Littérature et philosophie mêlées/Appendice I/1821/Histoire générale de France

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Œuvres complètes de Victor Hugo.
Littérature et philosophie mêlées
, Texte établi par Cécile Daubray, Imprimerie Nationale, Ollendorff, Albin Michel[Hors séries] Philosophie I (p. 339-340).

Histoire générale de France, depuis le règne de Charles IX jusqu’à la paix générale en 1815, par M. Dufau, ornée de plus de deux cent trente portraits[1]

Sindbad le marin… — … il le noie malicieusement dans le fleuve[2].

Tel a été à peu près le sort de Vély, Villaret et Garnier ; tel ne sera pas, nous osons le prédire, celui de leur jeune et estimable successeur, M. Dufau. Si cet écrivain, au talent duquel nous avons eu déjà, occasion de rendre justice, donne encore un peu trop aux détails, on sent que c’est afin de ne point faire grimacer le travail de ses prédécesseurs auprès du sien ; s’il n’ose point regarder l’histoire de trop haut, c’est que Vély la voyait de si près, Garnier de si loin, et Villaret de si bas ! Tout son tort est (qu’on nous passe cette expression) d’avoir attelé son talent à trois médiocrités consécutives : il a péché a l’inverse de ceux qui firent une tête, des bras et des jambes au Torse, et une sixième scène au dernier acte d’Andromaque. M. Dufau aurait dû, comme le Corinthien Lacoëthès, refuser de forger une branche d’acier pour un arc de fer.

Les événements du monde, comme toute chose, veulent être peints à distance ; nous ne pouvons, en général, peindre l’histoire à mesure que nous la faisons : peu de génies forts savent se soustraire aux préventions contemporaines, et voilà pourquoi il est plus difficile, ce nous semble, d’être bon publiciste que d’être bon historien. M. Dufau est encore, dans son ouvrage, assez loin de notre époque pour que je le juge seulement sous ce dernier rapport ; et relativement à la promesse qu’il nous fait de nous raconter aussi notre siècle, je ne lui donnerai d’autre conseil que de corriger sur son titre la répétition du mot générale.

Les quatre nouveaux volumes que nous examinons contiennent le règne de Henri III et le commencement du règne de Henri IV. Cette fin du seizième siècle offre, avec la fin du dix-huitième, des rapprochements singuliers autant que douloureux, dont M. Dufau, dans une Introduction remarquable, retrace le tableau un peu trop impartialement peut-être, mais avec talent. Je remarque, en passant, qu’il pousse quelquefois un peu loin cette timidité de jugement, dont on a fait, je ne sais pourquoi, une qualité de l’historien. Il faut savoir gré pourtant à M. Dufau de ses réflexions sages et modérées sur un ordre célèbre, dans un moment où il vient de narrer l’attentat de Jean Châtel, et dans un siècle où le mot de Jésuites fait pousser des cris de rage.

Le style de M. Dufau est vif, rapide, animé, parfois un peu négligé. Nous blâmons peu ce défaut ; sa manière en acquiert de la largeur et de la facilité ; sa critique est juste et éclairée : il en est sobre, grand mérité, chez un un jeune historien ! Chez M. Dufau, point de phrases, point de lieux communs ; peu d’effets partiels, beaucoup d’effet totale. J’en prend pour exemple ce tableau de l’assassinat du président Brisson :

Arrestation et dernière paroles du président Brisson. La citation se termine ainsi : Je vous prie donc de lui dire que mon livre que j’ai commencé ne soit point brûlé, qui est une tant belle œuvre.

C’était en 1591 : deux cents ans plus tard, Lavoisier fit entendre une prière également remarquable par ce naïf amour des sciences, qui ne considère la vie que comme un moyen d’apprendre ou d’enseigner

L’hermine du premier président… — Fatalité digne de méditation[3]

Revenons à M. Dufau : son style, dans ce tableau, est pur et nerveux à la fois : il donne sans effort à l’action la couleur locale, aux actes la physionomie historique. En général c’est avec cette simplicité élégante qu’il écrit l’histoire, décrivant ce qu’il faut décrire, racontant ce qu’il faut raconter. M. Dufau a lu les bulletins de la grande armée et les Victoires et Conquêtes : on le voit à son économie d’éloquence typographique.

Voltaire, comme historien… — Je ne sais que des histoires de mon pays[4]

Que M. Dufau continue avec zèle une entreprise qui l’honore ; qu’il soigne un peu plus son style et prodigue un peu moins les détails, qu’il tâche d’oublier les intérêts de ses prédécesseurs pour ne songer qu’aux intérêts de son talent ; et enfin, s’il veut nous en croire, qu’il ne tente jamais l’histoire des peuples étrangers.

Il est des convenances… — …parle d’un empereur qui règna avec une bonté maternelle[5].

Cette délicatesse d’expression serait-elle d’un étranger ?

Ces vérités semblent avoir été senties d’un contemporain célèbre : sir Walter Scott écrit l’histoire d’Écosse. Un de nos contemporains nous fournit un exemple plus éclatant encore : M. de Chateaubriand écrit l’histoire de France. Quel vide remplira dans notre littérature l’ouvrage de cet homme qui, suivant la belle expression de M. de Lamennais, est si avant dans la gloire ! Nous possédons notre histoire écrite par un personnage historique, nos hommes d’États jugé par un homme d’Etat, nos écrivains appréciés par un écrivain, nos grands hommes enfin immortalisés une seconde fois par un grand homme.

V.

  1. Conservateur littéraire, janvier 1821.
  2. Voir p. 30-31
  3. Voir p.30.
  4. Voir p. 26-27.
  5. Voir p. 27.