Lord Castelreagh et la politique extérieure de l’Angleterre de 1812 à 1822/01

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LORD CASTLEREAGH


ET LA


POLITIQUE EXTERIEURE DE L'ANGLETERRE DE 1812 A 1822.





I.

LA COALITION EUROPEENNE DE 1813 ET 1814.


Correspondence, Despatches and other Papers of viscount Castlereagh, second marquess of Londonderry, etc. London 1853, John Murray.




Parmi les hommes d’état qui ont figuré au premier rang depuis le commencement de ce siècle, il n’en est peut-être pas un autre dont la réputation soit encore aussi peu établie et qui ait vu ses titres de gloire aussi contestés que lord Castlereagh. On peut dire que si son nom, associé aux grands événemens qui ont renouvelé la face de l’Europe, a fait beaucoup de bruit, la légitimité de son illustration est restée jusqu’à présent problématique pour la plupart des esprits. Bien des causes ont contribué à prolonger les doutes sur ce point. Le ministère dans lequel il a tenu une des premières places, peut-être la première, bien qu’il n’en fût pas le chef nominal, ce ministère qui, après tant de fortunes diverses, vit l’Angleterre arriver au plus haut degré de gloire militaire et de puissance extérieure qu’elle ait jamais atteint, ne fut pas, à beaucoup près, aussi heureux dans sa politique intérieure. Favorisé par les dangers du dehors qui ralliaient autour de lui la masse de la nation, il put, il est vrai, se maintenir vingt ans au pouvoir ; il put, en s’appuyant sur la terreur et l’indignation légitime qu’avaient provoquées les excès de la révolution française, arrêter les progrès de l’esprit d’innovation, et même reprendre une partie du terrain qu’avaient déjà conquis les amis des réformes les plus impérieusement réclamées par la justice et la raison ; mais en s’abandonnant à cette réaction au lieu de la diriger, en l’exagérant au lieu de la contenir et de la régler, en la poursuivant aveuglément lorsque des circonstances nouvelles ne permettaient plus d’y persévérer sans péril, ce ministère prépara le discrédit et la ruine du grand parti dont il était le représentant. Le torysme devait en quelque sorte périr avec lui. Depuis la retraite de lord Liverpool, il y a eu sans doute des cabinets conservateurs, il n’y a plus eu de cabinets tories. Le duc de Wellington et sir Robert Peel, dans la résistance qu’ils ont encore opposée aux entreprises du parti réformateur, n’ont lutté, si l’on peut]ainsi parler, qu’à force de concessions. L’impossibilité de maintenir l’ancien édifice des institutions britanniques sans y apporter des altérations essentielles n’était presque plus contestée. Il ne s’agissait plus que de fixer un peu plus ou un peu moins loin la limite des modifications qu’elles devaient nécessairement subir, et ceux mêmes qui pensent qu’on n’y a pas toujours procédé avec assez de circonspection pourraient difficilement nier que le dernier ministère tory, en persistant trop longtemps, trop complètement dans un système déjà frappé d’impopularité, en recourant parfois, pour le soutenir, à des moyens faits pour discréditer l’autorité, avait rendu ce résultat presque inévitable et brisé d’avance les armes défensives entre les mains de ses successeurs.

Ce qui explique de telles fautes et ce qui fait mieux comprendre encore la défaveur attachée à la mémoire de ce cabinet, c’est la médiocrité de la plupart de ses membres. Au milieu des grands hommes d’état et des brillans orateurs qui les avaient précédés et qui se sont assis après eux sur les bancs de la trésorerie, ils ne se font guère remarquer que, par une ténacité qui, à un moment donné, dans des circonstances particulières, a pu être une force, mais qui ne pouvait leur tenir lieu des lumières, des talens, des vues élevées et généreuses dont ils étaient absolument dépourvus. L’éloquence même, qui, depuis près d’un siècle, jetait tant d’éclat sur les combats de la tribune, leur manquait complètement, et l’on ne saurait méconnaître que dans un gouvernement parlementaire, si l’éloquence ne suffit pas pour faire un ministre accompli, elle est une des conditions nécessaires de toute grande position politique.

Lord Castlereagh était certainement fort supérieur à ses collègues. Son esprit avait plus de largeur, et, dans une des principales questions du temps, — celle de l’émancipation des catholiques, — il fit constamment preuve de dispositions libérales qui le mettaient en opposition avec la plupart et les plus considérables d’entre eux. Bien que plus qu’aucun autre il fût privé du talent de la parole et que son élocution fût parfois même empreinte d’une ridicule bizarrerie, son grand air, sa bonne grâce, son habileté à manier les esprits et sans doute aussi les immenses avantages que l’Angleterre recueillit, sous son administration, de la direction vigoureuse imprimée à la politique extérieure, lui avaient donné dans la chambre des communes un ascendant, une autorité qui ont été rarement égalés. Il est probable néanmoins que, s’il eût vécu quelques années de plus, cette haute position ne se serait pas maintenue intacte. L’expérience a assez prouvé que le souvenir des plus grands services ne suffit pas pour protéger un gouvernement engagé dans des voies qui ne sont pas ou qui ne sont plus celles de l’opinion publique, et telle était incontestablement, au moment de sa mort, la situation du ministère tory. Lord Castlereagh s’était trop complètement associé aux actes et aux principes de ce ministère, même dans ce qu’ils avaient de moins facile à justifier, il y avait concouru avec trop peu de scrupule, pour qu’il lui fut possible de se dégager de cette solidarité que d’ailleurs il ne pensait nullement à décliner. Enfin, ce qui avait longtemps fait sa force, ce qui, aux yeux de la postérité éclairée, constituera son véritable titre de gloire, les actes diplomatiques auxquels il avait attaché son nom commençaient, par un revirement singulier, à devenir pour lui une cause de faiblesse et d’embarras ; on trouvait qu’à force de vivre sur le continent au milieu des rois absolus et de leurs ministres, il avait fini par perdre le sentiment de la politique purement anglaise, de cette politique habile, circonspecte et énergique tout à la fois, égoïste si l’on veut, qui, tenant compte de la position géographiquement isolée de la Grande-Bretagne, avait pour principe de n’intervenir que là où les intérêts du pays étaient directement ou indirectement engagés d’une manière sérieuse, et de ne pas se préoccuper des périls, des compromissions qui ne regardaient que les autres états. On l’accusait d’avoir contracté, dans ce commerce habituel avec des souverains et des hommes d’état pour la plupart assez hostiles à la liberté, des penchans peu compatibles avec les devoirs et les convenances imposés à un ministre anglais, même à un ministre tory.

Ces accusations, ces imputations, je ne prétends pas les apprécier ici : il me suffit de constater que, du vivant même de lord Castlereagh, une opinion puissante ne les lui épargnait pas, et que depuis cette opinion a paru prévaloir en Angleterre. Si je ne me trompe, l’examen raisonné des actes de sa politique, tels qu’ils ressortent de sa correspondance récemment publiée[1], doit disposer les esprits à le juger avec plus d’indulgence, à lui tenir compte de l’entraînement des circonstances souvent impérieuses dans lesquelles il se trouvait placé, et à reconnaître qu’en bien des conjonctures il a montré autant de modération et de sagacité que d’habileté et de vigueur. Il est bien entendu que je parle uniquement de ses actes diplomatiques, dont l’exposé, seul objet de ce travail, nous permettra d’étudier la politique extérieure de la Grande-Bretagne dans une des périodes les plus curieuses de son histoire.


I

Au commencement de 1813, le cabinet tory, formé, après la mort de Fox et la retraite des whigs, des débris du ministère de Pitt, comptait déjà près de six années d’existence. Successivement présidé par le duc de Portland, par M. Perceval et par lord Liverpool, il avait vu s’opérer dans son sein des mutations assez nombreuses, dont l’effet avait été de le rendre enfin complètement homogène sans augmenter, à beaucoup près, sa force morale. Lord Castlereagh, qui, dans les premiers temps, y avait dirigé avec assez peu de succès l’administration de la guerre, qui ensuite avait dû se retirer par suite d’une querelle avec un de ses collègues, venait d’y rentrer comme principal secrétaire d’état pour les affaires étrangères.

La guerre contre la France, commencée vingt ans auparavant, en 1793, suspendue un moment en 1802 par la paix d’Amiens, reprise en 1803 avec un redoublement de passion, se poursuivait au moyen d’efforts et de sacrifices inouïs. Sur mer, le succès de l’Angleterre avait été complet : la marine française, presque détruite à Aboukir, à Trafalgar et dans vingt autres combats, ne pouvait plus sur aucun point tenir tête aux forces britanniques, et toutes nos colonies, toutes celles des états soumis à notre domination étaient successivement tombées au pouvoir de l’ennemi. Longtemps, il est vrai, ces résultats, quelque grands qu’ils fussent, s’étaient effacés devant l’éclat incomparable des victoires que Napoléon remportait sur le continent et de ses prodigieuses conquêtes. Vainement le cabinet de Londres, par ses négociations et par ses subsides, était parvenu à organiser contre lui les plus formidables coalitions : les journées d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, de Wagram, avaient mis l’Europe aux pieds de l’empereur ou dans son alliance. Un moment, l’Angleterre exclue, repoussée de tout le littoral européen, s’était vue réduite à n’avoir d’autres alliés que les rois des Deux-Siciles et de Sardaigne, dépouillés eux-mêmes de leurs possessions continentales et réfugiés dans leurs états insulaires, où elle parvenait à peine à les maintenir. Bientôt, il est vrai, les fautes de Napoléon, les aveugles et coupables excès de son ambition, avaient changé cet état de choses et donné à l’Angleterre d’utiles auxiliaires : les Espagnols et les Portugais, dont il avait voulu violer la nationalité, abandonnés à eux-mêmes par leurs faibles princes, s’étaient insurgés : l’Angleterre s’était empressée d’accourir à leur aide. Sur le champ de bataille qu’on lui avait ainsi fourni, ses soldats, conduits par un habile capitaine et secondés par des populations enthousiastes, avaient obtenu des succès inattendus ; pour la première fois, les armées françaises avaient éprouvé une résistance dont, malgré leur nombre, malgré leurs efforts redoublés, elles ne pouvaient triompher, et l’Europe, naguère consternée et découragée, avait commencé à soupçonner que l’ascendant de Napoléon n’était pas absolument irrésistible.

Dans la voie funeste où il était engagé, il n’est guère possible de revenir sur ses pas ou même de s’arrêter ; les témérités appellent les témérités. L’empereur des Français, qui semblait devoir puiser une utile leçon dans les tristes conséquences de l’invasion de l’Espagne et dans les inextricables embarras où elle l’avait plongé, n’y vit au contraire qu’un motif de chercher à effacer par de nouveaux triomphes les premiers revers qui eussent compromis l’éclat de ses armes. La Russie, bien que son alliée, subissait moins docilement que les puissances allemandes les lois de son omnipotence ; pour la contraindre à plier sous le joug commun, il lança sur son territoire une immense année où figuraient, à côté des troupes françaises, les contingens de presque tous les états européens, de l’Autriche, de la Prusse elle-même, réduites, dans leur profond découragement, à briguer la faveur de concourir au succès d’une entreprise qui, si elle eût réussi, aurait définitivement rivé leurs fers.

