Leçons de gymnastique utilitaire/Chapitre IX

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Librairie Payot & Cie (p. 20-22).

À POINGS NUS

La boxe est un sport de tous les âges. Par là, il se classe au premier rang en pédagogie sportive.

On me demandera tout de suite de quelle boxe je veux parler : l’anglaise ou la française ? Les personnes les moins expertes savent pourtant que la première se borne au coup de poing et que la seconde admet le coup de pied. Nous y fûmes jadis assez habiles. Pendant l’expédition du Mexique, nos soldats se servaient de la boxe française qu’on appelait alors « savate » pour se préserver du couteau des Mexicains, très forts à ce jeu. Ces derniers, avertis, regardaient à provoquer des rixes. « C’est un Français, il rue », disaient-ils entre eux. Eh bien ! il est bon d’apprendre à ruer et le souvenir que je viens d’évoquer témoigne que la ruade humaine n’est point inoffensive. Mais comme, à la différence de notre ami le cheval, nous n’avons que deux jambes, elle nous déséquilibre passablement. De là la nécessité de n’en user que modérément. Tant que l’adversaire est à distance suffisante et peut y être maintenu, la boxe française comporte des arguments fort intéressants à employer mais quand l’intervalle a diminué de façon à permettre le coup de poing, ne comptez plus que sur la boxe anglaise. Et lorsque le combat dégénère en corps à corps, acceptez franchement la lutte en appelant même à votre aide les beautés du jiu-jitsu.

Telle est la gradation de ce que j’appellerai « l’escrime sans armes ». Il y aurait là matière à une éducation d’ensemble très complète à laquelle s’oppose malheureusement l’action des spécialistes qui ont intérêt à enseigner séparément ces arts divers et à maintenir entre eux d’inutiles cloisons.

En boxe française, réservant le coup de pied de flanc et le coup de pied bas comme une sorte d’exercice d’assouplissement, je recommanderai surtout la pratique des chassés et du coup de pied de pointe, ainsi que de la prise de jambe. Cette gymnastique convient admirablement à un jeune garçon. Rien ne lui donnera plus d’aisance, d’assiette et de souplesse. Elle convient aussi à l’adulte chez qui elle entretiendra ces mêmes qualités. La boxe française est l’ennemie du rhumatisme. Combien de cures thermales lui sont inférieures !

La valeur de la boxe anglaise est plus généralisée encore. On peut l’enseigner aux tout petits et aussi aux jeunes filles. Je parle de la leçon, bien entendu et non de l’assaut ; mais voilà précisément une des merveilleuses particularités de ce sport que la leçon y est presque aussi intéressante que l’assaut.

Ce qui doit dominer l’enseignement en boxe anglaise, c’est l’offensive ; la défensive s’apprend par expérience : un enseignement basé sur la défensive est mauvais. La parade, d’ailleurs, est, le plus souvent, une imprudence pour le débutant qui, porté déjà à l’esquisser par instinct, la dessine tout de suite beaucoup trop et se découvre complètement. À la parade, il faut substituer l’esquive ; à la riposte, le coup d’arrêt. Les mouvements ont ainsi le double avantage d’une vitesse extrême et d’une réelle rudesse, éléments indispensables d’une leçon salutaire.

On n’a pas toujours un maître ou un prévôt à sa disposition, non plus qu’un adversaire de force à peu près équivalente. Ne peut-on travailler seul ?… Seul, il y a une chose à ne pas faire et une à faire. La chose à ne pas faire, c’est le travail dans le vide. Non seulement tout coup de poing (passe encore pour le coup de pied) donné dans le vide ne vous fait pas progresser, mais il vous fait reculer ; en force, en hardiesse, en direction, il vous donne de mauvaises habitudes. La chose à faire, c’est de taper à bonne distance sur un mur convenablement feutré. À moins d’être déjà bon boxeur, le punching ball n’est pas recommandable et, en tous cas, il ne supplée pas le mur sur lequel les poings s’endurcissent vite et bien.

Tout combat véritable et dépourvu de conventionnalité a chance de dégénérer en corps à corps ; c’est alors la lutte. Je n’hésite pas à le dire, la « lutte utilitaire » n’est pas au point. Qu’il s’agisse du style « libre » ou du style « gréco-romain », on est toujours en plein dans l’artificiel. La série logique et préalable des attaques et des défenses n’a pas été prévue parce que, d’une part, l’assaut s’achemine vers une terminaison fictive, celle des deux épaules touchant terre et que, de l’autre, on a voulu éviter les prises et les clefs dangereuses. C’est précisément là ce qui fait l’intérêt du jiu-jitsu et en même temps l’empêche de se propager : l’assaut au jiu-jitsu est dangereux.

En attendant qu’une mise au point nécessaire nous ait donné le code de la véritable lutte utilitaire servant de couronnement à la science et à la préparation du boxeur, il convient que chacun profite des occasions favorables pour s’instruire dans les passes principales de la lutte telle qu’on l’enseigne de nos jours et qu’il se rende familières quelques-unes de ces « japoneries » qui n’étaient pas inconnues de l’hémisphère occidental, mais que les Asiatiques ont su porter par la perfection du détail à un haut degré d’efficacité.