Lettres sur le Canada, étude sociale/Deuxième lettre

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À compte d’auteur (1p. 9-22).

DEUXIÈME LETTRE.
6 octobre.

Hier je me promenais silencieusement sur la plateforme de Québec, qui domine les remparts de la ville, et d’où l’on embrasse en un coup d’œil tout le panorama que je vous ai décrit dans ma première lettre. C’est la promenade favorite, le rendez-vous général de toute la population. Parfumée de jardins à sa droite, assise sur les rochers abruptes où paissent les chèvres, dominant le fleuve, inondée de la lumière et du souffle pur de ce ciel serein qui reflète au loin dans l’horizon des teintes blanches et rosées, répercutant parfois comme un écho sonore les bruits confus de la ville qui viennent mourir à ses pieds, quel séjour enchanteur pour la contemplation et la rêverie, et combien l’homme y semble se rapprocher des cieux en voyant comme à ses pieds l’immense nature qui l’environne.

J’étais seul au milieu de la foule ; je regardais tour-à-tour le vaste ciel où quelques pâles étoiles commençaient à percer, les flots brunis du St. Laurent qui venaient se briser en gerbes phosphorescentes sur les flancs des navires ancrés dans le port, la silhouette sombre et tourmentée de la Pointe Lévis, et au loin les vagues sommets des montagnes couchées dans le crépuscule, lorsque j’aperçus venant vers moi une jeune et charmante femme de Québec, Mme d’Estremont, à laquelle j’avais été présenté, peu de jours après mon arrivée.

« Eh bien, M. le Français, me dit-elle, quel effet vous produit notre petite ville au milieu de cette grande nature ? il doit vous paraître étrange, à vous qui êtes familiarisé avec les chefs-d’œuvre de l’art, de voir qu’on se contente tout simplement ici de ce que Dieu a fait.

— Madame, lui répliquai-je, si Dieu était également prodigue partout, je doute fort que l’homme voulût embellir le moindre détail de l’imposante création ; mais Dieu a fait quelque chose de plus beau encore que les grands fleuves, et les hautes montagnes, c’est le génie de l’homme qui enfante et multiplie les prodiges là où la nature semble stérile.

— Oh ! Oh ! de la philosophie, s’écria mon interlocutrice ; je ne savais pas les Français si raisonneurs ; mais je vous assure que je ne puis vous suivre sur ce terrain ; venez donc chez moi, vous y trouverez M. d’Estremont qui sera enchanté de vous avoir, et de vous exposer le genre de philosophie que l’on suit de préférence en Canada. »

Il était sept heures du soir ; nous nous acheminâmes tout en causant vers la rue qui donne sur les remparts de la ville ; et au bout de cinq minutes, j’étais installé dans un salon élégant où M. d’Estremont ne tarda pas à me rejoindre.

« Je me doute fort, dit-il, que votre séjour parmi nous ne sera pas celui d’un simple touriste qui voyage pour son agrément. Vous ne partirez pas sans avoir quelque idée de nos mœurs, de notre politique, de nos intérêts, de l’esprit général de la population. Depuis quarante ans que je vois le jour en Canada, j’ai acquis quelques idées sur toutes ces choses ; me feriez vous l’honneur de désirer de les connaître, et puis-je contribuer un peu dans le profit que vous retirerez de votre voyage ?

— Monsieur, lui répondis-je, je crains bien de n’avoir jamais une aussi belle occasion de profiter abondamment d’un voyage que je dois accomplir à la hâte. Incapable de faire moi-même toutes les observations, mon meilleur guide est dans l’expérience de mes hôtes ; et si j’ai un désir, c’est de multiplier des entretiens, qui, comme le vôtre, promettent d’être si féconds en renseignements. »

Quelques paroles recueillies à droite et à gauche dans diverses conversations m’avaient déjà révélé l’esprit élevé et philosophique de M. d’Estremont. Je résolus d’en faire l’essai, et de voir jusqu’à quel point cet homme qui passait généralement pour être sombre et misantrope, s’ouvrirait devant un étranger dont il n’aurait rien à craindre, et qui paraissait si bien disposé à l’entendre. Je lui demandai donc de vouloir bien m’édifier sans restriction, fût-ce même au prix des choses les plus difficiles à dire, et je lui témoignai toute ma reconnaissance de m’épargner un temps perdu dans des recherches peut-être inutiles.

« Mon ami, reprit-il, vous arrivez ici avec des idées déjà formées sans doute. Veuillez me pardonner ; peut-être même avez-vous le défaut général de tous vos compatriotes qui ne jugent les autres peuples que d’après la France, et ne saisissent pas les différences que des circonstances diverses doivent apporter dans l’esprit de chaque population. Mais ne jetons pas la confusion dans vos idées, cherchons seulement à les développer en les rattachant par la comparaison. »

Je manifestai à mon hôte toute la confiance que j’avais dans la méthode comparative, la plus simple et la plus sûre pour découvrir tous les aspects de la vérité, comme la seule qui puisse véritablement éclairer le jugement.

