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Lettres galantes et philosophiques de deux nones/04

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À Rouen, de l’imprimerie de Christine (p. 27-59).
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Troisième lettre




TROISIÈME LETTRE.


Tu parles d’or, ma chère Agathe. Oui, tu mets aux abois toute ma logique. Ô que le cloître est une excellente académie ! L’esprit et le cœur y gagnent. J’ose le dire, ce n’est qu’au sein même d’une troupe de vierges, que la métaphysique de l’amour se trouve confinée. Ce petit dieu malin, comme tu sais, y prend toutes les formes, et ce n’est que sous ses aîles qu’on cueille le plaisir.

Mais réponds-moi, ma chère, n’entre-t-il pas un peu, j’oserais presque dire beaucoup de vanité dans ton langage ? Il me semble que tu passes les bornes, et que tu portes trop loin ce qu’on nomme prévention. Tu m’as écrit, sans doute, dans un moment d’ivresse, et tu t’es follement imaginée que les dames ursulines ne devaient glaner dans les champs de l’amour, qu’après que les dames carmélites y avaient fait leur moisson. De bonne foi, crois-tu que la peinture des vies lubriques de ces dernières, ait plus de force et de réalité que celle des premières ? Ah ! rabats, rabats, je t’en prie, de ta petite arrogance, et cesse de t’approprier seule des droits que je peux te contester. Sois intimement persuadée qu’au milieu de leurs succès et de leurs triomphes galans, mes héroïnes, possèdent aussi bien que les tiennes, pour ne pas dire mieux, toutes les gradations et les régularités des jouissances.

Tu traiteras peut-être tout ceci de bagatelle… Il me semble que je t’entends : tu veux des faits à la place des mots. Hé bien ! il faut te satisfaire.

Pour ne pas sortir des règles ordinaires, et ne te rien cacher des circonstances de ma vie, je vais commencer par te dévoiler le secret de ma naissance : j’entrerai ensuite dans le détail des aventures de ma jeunesse, et finirai par l’histoire du cloître. Tu dois sentir qu’il m’en coûte de déchirer le voile qui avait couvert jusqu’à présent mes premières années ; mais il y va de l’honneur du corps, et puisque tu me forces de lever le masque, j’obéis sans répugnance.

Je suis le fruit des amours de madame de sainte L…, abbesse du couvent de la Visitation de R…, qui ne me conçut dans la ferveur d’une dévotion naissante, que parce qu’elle ne pouvait pas se faire au régime de la continence. Je ne saurais répondre si plusieurs personnes ont effectivement travaillé à la composition de mon individu ; c’est un problème assez difficile à résoudre. Je ne dois pourtant avoir qu’un père, selon toutes les règles de la propagation, et l’on me fait l’honneur de m’en attribuer plusieurs. Quoiqu’il en soit, M. l’archevêque de R…, dont le zèle, sans doute, était alors louable, est réputé pour être le véritable. J’avouerai même, sans craindre de blesser mon amour-propre, qu’il m’est plus glorieux de descendre de son éminence, que du palfrenier de la maison, qui, à cause de sa jeunesse et de son embonpoint, avait trouvé, dit-on, le merveilleux secret d’en compter à madame.

Je ne crois pas, ma chère Agathe, que l’énumération de mes titres t’ait beaucoup fatiguée. Je suis du systême de Lock, et je soutiens avec ce philosophe, que tout est bien ; j’insiste même à dire que la bâtardise tient son coin, et qu’il y a quelquefois de l’avantage à naître dans le silence. Il est du moins probable que l’histoire d’une telle généalogie ne se perd pas dans la nuit des tems, et qu’elle n’est pas, comme une infinité d’autres, mêlée de fables et d’obscurités.

Te voilà présentement au fait de toute ma famille : tu sais à qui je dois le jour, et de qui je tiens l’être. Il ne me reste qu’à t’apprendre entre quelles mains je fus livrée pour avoir soin de mon enfance.

Ma mère nourricière s’appelait Mathurine : c’était une de ces bonnes paysannes qui n’avait rien des caillettes de nos jours, qui partait de bon matin de son village, pour venir offrir aux habitans de la ville le tribut de ses bestiaux. Comme elle avait la pratique du couvent, et qu’elle y portait journellement du lait, c’était une raison de plus pour me confier à ses soins. Je demeurai sous sa direction l’espace de sept ans, au bout duquel terme, un émissaire de M. l’archevêque ou de madame l’abbesse, vint m’arracher des bras nourriciers, pour me plonger toute vivante dans ceux de la religion.

