma 
2,400 1,700
De Girgenti 
83,874 108,000
De Siculiana 
4,300 5,400
De Sciacca 
1,665 5,100
De Marzala 
» 1,255
De Trapani 
360 1,805

En 1832, la valeur du soufre exporté s’éleva à 4,703,776 francs, en 1833, elle fut de 7,073,022, et en 1834, de 7,157,579.

Vous voyez que l’Angleterre prend d’ordinaire la plus grande part dans ces exportations, mais que la France la suit de près, et que, même en 1834, son chiffre dépasse celui de l’Angleterre. Le bleacking powder qu’on fait en Angleterre, et les nombreuses fabriques de soude factice qui se sont formées en France, expliquent la place importante que tiennent les deux nations dans le tableau des exportations du soufre de la Sicile. Pour l’Angleterre, elle ne se bornait pas, comme a fait la France, jusqu’à la dernière concession du gouvernement napolitain, à exporter ce produit ; ses nationaux s’occupaient eux-mêmes à l’extraire dans l’intérieur de l’île, et les seules mines de Gallizi, appartenant au baron de Mandrascati, et louées ainsi qu’exploitées par un Anglais, M. Wood, fournissaient, quelques années après la première exploitation, une masse de soufre équivalente à un tiers de la production en soufre de toute la Sicile. Il est bon de faire connaître à quelles vicissitudes est exposée l’exploitation des mines de soufre. Celle des mines de Gallizi était plus dispendieuse que d’autres qui sont mieux situées pour l’exportation. En 1828, 1829 et 1830, les prix de délivrance aux acheteurs baissèrent tellement que les entrepreneurs refusèrent de renouveler leur contrat ; mais en 1831 le soufre reprit faveur, et le propriétaire de ces mines fit un bail avantageux pour lui. En 1832 et 1833, elles produisirent de 35,000 à 40,000 cantares, et en 1834, dernière année du contrat, l’extraction fut de 60,000 cantares ; mais le terrain s’était exhaussé, les mines furent inondées, et à l’époque où je parcourais la Sicile, elles étaient abandonnées et vacantes.

Le transport du soufre est un item important, comme on dit en style de commerce, dans les dépenses que nécessite l’exploitation de ce produit. Ces frais sont irréguliers, et ils varieront jusqu’à ce que la Sicile soit traversée par des routes semblables à la seule que l’île possède, celle de Palerme à Catane et Messine. Jusqu’alors on ne trouvera de profit réel et constant qu’en exploitant les mines situées, comme celles de Girgenti, sur la côte. Aussi, les compagnies qui soumissionnaient pour le monopole des soufres, demandaient-elles toutes qu’une partie du droit qu’elles paieraient au gouvernement napolitain fût consacrée à la construction de nouvelles routes en Sicile. Les autres dépenses peuvent être calculées plus régulièrement. Ainsi, le personnel de la régie d’une mine de soufre se compose d’un administrateur local, de deux scrivani et de gardiens. L’administrateur est d’ordinaire un homme grossier qui a quelque importance. Il dirige les excavations à l’aide du capo-maestro, et les comptes avec le scrivano. Cet homme est souvent actionnaire de la mine, et reçoit de 12 à 20 tarins par jour. L’écrivain rappelle un peu les écrivains de la cambuse qu’on trouve à bord des vaisseaux, et sa vie est presque la même. Il ne sort de la mine que les jours de fêtes, et le reste de l’année, il le passe dans une sorte de cage souterraine, à inscrire le soufre qui sort, celui qu’on extrait, et les journées de travail. Ces malheureux reçoivent de 5 à 8 tarins par jour. Le capo-maestro a toute l’indépendance d’un ouvrier et la hauteur d’un employé qui se sent nécessaire. C’est une espèce d’hommes dangereuse et indomptée qui mènent les mineurs à leur gré, et sont toujours disposés à se faire chefs de bande. Ils acquièrent une certaine aisance aux dépens des propriétaires et des locataires de la mine, et jouent un grand rôle à l’époque des renouvellemens des baux. Ils ne reçoivent, toutefois, que 42 tarins par jour. Les gardiens reçoivent de 3 à 14 tarins ; ils n’ont d’autre office que celui de surveiller les abords de la mine, d’empêcher les étrangers d’y pénétrer et les ouvriers de quitter leur travail. Pour ceux-ci, qui se composent, pour la plupart, de pionniers, c’est une population entièrement vicieuse et abrutie. Quand ils ne travaillent pas, ce qui a lieu plus de cent cinquante jours par an, on les voit rôder dans les villages, dormir sur les routes ou se livrer à mille excès. Il y a encore les arditori ou brûleurs, qu’on paie à raison de 3 tarins[4], les trombatori ou pompeurs, qui sont exposés à mille dangers par l’effet du gaz qu’exhalent les eaux quand elles sont agitées par les pompes, et qui causent souvent la cécité, et, enfin, les enfans employés en grand nombre aux menus travaux. Leur aspect fait pitié. On peut encore compter comme une des classes qui vivent de l’exploitation des soufrières, les bordonari, qui font le transport du soufre aux côtes. Il est peu de mines où les frais de ce transport dépassent 6 tarins par cantare, et un tarin par cantare pour frais d’embarquement, Toutefois, sans y comprendre ces bordonari, on peut affirmer que les mines de soufre de la Sicile occupent environ vingt mille personnes, sur une population de deux millions d’individus. Pendant mon séjour en Sicile, les travaux des soufrières étaient en stagnation, et la misère publique s’était encore accrue par l’effet de ce surcroît de population oisive.