M. d’Estremont continua ainsi :

« Chaque peuple a des instincts et des mobiles divers. En France, la tendance générale est vers le progrès social, vers une indépendance intellectuelle absolue qui permette à chaque homme de se rendre compte de ses pensées, de ses croyances, et de n’admettre d’autre autorité en fait d’opinions que celle de la vérité péniblement acquise et irréfutablement démontrée. C’est là le fruit du libre examen, dont le but est de parvenir à la vérité, au lieu de vouloir la détruire. Une vérité qui n’a pas été étudiée, controversée, soumise à toutes les investigations, n’est pas digne d’être appelée telle : elle ne peut servir qu’au vulgaire et aux ignorants qui admettent tout sans rien comprendre, et qui n’ont d’autre guide que l’autorité ; tandis que la vérité qui naît de l’examen a le noble privilège de s’imposer même aux esprits les plus sceptiques, et aux intelligences éclairées qui l’avaient d’abord combattue.

« Voyez où conduit le manque d’examen : à admettre comme vraies des choses manifestement fausses, à persévérer dans cette erreur pendant des siècles, comme à propos de la physique d’Aristote et des théories médicales de Galien. De là, tant de préjugés qui s’enracinent dans l’esprit du peuple. L’erreur d’un grand génie croît en prestige avec le temps, et multiplie le nombre de ses dupes. On craint de contester ce qui est établi depuis des siècles ; en outre, des circonstances dangereuses viennent favoriser et maintenir l’esclavage de l’esprit. Dans les temps d’ignorance, l’autorité s’arme contre les penseurs hardis qui, pour faire taire les doutes incessants qui les poursuivent, et qui, ne pouvant se décider à croire parce que les autres croient, osent chercher la vérité en dehors de la parole du maître ; témoin, les craintes continuelles de Copernic, qui ne lui permirent de publier ses œuvres qu’à la fin de sa vie, et l’emprisonnement de Galilée. Les premiers essais de la médecine, au sortir de la barbarie du moyen âge, furent traités de sortilèges, et bon nombre d’hommes qui ne cherchaient que la science furent brûlés comme magiciens ; tant il est vrai que le despotisme redoute la lumière par instinct, de même que l’ignorance la combat par aveuglement.

« Qui ne voit que le défaut d’examen est la négation absolue de toute espèce de progrès, en ce sens qu’il borne fatalement l’esprit humain à un certain nombre de maximes érigées en dogmes, qu’il ne lui permet pas de comprendre, et dont il ne lui permet pas de sortir ; des maximes qui n’ont souvent d’autres bases que des hypothèses, des conventions, et parfois des puérilités qui prennent dans le merveilleux un caractère imposant qui subjugue le vulgaire ? Qui ne voit que c’est le défaut d’examen qui, avant Bacon, a fait peser sur le monde toute la pédanterie encyclopédique de cette prétendue science qui consistait à compiler tous les livres, et à rassembler toutes les erreurs dans de gros volumes, plutôt que d’interroger le livre immense de la nature qui eût dévoilé les véritables lois des choses ?…

— « Mais, Monsieur, fis-je en interrompant M. d’Estremont, et tout étonné de le voir lancé à fond de train dans une argumentation à laquelle j’étais loin de m’attendre, il me semble que vous parlez là de choses admises par tout le monde ; il y a longtemps que le libre examen est reconnu comme l’instrument essentiel du développement de la raison, et du progrès de la science.

— « Reconnu, s’écria-t-il, reconnu partout, oui, reconnu depuis longtemps, oui, mais non encore reconnu ici en Canada, chez nous qui nous appelons les descendants de ce peuple que la science et les lumières, c’est-à-dire le libre examen, ont placé à la tête de tous les autres ; chez nous qui sommes à côté de cette grande république qui a tout osé et tout accompli parce qu’elle était libre ; chez nous qui recevons de toutes parts les vents du progrès, et qui, malgré cela, croupissons dans la plus honteuse ignorance, et la plus servile sujétion à un pouvoir occulte que personne ne peut définir, mais que l’on sent partout, et qui pèse sur toutes les têtes, comme ces despotes de l’Asie qui, sur leur passage, font courber tous les fronts dans la poussière. »

Je demeurais interdit ; tout un monde rempli de mystères surgissait devant moi ; ce pouvoir occulte, que pouvait-il être ? je le demandai comme en tremblant à mon interlocuteur.

— « Ce pouvoir, reprit-il, ce pouvoir qui est pour vous une énigme, est pour nous une épouvantable réalité. Vous le cherchez ; et il est devant vous, il est derrière vous, il est à côté de vous ; il a comme une oreille dans tous les murs, il ne craint pas même d’envahir votre maison… hélas ! souvent nous n’avons même pas le bonheur de nous réfugier dans le sein de notre famille contre la haine et le fanatisme dont il poursuit partout ceux qui, comme moi, veulent penser et agir librement.