Arrivée au monastère des ursulines de M…, on me conduisit tout de suite chez madame la supérieure, qui, après m’avoir fixé tendrement, m’accabla de caresses, et protesta d’avoir pour moi tous les ménagemens qui étaient civilement dûs à une fille de mon rang, c’est-à-dire, archiépiscopale. À en juger par les tendresses que me prodiguait cette bonne mère, on eût dit que je rappelais dans son souvenir les doux momens qu’elle avait peut-être passés avec son éminence, qui courait de belle en belle, et qui, pour être fidèle à ses bergères, était esclave du changement et des faveurs nouvelles.

Il est des personnes, ma chère Agathe, qui ont le tact fin et le coup-d’œil juste. Sans outrager sa pénétration, madame la supérieure était de ce nombre : elle démêla bientôt dans mes yeux que j’aimerais un jour le plaisir, et que tôt ou tard les émotions les plus séduisantes pénétreraient mon âme. Pour se convaincre apparemment si j’y aurais d’heureuses dispositions, elle me fit dresser une couchette à côté de son lit, disant qu’elle me prenait sous sa protection ; que j’apprendrais sous elle les premiers élémens du christianisme, et qu’elle espérait, de ma tendresse et de ma docilité, que je ne la mettrais point dans le cas de rougir de son ouvrage. Une fille plus instruite des usages du monde, n’aurait pas manqué de remercier la supérieure de toutes ses attentions, en lui donnant des preuves non équivoques de son respect et de sa reconnaissance ; mais j’étais si jeune, qu’elle dût naturellement excuser mon ignorance.

Mon petit lit ainsi disposé à côté de ma protectrice, je me déshabillais avec décence, et je me couchais de même. Quelques nuits se passèrent, sans que madame la supérieure me fit la moindre question, Jusques-là sa conduite s’accordait si bien avec la morale chrétienne, que j’aurais juré qu’elle avait été toujours soumise au joug de la sagesse. Mais quelle était mon erreur ! je n’imaginais pas que l’on pouvait sans peine oublier la religion et ses ministres, et qu’on ne se brouillait pas si facilement avec l’amour et ses plaisirs. Madame la supérieure voulut essayer du précepte : il lui prit un soir envie de me faire quelques observations préliminaires sur l’état d’une maladie qu’elle feignait avoir, et qui ne pouvait recevoir d’altération, qu’autant qu’on négligeait de la soulager par un acte licentieux. Pour cet effet, madame grimaça des doléances, poussant, par intervalle, quelques soupirs entre-coupés, et tâtonnant dans mon lit pour savoir si je dormais. Qu’avez-vous donc, madame, lui dis-je, avec un air de candeur et de franchise qui m’était alors si naturel ? Il me semble que vous vous trouvez mal. Puis-je vous être utile ? appelerai-je du secours ? C’est ici le lieu d’examiner jusqu’où va la malice des nones, et à quels excès ces monstres femelles portent la dévotion. Hélas ! me dit-elle, ma chère enfant, je suis sujette à des vapeurs clitorales ; si toutes les fois que j’en suis attaquée, j’étais obligée de réveiller nos sœurs, à peine goûteraient-elles les douceurs du sommeil : cela ne sera rien, ne vous épouvantez pas. Mais encore, madame, répondis-je, si ces vapeurs cli… cli… j’ai perdu le mot, vous causent de grands maux, n’est-il pas un moyen sûr et facile de les faire disparaître ? Parlez, je me prêterai à tout ce qui pourra vous faire plaisir. Je vous tiens compte de vos bonnes intentions, me répondit la supérieure ; je vous répète que cela ne sera rien, ainsi dormez tranquille. Je n’insistai pas davantage ; mais quelques minutes après, je fus fort étonnée de lui entendre prononcer deux ah ! ah ! ensuite un je m’oublie, pour finir l’intermède.