Les derniers mois de l’année 1812 virent la fin désastreuse de cette expédition. La plus puissante armée qui ait peut-être existé, cette année, à laquelle il semblait qu’aucune force humaine ne pourrait opposer une résistance efficace, expira dans les horreurs du froid et de la faim, et l’Europe entrevit enfin la possibilité d’une lutte dernière. Une puissante coalition se forma encore une fois contre son dominateur. À l’Angleterre, à la Russie, à l’Espagne, au Portugal, déjà unis par des traités d’alliance, venait de se joindre la Suède. Elle était pourtant gouvernée par un Français, par Bernadotte, qui avait conquis sa renommée et sa fortune au service de la république et de l’empire, et que, par un singulier concours de circonstances, le peuple suédois s’était vu amené à choisir pour héritier de la couronne ; mais le nouveau prince royal, de tout temps hostile à Napoléon, n’avait pas tardé à penser que les intérêts du peuple dont il était l’élu ne pouvaient s’accorder avec les exigences hautaines et souvent injurieuses de l’alliance française. Séduit par les caresses et les flatteries de l’empereur Alexandre, il lui avait promis son concours dans un moment où tout le continent s’armait contre lui, et à ce prix la Russie et l’Angleterre s’étaient engagées à l’aider à conquérir la Norvège sur le Danemark, ce fidèle allié de l’empire français.

À mesure que l’armée russe, poursuivant les débris de l’armée française, s’avançait sur le sol de l’Allemagne, elle y trouvait d’autres auxiliaires. Les populations, depuis longtemps fatiguées et humiliées du joug pesant que leur imposait le système de la confédération du Rhin, appelées tout à la fois par les sociétés secrètes à l’indépendance nationale et a la liberté politique, s’insurgeaient de toutes parts. Les gouvernemens, rendus plus circonspects par le mauvais succès et les désastreuses conséquences de tant d’autres tentatives d’affranchissement, hésitaient davantage. Le cabinet de Berlin, loin de seconder les premières démonstrations patriotiques de son armée et de son peuple, s’empressa d’envoyer à Paris un personnage considérable pour les désavouer et pour protester de sa fidélité à ses engagemens : mais cette mission était à peine accomplie, que déjà le roi Frédéric-Guillaume, cédant à l’entraînement universel, joignit ses forces à celles d’Alexandre et conclut avec lui un traité fondé sur la double base de la libération de l’Allemagne et la reconstruction de la monarchie prussienne dans les proportions qu’elle avait eues avant la bataille d’Iéna. L’Autriche mit plus de temps à se décider : l’esprit public, bien que très hostile aussi à la France, y était moins violemment passionné ; il n’exerçait pas une action aussi puissante sur le gouvernement, et le gouvernement lui-même se trouvait uni à l’empereur des Français par des liens bien autrement étroits, qui ne pouvaient être aussi brusquement dénoués. Le caractère du ministre dirigeant, le comte, depuis prince de Metternich, le disposait d’ailleurs à plus de ménagemens. Peu susceptible de haine et peu enclin aux résolutions téméraires, il eût préféré toute combinaison qui, sans exposer l’Autriche et l’Europe aux chances d’une guerre à mort contre Napoléon, eût fait rentrer la puissance française dans des limites conciliables avec le repos et l’indépendance des autres états. C’est dans ce sens que se dirigea d’abord la politique du cabinet de Vienne. Déjà il avait fait prendre une attitude de neutralité au contingent autrichien mis l’année précédente à la disposition de Napoléon : il pressait avec aussi peu de bruit et d’éclat que possible les armemens nécessaires pour se mettre en mesure d’intervenir efficacement dans la lutte ; mais tout en offrant ses bons offices à la France pour le rétablissement de la paix, tout en couvrant de ce prétexte spécieux les négociations qu’il ouvrait dès lors avec la Russie et l’Angleterre, il ne cessait de répéter qu’il entendait persister dans une alliance dont la base était la garantie réciproque de l’intégralité des empires de France et d’Autriche.

Ces hésitations, ces tâtonnemens, se prolongèrent jusqu’au moment où Napoléon, reprenant l’offensive à la tête d’une armée de conscrits qu’il avait levée et organisée en trois mois, avec cette activité incomparable qui était peut-être une de ses plus merveilleuses facultés, vint arrêter en Saxe la marche des Russes et des Prussiens, et, par deux éclatantes victoires, les repousser jusqu’en Silésie. Par ce retour de fortune, le héros semblait avoir repris son ascendant. L’Autriche comprit qu’il était temps de s’interposer plus directement. Renonçant à des tergiversations qui commençaient à inquiéter les puissances coalisées, elle proposa l’ouverture d’un congrès où les parties belligérantes essaieraient, sous sa médiation, de se mettre d’accord sur les conditions de la paix, et un armistice dont la durée limitée fixerait celle de la négociation. La proposition fut acceptée ; il eût été difficile de la repousser sans déclarer qu’on ne voulait pas la paix, et d’ailleurs, dans la supposition même de la continuation de la guerre, on avait besoin de part et d’autre d’une suspension d’armes pour se procurer les moyens de la poursuivre avec plus d’énergie.

On sait quelle fut l’issue du congrès de Prague. À vrai dire, le jour où il s’ouvrit, aucune des puissances n’en attendait, on pourrait dire ne désirait en voir sortir un résultat pacifique. L’Autriche seule peut-être en eût été vraiment satisfaite, mais une conférence que M. de Metternich avait eue quelques jours auparavant avec l’empereur des Français n’avait pu lui laisser aucune illusion sur la possibilité de l’amener autrement que par la force aux concessions que le cabinet de Vienne considérait comme pouvant seules devenir les bases d’une pacification sérieuse. Napoléon offrait, pour s’assurer l’alliance de l’Autriche, de lui rendre les provinces illyriennes ; il ajoutait que ce n’était pas son dernier mot, et quelques paroles qui lui échappèrent plus tard pourraient faire croire en effet qu’à toute extrémité il eût consenti à abandonner le duché de Varsovie. On ne peut guère douter non plus qu’il n’eût déjà pris son parti de renoncer à l’Espagne, où coulait inutilement depuis cinq ans le plus pur sang de la France, et dont nos armées, vaincues par lord Wellington, évacuaient en ce moment le territoire ; mais ces concessions, qui, en lui laissant encore une immense puissance matérielle, l’eussent placé dans une position si humiliante et lui eussent enlevé toute force morale, étaient loin de satisfaire le gouvernement autrichien. Il voulait de plus la dissolution de la confédération du Rhin, l’abandon de l’Italie presque entière, et, pour le cas encore douteux où l’Angleterre se déciderait à faire la paix, l’abandon de la Hollande. Napoléon se révoltait à l’idée de faire de tels sacrifices alors qu’il venait de remporter deux victoires. Quoique l’empire français, dans les limites où on lui demandait de le restreindre, eût encore été bien grand, bien puissant, autant et peut-être plus que ne le demandaient les intérêts véritables de la France, Napoléon sentait bien que souscrire à de tels arrangemens, c’eût été pour lui personnellement signer sa propre déchéance. Ce n’est pas impunément qu’on essaie la conquête du monde, on y périt lorsqu’on n’y réussit pas, et de nos jours un tel succès est impossible pour bien des motifs. Il était dans cette position terrible où la cause, les intérêts d’un prince cessent d’être identiques à ceux de son peuple, où le bien et le salut de l’un exigent ce que l’honneur de l’autre ne comporte pas. Dans une telle position, un prince dont la dynastie est affermie sur le trône peut tout concilier en abdiquant ; c’est ce que fit Charles-Quint lorsque la fortune contraire eut renversé ses projets de domination universelle ; c’est ce qu’a fait tout récemment, si l’on peut comparer dès personnes et des choses si inégales, le téméraire et infortuné Charles-Albert ; mais Napoléon, monarque nouveau, n’avait pas cette ressource : abdiquer en faveur d’un enfant de deux ans, c’était vouer la France à l’anarchie, et sa dynastie à une ruine certaine. Il était donc condamné à persister dans une lutte contre des forces trop supérieures pour qu’il put à la longue espérer la victoire, mais hors de laquelle il n’y avait pour lui aucune chance d’honneur ni même de salut : rigoureux châtiment des fautes irréparables auxquelles l’avait entraîné l’aveuglement de la prospérité !

Ces conditions que l’Autriche mettait en avant et qu’il repoussait, il est plus que probable qu’elles auraient médiocrement satisfait la Russie et la Prusse, bien que la crainte d’un retour de fortune les eût sans doute décidées à y souscrire. Les deux cabinets, certains d’avance de voir la cour de Vienne se déclarer en leur faveur si les hostilités recommençaient, ne pouvaient beaucoup redouter le renouvellement d’une guerre où la proportion des forces respectives devait se trouver tellement changée. Quant à l’Angleterre, ses dispositions étaient moins conciliantes encore. Le sentiment national, porté au plus haut degré d’exaspération et d’orgueil par la longueur et l’acharnement du duel engagé depuis vingt ans contre la France, par l’énormité des sacrifices qu’il avait coûtés, par les victoires de lord Wellington, et surtout par les événemens inattendus qui étaient venus, depuis quelques mois, ébranler si violemment l’édifice de la puissance napoléonienne, en était déjà arrivé au point de regarder comme un dénouement peu satisfaisant ce que naguère on n’eût pas même osé espérer. Le ministère eût craint de blesser ouvertement des tendances qui d’ailleurs étaient en réalité les siennes ; il n’osait pourtant pas non plus proclamer hautement la volonté de ne pas faire la paix, sachant bien que si, après un tel refus, les choses avaient mal tourné, l’opinion lui en aurait demandé compte ; mais s’il paraissait se prêter jusqu’à un certain point aux démarches de l’Autriche, c’était avec le désir peu déguisé qu’elles n’eussent aucun résultat. Cela ressort clairement des instructions données le 6 juillet 1813 par lord Castlereagh à lord Cathcart, qui, accrédité en qualité d’ambassadeur auprès de l’empereur Alexandre, l’avait suivi en Allemagne, et devait, s’il y avait lieu, intervenir dans les négociations. Elles portaient qu’il ne fallait pas se refuser absolument à traiter de la paix, si les puissances continentales s’y déterminaient, que dans ce cas on devait leur représenter fortement la nécessité d’insister pour obtenir toutes les conditions réclamées par les grands intérêts de l’Europe ; mais s’il était impossible de leur inspirer toute l’énergie désirable, l’Angleterre ne devait pas se séparer d’elles, pourvu qu’on lui donnât satisfaction sur certains points dont il lui était impossible de se départir. « Le danger de traiter avec la France est grand, disait le ministre, mais celui de perdre nos alliés continentaux et la confiance de notre propre nation est plus grand encore. Nous devons garder scrupuleusement la foi jurée à l’Espagne, au Portugal, à la Sicile et à la Suède. Nous devons conserver nos conquêtes les plus importantes en nous servant des autres pour améliorer un arrangement général…, et, relativement au continent, notre rôle est de soutenir et d’animer les puissances dont les efforts peuvent seuls nous donner la possibilité d’atteindre ce grand résultat en évitant de compromettre par des exigences et des aspirations exagérées nos chances futures d’alliances et de résistance. »