« Vous êtes français, continua-t-il en haussant la voix, vous croyez à l’avenir, au progrès, à l’ascendant bienfaisant et lumineux de la raison ; vous croyez à la fraternité des hommes, vous vous dites : « Un jour viendra où tous les peuples s’embrasseront devant le ciel satisfait et devant Dieu qui les bénira ; » vous avez foi dans la science qui prépare ce glorieux avenir, vous voulez détruire les préjugés qui l’arrêtent et le renient, ah ! fuyez, fuyez vite sous le soleil de votre patrie, et n’attendez pas en demeurant avec nous que vous soyiez victime peut-être de ce pouvoir terrible dont je vous parle et que je n’ose vous nommer…

« Voulez-vous que je vous dise encore, reprit tout-à-coup M. d’Estremont, comme emporté par un flot d’idées sombres qui se précipitaient dans sa tête, il n’y a pas un homme, pas un acte, qui soit à l’abri de ce pouvoir. Il tient tout dans sa main, il fait et défait les fortunes politiques ; il force les ministères à l’encenser, et à le reconnaître parfois comme le seul véritable gouvernement dont ils ne sont que les instruments malheureux. C’est lui qui conduit et maîtrise l’opinion ; tous les ressorts de l’état, toutes les forces populaires, il les enchaîne et, les pousse à un seul but, la domination sur l’intelligence asservie ; il a deux merveilleux moyens, l’ignorance des masses, et la peur chez ceux qui pourraient diriger l’opinion, et qui ne font que la suivre honteusement, plus serviles en cela que le peuple qui courbe la tête par aveuglement et par impuissance. Tous les hommes convaincus et libres qui veulent s’élever contre lui, il les brise, et en fait un fantôme d’épouvante pour le peuple crédule et trompé. Et cependant, vous chercheriez en vain de quelles forces il dispose ; il n’a aucune action directe ou apparente, il conduit tout par l’ascendant secret d’une pression morale irrésistible. Voulez-vous savoir où est le siège de cette puissance souveraine ? ouvrez le cœur et le cerveau de tous les canadiens, et vous l’y verrez établie comme un culte, servie comme une divinité.

« Ah ! vous venez voir un peuple jeune, plein de sève et d’avenir ; vous venez contempler la majesté des libertés anglaises chez des colons de l’Amérique ; vous venez admirer le spectacle d’un peuple, jouissant à son berceau de tous les droits et de toutes les franchises de l’esprit que les nations d’Europe n’ont conquis qu’après des siècles de luttes et avec des flots de sang… eh bien ! le plus affreux et le plus impitoyable des despotismes règne sur nous à côté de cette constitution, la plus libre et la plus heureuse que les hommes puissent jamais rêver. C’est lui, c’est ce despotisme qui abaisse toutes les intelligences et déprave tous les cœurs, en les armant sans cesse de préjugés et de fanatisme contre la liberté et la raison. C’est lui qui est cause qu’aucune conviction libre et honnête ne puisse se déclarer ouvertement, et que tant d’hommes politiques, par la crainte qu’il leur inspire, luttent entre eux de duplicité et de servilisme, préférant dominer avec lui en trompant le peuple, que de se dévouer sans lui en l’éclairant.

« Ah ! vous frémiriez, vous, français, si je vous disais que le nom de la France, si cher au peuple canadien, que cette nationalité pour laquelle il combat depuis un siècle, et qu’il a payée parfois du prix des échafauds, ne sont, entre les mains de ce pouvoir et des politiciens qu’il façonne à son gré, qu’un moyen d’intrigues et de basses convoitises. Vous frémiriez d’apprendre que ce mot de nationalité, qui renferme toute l’existence d’une race d’hommes, n’est pour eux qu’un hochet ridicule avec lequel on amuse le peuple pour le mieux tromper.

« Ainsi, c’est ce que le peuple a de plus glorieux et de plus cher que l’on prend pour le pervertir ; ce sont ses plus beaux sentiments que l’on dénature, que l’on arme contre lui-même ; on l’abaisse avec ce qu’il a de plus élevé, on le dégrade avec ce qu’il y a de plus noble dans ses souvenirs. Vous voulez conserver la nationalité ? eh bien ! rendez-la digne de l’être. Vous voulez continuer d’être français ? eh bien ! élevez-vous par l’éducation, par l’indépendance de l’esprit, par l’amour du progrès, au niveau de la race anglaise qui vous enveloppe de tous côtés ; enseignez aux enfants l’indépendance du caractère, et non la soumission aveugle, faites des hommes qui sachent porter haut et ferme le nom et la gloire de la France, faites des hommes, vous dis-je, et ne faites pas des mannequins.