Je vous ai montré que la France et l’Angleterre sont pour la Sicile les deux plus grands débouchés de ce produit ; ce sont, en effet, des compagnies françaises et anglaises qui s’occupent principalement, en Sicile, du commerce des soufres. Quant aux autres puissances, elles prennent à peine part à cette exploitation, et les États-Unis d’Amérique qui figurent dans le tableau des exportations du soufre pour la plus grande part après la France et l’Angleterre, n’ont tiré en 1833 que 8,153 cantares, et en 1834 que 14,621 cantares, tandis que nos chiffres, qui sont moindres que ceux de l’Angleterre, s’élèvent pour ces années, comme vous l’avez vu, à 201,200 et 296,820 cantares c’est-à-dire 1,207,200 et 1,780,920 kilogrammes. La valeur de ces exportations était pour la première de ces années de 2,874,839 fr. et pour la seconde de 3,570,120 francs. Vous voyez que la question du monopole des soufres concerne presque uniquement la France et l’Angleterre, et que, quant à nous, et à ne l’envisager que sous le rapport commercial, il nous serait impossible de rester indifférens à ce qui se passe à cette heure entre le ministère anglais et le gouvernement napolitain. Je vais donc m’y arrêter un moment. L’exportation du soufre avait dépassé dans les dernières années 600,000 cantares, c’est-à-dire 4,800,000 kilogrammes ; mais l’extraction était plus considérable d’un tiers, et en achetant cette masse restante à vil prix, les spéculateurs étaient maîtres de déprécier la valeur des soufres. Aussi, grace à ce jeu, les variations du prix des dernières années avaient été énormes, et les locataires de mines demandaient tous une mesure qui pût donner quelque fixité à la valeur de leurs produits. Je me trouvais encore en Sicile quand une société, sous le nom de Taix, Aycard et compagnie, où figuraient des capitalistes siciliens et napolitains, proposa au roi l’établissement d’une ferme générale des soufres dont elle demandait la concession. Son projet fut modifié, et il fut convenu qu’elle s’engagerait à acheter pour son compte les 600,000 cantares absorbés annuellement par la production du dehors, à les payer à un taux déterminé qui assurerait aux propriétaires de soufre un prix moyen de 2 ducats 30 grains par quintal sicilien, à donner à ces derniers une indemnité de 2 fr. 15 cent. par cantare, dans le cas où les quantités extraites par eux dépasseraient la part de vente qui leur serait garantie par la compagnie Taix dans les 600,000 cantares ; à laisser aux producteurs et indistinctement à tout le commerce la liberté d’exporter directement les soufres, à la condition de payer à la compagnie un droit de 8 fr. 80 cent. par cantare ; à fixer un maximum pour les prix auxquels la compagnie revendrait les soufres au dehors ; à tenir constamment dans les ports de Sicile une réserve de 150,000 cantares ; enfin à payer au gouvernement de S. M. le roi des Deux-Siciles une redevance annuelle de 400,000 ducats. Ces 400,000 ducats étaient destinés, selon le contrat, à combler en partie le déficit de 500,000 ducats que causait, dans les finances napolitaines, une diminution de 4 tarins par salme de blé, accordée par le roi à la Sicile sur l’impôt de mouture, en sorte que la rupture de ce contrat obligerait le roi de Naples à rétablir en Sicile le droit de mouture pour combler ce déficit. La compagnie s’engageait, en outre, à établir une grande fabrique d’acide sulfurique, en employant des apprentis siciliens pour apprendre les procédés de cette industrie, et à remplir quelques autres conditions de cette nature. Le contrat fut publié le 4 juillet 1838 ; il fut permis au commerce d’exporter librement le soufre en franchise jusqu’à la fin du mois d’août. L’exportation ainsi faite s’éleva à 380,000 cantares.

Vous voyez tout de suite les avantages et les inconvéniens de ce contrat. D’une part, les prix se trouvent fixés pour les producteurs, leur vente est assurée même au-delà des 600,000 cantares de production annuelle, puisqu’ils reçoivent une indemnité qui empêche la dépréciation du tiers en sus qui dépasse les besoins des nations exportantes ; enfin l’exportation directe est libre, puisque 150 mille cantares sont mis en réserve à cet effet, sans compter ce tiers en sus, dont les producteurs sont libres de disposer à leur gré, après avoir joui d’une indemnité de 2 francs 15 centimes par cantare ; mais d’un autre côté l’exportation directe est soumise à un droit considérable en faveur de la compagnie, et il peut arriver de graves abus dans la fixation du maximum auquel elle est tenue de vendre. Toutefois, les producteurs ne se plaignent pas, et il paraît, au contraire, que ce sont eux qui ont demandé le maintien de ce contrat.

À mon passage à Naples, bien que les négociations eussent été tenues secrètes, quelque chose avait déjà transpiré, et le chargé d’affaires de France, ainsi que M. Temple, ministre d’Angleterre, ne tardèrent pas à en être informés. Ils unirent leurs efforts pour empêcher la conclusion du traité, qui fut néanmoins ratifié par le roi de Naples et par la consulte de Sicile. Bientôt le droit de 8 fr. 80 cent. par cantare, frappé sur les soufres à leur sortie de la Sicile, causa une grande agitation à Marseille et en Angleterre, où parvenaient chaque jour les plaintes des spéculateurs anglais établis en Sicile, qui se révoltaient à l’idée de payer une contribution à une compagnie française. Le ministre de la guerre, en France, se plaignit également de l’élévation du prix des soufres, qui entravait la fabrication de la poudre de guerre, et le chargé d’affaires de France à Naples eut ordre de réclamer contre le monopole. Toutefois sa note ne contenait qu’une simple réclamation, et jusqu’alors on marcha dans cette affaire d’un pas tout-à-fait égal à celui de l’Angleterre, et on agit de concert avec elle.

Cette négociation gardait encore un caractère amiable. Le gouvernement napolitain répondait qu’il avait usé de sa prérogative, et fait simplement un acte d’administration intérieure en mettant un droit de sortie sur les soufres, et quant à ce qui se passait entre lui et la compagnie Taix, des tiers n’avaient pas à y intervenir ; cependant le gouvernement napolitain ne se refusait pas positivement à résilier le bail, et la compagnie elle-même offrait de le modifier de manière à amener un abaissement dans les prix.

Les choses en étaient là, quand le cabinet anglais sembla envisager la question sous une nouvelle face, et se plaignit, dit-on, de la violation de son traité de commerce avec le gouvernement napolitain, traité qui assure aux sujets anglais les avantages commerciaux accordés à la nation la plus favorisée. Or, la violation d’un traité constitue un véritable cas de guerre. Une note présentée dans ce sens par M. Temple fut accueillie par le roi comme une menace qu’il se croyait en droit de repousser, et il s’ensuivit la rupture dont tout le monde a pu connaître les circonstances dans le plus grand détail. La question est devenue ainsi des plus hautes, et elle s’étend bien autrement loin que le commerce des soufres et le plus ou moins de prospérité de la Sicile.

Je reçois de Naples en ce moment même où je vous écris, une brochure de quelques pages qu’on dit venir d’une source officielle, et qui me paraît, en effet, l’ouvrage d’un des nombreux et habiles jurisconsultes italiens qui mettent journellement leurs lumières et leur science au service du gouvernement napolitain. La défense y est vive, serrée, et je suis curieux de voir la réponse que feront les avocats de la couronne d’Angleterre, maintenant que lord Palmerston a honorablement consenti à traiter la question autrement qu’à coups de canon. L’acceptation, par l’Angleterre, de la médiation du gouvernement français, si habilement et si heureusement offerte par M. Guizot, permettant d’espérer aujourd’hui la pacifique issue de cette affaire, je vais profiter de ce temps d’arrêt pour parcourir avec vous l’écrit du gouvernement napolitain.