Une des grandes préoccupations du cabinet de Londres, c’était de bien faire comprendre à ses alliés qu’il ne consentirait jamais à faire entrer dans les négociations le règlement des questions de droit maritime, sur lesquelles il était résolu à ne rien céder, parce qu’il a toujours considéré le maintien de ses principes en cette matière comme essentiel à sa supériorité navale, mais sur lesquelles il savait bien que si le débat venait à s’engager, la France aurait pour elle l’assentiment et les vœux de tout le continent, parce que la cause qu’elle défendait était celle des marines faibles contre les dominateurs des mers. Voici ce que lord Castlereagh écrivait à ce sujet, le 14 juillet, à lord Cathcart : « Je ne puis me dispenser de vous rappeler combien il importe d’éveiller l’attention de l’empereur Alexandre sur la nécessité qu’il y a, tant dans son intérêt que dans le nôtre, d’exclure péremptoirement des négociations générales toute question maritime. S’il ne le fait pas, il s’exposera à susciter une mésintelligence entre les puissances dont l’union fait la sûreté de l’Europe. La Grande-Bretagne peut être forcée à se retirer du congrès, mais non pas à renoncer à ses droits maritimes. » Lord Castlereagh expliquait ensuite que son gouvernement n’accepterait aucune espèce d’intervention, dans la querelle où il était alors engagé avec les États-Unis, pour ces questions si délicates des privilèges du pavillon neutre et du droit de visite et de recherche, qu’aujourd’hui encore on n’a pu parvenir à résoudre en principe. « Pour peu, disait-il, que l’empereur connaisse l’Angleterre, il doit être convaincu qu’aucun ministère n’oserait abandonner la faculté de rechercher à bord d’un bâtiment neutre soit la propriété de l’ennemi, soit la personne d’un sujet anglais. La seule chose qu’il y ait lieu d’examiner, c’est si l’usage de cette dernière faculté peut être réglé… de manière à en prévenir autant que possible les abus. On est ici parfaitement disposé à aborder loyalement cette question ; mais le seul fait qu’un arrangement serait conclu par l’intermédiaire d’une tierce puissance suffirait probablement pour le faire repousser par le sentiment national. »

Toute la correspondance de lord Castlereagh avec lord Cathcart est remplie de ces restrictions, de ces témoignages de défiance. Il paraît que lord Castlereagh n’était pas bien informé des intentions de l’Autriche, des bases sur lesquelles elle comptait établir sa médiation, et qu’il comptait peu sur l’énergie de M. de Metternich. Il ne croyait pas d’ailleurs que les choses fussent mûres pour une pacification véritable. Indiquant, dans une lettre du 7 août, les cessions, les garanties que, suivant lui, il était absolument nécessaire ; d’imposer à Napoléon pour que la paix eût quelque solidité, il résumait ainsi sa pensée :


« J’ai grand’peine à me persuader que les conférences de Prague puissent, dans les circonstances actuelles, aboutir à un résultat pacifique, si les alliés restent fidèles à leur cause et à leurs engagemens réciproques. Bonaparte a reçu une leçon sévère ; mais tant qu’il lui restera des forces telles que celles qu’il a sous les armes, il n’accédera à aucun accommodement que même le comte, de Metternich puisse avoir le front de souscrire comme pourvoyant sur des principes solides au repos de l’Europe… Les puissances commettraient une erreur bien fatale pour elles-mêmes, si elles pensaient un seul moment à chercher leur sûreté dans ce qu’on a appelé une paix continentale. Nous avons fait des merveilles dans la Péninsule, mais Dieu nous garde de l’épreuve d’un combat singulier de ce côté ! Nous pouvons succomber sous les forces non divisées de la France, et si nous succombions, l’Allemagne et même la Russie auraient bientôt repris leurs fers… Nous tenons en ce moment le taureau entouré, serré de près entre nous tous. Si, par la faute de l’un de nous, il venait à s’échapper avant que nous l’eussions mis hors d’état de nuire, nous pourrions le payer cher, et nous le mériterions bien. »


Les inquiétudes que lord Castlereagh exprimait avec une vivacité si caractéristique furent bientôt dissipées. C’était le 7 août qu’il écrivait en ces termes à lord Cathcart ; le 10, le congrès de Prague, ouvert six semaines auparavant, était déjà dissous. Il n’y avait pas eu une seule conférence ; tout le temps s’était passé en débats préliminaires sur des questions de forme. Vainement le duc de Vicence, que Napoléon avait choisi pour un de ses plénipotentiaires, à cause de la confiance que sa droiture et la notoriété de ses sentimens pacifiques inspiraient aux cabinets du continent, s’était-il efforcé, avec une courageuse franchise, d’éclairer son maître sur les dangers auxquels il s’exposait en laissant s’écouler en contestations frivoles le terme assigné d’avance à la durée du congrès ; soit que Napoléon se fit encore illusion sur les intentions de l’Autriche, soit, ce qui est plus vraisemblable, qu’il obéit aux considérations que j’indiquais tout à l’heure, il resta sourd à ces avertissemens.

Le jour même de la clôture du congrès, l’Autriche déclara la guerre à la France et joignit ses armes à celles de la grande alliance. À partir de ce moment, la coalition, unie par des traités multipliés dont les subsides de l’Angleterre étaient en quelque sorte le ciment, ne devait plus se présenter à la France que comme une masse compacte dont elle eût vainement essayé de disjoindre les élémens. À Prague, Napoléon aurait eu encore la possibilité de traiter avec le continent à l’exclusion de l’Angleterre, si elle s’était montrée trop exigeante ; plus tard, cette chance avait disparu.

La reprise des hostilités fut marquée par un éclatant succès de Napoléon. La bataille de Dresde, un de ses plus glorieux triomphes, put faire croire un instant que les temps d’Austerlitz et d’Iéna étaient revenus ; un instant il put penser que les portes de Vienne et de Berlin allaient encore s’ouvrir devant lui, mais l’illusion fut courte. Bientôt des échecs graves, se succédant rapidement sur tous les points où sa présence ne commandait pas la victoire, le réduisirent à une défensive dont la prolongation, dans l’état des choses, ne pouvait que tourner contre lui. La fortune lui devenait contraire. Le plus puissant des états de la confédération du Rhin, la Bavière, qu’il avait tant agrandie, craignant de se compromettre par une trop longue fidélité à la cause du malheur, accéda à la coalition. Cette défection en annonçait d’autres et les rendait presque inévitables. Napoléon, menacé de perdre ses communications avec la France, se décida à abandonner la position centrale de Dresde, où jusqu’alors il avait tenu en échec ses ennemis, qui, malgré la supériorité toujours croissante de leurs forces, n’osaient encore, après la défaite qu’ils y avaient essuyée, venir l’attaquer de nouveau. Enhardis par sa retraite, il se mirent enfin en mouvement et l’atteignirent dans les plaines de Leipzig, où se livra, le 18 octobre, cette bataille des nations, la plus terrible sans aucun doute qu’aient vue les temps modernes. Vaincu, accablé par le nombre, obligé encore, quelques jours après sa défaite, de livrer à Hanau un nouveau combat à un corps austro-bavarois, composé de troupes fraîches, qui voulait lui fermer la route de France, il dut s’estimer heureux de pouvoir se frayer un passage et ramener de l’autre côté du Rhin les débris de son armée, en laissant dans les forteresses de l’Allemagne cent mille soldats perdus ainsi pour la défense de nos frontières.

La cause de l’indépendance de l’Europe et en particulier de l’Allemagne, ce but premier de la coalition, était décidément gagnée. Les gouvernemens continentaux, étonnés de leurs succès et n’en comprenant pas toute l’étendue, semblèrent d’abord disposés à en user avec modération et à ne pas pousser à bout leur formidable adversaire. On les vit s’arrêter pendant deux mois devant cette barrière du Rhin dont ils s’exagéraient la force, ils crurent même, dans leur haute fortune, devoir prendre l’initiative d’une nouvelle et plus sincère tentative de pacification. Les événemens de la guerre ayant fait tomber entre leurs mains un diplomate français, M. de Saint-Aignan, accrédité auprès de la cour de Weimar, ils le firent amener à Francfort, où se trouvait alors le grand quartier-général des souverains, et le 9 novembre, avant de lui rendre la liberté, les ministres des cours alliées le chargèrent de porter à l’empereur Napoléon des propositions dont voici la substance : la France devait rentrer dans ses limites naturelles, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; l’Angleterre, alors en possession de toutes les colonies françaises, était disposée à faire de grands sacrifices, c’est-à-dire à en restituer une partie pour prix d’un arrangement qui aurait rendu le repos au monde. — Ces propositions furent énoncées et développées avec un ton de franchise et de bienveillance, avec des ménagemens de langage qui prouvaient un désir sincère de conciliation : ce n’était pas ainsi qu’on avait négocié à Prague et que l’on devait plus tard négocier à Châtillon. Les passions vindicatives qui animaient les cabinets comme les peuples semblaient s’être endormies pour un instant ; on parlait de la France avec considération, avec respect, on protestait contre la pensée de vouloir l’humilier ou la faire déchoir de la position élevée à laquelle on lui reconnaissait des droits. Dans cette effusion de courtoisie, on alla jusqu’à charger M. de Saint-Aignan de transmettre des témoignages de haute estime et de confiance à son beau-frère, le duc de Vicence, qu’on supposait devoir être chargé de la négociation, et qu’en effet Napoléon appela quelques jours après au ministère des relations extérieures.

C’était M. de Metternich qui portait la parole au nom de l’alliance, et M. de Metternich, par tempérament comme par position, était sans doute le plus modéré des personnages influens de la coalition ; mais la Russie était représentée dans cette conférence par M. de Nesselrode, chargé du portefeuille des affaires étrangères, qui se déclara autorisé à garantir aussi l’assentiment de la Prusse, et l’Angleterre elle-même, par lord Aberdeen, qui, fort jeune encore, commençait alors sa carrière comme ambassadeur auprès de la cour de Vienne. Tous donnèrent leur adhésion à la note que M. de Saint-Aignan rédigea sous leurs yeux comme le résumé des importantes communications dont on venait de le charger, et il est à remarquer que lord Aberdeen, en élevant contre un passage de cette note des objections de pure forme, sur lesquelles il n’insista même pas, constata d’autant mieux son approbation du sens général qu’elle exprimait.