« Mais il va y avoir une réaction… et cela peut-être avant longtemps, continua M. d’Estremont avec un accent d’une énergie croissante, et comme si son regard perçait de sombres profondeurs de l’avenir, il y aura une réaction terrible. On ne peut pas éternellement avilir un peuple ; et la conscience humaine chargée d’infamies les vomira avec horreur. Le despotisme clérical se tuera par ses propres abus, de même qu’autrefois, pour inspirer aux enfants des Spartiates l’horreur des orgies, on leur faisait voir des esclaves ivres de vin. »

Le mot de cet énigme redoutable était donc enfin lâché. Je compris tout, et je pensai à la France de Charles IX, de Louis XIV, à l’Espagne de Philippe V, au Mexique de nos jours, à la pauvre Irlande, à toute cette chaîne lugubre de calamités humaines enfantées par l’ignorance et le fanatisme.

M. d’Estremont était devenu tout-à-coup sombre et rêveur. Il se promenait à grands pas, la tête baissée, parfois faisant un geste d’impatience ou de dédain, parfois relevant la tête comme avec un noble orgueil de ce qu’il venait de dire. Puis soudain, par un de ces mouvements brusques de sa nature impétueuse, s’approchant vivement de moi :

— « Monsieur, me dit-il, moi qui vous parle, je suis profondément chrétien ; et c’est parce que je suis chrétien que je veux que la conscience des hommes soit respectée. Toutes ces choses que j’ose à peine vous dire chez moi, à vous qui êtes étranger, bientôt peut-être on les dira en face de tout le peuple. Oh ! il y aura des hommes ici comme ailleurs qui se feront les martyrs de leurs convictions, et qui se voueront à la haine publique pour sauver leur patrie ! Je ne vivrai peut-être pas pour voir le fruit de ce glorieux dévouement ; mais du moins, je veux être un de ceux qui l’auront préparé ; je veux que ma vie entière soit un holocauste au triomphe de l’avenir ! »

Comment peindre ce que j’éprouvai ? Je regardais cette imposante figure de M. d’Estremont, illuminée par l’enthousiasme, et qui semblait déjà revêtir les splendeurs du martyr politique. Puis, je reportais ma pensée sur le peuple canadien, cet autre martyr si longtemps immolé aux intrigues ambitieuses de ses guides.

Mais tout-à-coup une idée vint frapper mon cerveau : n’y avait-il rien d’exagéré dans ce sombre tableau d’abjections et de prostitution intellectuelle ? La parole ardente de M. d’Estremont, depuis longtemps comprimée, ne l’avait-elle pas emporté au delà de sa pensée elle-même ? Était-il possible qu’il y eût tant d’aveuglement chez un peuple entier, jouissant d’une constitution libre ? Pouvais-je admettre à priori, sans autre témoignage que le dégoût d’un homme intelligent, mais peut-être aveuglé, que le secret de tant de maux fût tout entier dans le despotisme exercé sur les consciences ? N’y avait-il pas d’autres causes ? des circonstances politiques ou étrangères n’avaient-elles pas influé sur l’esprit et sur la condition sociale du peuple ? Je commençais à douter, mais je ne voulais pas que le doute restât dans mon esprit, à moi qui étais venu chercher la lumière. Je savais du reste que mon hôte, s’il pouvait se laisser entraîner par la passion, céderait du moins toujours au plaisir de dire la vérité et de se réfuter lui-même, pour rendre hommage à la raison. Je m’adressai à lui sans hésiter ; je lui exposai mes doutes, en l’assurant d’avance que j’ajouterais foi à tout ce qu’il m’apprendrait de plus, quand il devrait corroborer ce qu’il venait de dire.

Il me serra la main avec effusion, et continua ainsi : « Je vous remercie de votre confiance. Vous avez raison du reste d’en appeler à mon honnêteté contre les entraînements de mon caractère. Que je suis heureux de trouver quelqu’un qui me comprenne ! Je vous ai ouvert mon cœur ; il est temps que je vous parle le langage de l’histoire et de l’inflexible impartialité.