Le gouvernement napolitain (car il faut bien reconnaître que cette publication émane de lui) prétend d’abord qu’il est faux qu’aucune stipulation faite entre le roi des Deux-Siciles et l’Angleterre ait été enfreinte en aucun point ; puis que les commerçans anglais n’ont aucun motif de se regarder comme blessés dans leurs droits, « en leur qualité d’Anglais, » et qu’ainsi leurs plaintes relatives au casus fœderis sont complètement injustes. Si le décret du roi des Deux-Siciles (je cite toujours la publication semi-officielle) a nui aux intérêts de la propriété en Sicile, ou aux intérêts des propriétaires des soufres, ou, comme le dit la note de M. Temple, « à tous ceux qui exercent le commerce dans les Siciles, qu’ils soient Anglais, Siciliens ou autres, » tous ceux qui se trouvent lésés ont droit de recourir à l’autorité du gouvernement et de demander au roi des Deux-Siciles de protéger et de sauver leurs intérêts compromis. Or, dit le publiciste napolitain, les propriétaires et commerçans napolitains l’ont déjà fait, et le roi, prêtant l’oreille à leurs suppliques, a déjà chargé son conseil d’examiner si les doléances de la propriété et du commerce sont fondées ; mais il ne faut pas oublier que ce sont les propriétaires siciliens eux-mêmes qui demandent le maintien du contrat. Selon l’écrivain officiel que je traduis, il ne s’agit donc que de savoir si, par le contrat des soufres, on a violé le droit de l’Angleterre, si un traité a été enfreint, et si les Anglais, ne se considérant pas comme faisant partie des commerçans établis en Sicile, mais spécialement comme Anglais, sont fondés à regarder ce contrat comme constituant la violation d’un droit acquis. Je reproduis exactement tous les mots inscrits en lettres italiques dans l’original, qui sont sans doute extraits textuellement de la note présentée au prince Cassaro par le ministre d’Angleterre.

Voici comment le document napolitain procède à la réfutation de cette note :

Le traité de 1816 ne contient que deux stipulations. La première, qui est développée dans les articles 1, 2, 6, 7 et 8, et dans un article additionnel, consiste en ceci : « Aux priviléges possédés jusqu’à ce jour par l’Angleterre et auxquels elle renonce, est substitué le bénéfice d’une diminution de 10 pour 100 de la taxe d’importation sur les produits britanniques ; » la seconde stipulation développée dans les articles 3, 4 et 5, renferme les conditions auxquelles commercent les sujets britanniques dans le royaume des Deux-Siciles. Par l’article 3, S. M. sicilienne promet que les sujets de S. M. britannique ne seront pas soumis, dans ses états, à un système de visites de douanes et de perquisitions plus rigoureuses que celui qui s’applique aux sujets du roi des Deux-Siciles. L’article 4, stipule que les sujets anglais seront traités sur le pied de la nation la plus favorisée, non-seulement en ce qui concerne leurs propriétés, mais tous les objets dont ils commercent, ainsi que les droits et impositions à payer sur les objets d’importation. L’article 5 garantit aux sujets britanniques la liberté de voyager et de résider dans les états du roi des Deux Siciles et stipule que les précautions de police à leur égard seront celles qui s’appliquent à la nation la plus favorisée. Il leur est également accordé d’occuper des maisons et des magasins, et de disposer de leurs propriétés de toute nature, par vente, donation, échange ou testament, sans qu’il y soit fait le moindre obstacle ou empêchement. Ils seront, en outre, exempts de tout service militaire, soit sur terre, soit sur mer ; leurs résidences, magasins, etc., seront respectés ; on ne pourra faire aucune inspection arbitraire de leurs registres et de leurs comptes, sous forme d’ordre suprême, et cet examen ne pourra avoir lieu que par suite d’une sentence légale des tribunaux compétens. C’est là tout le contrat ; on n’y trouve que cela, dit la brochure napolitaine, il n’y a ni plus, ni moins ; non vi si troverà che ciò, nò più nè meno.

Quelle est la clause, ajoute le document, quelle est la clause qui constitue tous les droits des Anglais dans les ports et sur le territoire des Deux-Siciles ? Nulle autre que la clause ordinaire qui fait constamment la base des traités de commerce depuis que le droit public a commencé de prendre en horreur les priviléges qui s’accordent à une nation aux dépens des autres, clause qui est la règle universelle et la limite des concessions qui se font au commerce des nations amies, « d’être traitées sur le pied des nations les plus favorisées. » Mably, dans son Traité du Droit public de l’Europe, avait déjà dit : « Tous les traités de commerce semblent jetés au même moule depuis que les puissances se sont mises sur le pied de s’accorder réciproquement tous les avantages qu’elles donneront dans la suite à la nation la plus favorisée. » Or, il est bon d’observer que cette clause, qui a commencé une ère nouvelle, a servi de passage du système des priviléges au système de l’égalité, et qu’elle a ouvert la route au système de la réciprocité.