On sent bien que je n’étais pas encore assez ingénieuse pour pouvoir m’imaginer que le plaisir transportait madame, et qu’elle ne craignait pas de souiller la supériorité par des attouchemens. Le lendemain à la même heure, mêmes vapeurs et même langage. Oh ! pour le coup, s’écria-t-elle, je ne puis y tenir. Venez, ma chère enfant, venez dans mes bras, que j’essaie de vous serrer étroitement ; je trouverai peut-être par-là le moyen de calmer mes souffrances. De ma couchette dans son lit je ne fis qu’un saut ; elle de me saisir dévorait le moment. Un baiser à la Florentine, mais le baiser le plus lascif, fut le prélude de la brillante scène ou voulait en venir madame. Elle m’étouffait à force de me presser contre son sein ; je me plaignis, elle lâcha prise. Hé bien ! madame, lui dis-je alors, comment vous trouvez-vous ? êtes-vous soulagée ? Au contraire, mon enfant, répondit-elle, vous m’avez mise tout en feu, et je sens, oui, je sens que mon mal empire. Mais à quel endroit de votre corps, reprit-je naïvement, sentez-vous, ma mère, ces vapeurs auxquelles vous avez donné un nom si singulier ? À peine eus-je prononcé, qu’elle s’empara de ma main droite pour lui en faire faire la découverte. Innocente comme je l’étais, pouvais-je m’imaginer que ma main devait être d’un heureux présage pour madame la supérieure, et que son office l’emporterait sur toutes les ordonnances des graves disciples d’Esculape ? La première tentative fut de porter le remède sur sa gorge, en me disant que depuis qu’elle se connaissait, il lui avait toujours paru que les vapeurs clitorales qui ne cessaient de l’assièger, prenaient leur source dans cet endroit, et qu’elles allaient se concentrer dans la partie la plus affligée, qui était précisément celle où l’on commençait à cueillir, dans le monde, les premiers fruits de l’amour. Tout en narrant, elle faisait en sorte d’appliquer le baume à la douleur ; mais instruite d’avance des faveurs que j’allais lui prodiguer, bientôt mes doigts se trouvèrent par le mouvement des siens, sur une petite éminence distribuée par petits toupets, qui arrêtèrent leur marche. C’est-là, me disait-elle alors : ah ! c’est-là, ma chère enfant, que sont réfugiés tous les démons qui me tyrannisent sans cesse, et c’est ainsi, ajouta-t-elle, en me prenant l’index, qu’il faut frotter cette partie infernale. Déjà mon doigt opère ; elle s’écrie : À merveilles… bien… là… continuez… Je commençois pourtant à me lasser, lorsque j’entendis madame la supérieure soupirer et se plaindre, à-peu-près comme elle avait fait la veille. Enfin, je baissai la toile, et mon actrice termina son rôle, par mon ame s’envole, et les démons délogent.

Quelques ignorans que fussent mes doigts, je ne me serais pas attendue qu’ils eussent produit un tel effet, encore moins qu’il eût été si prompt. Madame la supérieure me remercia très-affectueusement, et me dit, d’un ton persuasif, que pour me récompenser de mon zèle, elle me permettrait de reposer, de tems en tems, dans sa couche, faveur à la quelle, selon son langage, aucune pensionnaire n’avait eu l’honneur d’être admise.

Est-il possible, ma chère Agathe, de dissimuler plus adroitement, et une telle politique n’est-elle pas bien entendue ? Je ne lui refusai pas, si tu veux, la justice de la croire vraie ; mais pour chaste, je te réponds qu’elle ne l’était pas. Il s’en fallait beaucoup que le duvet sur le quel mes doigts avaient gesticulé, militât en sa faveur. Il était si dégarni, si molasse, qu’il donnait facilement à comprendre que les appas de madame avaient été, dans leur jeune âge, trop dévoués au plaisirs, pour que désormais ils ne fussent pas inutiles au monde.

Pardonne-moi, ma sœur, cette courte digression : je ne l’ai mise au jour que pour finir cette scène, qui va bientôt t’en amener une autre, mais d’une nature toute différente, et à laquelle j’ai toujours donné la préférence. J’aime tu le sais, les peintures animées ; et si les représentations au naturel ne te déplaisent point, tu peux bien croire que n’étant plus faites pour Christine, elles ont été du moins de son goût. Je poursuis.

