Liberté de prêcher Jésus

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Liberté de prêcher Jésus, possédée par tout chrétien
Perrin (p. 1-34).

LIBERTÉ

de

PRÊCHER JÉSUS,

possédée

PAR TOUT CHRÉTIEN.
Séparateur

Ceux qui furent dispersés allaient çà et là, prêchant la parole de Dieu.Act. VIII, 4.

Que la parole du Seigneur coure (2 Thess. III, 1) pour que Dieu soit glorifié, est une de ces choses dont personne ne niera la nécessité : et pourtant elle est aussi une de celles que la perversité de l’homme a cherché à entraver ; cela surtout en renfermant la prédication de l’Évangile éternel dans des limites que ne sanctionne nullement la Bible, et en l’affectant à certains lieux ou à certaines personnes. Une âme simple qui considère toutes choses à la lueur de l’amour divin, qui voit le monde plongé dans la mal et sous la condamnation, pourra-t-elle néanmoins, puisque Dicu visite le monde en grâce, Act. XVII, 30, s’imaginer qu’il faille plus qu’un don de parole et de connaissance pour déclarer, à ceux que l’on voit périssant devant soi, le remède préparé de Dieu pour la misère de l’homme, Jésus mort pour des pécheurs ? Non ; l’homme peut exiger davantage, s’il veut ; mais la simple question pour le disciple sera : Dieu l’a-t-il ainsi voulu ? — Qui a le droit, en effet, de fermer la bouche à celui auquel Dieu l’a ouverte par le St-Esprit ? Si la capacité de prêcher existe, ce serait en vérité non-seulement dommage d’en arrêter l’exercice, mais encore, et nécessairement, éteindre et contrister l’Esprit du Seigneur. Cette fidélité à Christ, qui respecte jusqu’à un seul iota et un seul trait de lettre de sa volonté, ne peut pas nous faire mettre les moindres obstacles à notre obéissance et à celle d’autrui. La question de la liberté pour tout Chrétien de prêcher et d’annoncer la parole, est donc d’une importance majeure, car il est évident que si les restrictions que l’on veut mettre à cette liberté sont contre les intentions du Seigneur et de son Esprit, elles ne peuvent aboutir qu’à ceci : 1° perte de consolation et d’édification pour l’Église par la concentration, dans un seul individu, d’un ministère qui devrait, d’après la marche de l’Esprit de Dieu, être partagé entre plusieurs ; 2° emprisonnement, par ce monopole, de l’Évangile destiné à être prêché à toute créature qui est sous le ciel : des multitudes sont éloignées des sources de la vie, faute d’être invitées par ceux-là mêmes qui s’y sont abreuvés.

Les adversaires d’une prédication de Jésus faite librement par les fidèles, les partisans de ce qu’on appelle la consécration ou l’imposition des mains, devraient, avant tout, démontrer deux choses : ou bien que cette cérémonie confère l’Esprit de témoignage ; ou bien que cet Esprit, bien que communiqué à l’individu, a encore besoin de la sanction de l’homme, pour agir dans un homme et évangéliser par sa bouche. — Nous ne pousserons pas fort avant nos investigations dans les questions générales qui se rapportent à ce sujet ; mais nous nous enquerrons simplement si tout Chrétien a, oui ou non, le droit d’annoncer la parole de Dieu quand il en a les occasions publiques ou privées, et s’il est nécessaire qu’il soit officiellement autorisé par les hommes à exercer ce ministère ; et, Dieu aidant, nous espérons prouver que l’Écriture établit ce droit, et ne sanctionne d’aucune manière ce qui tendrait à le détruire ou à nécessiter l’intervention de l’homme pour l’exercer. — Nous ne voulons point par là établir en principe ce que nous rejetons d’avance (et nous prions le lecteur de prendre acte de ce rejet) : c’est que chaque fidèle ait le don ou la capacité requise pour être ministre ou administrateur de la parole, mais si un fidèle n’est pas autorisé à s’ingérer dans le ministère public ou privé de la parole, quand il est laïque, ou sans être consacré, comme l’on dit vulgairement[1]. — Nous croyons aussi devoir avertir que nous ne sommes point ennemis de l’ordre, quand il n’est pas établi selon l’homme ; et moins encore de l’office de pasteur, que, convenablement exercé, nous regardons comme une des portions les plus douces et les plus honorables du service de Dieu. Mais nous nous proposons de renverser, par l’Écriture, ce faux principe : qu’on ne peut pas être ministre de la parole de Dieu dans un diplôme de consécration accordé par d’autres ministres également consacrés, ou telle autre licence analogue. D’après la Bible, nous admettons le principe contraire : nous y voyons des Chrétiens évangélisant, ou parlant dans les assemblées, sans imposition de mains ; nous les y voyons justifiés d’agir ainsi, par la bénédiction de Dieu reposant sur leur œuvre ; même nous y voyons tous ceux qui ont le don, de prêcher ou de parler, être obligés[2] d’exercer ce don-là. Nous disons ceux qui ont le don ; car c’est là le point de la question, qui ne roule point sur la compétence de chaque membre, à annoncer la parole, mais sur le droit qu’ils ont d’agir si cette compétence existe. — Et à Dieu ne plaise non plus que nous condamnions la mise, à part de quelques frères pour une charge particulière à laquelle ils sont propres, pourvu que cela se fasse selon Dieu, et par des personnes qui ont reçu l’autorité nécessaire pour cela !

Abordons maintenant cette question, l’Écriture à la main. Deux cas peuvent se présenter : ce sera un frère qui parlera au milieu de l’Église ou de l’assemblée des fidèles, pour leur bien et pour leur édification ; ou bien un autre frère qui, hors de l’Église, évangélisera le monde là où Dieu dirige ses pas, et rendra témoignage à cette grâce qui est apparue à tous les hommes. Tous les cas rentrent dans ces deux-ci, que l’exercice du ministère soit occasionnel ou régulier. Reste à voir si, dans l’un et l’autre, l’on est fondé à dire que ces frères, que nous supposons non consacrés, ont agi contre l’ordre établi de Dieu.