Le diplomate ou le jurisconsulte étranger, auteur du mémoire, cite ici diverses autorités, et particulièrement Vincens, qui émet l’opinion qu’en déclarant vouloir se traiter respectivement comme la nation la plus favorisée, les parties contractantes renoncent à mettre aucun droit à la charge de l’une ou de l’autre qui ne soit pas général et commun à toutes les nations[5] ; en sorte que tel devrait être le caractère qui constituerait une infraction au traité de 1816. L’histoire des traités de commerce, surtout à l’époque où les priviléges étaient en faveur, offre une infinité de stipulations qui seraient des infractions au droit de jouir du traitement de la nation la plus favorisée. La remarquable clause du traité de Methuem (c’est toujours l’écrivain étranger qui parle), le traité de Methuem de 1703, par lequel l’Angleterre accordait au Portugal l’admission de ses vins en payant la moitié du droit que subissaient les vins de France à leur entrée en Angleterre, cette clause eût été une violation d’un traité semblable à celui de 1816, s’il en avait existé un alors entre la France et l’Angleterre. Le traité de 1787, par lequel la Russie consentait à une diminution du tiers d’entrée sur les vins de Naples, et le gouvernement napolitain à une diminution de 6 pour 100 sur les cuirs russes, et le traité de 1798, par lequel la Russie rabattait la moitié du droit sur les huiles, l’indigo et le tabac, provenant du Portugal, en même temps que le gouvernement portugais accordait une diminution semblable sur les produits russes, ces traités ne pouvaient s’accorder avec les stipulations dont profitent les nations les plus favorisées, insérées dans la plupart des conventions actuelles. Or, continue l’auteur du mémoire, en quoi le contrat des soufres a-t-il pu violer ces sortes de traités ? Les stipulations essentielles de ce contrat sont au nombre de deux. La première restreint le droit des propriétaires, et leur prescrit des limites dans leurs fouilles ; la seconde les oblige à vendre le minerai exclusivement à une compagnie avec la faculté de s’en affranchir en payant une prime. Il y aurait casus fœderis si le droit d’être unique acheteur ou de prélever une prime était accordé non à une compagnie privée, mais à une autre nation, ou si une nation quelconque était exceptée des clauses imposées à toutes, même aux nationaux siciliens, par ce contrat. Or, de quoi se plaignent les Anglais ? quels sont les termes de leur plainte ? Le gouvernement des Deux-Siciles a accordé à une compagnie le monopole du soufre. Soit ; mais quelle est la nation que le contrat des soufres a plus favorisée que l’Angleterre ? Le privilége a-t-il exclu les Anglais du commerce des soufres ? Les Français le sont aussi, ainsi que les Suisses, les Américains, et même les sujets siciliens. Le privilége parle d’une compagnie et non d’une nation. Le mémoire soutient donc que le roi, en concédant ce privilége, a fait un acte d’administration intérieure ; il déclare que la réclamation de l’Angleterre porte atteinte à l’indépendance de la souveraineté du roi des Deux-Siciles, et à cet appui, il invoque le témoignage de Klüber, qui a ainsi défini l’exercice du pouvoir suprême : « La souveraineté renferme le droit de faire les institutions qui sont nécessaires à l’exécution et à l’application des règlemens donnés conformément au but de l’état. C’est ce qu’on comprend sous la dénomination de pouvoir exécutif suprême. Même les états étrangers et leurs sujets sont tenus de se soumettre à l’exercice de ce pouvoir, en tant que leur situation laisse influer sur eux les lois étrangères, et qu’ils n’en sont exceptés par des traités[6]. »

Je continue l’examen du mémoire. Qu’a fait le roi des Deux-Siciles, dit la défense de son gouvernement ; qu’a fait le roi en accordant un monopole à une compagnie ? Un acte ordinaire de son pouvoir comme administrateur indépendant de son royaume ; une mesure que la prudence a souvent conseillée aux gouvernemens. Cette mesure peut être opportune ou non, utile ou nuisible au commerce sicilien ; mais on ne peut dire qu’elle blesse les droits d’aucune nation étrangère. — En fait, et c’est avec plaisir que je le fais remarquer, l’écrivain officiel ne défend pas les monopoles dans ce mémoire au moins approuvé par le gouvernement napolitain et ouvertement publié sous ses auspices. Il cite encore Grotius et Vattel. L’un admet les monopoles sans les justifier vivement, l’autre les regarde comme étant en général contraires aux droits des citoyens ; mais il reconnaît qu’en certaines circonstances les forces des particuliers ne suffisent pas, et qu’alors il est naturel qu’il se forme des compagnies sous la protection du gouvernement. Ainsi se formèrent les grandes associations qui exploitèrent le commerce de l’Orient. Il est inutile d’ajouter que cette citation est faite en vue de la compagnie des Indes.

Revenons à la compagnie des soufres et à son traité. Quant à la première clause de ce contrat, qui limite le droit des propriétaires à étendre les excavations à leur gré, le gouvernement invoque tous les principes qui régissent les mines, le témoignage des négocians anglais eux-mêmes, qui provoquaient en 1833 la démarche par laquelle on appela l’attention de l’autorité sicilienne sur la nécessité de modérer les fouilles, et, le croira-t-on ? le décret émané de l’assemblée constituante, en juillet 1791, qui posait en principe que les mines et minières sont des propriétés privées, avec cette condition toutefois qu’elles seront à la disposition de l’état, et qu’elles ne pourront être exploitées que de son consentement et sous sa surveillance. Ce n’est pas un des traits les moins curieux du caractère de notre époque que cette soumission d’un gouvernement absolu et si éloigné des principes de notre révolution, aux décisions de l’assemblée constituante ! « Si on s’en tient maintenant à énoncer que la concession du privilége des soufres est souverainement désavantageuse à l’Angleterre, est-il dit, comme conclusion assez énergique de ce mémoire, on se demandera si le souverain des Deux-Siciles est obligé, par hasard, d’administrer son royaume pour le plus grand avantage de l’Angleterre. Est-ce à dire peut-être que le roi des Deux-Siciles est le ministre du royaume-uni ? Non, le royaume des Deux-Siciles n’est pas encore une factorerie anglaise. Le devoir du gouvernement sicilien envers l’Angleterre est de maintenir le commerce et les sujets anglais dans une parfaite égalité de droits avec les nations les plus favorisées, et il l’a fait. On ajoute que cet acte est nuisible à la Sicile. Et d’où vient le droit que prend le gouvernement anglais de se constituer le censeur de l’administration du royaume des Deux-Siciles ? Concluons. Le gouvernement de ce pays a exercé en cela son droit de souveraineté ; il a fait ce qu’il avait droit de faire, et la question de maintenir ou de résilier le contrat des soufres peut être une question d’économie politique, d’administration intérieure, de famille, mais jamais une question internationale. » — Enfin, dans un postscriptum, on cite un passage du projet de traité de commerce proposé en dernier lien par M. Mac-Grégor au gouvernement des Deux-Siciles, et dont l’article 12 stipulait que les sujets respectifs des parties contractantes ne seraient troublés dans leur commerce par aucun monopole, en exceptant, pour les Deux-Siciles, les privatives royaux des cartes à jouer, du tabac, du sel et de la poudre. — « Or, dit le mémoire, ceux qui ont proposé l’introduction de cet article en 1840 avaient la conscience de ne pas l’avoir obtenue en 1816. » — J’avoue, pour moi, que ce dernier trait de logique me semble assez pressant.

Sans doute, les Anglais peuvent alléguer que l’article 5 du traité de commerce de 1816 leur assurant le droit de disposer sans obstacles de leurs propriétés, le gouvernement napolitain ne saurait restreindre ce droit dont usent les locataires des mines de soufre quand ils prétendent exporter librement leurs produits ; mais il resterait alors à débattre une question importante, à savoir : si les traités de commerce, qui renferment tous de pareilles stipulations, peuvent limiter le droit souverain d’élever ou d’abaisser l’impôt. Il y aurait aussi matière à controverse au sujet de la concession d’un monopole fait à une compagnie qu’on érigerait ainsi en une classe plus particulièrement privilégiée que la nation la plus favorisée, et les jurisconsultes auraient à décider si on doit s’en tenir à la lettre du traité, qui est en faveur du gouvernement sicilien, ou à son esprit, qui pourrait bien être interprété dans le sens des réclamations de l’Angleterre, dont les intérêts sont ici communs aux autres nations, et particulièrement à la France. C’est donc d’un procès, d’un arbitrage commercial qu’il s’agit, et je soutiens que ce serait sortir à toute force de la question, que de vouloir commencer par une guerre, comme on en a prêté l’intention au gouvernement anglais. Je sais toute l’importance des questions commerciales en tous les temps et surtout à l’époque où nous vivons, je sais que ces questions touchent encore plus vivement l’Angleterre que toutes les autres nations ; mais il me semble qu’il y avait lieu à d’autres explications avant d’en venir à des démonstrations hostiles, et l’Angleterre elle-même l’a bientôt reconnu en acceptant la médiation pacifique de notre gouvernement. La France est on ne peut mieux placée, en effet, pour jouer le rôle de médiatrice dans cette affaire.

