Aller au contenu

Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre XVI

La bibliothèque libre.
◄  Chap. XV.
PARTIE II.

CHAPITRE XVI.

Cy dit comment le mareschal assaillit Lescandelour par belle ordonnance.

Le mareschal ordonna son assault en trois parties, c’est à sçavoir commit le vaillant seigneur de Chasteaumorant à tout belle compaignie à combatre du costé de la marine ; son mareschal, appelle messire Louys de Culan, à tout cent hommes d’armes, cent arbalestriers et cent varlets, mit pour garder un pas par où secours pouvoit venir en la ville ; et luy avec le seigneur de Chasteaubrun, et l’autre partie de ses gens, assaillirent du costé de la porte.

Quand toute l’ordonnance fust faicte, qui fut comme à heure de nonne, adonc pour commencer l’assault, prirent trompettes à sonner si hault que tout en retentissoit. Lors commencèrent à assaillir de toutes parts, et ceulx de dedans à eulx défendre par grand vigueur, et ainsi ne finèrent de donner et de recevoir des coups, tant qu’il y en eut de morts et de navrés grand foison d’un costé et d’autre. Moult trouva grand force et grand défence du costé de la marine le seigneur de Chasteaumorant. Car la tour qui gardoit le havre estoit fort garnie de trait et de gens d’armes qui moult bien la défendoient, et espoissément lançoient à eulx. Mais vous véissiez nos gens comme preux, par grand vigueur, nonobstant toute défence, agrapper contremont ces murs et dresser eschelles, et là estriver l’un contre l’autre à monter sus des premiers ; et à qui mieulx mieulx s’alloient là esprouver. Si fut combatu en eschelle par grande hardiesse et moult vaillamment : mais trop furent leurs eschelles courtes, pour laquelle cause convint ainsi demeurer celle journée. Le bon messire Louys de Culan qui gardoit le pas, comme dict est, n’y travailla mie en vain. Car tant s’y peina, à tout l’estendart du mareschal et la bonne compagnie qu’il avoit, que nonobstant que il y eust fort combatu, et qu’il y trouvast qui bien luy deffendist, si gaigna-il le pas malgré tous les ennemis, dont il doibt grand honneur avoir ; car tant est celuy pas forte place, que le bon roy de Cypre, qui autresfois à le prendre s’estoit travaillé, oncques n’en put venir à chef. Si fut profitable la prise, car par ce eussent affamé la ville, si encores y fussent demeurés. Et ainsi dura cest assault, où assez eurent nos gens bien exploicté jusques à tant que la nuict vint qui les départit. Le lendemain derechef prirent à assaillir, et par deux fois l’assault donnèrent par moult grand fierté ; et moult aussi trouvèrent qui bien se défendit, mais toutesfois tant se peina le vaillant Chasteaumorant à toute sa gent que le havre, à tout le bas de la ville, fut prins, et entrèrent au port malgré la deffence de la tour. Là estoient les boutiques des marchandises, que ils appellent magasins, bien garnies de toutes marchandises ; car moult est celle ville marchande. Tout prirent ce que emporter purent, et au navire qui y estoit, c’est à sçavoir quatre fustes, deux galées, une galiote, et deux naves, boutèrent le feu, et tout ardirent.