Lettres en forme de complainte/Complainte I

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Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 192-195).

COMPLAINTE I.

Amour, ne vous vueille desplaire,
Se trop souvent à vous me plains,
Je ne puis mon cueur faire taire,
Pour la doleur dont il est plains.
Helas ! vueillez penser au moins

Aux services qu’il vous a faiz,
Je vous en pry à jointes mains,
Car il en est temps, ou jamais.
     Monstrez qu’en avez souvenance,
En lui donnant aucun secours,
Faisant semblant qu’avez plaisance
Plus à son bien qu’à ses doulours ;
Ou me dittes, pour Dieu, Amours,
Se le lairrez en cest estat ;
Car d’ainsi demourer tousjours,
Cuidez vous que ce soit esbat ?
     Nennil, car Dangier qui desire
De le mettre du tout à mort,
L’a mis, pour plustost le destruire.
En la prison de Desconfort ;
Ne jamais ne sera d’accort
Qu’il en parte par son vouloir,
Combien que trop, et à grant tort,
Long temps lui a fait mal avoir.
     Et pour la tresmauvaise vie
Que lui fait souffrir ce villain.
Il est encheu en maladie,
Car de tout ce qui lui est sain
A le rebours, j’en suy certain.
En ceste dolente prison,
Ne sçay s’il passera demain
Qu’il ne meure sans guerison.
     Car il n’a que poires d’angoisse
Au matin, pour se desjeuner,
Qui tant le refroisdist et froisse
Qu’il ne peut santé recouvrer.
D’eaue ne lui fault point donner,
Il en a de larmes assez ;
Tant a de mal, à vray parler,
Que cent en seroient lassez.

     Et n’a que le lit de Pensée
Pour soy reposer et gesir ;
Mais Plaisance s’en est alée,
Qui plus ne le povoit souffrir,
À paine l’a peu retenir,
S’Espoir ne feust jusques à cy ;
N’a il donc raison, sans mentir,
S’il fait requeste de Mercy ?
     Il porte le noir de Tristesse,
Pour Reconfort qu’il a perdu,
N’oncques hors des fers de Destresse
N’est party, pour mal qu’il ait eu ;
Touteffoiz vous avez bien sceu
Qu’à vous s’estoit du tout donné.
Quelque doleur qu’il ait receu.
Et vous l’avez abandonné !
     Par m’ame, c’est donner courage
À chascun de voz serviteurs
De vous laisser, s’il estoit sage,
Et querir son party ailleurs !
Car tant qu’aurez telz gouverneurs
Comme Dangier, le desloyal,
Vous n’aurez que plains et clameurs,
Car il ne fist oncques que mal.
     À mon cueur le conseilleroye
Qu’il vous laissast ; mais, par ma foy,
Jà consentir ne lui feroye,
Cat tant de son vueil j’aperçoy.
Quelque doleur qu’il ait en soy,
Qu’il est vostre par devant tous ;
Et, par mon serment, je le croy,
Qu’autre maistre n’aura que vous.
     Or regardez, n’est ce merveille
Qu’il vous aime si loyaument,
Quant toute doleur nompareille

A receu, sans allegement ?
Et si le porte lyement,
Pensant que une foiz mieulx sera ;
À vous s’en attent seulement,
Ne jà autrement ne fera.
     Si m’a chargié que vous requiere,
Comme pieçà vous a requis,
Que vueilliez oïr sa prière :
C’est qu’il soit hors de prison mis,
Et Dangier et les siens bannis,
Qui jamais ne vouldront son bien ;
Ou au moins qu’aye saufconduis
Qu’ilz ne lui meffacent de rien.
     Afin qu’ilz puist oïr nouvelle
De celle dont il est servant,
Et souvent veoir sa beaulté belle ;
Car d’autre rien n’est désirant
Que la servir, tout son vivant,
Comme la plus belle qui soit,
À qui Dieu doint de biens autant
Que son loyal cueur en vouldroit.