Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne/Lettres/Turcs/03 1 juin 1788

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LETTRE III.


Du 1 juin 1788.
Au Camp devant Choczim.


VOUS attendez-vous à une lettre bien militaire ? Il ne tient qu’à moi. Je pourrois vous parler des préparatifs du siège, qui a même un peu commencé. Voulez-vous que je vous prédise que, par la bonne intelligence, et l’intelligence du prince de Cobourg, noire général autrichien, et du comte de Soltikoff, notre général russe, la place sera prise, je vous le prédis ; mais ne me demandez pas comment. L’on fera sauter quelques magasins, l’on donnera quelqu’assaut. Nous aurons Choczim, j’en suis sûr ; que cela vous suffise. Et quand cela sera arrivé je pourrai dire : et y ai même à sa prise un peu contribué ; car c’est grâce à mes instances et à mes voyages d’une armée à l'autre, et même à plusieurs petits corps détachés que j’ai obtenu six mille russes pour nous y aider. Je ferai comme celui qui, entendant faire l’éloge d’un beau sermon, dit : — Eh bien, messieurs, c’est moi qui l’ai sonné. — Déjà nos braves housards ont soumis et balayé la Moldavie ; ils en ont pris le Hospodar et la capitale. Quatre compagnies de héros, dont le plus jeune a soixante-cinq ans, ont repoussé, battu, défait un corps de quatre mille Turcs.

C’est tout ce qu’il y a de plus beau au monde qui vient de me mener reconnoître Choczim, à une demi-portée de canon. Je crois même que les janissaires ont eu la vue assez bonne pour trouver que madame de Witte étoit meilleure à enlever qu’un général autrichien. Nos chasseurs ont tué deux turcs qui vouloient passer le Niester à la nage, pour nous voir de plus près. Tremblant pour les jours de la plus belle créature qui existe, j’ai obtenu d’elle, avec bien de la peine, qu’elle me reconduisît à sa forteresse polonoise. Vous aurez de la peine à entendre d’ici la trompette des combats, car vous êtes bien loin ; mais celle de la renommée arrivera, j’espère, jusqu’à vous.