Ce qu’on offrait donc de laisser à la France vaincue au-delà de ce qu’elle possédait avant la guerre de la révolution, c’était la Belgique, la rive gauche du Rhin et la Savoie, moyennant la cession d’une partie de ses colonies, qui se trouvaient toutes en ce moment au pouvoir des Anglais. Un tel résultat d’une guerre aussi longue, aussi acharnée, eût été certes un exemple de modération unique dans l’histoire ; mais cet exemple ne devait pas être donné. Avant que les propositions de Francfort pussent être connues à Londres, lord Castlereagh avait envoyé à lord Aberdeen des instructions conçues dans un tout autre esprit. En même temps qu’il lui recommandait, par une lettre signée du 13 novembre, de s’opposer à toute suspension d’hostilités pendant les négociations qui pourraient s’ouvrir, il lui expliquait ainsi les vues du gouvernement britannique sur les conditions auxquelles la paix pourrait être conclue :


« Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’après ce torrent de succès, la nation est disposée à voir avec défaveur tout arrangement qui ne réduirait pas strictement la France dans ses anciennes limites, En fait, la paix avec Bonaparte, quels qu’en soient les termes, ne sera jamais populaire, parce qu’on ne croira jamais qu’il puisse se soumettre à sa destinée ; mais vous comprendrez que nous ne nous laissions pas détourner par de telles opinions de la voie que nous nous sommes tracée… Nous ne sommes nullement disposés à en sortir pour intervenir dans le gouvernement intérieur de la France, quel que pût être notre désir de le voir dans des mains plus pacifiques ; mais, d’un autre côté, ma conviction profonde est que nous ne devons pas encourager nos alliés à bâcler un arrangement imparfait. S’ils veulent absolument le faire, il faudra bien nous y résigner ; seulement il faut, dans ce cas, qu’il soit bien évident que c’est leur œuvre et non la nôtre… Je dois particulièrement vous recommander de fixer votre attention sur Anvers. La destruction de cet arsenal est essentielle à notre sûreté. Le laisser entre les mains de la France, c’est, ou peu s’en faut, nous imposer la nécessité d’un établissement de guerre perpétuel. Après tout ce que nous avons fait pour le continent, nos alliés nous doivent et ils se doivent à eux-mêmes d’éteindre cette source[2] féconde de périls pour eux comme pour nous. Nous ne voulons pas imposer à la France des conditions déshonorantes comme serait la limitation du nombre de ses vaisseaux, mais il ne faut pas la laisser en possession d’Anvers. C’est là un point que vous devez considérer comme essentiel par-dessus tous les autres en ce qui concerne les intérêts britanniques. »


Toute la politique de l’Angleterre est dans ce peu de lignes, écrites avec l’abandon d’une communication confidentielle : on n’ose pas encore penser à détrôner Napoléon, bien qu’on en ait le plus grand désir ; on ne regardera comme une paix vraiment satisfaisante que celle qui enlèvera à la France toutes ses conquêtes ; enfin on ne consentira à aucun prix à lui laisser Anvers, dont le port entre ses mains menacerait la suprématie maritime de l’Angleterre.

Il est aisé de concevoir l’impression que firent sur des esprits ainsi disposés les propositions de Francfort, qui précisément laissaient à la France la Belgique tout entière. Le cabinet de Londres, redoutant l’effet que pourrait produire la publication de la note de M. de Saint-Aignan, crut devoir, pour couvrir sa responsabilité, faire remettre à ses alliés une sorte de protestation. Il ne lui fut pas difficile de les ramener à son point de vue. Comme ce n’était pas une modération véritable, mais un sentiment de prudence peut-être exagéré qui les avait portés à se montrer si concilians, ils revinrent à d’autres pensées dès qu’ils purent s’apercevoir que leurs succès étaient plus considérables encore et l’ennemi plus affaibli qu’ils ne l’avaient cru d’abord. La Hollande venait d’expulser les Français et de se donner un gouvernement indépendant sous l’autorité du prince d’Orange, héritier de ses anciens stathouders. À l’autre extrémité de la France, lord Wellington, après avoir consommé l’affranchissement de la Péninsule, pénétrait dans nos départemens du midi, ceux de tous où l’ancienne royauté avait conservé le plus de partisans et où l’on témoignait le plus de lassitude du gouvernement impérial. On savait que les restes de l’armée ramenée d’Allemagne par Napoléon, ravagés par le typhus, encombraient les hôpitaux de Mayence. Les nouvelles qu’on recevait de l’intérieur de la France donnaient lieu aux alliés d’espérer qu’ils n’y rencontreraient pas l’énergique résistance devant laquelle avait échoué en 1792 une coalition bien moins formidable d’ailleurs, et cette espérance dut singulièrement s’accroître quand on apprit que Napoléon s’était cru obligé de dissoudre le corps législatif, qui lui demandait la paix en termes impérieux. En présence d’un tel état de choses, les coalisés regrettèrent les offres qu’ils avaient faites au gouvernement français, et lorsque Napoléon, qui avait laissé passer quelques semaines sans les accepter formellement, fit témoigner à M. de Metternich le désir de la prompte ouverture des négociations, il ne reçut que des réponses évasives. On ne refusait pas de traiter, mais on se renfermait dans des termes généraux ; on alléguait, pour gagner du temps, la nécessité de s’entendre avec le cabinet de Londres et la difficulté qu’apportaient à une prompte résolution les mouvemens continuels des souverains et de leurs ministres. Deux mois devaient s’écouler ainsi, et nous verrons où s’ouvrit le congrès qui avait dû se tenir à Mannheim.

Dans les derniers jours de décembre 1813 et au commencement de janvier 1814, les armées de la coalition avaient enfin passé le Rhin sans obstacle. La Suisse, dont il leur fallait traverser le territoire, avait d’abord proclamé l’intention de faire respecter sa neutralité, et l’empereur de Russie, cédant à des influences que j’expliquerai bientôt, ne voulait pas qu’on y portât atteinte ; mais M. de Metternich, profitant avec une rare habileté des dissensions intérieures de la confédération helvétique, où le parti de l’ancien régime espérait voir sortir du triomphe des alliés celui de sa propre cause, réussit à paralyser cette apparente opposition. À l’approche des forces autrichiennes, les troupes suisses qu’on avait mises sur pied se retirèrent, le pont de Bâle fut livré, et en quelques jours la France vit tous ses départemens de l’est inondés par l’invasion étrangère. Rien n’y était prêt pour la repousser. Napoléon était à Paris, où il dépensait les dernières ressources de son activité et de son génie pour tirer une nouvelle armée de la France épuisée ; ses maréchaux, réduits au commandement de quelques poignées de soldats qu’on décorait encore du nom de corps d’armée, et hors d’état de risquer des engagemens sérieux dans lesquels ils eussent été écrasés, pouvaient à peine, en se retirant devant les masses ennemies, ralentir un peu, par d’habiles manœuvres, la rapidité de leur marche.

À un excès de circonspection avait succédé parmi les coalisés une confiance exagérée aussi ; ils se persuadaient presque que tous les obstacles étaient surmontés, et que la route de Paris leur était complètement ouverte : ils croyaient toucher au dénoûment.

Dans ces circonstances, et avant même le passage du Rhin, le cabinet de Londres avait pensé que, les principaux souverains de l’Europe et leurs ministres se trouvant sur le théâtre des hostilités, il importait que l’Angleterre y fût aussi représentée, non plus par des agens secondaires, mais par son ministre des affaires étrangères, dépositaire responsable de la pensée du gouvernement, et, comme tel, en mesure de prendre les grandes résolutions que les conjonctures pourraient exiger. Lord Castlereagh reçut donc l’ordre de se rendre sur le continent, muni de pleins pouvoirs qui l’autorisaient à conclure toute espèce de traités et d’arrangemens avec les puissances alliées séparément ou conjointement, comme aussi avec toute autre puissance, et qui maintenaient sous sa direction tous les agens diplomatiques de l’Angleterre.

La nouvelle de sa prochaine arrivée causa une vive satisfaction à tous les membres de l’alliance, qui se trouvait alors dans une crise a laquelle il importait de mettre promptement un terme. Comme toutes les coalitions qui se croient près de triompher, elle commençait à se préoccuper un peu trop de l’usage qu’elle ferait d’une victoire non encore achevée, et les alliés entrevoyaient qu’ils auraient quelque peine à tomber d’accord sur le partage des dépouilles. La diversité des caractères et des opinions, non moins que celle des intérêts, faisait déjà éclater entre eux de graves dissentimens.

L’empereur Alexandre se présentait comme l’Agamemnon de la ligue européenne, et bien qu’il affectât de céder officiellement la première place à l’empereur d’Autriche, c’était vers lui que se tournaient tous les regards. Partout où pénétraient les armées victorieuses, on le saluait comme l’arbitre universel. L’énergie du peuple russe, qui n’avait pas permis à son souverain de céder aux exigences de Napoléon, et un concours d’événemens inespérés l’avaient porté à cette haute position bien plus encore que ses qualités personnelles. Son caractère réunissait les plus étonnans contrastes. Une ambition vaste et profonde, tempérée par une sorte de timidité, une disposition très marquée au mysticisme religieux, un penchant naturel et développé par l’éducation pour ce qu’on commençait alors à appeler les idées libérales, des inclinations généreuses, l’amour de la gloire et de la popularité, beaucoup d’esprit et d’éloquence, un extérieur tout à la fois imposant et séduisant, des manières charmantes, les dehors de la franchise et de l’abandon, et pourtant la puissance de la dissimulation, une adresse singulière à ménager, à flatter les passions et les amours-propres, tels sont les traits contradictoires, au moins en apparence, de cette grande physionomie historique. Doué d’une imagination mobile et exaltée qui le poussait successivement vers des buts différens, Alexandre ne possédait pas la force d’âme qui eût pu le maintenir dans les voies d’une modération véritable. Alors même qu’il cédait aux entraînemens les plus extrêmes et qu’il tombait dans les contradictions les plus choquantes avec ses propres antécédens, avec les principes qu’il avait le plus hautement professés, il avait l’art de rassurer sa conscience en se persuadant qu’il obéissait à une inspiration d’en haut, qu’il accomplissait une mission religieuse, et qu’il servait les intérêts de la justice éternelle et de l’humanité plus encore que ceux de son trône ou de son peuple. Si naguère, après avoir été d’abord l’ennemi passionné de Napoléon, il s’était uni à lui par les liens d’une étroite alliance et même d’une amitié enthousiaste, s’ils avaient pour ainsi dire concerté ensemble le partage du monde, si pour son compte il s’était déjà approprié, en attendant mieux, la Finlande arrachée à la Suède, quelques districts polonais enlevés à l’Autriche et à la Prusse, et la Bessarabie conquise sur la Turquie, tous ces envahissemens, il le pensait, il le proclamait du moins, avaient eu pour objet de forcer l’Angleterre à rendre la paix à l’Europe en renonçant à l’insupportable tyrannie qu’elle exerçait sur les mers. Brouillé aujourd’hui avec son ancien complice, non pas, comme il affectait de le dire et comme il se le persuadait peut-être, parce que Napoléon avait trahi sa loyale confiance, mais parce que le pacte inique qui les unissait était de ceux qui ne peuvent se rompre sans faire place à la plus violente inimitié, ce n’était pas seulement pour venger la Russie et pour rétablir l’équilibre européen qu’il combattait. Son esprit, exalté par les prodigieux succès qu’il avait obtenus, se livrait aux rêves les plus illimités ; il se croyait appelé à faire triompher partout les principes de justice et de liberté, à favoriser en tout lieu l’établissement de constitutions libérales, à rendre aux peuples leurs droits méconnus ou violés, La pensée de réparer autant que possible la grande iniquité du partage de la Pologne le préoccupait particulièrement. Il est vrai qu’en rétablissant l’antique royaume des Jagellons, c’était sur sa propre tête qu’il comptait en placer la couronne, en sorte qu’il ne pensait à rien moins qu’à réunir aux immenses populations déjà soumises à son autorité les quatre millions de Polonais du duché de Varsovie.