Or, quant à l’exercice du don de parole dans l’Église, nous remarquerons que toutes les directions données 1 Corinth. XIV, renversent absolument l’idée de la nécessité d’une consécration. Il y a bien ici une ligne de démarcation tracée, mais non pas entre des consacrés et des non consacrés ; ou, comme l’on dirait dans le monde, entre le clergé et les laïques. Que vos femmes se taisent dans les Églises : voilà une direction fort inutile devant le principe que nous combattons ; mais elle nous montre bien clairement qu’il n’était défendu à aucun homme de parler sans en avoir au préalable reçu l’autorisation de l’Église : les femmes seules sont l’objet de cette défense. Si les hommes n’avaient pas un don pour cela, ou bien que, parlant une langue, ils n’eussent point d’interprète, naturellement ils devaient se taire comme les femmes. Observons les autres directions de l’Apôtre : Que si quelqu’un, dit-il, a un psaume, ou une doctrine, ou une langue, ou une révélation, ou une interprétation…, faudra-t-il qu’il garde le silence, parce qu’on ne lui a pas conféré l’autorité de prêcher ? non ; que toutes choses se fassent pour l’édification : c’est par là que conclut l’Apôtre. Et voici le grand secret, la grande règle de l’édification : c’est que celui qui parle une langue, parle de telle sorte qu’il interprète, et que ceci, (comme pour les prophètes), se fasse par deux, ou tout au plus par trois, sauf à être jugés par l’Église : car, ajoute Paul, vous pouvez tous prophétiser un par un, afin que tous apprennent et que tous soient consolés. — Vient ensuite la ligne de démarcation pour les femmes qui, est-il dit, n’ont pas la permission de parler, mais doivent être soumises, comme aussi la loi le dit[3]. Où trouver donc ici la distinction contre laquelle nous nous élevons ? Elle n’y existe pas ; et s’il y en a une, c’est celle qui interdit la parole à des personnes à cause de leur position ; elles sont femmes. Quant aux autres, ils ont tous la parole si Dieu veut leur ouvrir la bouche ; seulement que cela se fasse avec ordre et non avec confusion, parce que Dieu est un Dieu, non de confusion, mais d’ordre ; et que tout tende à l’édification, afin que tous apprennent et que tous soient consolés. Ainsi Paul ne dit pas à tous de parler, de parler à la fois, ou de parler tous les jours ; mais il en donne la liberté à chacun, afin qu’il en use selon le don qu’il en aura reçu de Dieu pour l’édification de l’Église, posant en même temps les règles d’après lesquelles l’exercice de ces dons devait être dirigé. — De ce qui est enseigné dans 1 Corinth. XIV, touchant la manière dont les Chrétiens doivent user des dons spirituels qu’ils ont reçus, nous pouvons donc hardiment conclure qu’ils sont parfaitement libres dans cet usage : au moins à Corinthe il en était ainsi. — C’était le temps des dons extraordinaires du St-Esprit, diront probablement quelques-uns de nos lecteurs. — Mais c’est voir sous un faux jour la chose en question ; car ne fait-on pas ordinairement, de la consécration publique, un remède ou une cérémonie solennelle qui supplée à la privation où se trouve actuellement l’Église des dons répandus primitivement sur elle ? Et puis ne serait-ce pas mal parler de Dieu, que de dire du Saint-Esprit : qu’il justifie par des règlements systématiques la violation de l’ordre qu’il a établi ? D’ailleurs remarquons bien que l’Apôtre ne traite pas ici des prérogatives de ceux qui avaient des dons spirituels, mais de la manière dont on devait exercer ces derniers ; car les femmes pouvaient posséder des dons spirituels, et ont ailleurs des directions sur la manière d’en user ; mais elles ne pouvaient le faire dans l’Église, parce que ce n’était pas bienséant, pas dans l’ordre ; tandis que l’Apôtre ne dit rien de pareil quant aux hommes, parce que, pour qui que ce fût d’entre eux, parler n’était pas violer l’ordre.

Un don d’enseignement peut être quelque chose d’excellent pour on évêque ou pasteur ; mais l’Écriture ne dit nulle part qu’un membre quelconque de l’Église soit dans le désordre, s’il enseigne dans l’Église quand il en a reçu le don. — De plus, bien que ces dons extraordinaires aient cessé, nous ne saurions en dire autant des dons ordinaires destinés à l’édification de l’Église. Instruments, et seuls instruments réels de cette édification, pourquoi, en principe, ne les exercerait-on pas dans l’Église, et celle-ci aurait-elle perdu le droit d’en être édifiée ? Si dans l’Église il y a présence effective de l’Esprit de Dieu, elle possède substantiellement ce qui doit servir à son édification et la rendre capable de servir Dieu en esprit et en vérité. Si l’Esprit n’y est pas, elle n’est plus une Église, et toutes ses institutions sont vaines ; car jamais l’Écriture n’autorisera tout ce que l’on pourra inventer pour suppléer au défaut de cette présence de l’Esprit, présence qui imprime à l’Église son caractère distinctif, comme corps de Christ et people du royaume des cieux.