« Vous ne devez pas croire, reprit-il, après quelques instants de recueillement, que cet état de choses que je vous révélais tout-à-l’heure aît toujours duré. Oh non ! il y a eu aussi dans notre histoire une époque grande et mémorable, un temps d’héroisme où les hommes qui guidaient le peuple étaient de vrais patriotes, de sincères et éloquents amis de toutes les libertés humaines. La corruption ne s’était pas encore glissée dans notre sein ; et le clergé, confondu avec les vaincus dans la conquête, était assez porté à les défendre. Alors, les mots de nationalité et de religion étaient prononcés avec respect ; c’étaient de puissants leviers pour soulever le peuple contre ses oppresseurs ; on rappelait nos ancêtres, et l’on poussait la jeunesse aux vertus mâles et patriotiques, à la défense de ses droits. Si l’ignorance et la superstition régnaient, du moins on ne les employait pas à un but odieux, à l’asservissement général de la population. On n’avait pas encore appris à corrompre les plus purs instincts du peuple et à flétrir toutes les gloires nationales. Il y avait entre les colons et leurs chefs sympathie d’idées, d’aspirations, d’espérances ; ils étaient unis pour la poursuite du même but, ils souffraient des mêmes persécutions, et se réjouissaient ensemble des rares triomphes qu’obtenaient les libertés populaires. C’était une grande famille dont le clergé était l’âme, les hommes politiques l’instrument, et le peuple l’appui. Aujourd’hui, le clergé, les hommes d’état, et le peuple sont séparés ; le premier veut dominer tous les autres, ceux-là le servent par ambition, et celui-ci, privé de ses guides désintéressés, se laisse aller au courant sans savoir où il le conduira.

« Ce fut un jour malheureux où le clergé se sépara des citoyens ; il avait une belle mission à remplir, il la rejeta ; il pouvait éclairer les hommes, il préféra les obscurcir ; il pouvait montrer par le progrès la route à l’indépendance, il aima mieux sacrifier aux idoles de la terre, et immoler le peuple à l’appui que lui donnerait la politique des conquérants. Il y a à peu près un demi siècle, l’évêque Plessis demandait uniquement à la métropole qu’on voulût bien garantir le maintien de la foi catholique en Canada. Dès qu’il l’eût obtenu, et que l’Angleterre vit tous les moyens qu’elle pourrait tirer pour sa domination du prestige que le clergé exerçait sur les masses, le Canada fut perdu. Les prêtres ne demandaient qu’une chose, la religion catholique, et ils abandonnaient tout le reste. Dès lors, ils se joignirent à nos conquérants et poursuivirent de concert avec eux la même œuvre. Ils intervinrent dans la politique, et crurent bien faire en y apportant les maximes de la théocratie ; ils n’y virent qu’une chose, l’obéissance passive ; ils n’y recommandèrent qu’une vertu, la loyauté absolue envers l’autorité, c’est-à-dire, envers la nation qui nous persécutait depuis 50 ans. Ils abjurèrent toute aspiration nationale, et ne se vouèrent plus qu’à un seul but auquel ils firent travailler le peuple, la consolidation et l’empire de leur ordre.

« Tout ce qui pouvait indiquer un symptôme d’indépendance, un soupçon de libéralisme, leur devint dès lors antipathique et odieux ; et plus tard, au nom de cette sujétion honteuse qu’ils recommandaient comme un devoir, ils anathémathisaient les patriotes de « 37, » pendant que nos tyrans les immolaient sur les échafauds.

« En tout temps, ils se sont chargés de l’éducation, et l’ont dirigée vers ce seul but, le maintien de leur puissance, c’est-à-dire, l’éternelle domination de l’Angleterre.

« En voulez-vous des preuves ? ils n’admettent dans l’enseignement que des livres prescrits par eux, recommandés par leur ordre, c’est-à-dire qu’ils n’enseignent à la jeunesse rien en dehors d’un certain ordre d’idées impropre au développement de l’esprit. Tous les divers aspects des choses sont mis de côté ; l’examen approfondi, les indépendantes recherches de la raison qui veut s’éclairer sont condamnés sévèrement. On ne vous rendra pas compte des questions, on vous dira de penser de telle manière, parce que tel auteur aura parlé de cette manière ; il ne faut pas voir si cet auteur a dit vrai, il faut avant tout que l’esprit obéisse et croie aveuglément. On ne s’occupe pas de savoir si la vérité est en dehors de ce qu’on enseigne ; à quoi servirait la vérité qui renverserait tout cet échafaudage dogmatique d’oppression intellectuelle ? Il faut la détruire, et pour cela on s’armera des armes de la théocratie ; on la déclarera hérétique, impie, absurde. Si l’évidence proteste, la théocratie protestera contre l’évidence. Pas un philosophe, pas un historien, pas un savant qui ne soit condamné s’il cherche dans les événements d’autres lois que celles de la religion, s’il interroge toutes les sources pour découvrir les véritables causes, et s’il explique les révolutions et les progrès de l’esprit par d’autres raisons que l’impiété. Si la pensée s’exerçait, évidemment elle trouverait des aspects nouveaux, elle ferait des comparaisons, elle rattacherait toutes les parties de chaque sujet ; et de l’ensemble de ses recherches naîtrait la vérité : il faut lui dire que tout ce qu’elle découvrira est mensonge, iniquité, blasphème ; il faut lui dire que la raison ne peut mener qu’à l’erreur, et que la science ne peut exister sans la foi. Et la jeunesse, formée dès longtemps à la sainteté de la religion, apportant ses maximes dans tout ce qui existe, repoussera comme une tentative impie toute recherche de la vérité qui ne sera pas appuyée sur elle.