On comprend facilement que de tels projets dussent inquiéter ses alliés, mais il était évident qu’on ne l’amènerait pas sans peine à y renoncer. Les faveurs dont la fortune venait de le combler lui avaient naturellement donné une confiance dans ses propres conceptions qu’on ne lui avait jamais connue jusqu’alors. Entouré de Polonais, d’Allemands, de Français expatriés, qui s’appliquaient à entretenir en lui des idées dont ils espéraient tirer parti dans l’intérêt de leurs opinions et de leurs vues particulières, il n’écoutait que leurs conseils. Le comte de Nesselrode, qui remplissait auprès de lui les fonctions de ministre des affaires étrangères sans en avoir le titre[3], était trop jeune et n’avait pas encore acquis assez de consistance pour que son esprit juste, droit et conciliant pût exercer dès lors l’influence modératrice qu’il a su acquérir depuis.

La Prusse, que les aspirations ambitieuses de la Russie semblaient devoir contrarier plus qu’aucune autre des puissances coalisées, puisque le duché de Varsovie se composait presque en entier de provinces qui lui avaient jadis appartenu, n’était pourtant pas en position d’y mettre obstacle, et n’en avait pas même la volonté. Puissante sur le champ de bataille, où sa population, poussée tout entière par un admirable élan de patriotisme, avait peut-être porté à Napoléon les coups les plus terribles qu’il eût reçus pendant la précédente campagne, la Prusse était moins en ce moment un état qu’une armée. Napoléon, par le traité de Tilsitt, l’avait réduite aux proportions d’une puissance du second ordre. La coalition s’était engagée à lui rendre ses anciennes dimensions, à l’agrandir même, si les résultats de la guerre le permettaient, mais on ne savait pas encore précisément quels territoires lui seraient assignés. Si la Russie gardait tout le duché de Varsovie, c’était en Allemagne que la Prusse devait recevoir ses indemnités. Cette chance était loin de contrarier le parti qui dominait alors la politique prussienne, celui des sociétés secrètes, des professeurs, des étudians, qui, suscités par quelques hommes d’état passionnés, tels que le baron de Stem, avaient donné le signal du grand mouvement auquel la royauté s’était laissé entraîner. Les sentimens qui animaient ce parti, c’étaient la haine de la France et l’amour de la liberté, dans tous les sens que comporte ce mot. Le but principal auquel il tendait, l’idéal qu’il se proposait, c’était l’organisation de l’Allemagne affranchie en une sorte de puissance unitaire. Suivant lui, l’Allemagne n’avait perdu sa liberté et son indépendance que par suite de son morcellement en une multitude de principautés séparées qui avaient pu s’engager, au gré de leurs vues et de leurs intérêts particuliers, dans des alliances contraires. Si l’on ne pouvait dès à présent y fonder une unité complète, il fallait au moins en approcher autant que possible en groupant celles de ces principautés qui continueraient à subsister autour d’un centre commun qui en aurait la haute direction, surtout dans les rapports avec l’étranger. Comme on n’osait pas dire ouvertement que ce centre commun devait être à Berlin, parce qu’il n’était guère possible de reléguer d’avance au second rang la puissante Autriche, naguère revêtue de la dignité impériale, on mettait en avant l’idée d’un partage qui eût placé les états du midi sous l’influence et le protectorat du cabinet de Vienne, et donné au gouvernement prussien une suprématie semblable par rapport à ceux du nord. La pensée secrète de cette combinaison était que, malgré cette apparente égalité, la Prusse, soutenue par l’esprit de libéralisme et de patriotisme teuton dont elle continuerait à favoriser le développement, ne tarderait pas à prendre au sein du corps germanique un rôle tout à fait dominant. Plus l’étendue de ses possessions territoriales en Allemagne serait considérable, plus cette combinaison deviendrait facile, et c’est ce qui disposait les hommes dont je viens d’indiquer les projets à accepter sans regret, avec satisfaction même, l’échange des provinces polonaises contre la Saxe, dont le roi, en ce moment prisonnier de la coalition, eût été déposé, en châtiment de sa trop longue fidélité à Napoléon. De tels desseins ne semblaient sans doute pas d’accord avec le caractère du roi ; mais le bon sens un peu timide, la loyauté, l’équité naturelle de Frédéric-Guillaume III, ces qualités modestes qui, dans un temps plus régulier, devaient trouver un emploi honorable et utile, étaient peu appropriées aux circonstances du moment. Complètement éclipsé par le brillant empereur de Russie, dont il semblait l’humble satellite, on eût dit qu’il était encore sous le poids des calamités politiques et des douleurs de famille qui avaient attristé pour lui les dernières années. Son ministre principal, le baron, depuis prince de Hardenberg, affaibli par une vieillesse prématurée, se laissait entraîner à l’impulsion des hommes ardens qui rêvaient pour la Prusse des destinées grandioses.

C’était, on le voit, un véritable esprit révolutionnaire qui inspirait les conseils de la Russie et de la Prusse, alors même qu’elles prétendaient réagir contre la révolution française. Les vues du cabinet de Vienne étaient bien différentes : l’esprit conservateur, l’esprit d’ancien régime était alors, comme toujours, le fond de la politique de ce cabinet. Guidé par un instinct qui ne lui a jamais fait défaut, il s’effrayait d’avance de cet appel aux passions populaires dont ses coalisés se faisaient, sans scrupule et sans prévoyance, un puissant moyen d’attaque contre Napoléon ; il eût voulu qu’on s’adressât toujours aux gouvernemens, jamais aux populations, et il répugnait surtout à l’idée de s’interposer entre ces populations et leurs princes pour leur faire obtenir des institutions libres, dont, en ce qui le concernait, il était bien résolu à ne pas doter ses propres sujets. Ce n’était pas sans une vive inquiétude qu’il entrevoyait les conséquences d’un arrangement qui, en donnant à la Russie le duché de Varsovie tout entier, en la faisant ainsi pénétrer jusqu’au centre de l’Europe, lui eût ménagé la possibilité d’intervenir efficacement dans les affaires intérieures de l’Allemagne, et eût menacé d’une prochaine absorption les provinces polonaises encore possédées par l’Autriche. Quant à la réorganisation du corps germanique, le cabinet de Vienne était trop prudent, trop circonspect pour ne pas comprendre que l’ancien empire ne pouvait être rétabli purement et simplement, puisqu’il eût fallu pour cela dépouiller les nouveaux rois créés par Napoléon, et qu’on avait intérêt à ménager, d’une souveraineté à laquelle ils attachaient un si grand prix. Aussi, lorsque dans le premier enivrement du succès tout le monde, la Prusse elle-même, avait invité l’empereur François à reprendre le titre d’empereur d’Allemagne, déposé par lui sept ans auparavant, avait-il eu le bon sens et la bonne grâce de s’y refuser ; mais cette abnégation n’allait pas jusqu’à accepter les conceptions étranges de l’ambition prussienne. Le gouvernement autrichien n’eût consenti à aucun prix à cette séparation de l’Allemagne du nord et de l’Allemagne du midi, qui n’était, dans la pensée des novateurs, qu’un moyen d’annuler dès à présent son action dans la moitié du territoire germanique, et dont le résultat le moins défavorable pour lui eût été la scission définitive de ces deux grandes fractions. Ses idées d’ailleurs n’étaient pas encore complètement arrêtées sur la nature des rapports qu’il convenait d’établir entre les princes allemands, dont il voulait qu’on respectât la souveraineté, sauf à médiatiser quelques-uns des moins considérables, c’est-à-dire à incorporer leurs états dans ceux de leurs voisins plus puissans. Il inclinait à croire qu’un système de fédération qui leur garantirait leurs possessions et leurs droits, et, en leur interdisant toute alliance avec l’étranger, ferait en quelque sorte de l’Allemagne une seule puissance au point de vue de l’extérieur, était la seule combinaison possible. Il repoussait la pensée de détrôner le roi de Saxe, moins encore peut-être parce qu’il y voyait une inspiration révolutionnaire et anti-monarchique que parce que la Saxe réunie à la Prusse aurait accru démesurément la force de cette dernière dans l’association allemande. Ce que l’Autriche voulait absolument, parce que c’était la condition essentielle de son existence européenne, c’était qu’on ne lui enlevât pas le premier rang en Allemagne ; elle voulait aussi reprendre et agrandir la position qu’elle avait eue jadis en Italie.

C’était vers ce double but que tendaient tous les efforts de M. de Metternich. Agé alors d’un peu plus de quarante ans, il y en avait déjà quatre qu’il dirigeait les relations extérieures de son pays. Son avènement au pouvoir avait coïncidé avec l’intime alliance que l’Autriche vaincue à Wagram s’était vue obligée de contracter avec Napoléon. Par la rupture de cette alliance et par les immenses résultats qu’elle avait entraînés, il venait de jeter les fondemens de la grande position qu’il a occupée en Europe pendant près de quarante années. Cette primauté qui, entre les souverains alliés du continent, appartenait incontestablement à l’empereur Alexandre, M. de Metternich, par une sorte de compensation, avait su l’obtenir parmi leurs ministres. Il les surpassait tous par l’activité et la sagacité de son esprit, par l’abondance de ses idées et les ressources qu’elles lui fournissaient, par la facilité et l’agrément de son commerce, arme si puissante dans la diplomatie, et par sa rare habileté à capter la confiance, à flatter l’amour-propre des hommes dont il croyait devoir s’assurer le concours. Quelques défauts assez graves se mêlaient à ces grandes facultés : on lui reprochait une certaine légèreté qui parfois le jetait bien gratuitement dans des embarras sérieux, et aussi un penchant excessif à l’artifice, à l’intrigue, à une dissimulation souvent superflue. Pour ne pas exagérer sa part de responsabilité dans les fautes qu’a pu commettre son gouvernement, il est juste de remarquer que son influence, bien que très grande, était loin d’être absolue. L’empereur François, sous un extérieur modeste, silencieux et réservé, cachait une volonté tenace ; il ne se mettait pas volontiers en avant, il n’avait pas beaucoup d’idées, mais ces idées étaient très arrêtées, et il n’eût pas été sûr pour ses conseillers de s’en écarter. Jaloux au plus haut point de son autorité, une de ses grandes préoccupations était d’empêcher qu’aucun de ceux qu’il en rendait les dépositaires ne s’érigeât en premier ministre, et de les renfermer tous dans les limites de leurs attributions spéciales. Si plus tard, pour les affaires étrangères, il parut accorder à M. de Metternich une entière confiance, les choses n’en étaient pas encore là, et pendant ces premières années l’ascendant de cet homme d’état était balancé par un parti militaire moins habile et moins modéré.