On s’imaginera peut-être renverser cette argumentation par laquelle nous soutenons le droit commun des frères au ministère de la parole, en alléguant que primitivement Christ a établi des hommes ad hoc dans l’Église pour exercer ce ministère, puisqu’il est écrit qu’il a donné les uns comme Apôtres, les autres comme Évangélistes, les autres comme Prophètes, les autres comme Pasteurs et Docteurs, Éphés. IV, 11. Mais à moins qu’un seul individu, en vertu de quelque consécration, ne réunisse toutes ces charges dans sa personne (comme on le croit dans tant de congrégations ou soi-disant Églises), l’objection sera inutile ; tandis que, si l’on admet le contraire, elle se réfute d’elle-même. Car, que lisons-nous ailleurs ? Que les uns remplissaient une charge, les autres une autre ; le chef étant Christ, duquel tout le corps, bien proportionné et bien serré par ce que chaque jointure fournit, selon l’opération efficace de la mesure qui est dans chaque partie, tire son accroissement corporel, pour l’édification de lui-même, dans l’amour, Éphés. IV, 12[4]. Nous voyons aussi, 1 Corinth. XII, que les membres sont placés dans le corps de manière à être l’un l’œil, l’autre le pied, l’autre l’ouïe, afin, comme il est dit, qu’il n’y ait point de schisme, ou de déchirure, dans le corps. — Et une pensée qui devrait se recommander à nos esprits, c’est que, si nous avons en effet perdu quelques-uns des membres qui servent à orner le corps, ce n’est pas une raison pour que nous soyons privés de tous les autres. La parole de connaissance et la parole de sagesse, par exemple, demeurent en quelque mesure dans l’Église ; elle n’est pas tout-à-fait privée non plus de pasteurs, de docteurs, ou de gens qui édifient, exhortent et consolent ceux qui les entendent. Mais si l’on prétendait couper court à toute recherche sur ce sujet, en affirmant que ces restes de dons sont insuffisants et que l’Esprit de Dieu s’est entièrement retiré de l’Église, nous demanderions : Que sommes-nous et où sommes-nous, puisqu’il en est ainsi ? L’Église de Dieu privée de l’Esprit de Dieu ! Certes, affirmer cela n’est pas moins que rompre toute communion entre Christ et ses membres, et rendre vaine cette promesse : Je suis tous les jours avec vous jusqu’à la fin du monde, Matth. XXVIII, 38[5]. Mais la parole du Seigneur ne passera point. Si le monde ne peut pas, il est vrai, recevoir l’Esprit de vérité, parce qu’il ne le voit ni ne le connaît, que les disciples de Jésus sachent qu’il est avec eux, et que partout où deux ou trois sont assemblés en son nom, là est cet Esprit de grâce ; et qu’il agit en proportion de leur condition et de leurs besoins, pour les bénir et les instruire en toutes choses.

En voilà assez sur le premier cas proposé, c’est-à-dire sur celui qui concerne la liberté des frères de parler dans l’Église. Nous ne prenons, comme on le voit, la défense d’aucun système particulier : nous regrettons aussi que l’Église se trouve, par une suite de son infidélité, privée de tant de membres ou de parties du corps spirituel que Dieu avait pris soin d’orner de divers dons. Mais les passages de l’Écriture que nous avons cités prouvent évidemment que renfermer l’édification de l’Église dans une caste de gens qu’elle a mis à part, n’a aucun fondement scripturaire. Il n’est pas non plus ici question des anciens, des pasteurs ou des docteurs reconnus par l’Église, de leur valeur ou non-valeur ; car ce sujet ne rentre pas dans le nôtre : si nous en disons un mot maintenant, c’est seulement afin de faire observer que leur seul brevet de réception ne doit et ne peut être que la grâce et le don de Dieu visiblement manifestés chez eux ; le St-Esprit ne sanctionnant point d’autres titres, pas même l’imposition des mains reçue le plus solennellement et le plus officiellement possible, pour l’assomption de quelque fonction dans le corps. Tout ce que nous avions en vue, et nous croyons l’avoir fait, était de démontrer que chaque Chrétien a le droit d’exhorter, d’édifier et d’instruire ses frères assemblés, si le Seigneur lui en a donné le désir et la capacité.

Avant de poursuivre l’examen de la question générale qui nous occupe, répondons en quelques mots à une objection assez spécieuse, souvent présentée par les adversaires de la liberté de parler dans l’Église. On a dit qu’il y avait un danger réel dans cette liberté, accordée à tous les membres, d’enseigner, d’exhorter, etc., et qu’il devait nécessairement en résulter des désordres. On a cité aussi à l’appui de ces raisons le passage renfermé en Jacques III, 1 : Mes frères, ne soyez point plusieurs docteurs, sachant que nous en recevrons un plus grand jugement ; car nous bronchons tous en plusieurs choses. — Nous répondrons en convenant qu’en effet c’est dans ce cas, ou jamais, qu’il y a lieu à des désordres et à des abus. Mais l’intention du St-Esprit dans le passage cité, est-elle bien de circonscrire ce à quoi il donne ailleurs pleine latitude ? Nullement. Le Seigneur veut ici sans doute arrêter un mal ; mais ce n’est pas en disant que l’on doit laisser la parole à ceux qui sont officiellement établis pour la prendre, ou bien que si tous parlent, il en résultera de la confusion. Le moyen qu’il emploie est d’engager les fidèles à se juger eux-mêmes, à ne pas tous faire les docteurs, à être prompts à écouter et lents à parler : car, comme il y avait beaucoup de misères au milieu d’eux, tant d’enseignements ne feraient qu’a grandir, pour ainsi dire, leur plaie ; ce qui toujours est le cas, quand dans une Église il y a plus de paroles que d’œuvres. Ainsi l’Apôtre n’apporte aucune restriction à la liberté du ministère de la parole au milieu des frères : il ne dit point que ceux-là seulement qui en ont l’autorité de la part des hommes peuvent prendre sur eux de parler ou de prêcher ; au contraire, il fait tourner son exhortation au profit moral de ceux auxquels il s’adresse, et non pas à celui de ces distinctions que le formalisme a introduites dans le ministère.