Je vous ai montré la part importante que prend la France à l’exportation du soufre de Sicile. Le commerce français, qui fait un si grand usage de ce produit, et le comité de la guerre avaient élevé à la fois des réclamations pressantes au sujet de l’élévation des prix causée par le contrat. Le gouvernement français, déjà engagé dans une difficulté sérieuse avec le gouvernement du royaume des Deux Siciles, se borna à demander une modification de ce contrat, et cette négociation, déjà avancée, était sur le point de se terminer conformément aux désirs exprimés par nos agens, quand survint la note de M. Temple. Dès-lors il y a eu, comme on dit, embarras de paroles entre le roi des Deux-Siciles et le représentant de l’Angleterre, et cet embarras eût été déjà suivi d’un conflit plus grave encore, si l’union de la France et de l’Angleterre, qui se resserre heureusement depuis peu de temps, n’ouvrait une voie honorable aux accommodemens. Je dis que cette voie est aujourd’hui ouverte, car je ne puis douter que la modération montrée depuis un an par la France dans cette question où ses intérêts sont engagés, n’ait frappé le gouvernement de S. M. le roi des Deux Siciles, et ne le décide à accepter de son côté notre médiation.

Toutefois, en prévoyant le cas, très peu probable, d’un refus de ce genre, et le cas, alors très probable, quoique non justifié à mes yeux, d’une agression de la part de l’Angleterre, je ne verrais pas dans ce double évènement la cause d’une perturbation grave et immédiate en Europe. On s’est souvent demandé, dans les hautes sphères politiques, ce qui résulterait d’un soulèvement de la Sicile, et les cabinets européens ont été un moment préoccupés de cette question lors des révoltes qui eurent lieu à Palerme, à Catane et à Syracuse, à l’époque où le choléra ravagea ce malheureux pays. On appréhendait que l’envoi d’une partie de l’armée napolitaine en Sicile ne fût suivi de troubles au sein même du royaume de Naples, et que l’Autriche, liée par un traité secret au gouvernement napolitain, ne fît avancer ses troupes par les Abruzzes, ou n’opérât un débarquement dans un des ports adriatiques du royaume, d’où, en vertu du principe de non-intervention, il aurait pu résulter un débarquement de troupes anglaises à Palerme ou à Syracuse, sans parler de la conduite que de pareils faits eussent dictée à la France. Vous voyez, monsieur, qu’indépendamment des difficultés survenues entre Naples et l’Angleterre, un simple petit soulèvement sicilien mal comprimé peut mettre la paix du monde en péril. Maintenant, vous me demanderez sans doute si la Sicile est prête à se soulever, et si les mécontens qui s’y trouvent profiteraient de la présence de quelques vaisseaux anglais pour arborer le drapeau jaune, qui fut levé contre le gouvernement napolitain en 1837 ? À cela, je vous répondrai que je ne me mêle pas de prophétiser en politique, comme faisait mon aimable et si regrettable ami feu le spirituel abbé de Pradt, mais qu’à mon avis, si j’ai bien observé la Sicile à cette époque-là même où je la visitai, et à moins que l’Angleterre ne le veuille formellement, ce que je ne puis admettre, l’Europe, cette fois, ne sera pas troublée de ce côté. Je vais me hâter de vous dire les motifs de ma sécurité à cet égard, et de vous les faire partager, s’il est possible.

Je commence par dire que la Sicile est digne du plus vif intérêt. Il suffit de la parcourir pour voir que Dieu, qui l’a déposée si belle entre trois mers propices, l’a faite pour être paisible et prospère. Ce riche emporium, ce grenier d’abondance de l’antiquité, ne devait pas être un pays de détresse et de famine, ce terroir qui rend avec une si généreuse usure ce qu’on lui prête, cette île qui produit le miel, la canne à sucre, le mûrier, le coton, le tabac, le chanvre, les céréales des deux mondes, où abondent toutes les richesses minérales, ne peut devenir une lande inculte, une terre incapable de nourrir ses habitans, sans que toutes ses destinées ne soient trahies. J’ajoute que le peuple sicilien est fier, hardi, brave, et au niveau des populations les plus naturellement intelligentes ; qu’il n’est pas faux ; qu’il n’est pas cruel, comme on l’a dit, mais seulement abandonné et malheureux. En songeant à lui, en soulageant ses misères, on le rendra à son caractère véritable, et on le fera pencher vers l’Europe, dont le plus beau, le plus noble sang coule dans ses veines, au lieu d’exciter les penchans qui lui viennent encore de l’Afrique, sa plus ancienne patrie. Naples doit à la Sicile ses plus vaillans officiers, ses meilleurs marins ; elle reçoit de la Sicile une partie des ressources dont elle dispose ; elle se doit donc de chercher les causes de l’infortune de ce pauvre peuple, son frère, d’en trouver le remède et de lui rendre le rang qui lui appartient dans l’union des deux états. Un pays où les souverains de Naples ont trouvé deux fois un asile, qui les accueillit avec respect dans leur infortune, ne doit pas, d’ailleurs, être placé dans leurs affections au-dessous de leurs autres domaines. La Sicile ne l’est pas, en effet, j’en suis convaincu, mais je ne puis nier qu’elle attend encore des témoignages efficaces de la sollicitude de son gouvernement, et comme elle les mérite, comme c’est un double devoir que de les lui accorder dans la plus grande latitude, comme une bonne politique commande de faire cesser ses maux, j’espère pour elle un meilleur avenir ; je sais déjà même que depuis deux années elle a été l’objet de mesures bienfaisantes de la part du roi Ferdinand. Pour moi, voyant les malheurs et les excès de la Sicile en 1837, je n’ai pas tout attribué, vous le savez, à son gouvernement, et dans les deux lettres que je vous ai adressées, j’ai su faire la part des circonstances antérieures, du déplacement des intérêts produits par des réformes ou hâtives ou incomplètes, et des craintes qu’inspirait à certaines puissances la situation géographique, je devrais dire politique, de la Sicile. D’un autre côté, appréciant de près les causes de l’insurrection sicilienne, ses ressources et ses tendances ; la voyant dominée par quelques soldats suisses, désarmée sans difficulté d’un bout à l’autre de l’île ; ayant trouvé, le lendemain de cette révolte, les haines de ville à ville aussi actives qu’au temps de la domination espagnole, les diverses classes aussi divisées que les associations municipales, les nobles aussi effrayés du déchaînement du peuple qu’à l’époque des troubles de 1820, quand Palerme ouvrait ses portes aux troupes napolitaines, à l’instigation active du prince Paterno, le plus populaire et le plus patriote des seigneurs siciliens ; ayant séjourné à Messine quand elle se réjouissait de voir arriver de l’autre côté du détroit un gouverneur civil napolitain, au lieu d’un Palermitain qu’elle avait, et à qui elle ne pardonnait, à cause de son origine, ni ses lumières, ni son activité, ni son dévouement aux intérêts de la ville ; je n’ai pu croire au retour prochain d’un mouvement semblable, encore moins à sa durée et à son caractère sérieux, s’il avait lieu quelque jour. D’ailleurs, les circonstances ne seraient pas les mêmes, et à moins d’une occupation directe, patente, de la Sicile, par une puissance étrangère, je ne crois pas que rien décide les Siciliens, influens ou non, à courir les chances de 1837 et de 1820.