« Et c’est ainsi qu’en ne montrant qu’un seul côté des choses, on parvient à rétrécir et à fausser l’intelligence. Ce qu’on veut, c’est fonder un système qui enveloppe l’esprit dans des maximes infranchissables, et qui ne serve qu’à un but, son propre maintien : de cette manière on gouvernera la société, et l’on fera des élèves autant d’instruments dévoués à sa cause. Qu’importe que ce système soit faux et absurde ? « Ne sommes-nous pas les ministres de la religion ? n’avons-nous pas la direction absolue de l’esprit ? pouvons-nous nous tromper, nous qui parlons au nom de la vérité éternelle ? ce système n’est-il pas le nôtre ? devons-nous permettre qu’on l’examine, et l’esprit affranchi serait-il aussi propre à l’obéissance ? »

« Ah ! vous voulez garder l’empire de l’intelligence ; vous voulez être les seuls dépositaires de l’éducation ; voyons votre œuvre. Vous voulez enseigner, et toutes les grandes œuvres de l’intelligence, vous les répudiez, vous les flétrissez, vous leur dites anathème. Vous voulez former des citoyens ! et quel est l’homme, possédant quelques idées vraies de société, d’état, de liberté politique, qui ne les aît pas cherchées en dehors des idées et des études que vous lui imposiez ? Et cependant, tous les grands noms, vous les avez sans cesse dans la bouche : religion, vertu, nationalité.

« La religion ! vous en faites un moyen, vous l’abaissez dans les intrigues de secte. La vertu ! vous la mettez uniquement dans l’asservissement à votre volonté. Osez nier ceci ; je suis, moi, un homme honnête, consciencieux, probe ; je crois à Dieu et aux sublimes vérités du christianisme ; mais je ne veux pas de votre usurpation de ma conscience, je veux croire au Christ, et non à vous ; je veux chercher la vérité que Dieu lui-même a déclaré difficile à trouver ; mais je ne veux pas que vous, vous l’ayiez trouvée tout seuls sans la chercher, et que vous m’imposiez vos erreurs au nom d’une religion que vous ne comprenez pas : n’est-il pas vrai que vous me déclarez impie ?

« Vous voulez former des citoyens, et vous gouvernerez la politique avec les idées du cloître ! vous interviendrez dans l’état pour troubler tout ce qui en fait l’harmonie et les bases ! Non, non ; votre système d’éducation et votre système de religion ne feront jamais que des théologiens ignorants et despotiques. Renoncez à faire des citoyens, vous qui ne savez pas la différence entre la politique et la théocratie.

« Et la nationalité ! comment la servez-vous ? N’avez-vous pas dit toujours qu’elle ne pourrait se maintenir sans vous ? et n’est-ce pas ainsi que vous avez toujours gouverné le peuple à qui sa nationalité est si chère ? Je suis, moi, un patriote dévoué ; j’ai pour la France le culte qu’inspire le respect pour la science et les lumières ; je crois à l’épanchement graduel de la langue et des idées françaises par tout le globe : mais je veux, pour maintenir la nationalité française en Canada, autre chose qu’un troupeau d’hommes asservis ; je veux l’élever pour assurer son triomphe ; je veux éclairer mes compatriotes, pour qu’ils puissent la défendre par tous les moyens ; je veux des hommes au cœur libre et fier qui comprennent ce que c’est que d’être français ; n’est-il pas vrai que vous me déclarez ennemi de la patrie, démagogue, révolutionnaire ?

« Votre éducation est française, soit ; mais les hommes que vous faites, que sont-ils ? qu’est que c’est que les mots et qu’importe le langage qu’on parle à l’esclave, pourvu qu’on soit obéi ? Votre éducation est française ! et qu’enseignez-vous de la France, notre mère ? vous enseignez à la maudire : vous enseignez à maudire les grands hommes qui l’ont affranchie, la grande révolution qui l’a placée à la tête du progrès social. Votre éducation est française ! et vous enseignez l’intolérance et le fanatisme, pendant que la France enseigne la liberté de la pensée et le respect des convictions. Quoi ! suffit-il donc, pour que vous donniez une éducation française, de n’en employer que les mots et d’en rejeter toutes les idées ! Vain simulacre, attrait trompeur qui séduit le peuple et donne des forces à tous les misérables politiciens qui exploitent sa crédulité !

« Au lieu de l’amour et de la fraternité, vertus du christianisme, venez entendre prêcher du haut des chaires le fanatisme, la malédiction, et la haine contre tout ce qui n’est pas propre à asservir l’intelligence, et contre tout ce qui veut affranchir le christianisme de l’exploitation d’un ordre ambitieux. Venez voir comme on endoctrine la jeunesse au moyen de pratiques étroites et tyranniques : voyez toutes ces institutions, toutes ces associations, vaste fil invisible avec lequel on lie toutes les consciences, vaste réseau organisé pour tenir dans ses mains la pensée et la volonté de tous les hommes. Le clergé est partout, il préside tout, et l’on ne peut penser et vouloir que ce qu’il permettra. Il y a une institution libre et généreuse qu’il a voulu dominer de la même manière ; et quand il a vu qu’elle ne voulait pas se laisser dominer, il l’a maudite. Tant il est vrai que ce n’est pas le triomphe de la religion qu’il cherche, mais celui de sa domination.