Mais, considérée dans le second cas, celui où un fidèle parle hors de l’Église, la question acquiert plus d’importance. Car, si l’on pouvait prouver que nul, sinon des gens consacrés, ne possède cette liberté, il faudrait considérer comme ayant agi dans le désordre quantité de frères qui de leur propre chef, et sans aucune autorisation humaine, ont rendu fidèlement témoignage à l’Évangile. — Mais laissons parler les faits de la Bible. Que lisons-nous Act. VIII, 4 ? que tous les Chrétiens prêchaient. Ceux qui furent dispersés allaient çà et là prêchant la parole, et ces dispersés étaient tous les membres de l’Église, excepté les Apôtres. Quelques critiques ont essayé d’obscurcir la clarté de ce passage, en disant qu’il ne s’agissait là que de parler simplement aux âmes, chose que tout le monde peut faire sans avoir été consacré. Mais l’original, qui dit bien prêchant ou plutôt évangélisant la parole, dément cette assertion erronée. D’ailleurs nous lisons plus bas, Actes XI, 19, 20 : que la main du Seigneur était avec eux, tellement qu’un grand nombre crut, et fut converti au Seigneur. Or, à moins que l’on ne suppose toute l’Église ayant reçu mission spéciale de prêcher la parole (nous parlons d’une mission conférée par les hommes, et non de celle que les dons qu’il a reçus confèrent à tout Chrétien), nous avons ici la réponse la plus simple et la plus claire à la question proposée. Les premiers prédicateurs de l’Évangile, bénis hors des murs de Jérusalem, ne sont point des hommes consacrés ou séparés avec jeune et prières pour cette œuvre. Il ne leur vient pas dans l’esprit que ceux qui connaissaient la gloire de Christ dussent s’abstenir d’en parler dans les lieux où Dieu leur ouvrait la porte, et d’en parler selon la force qu’ils en avaient, ou selon que la main du Seigneur était avec eux. Paul prêchait sans autre mission que celle d’avoir vu Jésus glorifié, et connu sa parole par révélation, Galat. I : il prêchait même dans les synagogues, et il se vante ouvertement de l’avoir fait[6]. Or quelle raison donne-t-il pour se justifier lui-même, et pour justifier les Chrétiens qui prêchaient ailleurs comme lui, sans autre vocation que celle du Seigneur ? Selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; nous aussi nous croyons, c’est pourquoi nous parlons, 2 Cor. IV. 13. — Apollos prêchait aussi : Il parlait et enseignait avec zèle les choses qui regardent le Seigneur, Actes XVIII ; et il est dit de lui que, Paul voulant l’envoyer d’Éphèse à Corinthe, il n’eut nullement la volonté d’y aller : preuve qu’il était indépendant de Paul pour l’exercice du ministère, pour le dire en passant. Mais Apollos était si loin d’avoir été consacré avant de commencer à prêcher, qu’il ne connaissait que le baptême de Jean, et qu’Aquilas et Priscille l’ayant pris avec eux, lui expliquèrent parfaitement la voie du Seigneur. Alors, continuant ses travaux comme auparavant, il aida beaucoup à ceux qui avaient cru par la grâce, et convainquait puissamment et publiquement les Juifs, montrant par les Écritures que Jésus était le Christ. — À Rome nous trouverons aussi des frères qui, enhardis par les liens de Paul, prêchaient la parole sans crainte, Philip. I ; et, pour ceux qui voudraient élever des doutes sur le genre de cette prédication, nous ajouterons qu’il faudrait plutôt traduire : publiaient la parole, etc., l’original présentant l’idée d’un héraut ou d’un crieur public qui s’acquitte de sa charge. — Cette habitude de prêcher de lieu en lieu se remarque encore dans la 2e et la 3e Épître de Jean, où l’ordre de repousser ou de recevoir les frères qui remplissent cette fonction est entièrement basé sur le genre de doctrine qu’ils apportaient, et non pas sur le manque ou la possession d’un certificat d’imposition de mains. — Et, en effet, c’est quelque chose de totalement inconnu dans l’Écriture, que le besoin d’une consécration faite par des hommes autoriser à prêcher l’Évangile. Paul prêchait depuis longtemps, quand, sur l’ordre du St-Esprit, il fut séparé à Antioche pour une œuvre particulière, avec jeûne, prières et imposition des mains de l’Église. Si quelqu’un alléguait ce fait contre nos principes, il sortirait entièrement de la question ; car, comme nous l’avons dit plus haut, nous sommes loin de combattre la mise à part de quelques-uns ou de quelqu’un, pour une œuvre particulière pour laquelle il y a appel du St-Esprit : mais ce que nous soutenons, c’est que tout Chrétien, en tant que chrétien, a le droit de parler et de prêcher quand il le peut. Le cas de Paul à Antioche, Actes XIII, 1–3, s’il prouve quelque chose de relatif au sujet qui sous occupe, est un témoignage très clair que la puissance d’imposer les mains, aussi bien que celle de prêcher, n’est point liée nécessairement avec une autorité préalablement reçue de la part des frères ou d’hommes attitrés. — Le seul passage un peu spécieux que l’on puisse alléguer contre notre thèse, et qui encore l’a été rarement, est ce commandement de Paul à Timothée : Les choses que tu as reçues de moi devant plusieurs témoins, commets-les à des personnes fidèles, qui soient capables d’enseigner aussi les autres, 2 Tim. II, 2. Mais ici il s’agit évidemment de doctrines transmises à d’autres personnes ; et par conséquent ce passage établira, si l’on veut, la tradition, mais non la consécration ; car il n’y est point question de consacrer ceux qui enseignaient, ou devaient enseigner plus tard.