En 1820, Naples elle-même avait fait une révolution, les souvenirs de la constitution de 1812 étaient encore tout récens, la noblesse était mécontente d’avoir perdu ses priviléges féodaux, et d’être privée en même temps de ceux que lui donnait le nouvel état de choses ; les libéraux de Naples, qui voulaient la liberté et l’indépendance pour eux seuls, s’opiniâtraient à maintenir les lois de timbre et de conscription ; tout contribuait alors à exciter un soulèvement en Sicile. Il eut lieu ; mais les excès de la populace réunirent bientôt contre elle la noblesse ainsi que la bourgeoisie, et ce fut, je vous l’ai dit, par le concours de ces deux classes, que la Sicile renoua ses liens avec le gouvernement de Naples, et reconnut son autorité.

En 1837, le choléra joua un grand rôle dans la révolte, comme je vous l’ai déjà conté. Vous savez comment un navire, le San-Antonio, qui portait des médicamens, fut repoussé du port de Palerme par le peuple, qui assurait que le gouvernement, voulant se débarrasser des basses classes, leur envoyait des breuvages empoisonnés. Ce fut là le commencement des troubles. J’entrai le 15 novembre 1837 à Catane. La même croyance y avait produit d’affreux excès, ainsi qu’à Syracuse, où je recueillis les plus tristes faits. Dès le mois de juin, la terreur que répandait le choléra asiatique, qui régnait alors à Palerme, s’était étendue jusque dans Catane. Des désordres eurent lieu aussitôt, et l’intendant, le préfet, ainsi que les autres autorités, se hâtèrent d’organiser une garde de sécurité publique dont le commandement fut remis au capitaine d’armes et à un membre de la noblesse, le baron Bruca. Le but apparent de cette garde était de former un cordon sanitaire, afin d’empêcher toute communication avec Palerme ; mais, en réalité, et secrètement, elle était destinée à préserver la ville du pillage et des massacres dont elle était menacée par la populace.

Les choses en étaient là, et les habitans de Catane vivaient dans l’attente la plus cruelle, les yeux tournés du côté de Palerme, où la mortalité faisait d’effrayans progrès, quand tout à coup on apprit que le choléra avait éclaté sur un autre point, du côté opposé, à Syracuse, mettant ainsi Catane entre deux villes infectées. En même temps, un major de gendarmerie napolitain, M. Simoneschi, échappé des massacres de Syracuse, vint se réfugier à Catane dans le couvent des pères bénédictins. Bientôt le peuple s’arma et vint s’attrouper devant le monastère, demandant qu’on lui livrât le major, qui n’était venu, disait-on, à Catane que pour y répandre les poisons qui donnaient le choléra, et dont il avait fait usage contre les habitans de Syracuse. Une commission sanitaire avait été formée en même temps que la garde urbaine. Le 18 juillet, les révoltés la surprirent au milieu d’une séance, chassèrent quelques-uns de ses membres, et lui donnèrent pour chef un noble de Catane, peu favorable, disait-on, au gouvernement de Naples, dont il était personnellement mécontent. C’était le marquis de San-Giuliano, dont le nom a retenti dans toute l’Europe. On le mit, bon gré mal gré, à la tête de la foule révoltée, qui se porta de nouveau au couvent des bénédictins. Les portes de ce magnifique monastère furent forcées, et les moines, qui s’étaient assemblés dans la vaste salle de leur bibliothèque, insultés et sommés de livrer le major Simoneschi. Les bénédictins sont tous gentilshommes, des meilleures familles de la Sicile. La vue de cette populace effrénée ne les intimida pas. Jusqu’au soir que durèrent les perquisitions qu’on fit dans toutes les cellules de cet immense couvent, ils restèrent, le couteau sur la gorge, sans vouloir désigner le lieu où ils avaient caché le major. L’intervention du marquis de San-Giuliano ne put modérer les furieux, et ce fut à grand’peine qu’il parvint à les détourner du projet d’incendier le monastère, qui renferme les plus admirables tableaux du Morrealèse, et qui peut être comparé aux plus beaux édifices de l’Italie..

Les révoltés, encouragés par l’irrésolution de l’intendant, demandèrent le changement des chefs de la garde urbaine, et le 20 juillet, ils arrêtèrent à la fois l’intendant, le procureur-général et le lieutenant commandant de la gendarmerie, qu’ils déposèrent dans la villa du duc de Carcaci. Pendant ce temps, une autre partie du peuple, également soulevée, se portait chez le gérant de l’intendant, chez le commissaire et l’inspecteur de police, et les massacrait en répandant le bruit qu’on avait trouvé dans leurs maisons une grande quantité de poisons. Des députés envoyés d’une ville à l’autre se rencontrèrent à Brucola, et ceux de Syracuse remirent aux envoyés de Catane un manifeste qui fut affiché dans cette ville. Dans cette pièce, promulguée par une prétendue commission de vigilance sanitaire présidée par un baron de Pancali, les Syracusains avertissaient leurs compatriotes qu’un directeur de cosmorama, nommé Joseph Schwentzer, interrogé par une commission nommée à cet effet, et par le juge instructeur don Francesco Mistretta, avait fait l’aveu de la part qu’il avait prise aux compositions vénéneuses qui avaient répandu le choléra à Syracuse, et à l’aide desquelles on comptait le propager à Messine et à Catane. La commission de vigilance sanitaire déclarait encore que la matière trouvée chez les fonctionnaires, « qui dans la chaleur de la découverte étaient restés victimes de l’indignation du peuple[7], » n’était autre que du nitrate d’arsenic. En conséquence, M. le baron Pancali et ses adhérens avaient eu le déplaisir de rester spectateurs de divers évènemens tragiques, effets de la juste fureur populaire[8].