Lorsque madame la supérieure fut levée, elle me tint mille jolis propos ; elle m’embrassa, contre l’ordinaire, je ne sais combien de fois, en me prodiguant un déluge de tendresses. À mesure qu’elle se consumait en sensibilité, je pénétrais qu’elle cherchait, dans mes yeux, un moyen de se satisfaire. Ses regards étaient mourans, et son visage coloré. Je pris de là occasion de lui demander si elle n’était pas encore attaquée des mêmes vapeurs qu’hier au soir, en ajoutant qu’au cas que cela fût, elle avait affaire à des démons bien opiniâtres. J’attendais, avec impatience, que le chaos de ses idées se débrouillât pour me répondre, et que je soupçonnais qu’elle allait réaliser mes prédictions, lorsque j’entendis qu’on frappait à la porte. Je me levai pour aller ouvrir, et le premier objet qui s’offrit à ma vue, ce fut un jeune garçon à-peu-près de mon âge, d’une figure ordinaire, mais assez bien taillé, et promettant beaucoup. Ah ! te voilà, mon cher Étienne, dit alors madame la supérieure : tu viens aujourd’hui de bien bonne heure. Où as-tu donc cueilli ces fleurs que tu m’apportes ? Une partie dans votre jardin, et une partie dans le nôtre répondit le petit Étienne : elles sont encore toutes fraîches ; mettez-les, madame, dans vos vases. Mais, dis-moi, mon ami, que te donnerai-je, pour te remercier de tant de soins et de tant d’attentions ? Je ne vous demande rien, ajouta le petit bon homme, sinon que je vous prie de me continuer toujours vos bontés, et d’être intimement persuadée que je n’aspire qu’à la gloire de pouvoir les mériter. Je ne m’en rendrai digne, je crois, que lorsque je saurai bien à fond le jeu de Colin Maillard.

Je t’avouerai, ma chère Agathe, que j’étais enchantée des réponses naïves du petit Étienne : je le dis à ma honte, je lui trouvais une intelligence au-dessus de son âge, et peu s’en fallut que je ne rougisse de l’ignorance crasse où j’avais vécu jusqu’alors. Maître Mathurin, quoique bailli de sa paroisse, ne m’avait appris qu’à faire la révérence, encore m’en acquittais-je à la villageoise, et d’une manière si gauche, qu’on m’aurait plutôt prise pour une bergère qui garde les moutons, que pour la fille d’un archevêque.

Enfin, par les regards tendres et lascifs que jetait sur le petit Étienne madame la supérieure, et qui assurément n’étaient pas apostoliques, je compris que le jeune grivois entrait pour quelque chose dans la variation de ses plaisirs. Je ne me trompais pas, car un moment après elle le fit passer dans un petit cabinet qui donnait derrière son lit, non pour y enfiler des perles, comme on dit, mais pour y faire quelque autre chose. La supérieure, qui ne me croyait pas capable de pénétrer dans les mystères de la nature, vu mon ingénuité, me fit asseoir à côté de la fenêtre, et me recommanda de regarder de tems en tems dans le jardin, pour voir si aucune des pensionnaires ne s’amuserait point par hasard, à dégrader les arbres fruitiers qu’on avait plantés vis-à-vis son appartement, qui lui formaient une agréable perspective.

Le tems était court, comme tu peux te l’imaginer, et madame la supérieure voulait le mettre à profit. Bientôt elle vole dans les bras de son cher adonis, qui brûlait, sans doute, du désir d’offrir son sacrifice, mais qui était encore trop jeune pour le consommer. Quoi qu’il en soit, il ne laissait pas que de satisfaire chez la none la nécessité du plaisir, et c’était beaucoup.

Moins lasse d’être en sentinelle, que curieuse de savoir ce qui se passait dans ce réduit qui avait été souvent le témoin des jouissances de la vieille fée avec le petit dieu je marchai le plus doucement qu’il me fut possible, et je parvins en tapinois à la grotte des délices.

Il n’y avait qu’une petite cloison qui me séparait des combattans : je n’avais pas, à la vérité, la liberté de les voir, mais je pouvais comprendre assez distinctement leurs entretiens. Pousse, disait la maîtresse d’école à son jeune écolier. Ah ! pourquoi ton trait ne peut-il pas me percer comme je le désirerais ! pourquoi la nature ne t’a-t-elle pas plus avantageusement pourvu ! Enfonce mon enfant, enfonce mon roi, mon petit cœur. Encore un peu. Fais actuellement, fais aller ta petite cheville. Bien. Poursuis ainsi la besogne, et tu combleras mon bonheur. Ô que je t’aime, ajouta t-elle un moment après, et d’un ton attendri. Ferme… Remue vîte… Rends-moi secousse pour secousse, et transports pour transports. Ah !… Ah !… Ah !…

À ces trois monosyllabes, qui ravissaient madame en extase, et qui la comblaient des plus doux plaisirs, succèda bientôt le signal qui devait hâter sa défaite.