Voilà, ce nous semble, assez de preuves scripturaires de la doctrine que nous comptions établir, pour convaincre des personnes qui cherchent droitement la vérité. Nous croyons avoir suffisamment démontré que le sceau de l’autorité humaine n’est point nécessaire au Chrétien qui, selon qu’il en a reçu plus ou moins le don et la capacité, désire parler dans l’Église ou hors de l’Église. Mais nous allons encore plus loin, et nous affirmons que des principes ou des pratiques contraires sont une nouveauté au milieu de la Chrétienté. Nous ne nous jetterons point dans une discussion étendue sur l’origine, l’introduction et les conséquences de l’adoption de cette nouveauté, ni sur les principes fâcheux qu’elle renferme en soi. Satisfaits d’avoir placé le principe scripturaire en présence de toute conscience, nous demandons que l’on produise quelque passage positif, ou tout au moins quelque enseignement ou quelque principe biblique, qui restreigne à ceux qui ont reçu mandat d’une Église, d’un presbytère, ou de quelque autre soi-disant autorité ecclésiastique, la liberté d’annoncer la parole de Dieu à leurs frères ou au monde. — Nous examinerons cependant un fait que l’on a essayé de mettre en opposition à la liberté que nous réclamons au nom de la Bible, celui de Coré, Dathan et Abiram, Nombr. XVI. Mais puisque l’on cite ce livre, il serait au moins raisonnable d’avoir égard à une circonstance très en faveur de notre sujet, qui précède de bien peu de temps la révolte de Coré, et dont le récit se trouve au chap. XI. Là nous lisons que deux hommes, Eldad et Médad, qui n’avaient point été convoqués à la porte du Tabernacle, prophétisaient dans le camp, parce que l’Esprit de Dieu s’était reposé sur eux. Effrayé de la liberté que prenaient ces deux simples Israélites, Josué accourt à Moise en s’écriant : Empêche-les ! Mais que lui répond le plus doux d’entre les hommes ? Plût à Dieu que tout le peuple de l’Éternel fût prophète, et que l’Éternel mit son Esprit sur eux ! Or ce souhait de Moïse, l’effusion de l’Esprit sur tout le peuple, de laquelle on voyait ici un type frappant, fut accompli en réalité sous la dispensation chrétienne. Mais lorsque, peu de temps après, Coré, Dathan et Abiram parlèrent au peuple, ce ne fut point sous l’influence de l’Esprit qui avait animé Eldad et Médad : car ils voulaient se saisir de l’autorité, c’est-à-dire de la royauté de Moïse et la sacrificature d’Aaron. Ce fut là leur crime, qui trouve des imitateurs dans ceux là-mêmes qui l’allèguent pour empêcher leurs frères de rendre témoignage public à l’Évangile, sous prétexte que ces derniers n’ont pas reçu l’imposition des mains ! Car comment se laver du reproche d’usurper l’autorité royale et sacerdotale de Christ, quand on réclame le droit d’envoyer les messagers du Seigneur, que l’on se constitue canaux exclusifs des bénédictions de Dieu envers l’Église ou le monde, et que l’on déclare intrus et sans mission légale ceux qui sont poussés par l’amour de Christ, par la puissance et l’autorité de Dieu même, à annoncer et publier la parole[7]? — Or, l’apôtre Jude nous apprend que le péché ou la contradiction de Coré était un type de ce qui devait arriver dans notre dispensation ; et la conclusion que nous devons en tirer, c’est qu’il y a péché à s’arroger une autorité sacerdotale de quelque genre qu’elle soit, tandis qu’au contraire l’on doit désirer que tous prêchent et parlent au nom du Seigneur. — Nous alléguerons encore, en faveur de la même cause, le principe posé en Hébr. V, 4 : Nul ne s’attribue cet honneur, sinon, etc. ; principe qui exclut nettement de la sacrificature ceux qui n’y sont point appelés par le Seigneur. Or, s’il est très vrai qu’en un sens Christ seul soit sacrificateur, en tant que personne n’est entré avec lui dans les lieux saints, il ne l’est pas moins que tous les croyants le sont avec lui, 1 Pierre II, 9, et que de sacrificature intermédiaire il n’en existe point. Les croyants ont donc le privilége de pouvoir s’occuper à l’œuvre de Dieu, et peuvent le réclamer comme leur droit. S’attribuer l’honneur d’une sacrificature particulière, hors celle que tous les membres de l’Église possèdent en tant que croyants, est donc assurément un orgueil démesuré et un grand mal. Notre dispensation est celle où le St-Esprit a été visiblement répandu sur l’Église ou l’assemblée de Dieu, dans le but de distribuer à ceux des membres qu’il lui plaît de choisir pour cela, des dons spirituels destinés à les mettre en état de prêcher ou parler au nom de Jésus (car l’Écriture ne distingue pas entre l’un et l’autre, comme pourront s’en assurer ceux qui voudront en prendre la peine) ; et cela même pendant que Christ seul exerce la sacrificature au-delà du voile, en la présence de Dieu pour nous. Le sens et la force des passages précédents est donc que le beau type de l’effusion de l’Esprit sur le camp d’Israël, et le pieux désir de Moïse, réalisés dans l’Église du Seigneur, sont le trait caractéristique et essentiellement distinctif de l’économie actuelle. Aussi son introduction dans le monde est-elle signalée par la descente du St-Esprit sur les 120 Disciples assemblés, qui parlent selon que l’Esprit les fait parler. Et Pierre se levant au milieu d’eux, explique aux Juifs (au peuple de l’ancienne économie, accouru pour être témoin de cette nouveauté) que ceux qui parlent ainsi ne sont point ivres ; mais que cette merveille était le commencement de l’accomplissement de la prophétie de Joël II, 29-31, qui annonçait une effusion de l’Esprit faite indistinctement sur des gens de toute classe, de tout rang et de tout sexe, même sur toute chair. Désormais donc l’action ou l’habitation du St-Esprit ne devait plus être individuelle au milieu du peuple de Dieu ; auparavant isolée, elle devait devenir désormais générale ; et c’est, nous le répétons, le caractère distinctif de notre dispensation. Que l’Église ait reçu ce don de Dieu, c’est un fait incontestable, comme nous l’avons fait remarquer plus haut ; l’histoire du livre des Actes nous montre l’Esprit agissant constamment au milieu d’elle et avec elle. Nier cette habitation, serait s’inscrire en faux contre la promesse de Jésus, Jean XIV, 16, et méconnaître absolument la puissance qui doit agir dans l’Église pour la gouverner : même, on ne la nie qu’en se condamnant à ne plus éprouver l’efficace de cette puissance ; chose déplorable dont l’Église a fait l’expérience depuis que, comme l’ancien Israël, elle s’est mêlée avec les nations et a adopté leur façon de faire. Quelle est, pour l’exercice du ministère, en particulier, la conséquence de cette dénégation ? C’est que l’Esprit du Seigneur, contristé par le péché de cette Église qui devrait être sa sphère de mouvement, agit en dépit de ceux qui lui contestent sa souveraineté. Un ministère irrégulier, si l’on veut, mais que rien ne peut comprimer parce que l’homme ne l’a pas établi, se forme et se conserve en dehors des institutions reconnues ; et ce n’est qu’en s’associant à la révolte de Coré que le pouvoir civil tenterait d’en arrêter les efforts et l’exercice. Aux quelques désordres qui peuvent en résulter, il ne saurait y avoir de remède : car, d’un côté, la puissance du St-Esprit, qui serait suffisante pour redresser des écarts, ou réprimer des excès de zèle, des imprudences, etc., ne peut pas agir, puisqu’elle n’est pas reconnue ; et d’un autre côté, on n’y avancera rien en nommant officiellement des évêques ou des pasteurs pour établir ou conserver l’ordre, à moins que l’on ne veuille donner le nom d’ordre au système monstrueux des Papistes, qui investis sent les ministres de leur création d’un pouvoir que jamais Dieu ne donna à l’Église entière. — Au reste, si l’on a à gémir de quelque mal au mi. lieu de la Chrétienté, ce n’est assurément pas de ce qu’il y a trop de gens qui prêchent la vérité, trop de gens qui flétrissent publiquement la corruption régnante, et parmi les vrais Chrétiens un débordement de témoignage en faveur de ce qui est bon. Non ; le fait est que la corruption existe, et qu’il y a disette, vraie disette de témoignage. Y remédiera-t-on donc en tâchant de fermer la bouche, ou bien en rejetant et en persécutant (car les hommes ne pourront prendre que ce dernier parti ; les pierres crieraient plutôt !) ceux que Seigneur a lui-même, et par le St-Esprit, ordonnés ou consacrés comme ministres de la Parole ? Ah ! que les amis de l’Évangile coopèrent cordialement avec eux ; c’est le meilleur parti : et alors, déployée en commun, l’énergie des individus (qui, lorsqu’elle se déploie ainsi, devient, dans le règne de Dieu, une énergie incalculable) pourra s’exercer avec succès contre tous ceux qui ne prêchent ou ne retiennent point la vérité, et pour aller chercher les brebis du Seigneur, perdues au milieu de ce monde méchant.