Les dissentimens que je viens d’indiquer entre les coalisés n’avaient pas encore ouvertement éclaté ; on les pressentait, on en subissait déjà la fâcheuse influence, mais on pouvait encore ajourner les questions où ils prenaient leur source. Il en était une autre qu’on ne pouvait écarter ainsi et qui déjà avait mis en quelque sorte aux prises l’Autriche et la Russie. On a vu que M. de Metternich, pour ouvrir aux armées alliées l’entrée du territoire français, que semblait leur interdire la neutralité de la Suisse, avait suscité contre le régime établi dans les cantons par la médiation de la France le parti de l’ancienne aristocratie. Ce parti, dont le principal foyer était dans le canton de Berne, réclamait hautement le rétablissement de l’ordre de choses antérieur à la révolution, et l’Autriche était tout à fait disposée à lui donner satisfaction ; mais une des premières conséquences de cette restauration eût été de replacer le pays de Vaud sous la souveraineté de Berne, qu’il avait rejetée quinze ans auparavant avec l’appui de la France, et Vaud comptait parmi ses concitoyens un protecteur bien puissant auprès de l’empereur Alexandre, le colonel Laharpe, son ancien précepteur. Par attachement personnel comme par suite de la tendance générale de ses opinions, Alexandre s’était donc trouvé amené à prendre la défense du système nouveau, du parti qu’on appelait, suivant le point de vue dans lequel on se plaçait, le parti libéral, le parti révolutionnaire, le parti français, et il y portait une extrême vivacité. On l’avait entendu déclarer qu’il regarderait toute atteinte portée à la neutralité de la Suisse comme une attaque dirigée contre lui-même. Plus tard il s’était résigné à une mesure qui avait servi si utilement les intérêts de l’alliance, mais au fond il savait mauvais gré à M. de Metternich de l’avoir mis ainsi en contradiction avec lui-même ; il protestait qu’il ne permettrait pas qu’on touchât à l’indépendance du canton de Vaud. Si la nécessité d’un compromis était déjà évidente pour tous les hommes de sens, il n’était pas aisé de prévoir les termes de l’arrangement qui concilierait tant bien que mal des prétentions si opposées.

La situation du prince royal de Suède était encore, bien qu’à un moindre degré, un élément de discorde dans la coalition. Lorsque Bernadotte s’était décidé, avant la Prusse et l’Autriche, à s’unir à l’Angleterre et à la Russie contre la puissance si redoutable de Napoléon, il avait été accueilli avec un empressement facile à concevoir par les alliés dont il venait grossir les rangs, alors peu nombreux, et on n’avait pas hésité à lui promettre une magnifique récompense, la Norvège. À mesure que l’alliance s’était fortifiée, son concours avait naturellement perdu de son prix aux yeux des confédérés, et la plupart, ceux surtout qui étaient entrés plus tard dans la coalition, avaient senti se réveiller en eux leurs préventions naturelles contre l’ancien général républicain. La conduite de Bernadotte n’était pas propre à les dissiper. Doué sans doute de talens remarquables, mais dont il s’exagérait singulièrement la portée, aussi orgueilleux qu’ambitieux, d’un caractère emporté et défiant, cachant mal sous les dehors de la franchise les calculs d’une excessive personnalité, il n’avait pas tardé à exciter les soupçons des puissances alliées. Bien qu’on eût placé sous ses ordres des détachemens considérables de forces russes, prussiennes et hanovriennes, on l’accusait d’en avoir tiré très peu de parti pour le succès de la cause commune ; on l’accusait de ménager à l’excès les vingt mille soldats suédois qu’il avait conduits en Allemagne, et, ce qui paraissait plus grave, de ne pas agir contre les Français avec l’énergie qu’on était en droit d’attendre de lui. On supposait que, dans la prévision de la chute définitive de Napoléon, il entrevoyait pour lui-même la possibilité d’être appelé à régner sur la France, et qu’il voulait éviter d’affaiblir cette chance en portant de trop rudes coups à ses anciens compatriotes, en ruinant ainsi ce qu’il pouvait conserver encore de popularité parmi eux. Ces conjectures avaient pris assez de consistance pour que les commissaires accrédités à son quartier-général par les cours alliées eussent cru devoir lui adresser de sérieuses remontrances sur la lenteur de ses opérations militaires. Ces remontrances, dont il ne pouvait se dissimuler la pensée secrète, avaient été pour lui l’occasion des plus violens emportemens. Il se plaignait, de son côté, et non pas sans raison, de ne pas obtenir une pleine obéissance de la part des généraux prussiens qu’on lui avait subordonnés en apparence. Stimulé par les soupçons dont il se voyait l’objet, il avait fini par passer l’Elbe, et son apparition sur le champ de bataille de Leipzig, en détruisant toute proportion de forces entre les deux armées, avait décidé la victoire, jusqu’alors incertaine ; mais depuis il était retourné dans le nord pour surmonter la résistance du Danemark, qui se refusait à lui abandonner la Norvège, et on lui reprochait de détourner à son profit exclusif, d’annuler par conséquent pour la cause européenne, l’action de quatre-vingt mille soldats placés sous son commandement. Le Danemark ayant enfin accédé aux conditions si dures que lui faisait la coalition, Bernadotte s’achemina lentement vers le Rhin. On eût voulu qu’il se portât sans retard sur la Belgique, où quelques milliers de soldats français admirablement commandés par Maison et Carnot soutenaient seuls, par des prodiges de courage et d’habileté, la fortune de la France ; cette fois encore, on le vit hésiter et perdre un temps précieux en mouvemens insignifians, en explications diseuses. Des indices non équivoques prouvaient que son unique préoccupation était alors de se créer en France des intelligences. Il régnait contre lui une grande irritation dans les conseils de l’alliance. M. de Metternich surtout ne pouvait contenir l’impatience qu’il éprouvait de ses procédés tortueux et de ses prétentions démesurées. On se fût volontiers débarrassé d’un auxiliaire aussi incommode. Cependant Bernadotte avait de puissans appuis. L’empereur Alexandre n’oubliait pas que le prince royal de Suède avait été un moment son seul allié sur le continent, il se croyait obligé d’honneur à tenir les engagemens qu’il avait pris avec lui à cette époque, et peut-être l’eût-il vu, sans trop de déplaisir, monter sur le trône de France, dont on prétend qu’il avait fait luire à ses yeux la brillante perspective dans un temps où il voulait se l’attacher à tout prix. Bernadotte d’ailleurs, bien que sorti de la révolution française, avait en Suède une existence indépendante des chances futures de cette révolution : c’était librement et jusqu’à un certain point malgré la volonté de Napoléon que la nation suédoise l’avait choisi pour la tirer de l’abîme où l’avait précipitée un prince en démence, et il avait déjà assez bien réussi pour qu’elle se fût sincèrement attachée à lui.

La coalition venait de se renforcer d’un autre personnage dont la position, analogue en apparence à celle de Bernadotte, était bien différente en réalité. Le roi de Naples, Joachim Murat, beau-frère de l’empereur des français, aussi faible, aussi irrésolu dans le conseil qu’intrépide sur le champ de bataille, était entré depuis plusieurs mois en rapports secrets avec les alliés. Pendant la campagne de Saxe, en même temps qu’il commandait avec son héroïsme ordinaire la cavalerie de Napoléon, Murat recevait et écoutait les émissaires de ses ennemis. Entraîné par son ambitieuse femme, il s’était enfin décidé à accepter les propositions de l’Autriche, et un traité conclu avec cette puissance lui avait garanti non-seulement la possession de ses états, mais un accroissement de territoire aux dépens des états de l’église. Son accession avait en ce moment une importance qui fait comprendre qu’on eût cru devoir la payer aussi chèrement : en restant fidèle à Napoléon et en joignant ses armes à celles du prince Eugène, vice-roi d’Italie, qui se soutenait sans trop de désavantage dans les provinces vénitiennes contre une armée autrichienne, il lui eût assuré une telle supériorité, que les Autrichiens, suivant toute apparence, auraient été obligés d’évacuer l’Italie, et que peut-être Eugène eût pu faire, en France même, une diversion décisive contre les alliés. Par le fait de la défection de Murat, la position du vice-roi semblait au contraire devenir désespérée. Aussi l’Angleterre, malgré les liens qui l’unissaient à l’ancienne famille royale de Naples, réfugiée depuis huit ans en Sicile sous sa protection, malgré la profonde répugnance qu’elle éprouvait à entrer en arrangement avec un prince tel que Mural, ne crut-elle pas devoir s’opposer à une combinaison qui promettait à l’alliance d’aussi grands avantages. Lord William Bentinck, qui commandait les forces anglaises employées en Sicile et en Italie, reçut l’ordre de conclure une suspension d’armes avec la personne qui occupait en ce moment le gouvernement de Naples. (C’est ainsi que lord Castlereagh, dans sa correspondance de cette époque, désignait habituellement Murat. Souvent aussi il l’appelait, avec un formalisme pédantesque, le maréchal Murat, comme pour mieux lui dénier la qualité princière[4]. Il n’y eut ni alors, ni plus tard, de la part de l’Angleterre ni des autres puissances coalisées, à l’exception de l’Autriche, aucune reconnaissance formelle des droits du monarque napolitain, ce qu’il ne faut d’ailleurs attribuer qu’à la rapidité avec laquelle les événemens ne tardèrent pas à se précipiter. Les lettres de lord Castlereagh prouvent en effet qu’on s’était pleinement résigné à tenir envers Murat les promesses de l’Autriche, sauf à procurer aux Bourbons de Sicile une apparence d’indemnité ; mais elles prouvent aussi qu’on regrettait vivement la nécessité de cette concession. Le nouvel allié était l’objet d’une malveillance toute particulière ; autant et plus que Bernadotte, il inspirait des soupçons auxquels l’hésitation et la lenteur de ses mouvemens fournirent bientôt trop de matière, et du moment où les circonstances rendirent son concours moins évidemment utile, on s’attacha à recueillir les indices qui, en accusant sa bonne foi, pouvaient infirmer les engagemens pris envers lui. L’Autriche, plus positivement liée à son égard, ne participait pas à ces sentimens presque hostiles ; mais le caractère, la position même de M. de Metternich ne promettaient pas au possesseur actuel du royaume de Naples un protecteur aussi chaud que l’empereur Alexandre l’était pour Bernadotte, et Murat, n’ayant d’autres droits à sa couronne que les victoires et le choix de l’empereur son beau-frère, eut dû comprendre, comme le prince Eugène, dont les alliés avaient aussi tenté la fidélité par de brillantes promesses, que son intérêt bien entendu était d’accord avec les inspirations de l’honneur et de la loyauté pour lui conseiller de rester fidèle à la cause à laquelle il devait sa gloire et son trône.

Je viens d’exposer les principaux élémens de discorde que la coalition renfermait dans son sein ; je n’en finirais pas, si je voulais poursuivre cette énumération en descendant au détail des intérêts de ses membres moins considérables.