« Je vous disais tantôt que souvent les penseurs libres ne pouvaient trouver de refuge dans le sein même de leurs familles : en voici la preuve. Les jésuites qui sont devenus les véritables maîtres des familles ont rempli les villes d’institutions qui sont comme autant de succursales de leur ordre, qui étendent leur influence, et la ramifient dans toutes les parties de la société. « Plus nous multiplierons les pratiques religieuses, disent-ils, plus nous paraîtrons servir la religion. La religion étant une chose éternellement sainte, et rien ne servant à l’homme s’il vient à perdre son âme, il est évident que nous ne devons pas laisser à l’esprit le temps de penser à autre chose ; il faut accaparer toutes ses facultés, et posséder le cœur de la jeunesse pour sauver son âme, qui, sans nous, irait à la damnation éternelle. Comme un bon chrétien doit penser sans cesse à son salut, il n’y aura jamais trop de confréries pour lui rappeler ce grand objet. Plus on suivra les pratiques religieuses, plus on s’attachera à nous qui les dirigeons ; et plus on s’attachera à nous, plus nous pourrons fonder de confréries. Les cœurs les plus faciles à manier sont ceux des femmes ; avec elles, nous entrons de plain-pied dans la société, nous pénétrons dans les familles ; avec elles pour appui, nous gouvernons ces familles, et ce sera là le premier et le plus grand pas fait pour parvenir à gouverner l’état. Faisons donc des confréries, répandons-les indéfiniment, attirons-y toutes les jeunes filles ; sachons les captiver surtout par la douceur des moyens et le charme des manières, de sorte que de tout le clergé elles n’aiment et ne veulent entendre que nous. Avec l’empire des femmes, nous aurons vite celui des hommes qui n’est que l’empire des premières, et ainsi nous aurons sauvé la religion. Mais avant tout, ayons l’air constamment humbles, modestes, tenons les mains jointes, les yeux sans cesse tournés vers le ciel, et comme ne faisant tout que pour la plus grande gloire de Dieu. L’apparence de la religion séduit bien plus le vulgaire que la religion elle-même ; mettons donc à profit tous les instincts grossiers du vulgaire. »

« Croyez-vous qu’ils se soient arrêtés là ? Pourrait-on posséder le cœur de la société sans en posséder en même temps la vie, le nerf, la force ? Non.

« À côté des confréries, ils ont donc fondé d’autres institutions, et celles-là, ce sont pour les jeunes gens. Là, ils font une propagande acharnée, impitoyable ; ils parlent à des hommes, il faut bien avoir d’autres moyens ; il faut se démasquer un peu, et proclamer avec frénésie la nécessité absolue de détruire la raison humaine, ce monstre abominable que Dieu n’a mis en nous que pour nous égarer. « Mais d’abord, disent-ils, faisons voir à la jeunesse tout ce qu’elle peut gagner à nous servir, fortune politique, bonheur de la famille, considération ; intéressons-la par ambition et par intérêt à propager notre influence. Qu’importe qu’elle soit sincère ou non, pourvu qu’elle nous serve ? avons-nous besoin qu’elle le soit plus que nous ? Qui donc peut sonder les secrets infinis de la Providence ? et ne se sert-elle pas souvent d’instruments misérables pour arriver à des fins glorieuses ? » — Et pour aider la Providence, ils répandent partout à grands traits le fanatisme, l’intolérance, l’acharnement sectaire. Ici, ils ne se cachent plus, en avant ! tenant les femmes par le cœur, les hommes par l’ambition, ils osent tout, ils écrivent tout. Voyez leurs maximes, voyez leur polémique, et reculez d’épouvante.

« je connais tel Jésuite à Montréal qui passe son temps à courir les bureaux, les familles, etc., pour recruter des jeunes gens et les enfouir dans l’Union Catholique. Ah ! vous ne connaissez pas cette institution ! c’est l’antichambre du paradis. « Heureux les simples d’esprit, » a dit l’Écriture. Eh bien ! dites moi, où, quand, chez quel peuple, avez-vous jamais vu une propagande aussi acharnée ? croyez-vous que nous n’allons pas devenir tous jésuites, ou congréganistes, ou enfants du sacré-cœur ? pourquoi pas ? ne serions-nous pas plus religieux, et la société ne doit-elle pas être gouvernée par des hommes religieux ? Voilà ! et c’est avec une jeunesse de cette étoffe qu’il faut préparer tout un peuple à l’émancipation et au progrès qui est la liberté de l’esprit. Et voyez-vous ce qui arrive ? si après tout cela, moi, père de famille, je veux penser et agir librement chez moi, on me fera autant d’ennemis de tous ceux qui m’entourent. Combien d’hommes je connais qui ne pratiquent un semblant de religion que pour ne pas être en guerre continuelle avec leurs femmes, leurs enfants et leurs amis !