Laisser les systèmes humains pour s’en tenir à l’ordre établi de Dieu relativement à l’exercice du ministère de la parole, n’est pas seulement un devoir, mais offre un avantage évident. Alors chaque fidèle occupera, soit au dedans, soit au dehors de l’Église, une place qui lui sera assignée, non plus en vertu d’un diplôme d’homme, mais selon la puissance que Dieu lui aura fournie et les dons que Dieu lui aura départis ; principe très important, qui sépare Babylone (le monde christianisé, l’Église devenue grande en la terre) de ce que Dieu reconnaît pour sien. Et il st nécessaire d’affirmer et de presser fortement ce principe, dans un temps comme celui qui court ; un temps où, en fait d’organisation d’Église, l’homme veut être maître, même jusqu’à contester à Dieu le droit d’être souverain de son peuple. Certes, c’est une solennelle et redoutable responsabilité que celle dont on se charge quand, sans autorité, on se mêle de régler les affaires du Seigneur ! Peut-on même le faire sans détriment pour sa propre âme ? Nous ne le croyons pas. Sous le Judaïsme, un individu était qualifié par sa naissance pour exercer la sacrificature ; car le peuple légal était un peuple selon la chair. Mais, sous la dispensation du St-Esprit, ce sont les dons spirituels qui peuvent tenir liés et ajustés ensemble, dans une divine harmonie, les différentes parties du corps de Christ.

Eu égard à l’œuvre de l’évangélisation, voyez dans quelle position se trouvent les Chrétiens qui en auraient le don, mais qui dépendent d’une autorité humaine qui leur assigne leur poste et leur traitement. Placés dans une sphère d’action déterminée, et cela sans égard ni au genre de leurs dons, ni aux besoins des localités, les voilà privés du pouvoir d’aller çà et là, où Dieu les enverra, pour annoncer sa parole, et en même temps de secouer la poudre de leurs pieds contre ceux qui la rejettent. Avec un peu de conscience, ils doivent comprendre que, pour combler le vide qu’ils laissent autour d’eux, il faut bien que Dieu, qui veut que tous les hommes soient sauvés, se choisisse à côté d’eux des ouvriers qui partent pour son nom (3 Jean 7), et dont il honorera le ministère en dépit des Diotrèphes. Ce serait montrer tout son manque de soumission au Seigneur, et préférer la volonté de l’homme à celle de Dieu, que de jeter le moindre discrédit sur ces prédicateurs de la grâce de l’Évangile, qui travaillent dans la liberté et l’indépendance, quand, de peur de se discréditer soi-même, on n’ose pas bouger de sa place. Pourquoi blâmer ceux qui font ce que nous sommes placés de manière à ne pouvoir faire nous-mêmes, du moins sans manquer à nos engagements, et sans perdre la protection de l’autorité humaine que nous reconnaissons ? Voyez pourtant dans quelle situation l’on peut se mettre ! Voilà des serviteurs de Dieu, qui, s’ils voulaient se laisser conduire par l’Esprit et agir en conséquence, seraient forcés dans maintes circonstances de désobéir à des supérieurs dont ils ont accepté en conscience les lois et leur pain ! Voulez-vous avoir une idée de la double fausseté de leur position ? En voici un exemple qui ne se présente pas rarement. Il y a telle contrée qui, quoique pleine de ce qu’on appelle très à tort des Pasteurs et des Églises, est destituée de la prédication du salut. Quelqu’un, dans le cœur duquel Dieu a mis l’amour de Christ avec le désir et le don d’en parler, vient dans cette contrée ; il prêche, et il y est béni : plusieurs âmes sont transportées de Satan à Dieu, probablement à la grande irritation de ceux qui se considèrent comme ayant le monopole de la prédication, comme seuls et légitimes pasteurs de ces paroisses que l’on vient troubler. Que fera là l’ouvrier du Seigneur ? Il n’y aurait ni justice, ni piété à abandonner entre les mains de sentinelles aveugles ou de sectaires, les âmes qui, par son moyen, ont commencé à goûter combien le Seigneur est bon. Pour être fidèle à son maître, il faut qu’il continue son œuvre au milieu de ses enfants en la foi et auprès des âmes qui s’en vont périr : même, nécessité lui en est imposée par les systèmes qu’ont adoptés les soi-disant pasteurs d’alentour. — Maintenant, supposé que parmi ces chefs spirituels de paroisse s’en trouve un qui soit chrétien ; à qui faudra-t-il qu’il tende la main ? D’après son système, il faudra que ce soit à ses collègues, et non pas à son frère, à l’homme de Dieu : c’est-à-dire, qu’il lui faut faire cause commune avec l’incrédulité officiellement revêtue de la soutane, et non pas avec l’Esprit de Dieu qui n’en a point et pas besoin. Ainsi, le voilà à être obligé de choisir le moindre entre deux maux ou plutôt deux péchés : violer des engagements, ou rejeter l’envoyé du Seigneur.