Mon premier soin fut de regagner alors le poste qui m’avait été assigné, fermement résolue d’observer le visage du petit Étienne, lorsqu’il paraîtrait à mes yeux, et fâchée, en même tems, de ne pouvoir jouer avec lui à ce qu’on appelait Colin Maillard.

Avec quel plaisir, ma sœur, ne me serais-je pas livrée à ses transports ! Nous étions tous les deux à-peu-près du même âge, et mon fourreau, conséquemment, je ne crois pas me tromper, devait être en proportion de son épée.

Madame le supérieure sortit la première de son cabinet, un peu embarrassée de sa contenance, à la vérité, et au travers de laquelle on observait aisément une démarche étudiée. Elle feignit d’abord de gronder le petit bon-homme, sur sa mal-adresse à dévuider un peloton de laine fine, qu’elle disait lui avoir donné ; mais au lieu de prendre le change, je commençai à ouvrir les yeux, et je pénétrai son langage qui n’avait plus rien d’obscur pour mon esprit.

J’examinai ensuite sa figure, qui, pour l’ordinaire, approchait plutôt du pâle que de l’incarnat, et je ne fus pas peu surprise de la voir extrêmement montée en couleur. D’où peut venir, me disais-je à moi-même, une semblable révolution ? Ah !… j’y suis. Il est hors de doute, ajoutai-je par réflexion, que la petite cheville du cher Étienne, n’ait été capable d’opérer une telle merveille.

Un moment après, je le vis sortir de sa prison, qui n’avait rien eu de désagréable pour lui, encore moins pour madame. Mais qu’il était beau, ma sœur ! qu’il était rayonnant ! Figure-toi voir le soleil, lorsqu’il s’échappe du sein de l’onde. L’assaut qu’il venait de soutenir lui avait prêté de nouveaux charmes que je ne lui avais pas encore apperçus ; et dès ce moment, je sentis, dans mon petit cœur, certains mouvemens de palpitation qu’il n’était pas encore en mon pouvoir de définir, mais qui semblaient me dire que je ne pourrais pas me soustraire désormais à l’impression de tant d’appas.

Madame la supérieure, qui fixait tendrement Étienne, et qui lisait dans ses yeux le plaisir qu’elle avait goûté, lui demanda, par ironie, s’il avait fini sa besogne. Oui, ma mère, je l’ai finie, répondit-il, ingénument ; et si vous n’êtes pas satisfaite de mon travail, ajouta le petit égrillard, je suis prêt à le recommencer. Une semblable réponse dut naturellement surprendre la supérieure : elle y sourit malicieusement, et deux petits verres d’eau d’anis furent non-seulement le salaire de ses basses œuvres, mais encore le prix de sa bonne volonté.

Tu vois, ma sœur Agathe, combien je suis exacte dans mes narrations ; tu vois avec quels traits, avec quelles couleurs naturelles je te peins les feux lascifs de ma nouvelle maîtresse ; je dis maîtresse, parce qu’elle s’était proposée de me régenter, et qu’elle me régentait effectivement. Cependant sa doctrine n’était pas si efficace que celle du petit Étienne, qui, comme tu vas voir, entreprit de faire auprès de moi, sans en donner, bien entendu, connaissance à la supérieure, ce qu’un jeune et vigoureux époux fait ordinairement à sa chaste épouse la première nuit de ses noces.

Un jour qu’il faisait beau, tandis que la supérieure se promenait dans le jardin pour dissiper une migraine qui l’avait empêchée de dormir, la voix du petit Étienne se fit entendre à notre porte. Comme j’étais encore couchée, et que je présumais que madame la supérieure, qui ne venait que de sortir, n’avait pas fermé la porte à clef, je lui criai d’entrer : il fut ponctuel à l’ordre, et moins timide que je ne l’aurais cru.

Quoi ! mademoiselle, me dit-il, vous êtes encore couchée ? Où est donc madame la supérieure ?

Il n’y a qu’un moment qu’elle est dehors, lui répondis-je, et si je ne me trompe, elle promène sa migraine sous les charmilles du jardin.

