Livret de Roméo et Juliette/II

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impr. de Vinchon (p. 2-6).



I.

INTRODUCTION INSTRUMENTALE.


(Combats. — Tumulte. — Intervention du Prince.)


premier prologue. — petit chœur.




Récitatif harmonique.


        D’anciennes haines endormies
        Ont surgi, comme de l’enfer ;
Capulets, Montagus, deux maisons ennemies,
        Dans Vérone ont croisé le fer.
        Pourtant, de ces sanglans désordres
        Le prince a réprimé le cours,
En menaçant de mort ceux qui, malgré ses ordres,
Aux justices du glaive auraient encor recours.

Dans ces instans de calme une fête est donnée
        Par le vieux chef des Capulets.
Le jeune Roméo, plaignant sa destinée,
Vient tristement errer à l’entour du palais ;
Car il aime d’amour Juliette… la fille
        Des ennemis de sa famille !…
Le bruit des instruments, les chants mélodieux
        Partent des salons où l’or brille,
Excitant et la danse et les éclats joyeux. —
Poussé par un désir que nul péril n’arrête,
Roméo, sous le masque, ose entrer dans la fête,
Parler à Juliette… et voilà que du bal
Ils savourent tous deux l’enivrement fatal.
Tybalt, l’ardent neveu de Capulet, s’apprête
À frapper Roméo que tant d’amour trahit,
Quand le vieillard, touché de la grâce et de l’âge
Du jeune Montagu, s’oppose à cet outrage
Et désarme Tybalt, qui, farouche, obéit,
        Et sort, en frémissant de rage,
        Le front plus sombre que la nuit.





La fête est terminée, et quand tout bruit expire,
        Sous les arcades on entend
Les danseurs fatigués s’éloigner en chantant ;
        Hélas ! et Roméo soupire,
Car il a dû quitter Juliette ! — Soudain,
Pour respirer encor cet air qu’elle respire,
        Il franchit les murs du jardin.
Déjà sur son balcon la blanche Juliette
Paraît… et, se croyant seule jusques au jour,
        Confie à la nuit son amour.
Roméo palpitant d’une joie inquiète
Se découvre, — et ses feux éclatent à leur tour.

Air : — Contralto Solo.


ler Couplet.


Premiers transports que nul n’oublie !
Premiers aveux, premiers sermens
          De deux amans
Sous les étoiles d’Italie ;
Dans cet air chaud et sans zéphirs,
Que l’oranger au loin parfume,
          Où se consume
Le rossignol en longs soupirs !


Quel art, dans sa langue choisie,
Rendrait vos célestes appas ?
Premier amour ! n’êtes-vous pas
Plus haut que toute poésie ?


Ou ne seriez vous point, dans notre exil mortel,
          Cette poésie elle-même,
Dont Shakespeare lui seul eut le secret suprême
          Et qu’il remporta dans le ciel !




2me Couplet.


Heureux enfans aux cœurs de flamme !
Liés d’amour par le hasard
        D’un seul regard ;
Vivant tous deux d’une seule âme !
Cachez-le bien sous l’ombre en fleurs,
Ce feu divin qui vous embrase ;
        Si pure extase
Que ses paroles sont des pleurs !


       Quel roi de vos chastes délires
       Croirait égaler les transports !
       Heureux enfans !… et quels trésors
       Pairaient un seul de vos sourires !


Ah ! savourez-la bien cette coupe de miel,
       Plus suave que les calices
Où les anges de Dieu, jaloux de vos délices,
       Puisent le bonheur dans le ciel !




reprise du chœur-prologue (après le 2e couplet) :


Bientôt de Roméo la pâle rêverie
       Met tous ses amis en gaîté :
« Mon cher, dit l’élégant Mercutio, je parie
  Que la reine Mab t’aura visité. »




Scherzino vocal.


ténor solo et petit chœur :



          Mab, la messagère
          Fluette et légère !…
Elle a pour char une coque de noix
     Que l’écureuil a façonnée ;
          Les doigts de l’araignée
          Ont filé ses harnois.
Durant les nuits, la fée, en ce mince équipage,
Galoppe follement dans le cerveau d’un page
          Qui rêve espiègle tour
          Ou molle sérénade
     Au clair de lune sous la tour.
     En poursuivant sa promenade