Mais, dira-t-on, pourquoi celui-ci ne prend-il pas un titre, et ne cherche-t-il pas à se faire consacrer ? — Notre réponse est que l’on n’en a pas besoin pour prêcher Jésus, quoi que le monde en dise. Et puis tout le temps qu’il faut perdre avant de pouvoir prétendre au titre de ministre, l’impureté des sources auxquelles il faut aller puiser cet honneur, etc., tout cela gêne horriblement des consciences un peu délicates, quoique malheureusement il y ait bien des Chrétiens qui n’y regardent pas de si près. Il y a aussi un point sur lequel ne peut passer légèrement quelqu’un de fidèle au Seigneur : c’est le peu ou point de cas que l’on fait partout des directions de l’Esprit de Dieu, relatives à son œuvre, au théâtre de ses opérations et aux besoins variés qu’elles exigent ; besoins auxquels on ne saurait convenablement subvenir sans une soumission implicite et aveugle aux pensées du Dieu d’ordre, dont les intentions ne peuvent être pénétrées tant qu’on demeure attaché à quelque système humain, tant peu le soit-il[8]. C’est au Seigneur à régler le temps, le lieu et la manière de son œuvre : sans cela, ses serviteurs sèmeront beaucoup pour recueillir peu, et ils travailleront toute la nuit sans rien prendre (comme Pierre quand il jeta le filet de son propre mouvement) ; ou bien ils n’auront que des résultats apparents, qui ne soutiendront pas l’épreuve du feu ou de l’affliction, 1 Corinth. III ; ou bien enfin, toute la peine qu’ils se donnent aboutira à leur démontrer qu’ils n’agissent point dans la sphère de leur don, comme, par exemple, que tel qui fait l’office d’évangéliste, serait beaucoup plus propre à celui de pasteur et docteur, ou vice versa.

Faisons une dernière réflexion, qui nous est suggérée par notre sujet. — À la vue de cette infinité d’intérêts divers qui se croisent et s’entrechoquent dans la Chrétienté ; à la vue de ces dissensions et de ces querelles entre des frères, et de l’inquiétude de ceux qui consument leur force et leur spiritualité à défendre un système humain contre les attaques d’un autre, n’y aura-t-il point de fidèle qui se demande une fois solennellement : En faveur de quoi faut-il donc combattre ? — À cette question, le Saint-Esprit a déjà répondu : Combattez ardemment pour la foi qui a été donnée une fois aux saints, Jude 3. Que chacun veuille donc, avec calme et sérieux, s’interroger sur ce sujet. — À coup sûr, si nous combattons pour ce qui ne dérive que secondairement[9] de la vérité, notre guerre n’est point la bonne, 1 Tim. I ; c’est nous-mêmes, et non Christ le Seigneur, que nous servons : car, ce qui forme un surplus à la Bible n’est pas avoué, mais condamné par le St-Esprit, Apoc. XXII, Matth. XV. Les réflexions qui précèdent tendent à le montrer suffisamment et scripturairement. Non, mille fois non ; quoique étayée par un magnifique échafaudage d’antiquité, une opinion quelconque qui n’a pas la Bible pour base n’est pas seulement sans valeur aucune, mais profondément injurieuse pour la sagesse du Seigneur qui ne taxe celle de l’homme, même de l’homme le plus sage, que de folie. — Quant au but que nous nous sommes proposé dans cet écrit, nous croirons l’avoir atteint si nous parvenons à vaincre la timidité de quelque frère désireux de travailler dans l’Évangile, mais retenu par de frivoles craintes de s’avancer dans la lice, sans autre titre ou diplôme que le don qu’il a reçu de Dieu ; ou si nous avons pu éloigner les préjugés de quelque autre frère reconnu du monde comme ministre, et qui hésiterait à tendre une main cordiale d’association à celui qui n’a reçu que d’en haut, comme saint Paul, le brevet d’ouvrier du Seigneur. — Du reste, et dans aucun cas, nous ne voudrions autoriser un esprit d’insubordination à des frères respectables et soumis eux-mêmes aux directions de l’Esprit ; et moins encore un faux zèle, ou les mouvements de l’enthousiasme : car l’Esprit qui doit diriger un serviteur de Dieu n’est pas seulement de force et d’amour, mais aussi de sens rassis, 1 Tim. I, qui nous lient sous la dépendance de ce Dieu qui seul décide de toutes choses selon la justice. Oh ! puisse le peuple du Seigneur s’attendre à lui, et marcher uniquement à sa lumière ! Nous vivons dans un temps où tous ceux qui sauront marcher selon l’intention de Dieu se trouveront bientôt en possession de l’œuvre avouée de Dieu (le Seigneur travaillant aujourd’hui plus que jamais à séparer les réalités d’avec les formes), en tant que les réalités seules subsisteront au milieu de cette dislocation que subissent tôt ou tard les institutions des hommes ; dislocation qui ne peut flétrir l’œuvre du St-Esprit, et que ceux qui sont conduits par ce dernier traverseront aussi sans froissement ni meurtrissure.