Ah ! vous mériteriez bien, répliqua-t-il, puisque nous sommes ici seuls, et que personne nous entend, que je prisse la liberté de vous donner le fouet, pour vous apprendre à dormir les uns sans les autres.

Je ne dors pas, comme vous voyez, M. Étienne, car je veille ; et si vous voulez que je m’explique avec franchise, je veillais encore moins l’autre jour, puisque je vous entendis jouer avec madame, dans ce cabinet, à votre jeu de Colin Maillard.

Ah ! petite rusée, vous nous écoutiez donc ? Cela n’est pas bien ; et je m’en vais de ce pas, raconter à madame la supérieure ce que vous venez de me dire.

Étienne, mon cher Étienne, arrêtez ! quel plaisir trouveriez-vous à me faire gronder ? Qui sait ? irait-on peut-être jusqu’à me battre.

Hé bien ! reprit alors l’ingénieux Étienne, je ne révélerai rien ; mais je mets une condition à mon marché, c’est de permettre à mon oiseau de prendre quelques ébats dans votre cage.

Je l’envisage d’un air riant, c’en fut assez pour lui faire comprendre que je n’étais pas cruelle, et que si le badinage lui plaisait, il ne me déplairait pas. Il porte tout de suite la main à sa brayette, et en fit sortir un petit dard, qui semblait avoir été fait exprès, disait-il, pour se nicher dans ma vélouse.

C’est la véritable quille, ajouta le petit drôle, dont se sert ordinairement madame la supérieure, pour jouer à Colin Maillard ; elle est le joyau chéri avec lequel notre mère trafique. Permettez que j’essaie si je serai plus heureux avec vous qu’avec elle ; car je ne gagne jamais, tout le profit est de son côté. Il me prit aussi tôt dans ses bras ; et après m’avoir mise dans la situation la plus propre à recevoir son offrande, il dirigea lui-même le poignard qui devait égorger la victime ; mais soins superflus, et peines inutiles. Il entreprit vingt fois de couronner son amour, et pendant vingt fois il eut le malheur de rater sa belle. Nous étions trop jeunes, l’un et l’autre, pour mesurer nos armes : il ne nous était pas encore permis de précipiter la fin de nos courses par des voluptés réelles. Enfin, Étienne impatient d’exercer, sans fruit, son savoir faire, et craignant, en outre, que madame la supérieure ne nous surprit, colla, pendant trois fois, sa bouche sur la mienne, et remit à un autre jour le soin de renouveler ses transports, et de passer peut-être un plus heureux quart-d’heure.

Ah ! ma chère Agathe, de combien de mouvemens secrets ne fus-je pas alors agitée ! si, d’un côté, de savoureuses idées semblaient disposer mon tendre cœur aux agréables délices qu’allait me préparer Étienne, de l’autre, j’étais travaillée d’une cruelle inquiétude. Mon amant, à la vérité, était doué de toutes les grâces qu’on prête aux Cupidons. Je sentais qu’il avait fait beaucoup pour moi, et qu’il n’avait pas encore assez fait.

Fils chéri de l’amour, il en avait la jeunesse ; mais hélas ! en avait-il les forces, en possédait-il l’énergie ? C’était-là mon chagrin.

Une démangeaison terrible, mêlée d’une chaleur douce, circulait dans tout mon corps. J’attendais avec impatience le retour du petit Étienne, pour assouvir ma passion naissante, et pour mettre, dans ses bras, le comble à mes désirs. Peut-être, me disais-je à moi-même, ne serons-nous pas un autre fois malheureux au point de nous essouffler à pure perte, sans éteindre nos désirs. Flatée par cette illusion, j’aimais à m’y livrer, et je n’imaginais pas que ma virginité devait encore jouer un rôle pénible, avant que d’être admise à la pratique des plaisirs.

Madame la supérieure, qui était dans le jardin, ne tarda pas à paraître. J’appréhendais qu’elle ne trouvât, dans son chemin, le petit Étienne, qui s’y prit sans doute de manière à pouvoir l’éviter, car l’amour est ingénieux. J’étais rêveuse, et une langueur inconnue s’était emparée de mon âme. La supérieure s’en apperçut : elle me demanda ce qui pouvait occasionner cet air de tristesse et de nonchalance où je paraissais plongée.

Je ne sais, madame, lui dis-je, ce qui se passe dans le fond de mon cœur ; mais je sens que je ne suis pas à mon aise, et qu’il manque quelque chose à ma félicité.