Vous pouvez vous figurer, monsieur, l’effet que produisit cette horrible proclamation sur la populace de Catane, déjà très animée. La terreur la contint toutefois pendant les premiers jours, et ce ne fut que le 28 que les chefs révolutionnaires se rendirent chez le marquis de San Giuliano pour lui reprocher de n’avoir pas permis le massacre des autorités accusées, et lui demandèrent de les traduire en jugement, c’est-à-dire de les faire mettre à mort. Le marquis s’efforça de les modérer, et, parlant leur langage populaire, comme faisait à Palerme, en 1820, le prince Paterno, il les exhorta d’un ton demi-sérieux, demi-facétieux, à ne pas livrer la ville au pillage, et à rappeler les autorités. Dès ce moment le marquis perdit toute son influence sur les révoltés, et il dut songer à sa sûreté personnelle. Le peuple, sans autres chefs que ceux qu’il se donnait momentanément et qu’il prenait dans son sein, gens aussi bornés et aussi ignorans qu’on peut l’être dans une cité séparée à la fois du monde entier et du reste de la Sicile, se jeta sur les postes militaires qu’il désarma, courut aux hôpitaux, et s’empara des effets des malades ainsi que des chariots qu’on avait préparés pour transporter les victimes du choléra.

Ces différens objets furent portés solennellement sur la place de la Porte d’Aci, et brûlés aux acclamations de la multitude. Puis, à l’issue d’un souper qui eut lieu dans la nuit, le drapeau jaune fut déployé, et l’indépendance de la Sicile proclamée par une junte provisoire de gouvernement, qui remplaça la junte de sécurité publique élue auparavant[9]. J’ai cette proclamation sous les yeux en ce moment, et je n’y vois d’autre chef d’accusation contre le gouvernement de Naples que l’introduction du choléra en Sicile : « Però il cholera, non asiatico ma Borbonico. » Ce jeu de mots est l’unique grief qui se trouve allégué comme motif d’un acte aussi grave, quand il était possible, il faut l’avouer, d’en trouver quelques autres moins insensés. Mais le peuple n’était soulevé que par l’effroi que lui inspirait le choléra, et cette frayeur seule pouvait le soutenir dans sa résistance.

À Catane, qui renferme un grand nombre de manufactures, et où l’industrie est plus florissante que dans le reste de la Sicile, la noblesse et la bourgeoisie notable ne pouvaient tolérer long-temps un tel état de choses. Le marquis de San-Giuliano et son fils essayèrent d’attirer les plus fougueux révolutionnaires hors de la ville, en les engageant à aller faire reconnaître l’indépendance de la Sicile dans les vallées d’alentour ; mais cette proposition ne fut pas agréée, et de nouveaux excès, ainsi que de nouvelles arrestations, eurent lieu dans Catane. Enfin, dans la nuit du 3 août, sept citoyens de Catane, hommes très considérés, parmi lesquels se trouvait M. Benintendi, membre de la consulte d’état, ayant été enlevés de leurs demeures et jetés dans les prisons, les principaux habitans de Catane se rendirent à la place du Dôme, s’y formèrent de nouveau en garde nationale, qui se divisa en deux régimens, et se portant rapidement vers les casernes, où s’étaient établis les insurgés, les en chassèrent, arrêtèrent leurs chefs, s’emparèrent des vieux canons que le peuple avait enlevés du musée du prince Biscari, déchirèrent le drapeau jaune, et arborèrent à sa place le drapeau des Deux-Siciles. Ce mouvement eut lieu sans brûler une seule amorce et sans qu’une seule goutte de sang eût été répandue. Les citoyens arrêtés au nom de la junte furent mis en liberté ; le peuple traîna par toute la ville le conseiller Benintendi dans un carrosse, et les autorités, ramenées de la villa où elles étaient prisonnières, reprirent leurs fonctions. La révolution de Catane avait duré trois jours !

Le retour à l’ordre avait eu lieu le 3. Le 4, on apprit à Catane que le marquis del Caretta, revêtu des pouvoirs d’alte rego, s’était embarqué avec un corps de troupes, et le 5 l’escadre napolitaine parut devant la rade. Quand les députés de la ville se rendirent à bord du vaisseau où se trouvait le lieutenant-général del Caretta, ils eurent peine à lui persuader que la ville était tranquille ; et lorsqu’il ne put en douter, une juste défiance le fit hésiter à débarquer, car il soupçonnait un piége. Les autorités s’étant remises en otages, le général fit son entrée dans la ville et fut reçu au milieu des fêtes qui durèrent quatre jours, tristes fêtes célébrées entre les excès de juillet et les ravages du choléra qui éclata quelques jours après ! En un mois, neuf mille personnes de cette cité peu populeuse furent jetées nues et presque sans sépulture dans le champ des arènes. En même temps, les commissions militaires procédaient contre les plus compromis. Deux listes de contumaces furent dressées, et on offrit 300 et 120 ducats de récompense à ceux qui livreraient les accusés qui se trouvaient dans ces deux catégories. Pour le marquis de San-Giuliano que je vis à Catane deux mois après, il ne fut jugé que plus tard ; le marchesino, son fils, prit la fuite avec quelques amis, et se retrancha, au milieu d’une guérilla de paysans, dans la vallée de Modica. En me rendant à Modica, je rencontrais souvent dans la vallée des soldats suisses accompagnés de campieri, qui sont les gendarmes siciliens, ou plutôt des campieri gardés à vue par des soldats suisses, et faisant des battues dans les bois. Au reste, nulle trace d’émotion, et bientôt j’appris que le marchesino avait pu gagner la côte et s’embarquer pour Malte. À Syracuse, l’insurrection avait suivi la même marche qu’à Catane ; seulement le mouvement politique avait été moins prononcé, car les bateliers et la populace se livraient à leurs excès en criant Viva el re e Santa Lucia ! Sainte Lucie est la patronne de Syracuse. Les commissions militaires y condamnèrent aussi un certain nombre de personnes, toutes accusées de massacres et non de crimes politique, les unes à plusieurs années de fers, les autres à la mort. Là aussi le marquis del Caretta ne se présenta que pour recevoir des marques de soumission à l’autorité royale, qui avait été rétablie avant son arrivée, et pour assister à des bals. À son départ pour Noto, qui eut lieu la nuit, toute la population des campagnes, en habits de fête, l’accompagna avec des torches à travers les monts et les vallées jusqu’à sa destination. On parle encore dans la vallée de Syracuse du prodigieux spectacle que donna cette immense procession. Ainsi le volcan s’était éteint de lui-même en Sicile et à Catane, et le mouvement que la crainte du choléra avait fait naître avait cessé même avant la venue du fléau. Pendant tous ces troubles, un brick de guerre anglais, destiné à protéger les sujets britanniques, était venu de Malte stationner devant la rade de Catane, et un autre se tenait, dans le même but, à l’entrée du port de Syracuse.