Le gouvernement britannique était, par un heureux concours de circonstances, en mesure d’intervenir avec quelques chances de succès dans les différends qui partageaient ses alliés. Il n’avait jamais plié sous la toute-puissance de Napoléon et n’avait jamais reconnu son titre impérial. Ce fait seul, en le dégageant des antécédens fâcheux qui compliquaient la politique des autres cabinets, lui créait une véritable supériorité de position. Les inépuisables ressources de son crédit, qui lui permettaient de payer aux confédérés d’énormes subsides, sans lesquels il leur eût été impossible d’entretenir leurs armemens, lui assuraient, par rapport à eux, un moyen d’influence dont il fallait sans doute user avec ménagement, mais qui, à un moment donné, pouvait devenir décisif. Enfin ses intérêts particuliers étaient complètement distincts de ceux des autres états coalisés. Ce qu’il réclamait comme le prix des immenses sacrifices d’une lutte de vingt années, c’étaient des îles, des colonies enlevées à la France et à la Hollande, occupées en ce moment par ses forces, et qu’aucun des alliés n’avait le moindre motif de lui disputer. Sur le continent de l’Europe, il ne demandait que deux choses, un arrondissement territorial pour le Hanovre, domaine patrimonial des rois d’Angleterre, et la formation sur la frontière septentrionale de la France d’un état assez fort pour opposer une digue à de nouveaux débordemens de la puissance française, ce qui, suivant lui, ne pouvait avoir lieu qu’au moyen de la réunion de l’ancienne république des Provinces-Unies à la plus grande partie des provinces belges, sous la souveraineté du prince d’Orange. La question du Hanovre, déjà réglée en principe par les traités qui avaient constitué la coalition, ne faisait pas difficulté. Quant à l’élévation de la maison d’Orange sur le trône des Pays-Bas réunis, elle entrait aussi, sous beaucoup de rapports, dans les convenances des autres cours ; la Russie s’y montrait très favorable, et le cabinet de Londres s’était déjà assuré le consentement de l’Autriche, ancienne souveraine de la Belgique, qui ne demandait pas mieux que d’échanger cette possession éloignée contre des provinces plus rapprochées du centre de l’empire.

Je le répète, l’Angleterre était à tous égards en mesure de s’interposer utilement comme médiatrice entre ses alliés. On le comprenait si bien, que tous hâtaient de leurs vœux l’arrivée de lord Castlereagh, et les représentans de l’Angleterre auprès des trois principaux cabinets le pressaient d’autant plus d’accélérer son voyage, que, n’étant pas eux-mêmes parfaitement d’accord, ils ne se sentaient pas en état d’exercer en son absence une intervention efficace. Retardé par divers incidens, il ne put se présenter que le 18 janvier 1814 au quartier-général des souverains, qui était alors à Bâle, d’où il ne tarda pas à se porter en France à la suite des armées.

Le rôle qui s’offrait à lord Castlereagh était grand et brillant, mais il avait à éviter un dangereux écueil. Accueilli par tous avec un empressement et des prévenances extraordinaires, parce que chacun voulait l’entraîner dans son sentiment, il fallait qu’il gardât une attitude impartiale et qu’il s’abstint de prendre une couleur exclusive, qui, en le privant de prime-abord de toute action conciliante, eût augmenté les élémens de confusion. Cela n’était pas facile ; il sut pourtant y réussir. Etroitement uni en réalité à M. de Metternich, parce qu’en tout temps, à moins de conjonctures bien extraordinaires, l’Angleterre et l’Autriche, ayant les moines adversaires et n’ayant aucun motif de rivalité, sont des alliées naturelles, il fit comprendre sans peine à l’habile ministre autrichien qu’il importait de ne pas rendre cette intimité trop évidente pour ne pas en compromettre les utiles effets. Il mit tous ses soins à capter la confiance de l’empereur Alexandre, à contenir son exaltation, à calmer ses défiances, à ménager les susceptibilités extrêmes de son amour-propre, tout en lui résistant avec fermeté lorsque cela devenait indispensable, et ses efforts furent couronnés d’un tel succès, que ce prince conçut bientôt pour lui, non pas un de ces engouemens passagers que tant de personnes lui ont successivement inspirés, mais un sentiment d’estime et de déférence qui, à travers bien des épreuves, devait durer autant que leur existence. Grâce à ces habiles tempéramens, l’aigreur, les soupçons qui commençaient à se glisser dans les rapports intérieurs de la coalition parurent se dissiper ; on se mit d’accord sur quelques questions, on ajourna celles qui n’exigeaient pas une solution immédiate, et toutes les forces, rendues ainsi à leur pleine et libre activité, purent se consacrer à l’achèvement de l’œuvre commune.


II

Il y avait déjà un mois que les alliés avaient passé le Rhin. Les deux grandes armées du prince de Schwarzenberg et du maréchal Blücher, ne rencontrant aucune résistance sérieuse de la part des forces trop inégales qui leur étaient opposées, avaient pu s’avancer jusqu’au cœur de la Champagne, en laissant derrière elles les places occupées par des garnisons françaises. Presque partout elles avaient été bien accueillies par les populations, fatiguées du joug pesant de la domination impériale. Une autre armée autrichienne s’avançait du côté de Lyon sans trouver beaucoup plus d’obstacles. Dans les départemens du midi, où lord Wellington gagnait peu à peu du terrain sur le maréchal Soult, l’esprit public se montrait plus décidément hostile à Napoléon, parce que les Bourbons avaient conservé de ce côté de plus nombreux adhérens. Vers le nord, on pouvait craindre que la faible division du général Maison ne couvrît pas longtemps la frontière de Flandre. Le cercle où s’exerçait encore la domination de Napoléon se rétrécissait ainsi de moment en moment. Dans les derniers jours de janvier, ayant terminé les préparatifs de défense que lui permettait l’épuisement de ses ressources, il put enfin quitter Paris et se porter en Champagne au-devant de l’ennemi avec une année formée des débris de ses vieilles bandes mêlés à beaucoup de conscrits de dix-huit à vingt ans, et dont la force numérique n’atteignit jamais le chiffre de soixante-dix mille hommes, bien que, par d’habiles dispositions, il fût parvenu à faire croire à ses adversaires qu’elle était plus forte du tiers ou de moitié. Dans cette supposition même, elle eût été bien inférieure aux masses énormes et toujours croissantes oui s’avançaient de toutes parts. Après quelques engagemens partiels et peu décisifs, Napoléon ne craignit pas de livrer le 1er février, auprès de Brienne, une bataille dans laquelle il fut repoussé avec d’assez grandes pertes. Bien que le courage et le sang-froid qu’y avaient montrés les jeunes soldats français eussent donné à réfléchir aux vainqueurs, cette défaite à l’ouverture de la campagne était d’un sinistre augure. Les alliés avançaient toujours ; Troyes leur ouvrit ses portes.

Il n’est pas besoin de dire que dans de telles circonstances les coalisés pensaient moins que jamais à maintenir leurs propositions de Francfort. Surpris et presque honteux d’avoir été un moment si modérés, ils essayaient en quelque sorte de l’oublier, ou tout au moins de se faire illusion à eux-mêmes sur le véritable sens de ces propositions, si claires cependant. Personne n’admettait plus, dans les conseils de la coalition, qu’il pût être question de laisser à la France une portion tant soit peu considérable des conquêtes de la république ; et de l’empire. Les prétentions que la fortune inspirait aux vainqueurs ne s’arrêtaient pas même là. L’idée de détrôner l’homme dont le génie et l’ambition étaient encore pour eux un objet d’effroi commençait à leur paraître praticable, et elle leur souriait singulièrement. On aurait pu croire que la cour de Vienne, à laquelle Napoléon tenait par des liens si étroits, reculerait devant cette extrémité, et le langage de M. de Metternich, organe habituel des rares communications échangées avec le gouvernement français, était en effet plus conciliant et plus modéré que celui de la plupart de ses collègues ; mais l’empereur François, dans un entretien qu’il eut avec l’ambassadeur d’Angleterre, lord Aberdeen, déclara à plusieurs reprises qu’il ne mettait aucune confiance dans toutes les promesses que pourrait faire son gendre, et que, tant qu’il vivrait, il n’y aurait aucune sûreté pour l’Europe. L’empereur Alexandre était bien plus animé encore contre Napoléon ; voici ce qu’on lit dans un rapport de sir Charles Stewart, frère de lord Castlereagh, alors envoyé d’Angleterre auprès du roi de Prusse : « L’empereur avoue hautement sa résolution de se porter à tous risques sur Paris, et, sans se prononcer quant au successeur de Bonaparte, il ne dissimule pas que l’objet de sa politique est de se débarrasser de lui, de ne faire avec lui aucun traité. Il ne tient pas plus de compte de la mémorable négociation de Francfort que si elle n’avait jamais eu lieu… Ceux qui l’entourent immédiatement et qui reçoivent ses paroles, le baron de Stein, Pozzo di Borgo, etc., s’expriment violemment dans ce sens. »

C’était le 27 janvier que sir Charles Stewart présentait ainsi les dispositions du monarque russe : trois jours après, lord Castlereagh lui-même en rendait compte à son gouvernement dans les termes suivans :

« Notre plus grand danger provient maintenant de l’impulsion chevaleresque que l’empereur Alexandre est enclin à donner à la guerre. Il est poussé vers Paris par un sentiment personnel absolument distinct de toutes considérations politiques et militaires. Il semble chercher l’occasion d’entrer avec sa magnifique garde dans la capitale de l’ennemi, probablement pour faire contraster sa clémence et sa modération avec la désolation à laquelle a été livrée sa propre capitale. L’idée qu’une négociation rapide pourrait tromper cette espérance le rend encore plus impatient… Vous pouvez vous faire une idée de quelques-uns des hasards auxquels nos affaires sont exposées, alors qu’un des principaux souverains m’a dit, en me voyant pour la première fois, qu’il n’avait pas confiance en son propre ministre, et moins encore en celui de son allié. Il y a ici force intrigues, et plus de peur encore de ces intrigues. La Russie se défie de l’Autriche par rapport à la Saxe, et l’Autriche craint la Russie par rapport à la Pologne Le soupçon est le trait dominant du caractère de l’empereur, et celui de Metternich fournit aux intrigans une matière facile à exploiter. »

Cependant ces entraînemens rencontraient des contradicteurs. Auprès de l’empereur Alexandre lui-même, la politique de ménagement et de circonspection avait des organes considérables. Non-seulement M. de Nesselrode, mais le prince Wolkonsky, le général en chef Barclay de Tolly, s’effrayaient de tant de précipitation. Les hommes qui possédaient le plus d’influence sur l’esprit du roi de Prusse ne partageaient pas non plus l’emportement du vieux Blücher et de ses lieutenans ; ils voulaient qu’avant de se porter aux dernières extrémités contre un ennemi encore redoutable, on examinât mûrement la situation, tant au point de vue militaire qu’au point de vue politique, qu’on pesât toutes les difficultés de l’entreprise, tous les moyens de les surmonter, et qu’on se mit d’accord sur le résultat qu’on voudrait en tirer.