Je vois bien, ma fille, reprit alors madame, que l’ennui de la solitude vous gagne, et que vous regrettez sans doute le village. Il faut pourtant, continua-t-elle, que vous vous fassiez à notre genre de vie ; car il n’a pas plu à la fortune de vous combler de ses faveurs. Vous étiez encore au maillot, quand vous perdîtes votre mère ; et votre père, inconsolable d’une telle perte, en mourut de douleur huit jours après. Voilà ce qu’en conscience je me crois obligée de vous apprendre, non pas dans le dessein de vous faire de la peine, puisque ce sont des malheurs qu’il faut oublier, mais afin que vous sachiez qu’il est absolument indispensable que vous vous soumettiez aux décrets du sort, qui veut que vous viviez et que vous mouriez dans le cloître.

Cela étant, madame, repris-je, je me conformerai en tout à vos volontés ; et puisque vous me prenez sous vos auspices, j’avoue que j’aurais grand tort de vouloir m’affliger.

Satisfaite de ma réponse, madame la supérieure me prit dans ses bras, me pressa tendrement contre son sein, et me fit de rechef un de ces baisers à la Florentine dont je t’ai déjà parlé. Elle voulut même ce jour-là, que je partageasse avec elle les honneurs de sa couche, et que livrée à tout ce que l’amour a de plus sensuel, je lui procurasse des amusemens plus sensuels encore. À peine fûmes nous couchées, qu’elle essaya de puiser sur mon sein de nouvelles flammes. Elle semblait exiger qu’une liberté souveraine présidât à nos plaisirs : du moins elle en bannit toute contrainte.

Laissez, mon enfant, me dit-elle, en me plaçant sur son ventre, laissez à mon cœur le soin de se satisfaire.

Je demeurai l’espace de quelques minutes dans cette modeste attitude, en attendant qu’elle me désignât le rôle que je devais jouer. Bientôt elle me caressa d’une ardeur incroyable, et portant ses mains sur les parties les plus secrettes de mon corps, je trouvai ce manége aussi nouveau que bizarre. J’avouerai cependant que ses attouchemens libres et lascifs n’avaient rien pour moi de déplaisant, et que j’éprouvai, pour la première fois, un plaisir jusqu’alors étranger à mes sens.

Au milieu de ces agréables sensations, madame la supérieure ne rompit le silence, qu’afin de me dire que la petite fente sur laquelle ses doigts jouoient, serait un jour ombragée d’une mousse charmante, et que jusqu’alors je ne jouirais qu’imparfaitement des douceurs inexprimables que cette partie nous procure.

Je lui répondis aussi-tôt que je ne savais ce qu’elle entendait dire par cette mousse charmante dont elle étalait si pompeusement les merveilles. Elle me prit d’abord la main, et la portant sur le duvet où elle s’était déjà distinguée par je ne sais quelle opération, voilà, me dit-elle, ce que la nature a fait croître pour notre bonheur : on donne le nom de mousse charmante à ces soies fines que vous touchez, et qui servent d’ornement à l’entrée du temple.

Madame la supérieure, qui, depuis son installation dans le grade éminent, n’avait pas manqué de mettre en usage tous les genres de paillardise connus, n’en voulut pas demeurer à ce prélude : elle tenta le point introductif ; et en bonne théoricienne, qui entend à merveille la pratique, elle fit entrer, par gradation, un de mes doigts dans cette partie infernale qui récélait, je crois, tous les démons du Tenare, et qui semblait invoquer tous les aspersoirs du Vatican, pour donner la chasse à cette canaille.

À peine eut-elle senti les effets de mon doigt, qu’elle soupira profondément. Bientôt elle tomba dans ces extases délicieuses, qu’il est bien plus facile de sentir que de dépeindre. Non, disait-elle, il n’est pas possible que dans l’Empirée on jouisse d’un bonheur plus parfait. Ah ! mon enfant !… ma chère enfant !… c’en est trop… oui, le plaisir est sur la terre ; il n’est échauffé que par les rayons du feu divin. Achève, ma poulette, achève le sacrifice : enfonce, ne crains pas de me faire du mal : enfonce le plus avant qu’il te sera possible. En prononçant ces derniers mots, elle empoigna ma main, et dans la chaleur de l’action, peu s’en fallut qu’elle n’entrât toute entière dans sa large embrasure. Je la retirai toute glutineuse, et ne sachant où l’essuyer : il me vint enfin une idée, ce fut d’en graisser la crinière de madame, qui n’offrait au-dessous que la perspective d’une énorme cavité, et d’un spacieux orifice.