Voilà toute la révolution sicilienne de 1837. À Palerme, ce fut encore moins. À Syracuse, l’âge extrêmement avancé du général Tanzi, qui y commandait, et le petit nombre de troupes dont il pouvait disposer, empêchèrent de prendre des mesures énergiques contre les dévastateurs. Je vous ai dit dans mes précédentes lettres ce qui se passa à Messine, où n’eut lieu aucune démonstration politique ; enfin, à Catane, le marquis San-Giuliano lui-même, qui tenait aux meilleures familles, et qui ne s’engagea dans le mouvement que pour contenir son fils, ne fut suivi que par des médecins, des professeurs et des avocats. Le peuple qui se souleva ne songeait qu’au choléra ; la noblesse se tint à l’écart, et l’ordre public se trouva rétabli presque sans le concours des forces napolitaines. Les rigueurs qui suivirent sont à déplorer sans doute, mais nous avons vu, en France même, que les gouvernemens ne sont pas toujours maîtres de procéder par la clémence en pareil cas.

Je vous l’ai dit avec franchise, et je ne l’ai pas caché à Naples à mon retour, la Sicile n’est pas satisfaite, mais elle espère une amélioration de son sort, et j’ose affirmer que si le gouvernement napolitain s’occupe sérieusement de l’avenir de ce pays, les pavillons de guerre étrangers pourront se présenter devant ses ports sans ébranler la fidélité de personne. Des mesures telles que la suppression partielle de l’impôt de mouture sont propres à amener de tels résultats, et il en est d’autres que désigne naturellement l’état du pays. Les Siciliens sont meilleurs marins que les habitans du royaume de Naples ; ils étudient plus sérieusement l’art nautique. Après le départ des Anglais, ils s’approprièrent avec beaucoup de talens leurs procédés, leurs modes de gréement et leur manière de construire. En outre, les bois de construction abondent dans le royaume de Naples ; mais ils sont poreux, se crevassent, et demandent beaucoup de soins, et sur tous les navires construits en bois indigène, où la mâture seule vient de Venise ou de Riga, les Siciliens conviennent mieux pour composer les équipages que les Napolitains. Le gouvernement napolitain, qui paraît vouloir donner des soins à sa marine, diminuera encore les fermens de troubles de la Sicile en employant cette population maritime, si négligée depuis vingt ans. Des routes, des fabriques, les travaux des mines, des encouragemens à l’agriculture, voilà ce qui achèvera de calmer la Sicile, et dès-lors elle ne sera plus un sujet d’inquiétude pour l’Europe. Quant à l’Angleterre, elle n’a pas laissé des souvenirs bien ardens dans la population sicilienne ; à Palerme, à Messine, on ne se souvient guère plus de sir William Bentinck que de l’amiral Vivonne. Dans cette dernière ville, où ils ont résidé long-temps ; les Anglais ont créé une petite route de Messine au phare, route qui leur était nécessaire pour le transport de leurs approvisionnemens. C’est le seul monument qui soit resté de leur séjour en Sicile. Les sympathies sont donc à peu près nulles en Sicile pour l’Angleterre comme pour la France. Il est vrai que depuis l’occupation d’Alger et la destruction de la piraterie qui nuisait à la petite navigation sicilienne, et particulièrement à la pêche des coraux près des côtes d’Afrique, le nom français est prononcé avec quelque respect par les populations maritimes de la Sicile, surtout dans la partie méridionale de l’île ; mais c’est là tout. S’il y a un parti en Sicile, c’est celui de l’indépendance, qui repousse le concours de toutes les nations. Ce parti se trouve donc isolé, c’est-à-dire faible par son principe même, et il dépend du gouvernement des Deux-Siciles de l’affaiblir et de l’isoler encore plus, en travaillant activement à améliorer le sort des Siciliens. Je termine sur cette vérité, monsieur, et je remets à un autre jour le plaisir que j’aurais à vous parler de la triste beauté des villes de Catane et de Syracuse, mais le soufre m’a entraîné trop loin.

Je suis, etc.


***
  1. Voyez la Revue des 15 juillet et 1er octobre 1838.
  2. Ce silence, cette verdure, ces montagnes, Dieu a fait tout cela pour les cœurs amoureux.
  3. Le cantare équivant à 79 kilogrammes.
  4. Le tarin vaut 42 centimes 1/2.
  5. Exposition raisonnée de la législation commerciale, liv. XII, sect. II, tit. V.
  6. Droit des gens moderne de l’Europe, pag. 11, tome I, chap. XI, § 56.
  7. « I quali nel calor della scoperta rimasero vittima del sdegno del popolo. »
  8. « Abhiâmo avuto il dispiacere di dover essere spettatori di diversi tragici avenimenti, effetti di giusto furor populare. » —
  9. Cette première junte, où figuraient quelques membres dont on n’avait pas demandé le consentement, se composait des personnes suivantes : le marquis de San-Giuliano, arrêté plus tard ; Salvatore Tornambiene, noble peu aisé, qui eut le bonheur de s’échapper ; Gabriello Carnazzo, avocat ; Diego Arangio, marchand, également contumace ; le prince Valsovoja, qui, ayant prouvé qu’il avait été contraint, fut mis en liberté ; Benedetto Privitera, avocat, qui eut le même avantage ; Vinzenzo Cordaro, le savant historien de Catane, qui fut acquitté ; un distillateur nommé Giuseppe Mirone ; un médecin, professeur de l’université, Di Giacomo ; un professeur d’histoire, Gemellaro ; un autre médecin, Carmelo Platania ; un employé, Bianchi Carbonaro ; un marchand de soie, Domenico Auteri ; le caissier de la province, prince Maletto ; le prieur Riccioli ; un juge de la grande cour de Palerme ; Pasquale Ninfo, tous mis en liberté ; enfin, le secrétaire de la commission était Salvadore Barbagallo Pittà, qui fut fusillé.