Le Seigneur veuille verser son Esprit en abondance sur ses chers enfants, et incliner leur cœur à une stricte obéissance ! Certainement la moisson est grande, et il y a peu d’ouvriers ! Priez donc le Seigneur de la moisson qu’il pousse des ouvriers dans sa moisson.


  1. Cette distinction que l’on fait aujourd’hui entre le clergé et les laïques, ne sera point admise dans ce traité ; et l’on croit devoir la réprouver de toute manière, autant parce qu’elle n’est point conforme à l’Écriture que parte qu’elle produit les plus fâcheux effets. L’un des plus tristes, peut même dire le plus honteux, c’est de séparer ce qui doit être joint, c’est-à-dire le nom et la chose ; et d’accréditer le ministère d’un incrédule consacré, tandis qu’on discrédite les travaux d’un homme plein de l’Esprit de Dieu, parce qu’il n’a point passé au travers d’une filière d’institutions humaines. Quand se défera-t-on, parmi les enfants de Dieu, d’une tradition reçue du Papisme comme tant d’autres ? — Quant au mot consécration, nous l’appelons vulgaire aussi bien que le mot laïque, parce que dans l’Écriture il n’a nullement le sens qu’on est convenu de lui attribuer et qu’il présente communément à l’esprit.
  2. Obligés. Voyez Rom. XII, 6-8 ; 1 Pierre IV, 10, 11.
  3. Et encore cette défense ne regardait-elle, comme l’emporte le mot être soumises, que des femmes mariées. Car Philippe avait quatre filles vierges qui prophétisaient, Act. XXXI, 9 : et il est parlé, 1 Corinth. XI, 4, 5, de personnes du sexe féminin qui priaient et prophétisaient, et auxquelles Paul recommande l’ordre et la décence.
  4. Ce passage, obscur au premier coup d’œil, renferme trois idées : 1° celle de l’union du corps ; 2° celle de l’édification du corps dans l’amour ; 3° celle du moyen d’édification, voir : l’énergie que Dieu a mise dans chaque membre pour le service des autres. — Il est difficile à comprendre maintenant, parce que, au lieu d’être bien serré et lié, le corps de Christ est divisé, et que les membres ne peuvent pas exercer leur énergie les uns sur les autres.
  5. Que ceux qui, concurremment avec les Papistes, maintiennent la doctrine d’une succession apostolique, veuillent bien méditer ce que l’Esprit de Dieu avait révélé là-dessus à l’apôtre Paul : Je sais, dit-il aux anciens d’Éphèse, qu’après mon départ, entreront parmi vous des loups ravissants qui n’épargneront point le troupeau ; et que, d’entre vous-mêmes, s’élèveront des hommes qui annonceront des doctrines corrompues, dans la vue d’attirer des disciples après eux. Act. XX. Telle était la perspective de Paul quant à la succession apostolique. Et ces paroles sont applicables à toute l’Église : car, après la mort des Apôtres, elle ne tarda pas à dégénérer entièrement.
  6. Il y a quelque chose d’assez instructif dạns le fait que les Juifs donnaient, quand ils étaient assemblés, une bien plus grande liberté de parler aux assistants, que l’on n’en alloue aux fidèles dans les systèmes rétrécis du temps présent ; témoin ce qui fut dit à Paul dans la synagogue d’Antioche : Hommes frères, s’il y a de votre part quelque parole d’exhortation pour le peuple, dites-la, Actes XIII. Là on s’attendait à l’édification mutuelle, et on la pratiquait ; chose entièrement inconnue dans maints et maints lieux où l’on prétend servir Dieu selon sa parole.
  7. L’abus le plus criant, dans tout ceci, est l’exclusion dont on frappe ceux qui sont animés de l’Esprit de Dieu, exclusion en contradiction directe avec la profession que l’on fait de croire aux opérations et aux directions de cet Esprit divin. Ceux-là seuls sont en quelque sorte excusables dans ce cas, qui nient ces opérations, ou qui, dans leur parfaite ignorance de ce que c’est qu’être enseigné de Dieu, ne reconnaissent que des formes sans puissance, et n’appellent ministres que ceux que les hommes ont faits : car au moins, en repoussant et condamnant des laïques qui prêchent et enseignent par la simple autorité de Dieu, ils sont d’accord avec eux-mêmes.
  8. Nous prierons instamment le lecteur de prendre note de ce dernier principe, qui est très important. Le Seigneur ne fût pas compris de ses disciples quand il leur parla de ses souffrances et de la gloire céleste de l’Église, parce qu’ils étaient préoccupés de ce système juif qui attendait (avec justice, quoique intempestivement) un Messie glorieux sur la terre. C’est à ces préoccupations en faveur d’usages, de principes et de pratiques, sanctionnées par le temps, la coutume et le suffrage des anciens, qu’il faut attribuer tant et de si graves erreurs sur le sujet de l’Église. Quiconque recevra la force de se sortir de tous les systèmes reçus, sans aucune exception, et de les remettre tous en question, en cherchant les réponses dans la Bible seule, verra bientôt l’abandon complet et presque absolu que l’on a fait de ses enseignements dans ce qui a été organisé depuis des siècles au milieu de la Chrétienté.
  9. Ce n’est pas de ce qu’on appelle ordinairement (et très improprement, puisqu’elles viennent de Dieu) doctrines secondaires qu’il est ici question, mais de ces doctrines que l’on veut à toute force faire découler de la vérité biblique, ou plutôt des fausses applications qu’on en fait. Pour n’en citer qu’un exemple entre mille : de ce que les Chrétiens doivent travailler au règne de Dieu, de ce que l’ouvrier est digne de son salaire, et de ce que l’œuvre doit se faire avec ordre, certains Chrétiens en ont conclu qu’ils avaient le droit et le pouvoir de se constituer en comité directeur, de choisir des ouvriers, de les payer à tant l’année, et de les placer où bon leur semble. Dans quel passage de la Bible se trouve la lettre ou même l’esprit de ces institutions, qui croient qu’on ne peut lever la main contre elles sans commettre le péché de Huzzah ? Ceci soit dit, toutefois, sans accuser les intentions des fondateurs de ces pieuses institutions humaines.