C’est ainsi, ma sœur Agathe, que se termina cette libation, qui après avoir ralenti l’ardeur de ma vieille futaille, se livra ainsi que moi, aux douceurs du sommeil. La tendre image du petit Étienne se retraça toute la nuit dans mon imagination, et à mon réveil, je n’ouvris les yeux que pour chercher cette idole de mon cœur.

Madame la supérieure m’avait mise toute en feu, et je brûlais du désir de revoir le jeune Gars si propre à la fillette. Il avait exigé de ma complaisance que je lui permisse le badinage ; il était bien juste que j’exigeasse, à mon tour, des preuves, non simulées de toute sa tendresse. Le pauvre enfant ! il y avait plus de deux heures qu’il était en faction dans un coin du jardin : il guettait le moment ou il plairait à madame de descendre, soit pour promener sa migraine, soit pour donner audience à ses pensées. Impatient d’attendre, mon petit amour était sur le point de rétrograder, lorsqu’il apperçut l’embaucheuse qui avait eu le bonheur de cueillir ses prémices.

Je n’ai fait, me dit-il, en entrant, qu’une gambade du jardin dans cette chambre. Nous avons aujourd’hui beau jeu, ajouta-t-il, et nous nous divertirons tout à notre aise. Dis, ma bonne amie, est-ce que ton cœur ainsi que le mien, ne nage pas dans la joie ? N’es-tu pas aussi contente de me voir, que je le suis moi de te posséder, et de te presser contre mon sein ? Viens, mon cœur, viens, que je t’embrasse. Ah ! que de délices je te prépare ! Mettons-nous sur ce canapé ; vois comme il nous invite à prendre nos plaisirs ; il semble me reprocher que je suis en reste avec toi, ainsi… Tu m’entends, tu sais ce que parler veut dire. Auſſi-tôt il se saisit de sa proie, et m’étendant tout de mon long sur le canapé, son premier début fut de lever mes cotillons, ensuite ma chemise ; ensuite il avança pour arriver au but, sa petite broquette. Dieu ! qu’elle était chaude ! Tu ne la mets pas bien, lui dis-je : monte-là un peu plus haut… encore un peu… Bien… t’y voilà. Étienne et moi, nous faisions des efforts incroyables, pour arriver au centre des plaisirs, lorsqu’une furie, jalouse sans doute de notre bonheur, nous surprit dans une posture qui n’était pas des plus décentes. C’était madame la supérieure : elle resta comme pétrifiée, indécise si elle avancerait, ou si elle reculerait. Étienne et moi, nous nous regardions : nous étions confus au superlatif, et nous ressemblions positivement à ces criminels qui ne sont à genoux aux pieds de leurs juges, que pour entendre leurs sentences. Enfin, la scène lubrique dont madame la supérieure venait d’être spectatrice, lui causa une si grande révolution qu’elle s’évanouit. Malheureusement sa tête, en tombant, alla donner contre un prie-dieu qui lui causa la mort. Le petit Étienne profita de cette chute pour décamper ; je le vois courir encore. Pour moi je ne tardai pas à sortir, et à crier au secours. Dans un moment, toute la chambre fut pleine de nones, les essences, les odeurs, les esprits les plus subtils, tout fut mis en usage, mais tout fut inutile. Le coup était mortel, il avait porté sur la tempe.

Un événement aussi imprévu, mit, pendant quelques jours, toute la maison en alarmes. Les unes étaient bien-aises de ces contre-tems ; en mon particulier, j’en fus un peu chagrine ; mais l’idée de revoir bientôt Étienne, et de n’avoir plus devant mes yeux un argus incommode, ne tarda pas à remettre mon âme dans son assiette naturelle.

Pardonne-moi, ma sœur, si j’abandonne le fil de mes galanteries. Je le reprendrai demain ; je suis lasse, voilà plus de trois heures que j’écris. Adieu, ma bonne amie, je suis toute à toi. Ne manques pas sur-tout de me donner des nouvelles du confessionnal, et souviens-toi de ne plus te servir dans tes lettres des expressions respectueuses de vous et de moi. Un pareil langage n’est pas fait pour l’amitié. Adieu encore une fois.

Christine.