« Il y a des hommes qui se révoltent contre ce despotisme inquisitorial, qui voudraient à tout prix le voir anéanti ; mais ils n’osent pas, ils craignent d’attaquer cet ordre puissant qui manie à son gré la société. Puis, l’ambition vient se joindre à la faiblesse. Ils veulent parvenir, ils veulent être élus ; et ils ne seront pas élus à moins que le clergé, qui n’est pourtant pas une puissance politique, ne les favorise. Ils voient l’opinion publique se corrompre de plus en plus, et au lieu de la diriger, ils préfèrent la suivre, préconiser même le régime de l’impuissance et de l’abaissement intellectuel, égoïstes et dociles instruments d’un pouvoir qu’ils abhorrent !

« Mais l’avenir, Messieurs, l’avenir, vous n’y songez donc pas ! Vous comptez donc sans le réveil de la pensée qui sera d’autant plus terrible qu’elle aura été plus longtemps asservie ! Vous vous dites « cela durera bien autant que nous ; » et vous ne songez pas que c’est à vos enfants que vous préparez cet avenir que tout leur patriotisme sera peut-être impuissant à conjurer ! »

Ici, M. d’Estremont s’arrêta ; il était comme épuisé par le soulèvement de ses pensées : il tomba dans son fauteuil, la tête dans ses deux mains, et je crus entendre des sanglots. « Âme généreuse, pensai-je en moi-même, et demain peut-être victime de ton dévouement ! Tu verras s’entasser sur ta tête tous les orages des préjugés ; tu entendras mugir le fanatisme et la haine populaires ; tu ne pourras trouver nulle part dans ta patrie un asile contre la calomnie et la méchanceté. Mais rappelle-toi que la liberté de tous les peuples a toujours été le prix du sacrifice, et que le progrès ne marche qu’à travers les immolations qu’il fait sans cesse au bonheur de l’humanité. Rappelle-toi que la gloire n’est pas dans l’ambition, mais dans le dévouement, et que ce qui grandit l’homme, c’est encore moins l’esprit que le cœur. Que te font donc les déchaînements de l’ignorance et des passions fanatiques, quand les esprits libres de toutes les parties du monde s’élèvent pour applaudir au tien, et bénir ton sacrifice ? Allons, courage ! à toi l’avenir, à tes ennemis, le présent : lequel des deux devra le plus longtemps durer ? À toi la liberté offre une couronne ; à eux le mépris de tous les hommes garde un châtiment éternel. »

Je ne sais jusqu’où mes pensées m’auraient entraîné. Je ne songeais plus à l’heure, ou plutôt le temps semblait fuir dans mon imagination en ouvrant devant moi les immenses perspectives de l’avenir. Un silence morne régnait maintenant dans cette chambre où venaient de retentir tant d’éloquentes paroles, et où j’avais entendu un homme guidé seulement par sa foi à l’avenir, sans autre appui que sa conviction, faire le vœu solennel de vouer sa vie entière à l’affranchissement moral de sa patrie.

Nous demeurâmes tous deux, M. D’Estremont et moi, sous l’empire d’un recueillement profond où toutes les idées surexcitées à la fois se succédaient dans notre tête avec une rapidité vertigineuse. Nous songions, lui, à l’avenir sans doute, moi aux paroles que je venais d’entendre.

Enfin, je dus rompre un silence obstiné qui durait déjà depuis quelque temps, sans que nous nous en fussions aperçus, et m’approchant de M. d’Estremont :

— « Monsieur, lui dis-je, je ne saurais vous témoigner assez l’estime profonde que je ressens pour votre caractère, ni vous faire entendre tous les souhaits que je forme en mon cœur pour votre généreuse entreprise. Je puis du moins vous rendre grâces de la confiance que vous m’avez témoignée, et vous prier de croire qu’elle m’honore autant qu’elle m’éclaire sur toutes les choses que je désirais connaître. Je vous quitte en emportant avec moi le souvenir d’un des plus heureux moments de ma vie : j’ai vu bien des choses héroïques, mais je n’avais pas encore eu le bonheur de contempler l’âme et les traits de la vertu politique s’immolant au devoir par amour des hommes et de la vérité. »

Pour toute réponse, M. D’Estremont me tendit sa main que je serrai avec une effusion toute nouvelle pour moi, et nous nous quittâmes, le cœur rempli sans doute des mêmes pensées, et des mêmes espérances pour le peuple dont je venais d’apprendre à pleurer les malheurs.