La question du rétablissement des Bourbons commençait à se présenter à tous les esprits, mais d’une manière bien confuse encore. L’empereur de Russie s’y montrait peu favorable. Aux instances des émissaires de ces princes, il ne répondait que par ces paroles courtoises dont il était prodigue pour tout le monde ; il s’abstenait de leur donner aucun encouragement, bien qu’avec cette facilité d’espérance qui caractérise tous les émigrés, ils voulussent voir une promesse dans sa haine irréconciliable contre Napoléon. À ses alliés, il ne faisait pas difficulté de dire que les Bourbons ne lui paraissaient pas les plus dignes de monter sur le trône de France, et l’on avait quelque motif de craindre qu’il n’inclinât à appuyer les projets de Bernadotte, qui, pour tous les autres membres de la coalition, était un objet de crainte et de répugnance. L’Autriche, la plus hostile de toutes les puissances aux vues du prince royal de Suède, n’en témoignait pas beaucoup plus de zèle pour l’ancienne maison royale de France, et M. de Metternich avait reçu avec une extrême froideur les premières insinuations qui, vers la fin de l’année précédente, lui avaient été faites en sa faveur.

Seule, l’Angleterre n’avait cessé de considérer la restauration bourbonienne comme la meilleure et presque comme la seule garantie efficace du repos de l’Europe. Il était naturel qu’elle mît quelque amour-propre à faire remonter au trône les princes qui, dans leur exil, n’avaient trouvé que sur son territoire un asile assuré, et qu’elle crût se préparer ainsi pour l’avenir une utile alliance. Le cabinet de Londres, sans se laisser décourager par le peu de succès de ses premières tentatives, continuait donc à essayer de rallier les autres puissances à cette combinaison. Lord Castlereagh, dans un de ses premiers entretiens avec M. de Metternich, crut reconnaître qu’avec le temps, si les événemens n’y mettaient pas des obstacles imprévus, il ne lui serait nullement impossible d’obtenir l’assentiment du cabinet de Vienne. Admis quelques jours après en présence de l’empereur François, il reçut de ce prince l’assurance que si Napoléon venait à être renversé, il serait très loin de désirer que son petit-fils, le roi de Rome, fut appelé à régner, la régence que l’âge de cet enfant eut rendue nécessaire pour si longtemps ne pouvant manquer d’imposer à l’Autriche, qui en eût été la protectrice naturelle, un fardeau bien pesant. Exclure à la fois Napoléon et son fils, c’était appeler les Bourbons ; aucun esprit sensé ne pouvait en douter.

Cependant lord Castlereagh, en sondant ainsi le terrain, était loin d’avoir lui-même une résolution complètement arrêtée. On eût dit que, depuis qu’il était entré en France, depuis qu’il voyait les choses de près, la possibilité, la convenance d’une telle entreprise lui paraissaient plus douteuses. Tout en constatant le bon accueil que les populations faisaient presque partout aux armées alliées, il exprimait la crainte qu’on ne s’en exagérât la signification. Suivant lui, cet accueil s’expliquait suffisamment par la lassitude que la France éprouvait du fardeau de la conscription et des impôts, devenu dans ces derniers mois plus intolérable que jamais. Partout où pénétraient les alliés, ces charges accablantes cessaient à l’instant, d’autant plus que les vainqueurs, pour se concilier la bienveillance des populations, s’abstenaient soigneusement de lever aucune contribution de guerre ; il en résultait que les départemens envahis jouissaient d’une exemption absolue dans un moment où le reste de l’Europe pliait sous le poids des sacrifices de tout genre. Qu’ils en ressentissent, qu’ils en témoignassent une grande joie, rien de plus naturel ; mais il y avait loin de cette joie à la volonté de joindre leurs efforts à ceux de la coalition pour l’aider à abattre le gouvernement impérial. Nulle part, malgré les espérances dont se berçaient quelques esprits trop confians, on n’apercevait le moindre symptôme d’insurrection, ni même l’apparence d’un mouvement populaire en faveur des Bourbons. Sans doute, si un tel mouvement venait à se produire spontanément, on pourrait en profiter ; mais il ne serait ni prudent, ni loyal de le provoquer par des excitations et des promesses : ce serait assumer une terrible responsabilité à l’égard des individus qu’on pousserait ainsi à se compromettre et se créer éventuellement de grands embarras, puisque les alliés n’étaient pas encore décidés à ne pas traiter avec Napoléon, et puisqu’il était même question de l’ouverture prochaine d’un congrès. — Tels étaient les argumens que lord Castlereagh opposait aux impatiens. Lorsqu’il apprit, que quelques-uns des membres de la famille des Bourbons sollicitaient l’autorisation de rentrer en France à la suite des armées coalisées pour essayer de rallier leurs partisans, il se montra très contraire à ce projet, dont il n’attendait pas de grands résultats. Puisqu’on n’était pas encore déterminé à une restauration, la probité, l’humanité exigeraient, disait-il avec quelque raison, qu’au moment où ces princes entreraient sur le territoire français, les puissances, pour prémunir les peuples contre les fausses inductions qu’on pourrait tirer de leur présence, fissent déclarer hautement qu’elles n’étaient nullement engagées à soutenir la cause royaliste, et une telle déclaration était de nature à affaiblir cette cause plus que ne pourrait la fortifier la présence de quelques princes dénués d’armes et d’argent. Il demandait s’il était dans l’intérêt des Bourbons de se montrer pour la première fois à la nation française dans le camp d’un des souverains alliés, et surtout au milieu de troupes anglaises. — Ces dernières objections ne prévalurent pas. Monsieur, frère du prétendant, arriva bientôt en Lorraine, et son fils aîné, le duc d’Angoulème, fut reçu au quartier-général de lord Wellington ; mais lord Wellington eut soin de ne pas laisser ignorer autour de lui que les puissances n’avaient pas renoncé à traiter avec Napoléon, et à l’autre extrémité de la France, l’empereur Alexandre, quelle que fût la passion qui l’animait contre son ancien ami, tenait loyalement le même langage aux agens royalistes.

Ces ménagemens, ces hésitations, plaisaient peu au parti tory, qui gouvernait l’Angleterre, et qui, pour le moment, représentait certainement les sentimens du pays. Il est curieux de voir, dans la correspondance de lord Castlereagh, la peine qu’il se donnait, avec assez peu de succès, pour faire comprendre et apprécier les motifs de sa conduite. Ses subordonnés eux-mêmes ne lui dissimulaient guère leur désapprobation. L’ambassadeur britannique en Hollande, lord Clancarty, l’un des adhérens les plus vifs et les plus confians de la cause des Bourbons, lui écrivait qu’il n’était pas étonnant que les royalistes restassent inactifs, alors qu’on semblait s’attacher à les décourager. Les deux sous-secrétaires d’état des affaires étrangères, MM. Hamilton et Edward Coke, qui envoyaient de Londres à lord Castlereagh des informations et des avis, ne cessaient de lui parler de la responsabilité qui pèserait sur lui, si les conditions de la paix ne répondaient pas à l’attente publique. À les en croire, quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent en Angleterre se tenaient pour assurées qu’on ne ferait aucune paix tant que les alliés ne seraient pas à Paris et que Bonaparte n’aurait pas disparu. Le cri : Pas de Bourbons, pas de paix ! était devenu populaire ; le vœu général, universel, c’était point de paix avec Bonaparte, ou tout au moins une paix qui le réduisit à un tel état d’abaissement, qu’il en résultât pour l’Angleterre une sécurité égale à celle que lui procurerait le rétablissement des Bourbons. Le public trouvait qu’on était malveillant et injuste pour ces princes. C’était aussi l’opinion du prince régent ; elle le détermina même à une démarche singulière. Dans un entretien qu’il eut avec le comte de Lieven, ambassadeur de Russie, il le chargea de demander à l’empereur Alexandre, à qui la forme de son gouvernement laissait, disait-il, plus de liberté d’action, de décider les puissances alliées à annoncer publiquement qu’elles ne voulaient plus traiter avec Napoléon, à promettre de reconnaître tout autre chef que la nation française se donnerait, et en même temps à rappeler à cette nation l’existence de son ancienne dynastie. Le comte de Lieven, ayant jugé convenable, avant de s’acquitter de cette commission, de s’assurer qu’elle ne contrariait pas les vues du ministère anglais, en parla à lord Liverpool, premier lord de la trésorerie. Celui-ci, en termes un peu moins positifs, lui témoigna les mêmes dispositions que le prince régent, et ne lui cacha pas qu’à Londres on était peu satisfait de l’esprit conciliant manifesté dans les réponses de M. de Metternich aux lettres que lui écrivait le ministre des relations extérieures de France, pour réclamer l’ouverture du congrès depuis si longtemps promis. Lord Castlereagh, à qui lord Liverpool avait laissé ignorer ces pourparlers, en fut informé par l’empereur Alexandre. Il est facile de comprendre quel fut son mécontentement. Il déclara positivement à l’empereur que, comme serviteur responsable de la couronne, son opinion bien arrêtée était absolument contraire à celle dont le comte de Lieven, par suite sans doute de quelque malentendu, s’était rendu l’interprète, et les choses en restèrent là. Dans la lettre qu’il écrivit à ce sujet à lord Liverpool, et qui est d’un ton digne et fier, il affecta de croire que l’ambassadeur russe avait mal compris les discours qu’on lui avait tenus. On s’empressa sans doute d’entrer dans la voie de rétractation qu’il avait ainsi indiquée, car peu de temps après il se montrait satisfait des explications qu’il avait reçues.

Cependant le gouvernement français, comme je le disais tout à l’heure, insistait vivement pour l’ouverture du congrès promis trois mois auparavant. Il y avait déjà plusieurs semaines que le duc de Vicence se trouvait aux avant-postes, suivant le mouvement des armées, demandant à être entendu et ne recevant pour réponse que de continuels ajournemens. De tels procédés de la part des alliés manquaient également de franchise et de dignité. Ceux qui ne partageaient pas les passions de l’empereur Alexandre et de quelques chefs militaires éprouvaient un certain embarras de cette façon d’agir. L’empereur d’Autriche et le roi de Prusse étaient d’avis qu’après les promesses faites, on ne pouvait, sans encourir un blâme mérité et sans faire un grand tort moral à l’alliance, se refuser à entrer en négociation. Ceux même qui, moins scrupuleux, eussent vu avec plaisir qu’on proclamât hautement l’intention de détrôner Napoléon répugnaient à la misérable politique qui cherchait à atteindre ce but par des moyens détournés et artificieux. « Si les alliés, disait sir Charles Stewart dans un rapport dont j’ai déjà cité quelques passages, si les alliés pouvaient se mettre d’accord sur le successeur à donner à Bonaparte, je crois que nous pourrions tout hasarder… Nous pourrions déclarer la résolution de ne pas poser les armes tant que l’ancien gouvernement ne serait pas rétabli… Nos derniers succès peuvent nous conduire à un noble but bien défini, mais non pas à un jeu d’intrigue secrète. Nous nous sommes assez longtemps joués de Caulaincourt. Le moment est enfin venu de prendre une décision. Si l’Angleterre ne peut persuader à toutes les puissances de rétablir les Bourbons d’un commun accord, je ne pense pas qu’elle ait de bonnes raisons pour consentir à ce qu’elles se départent en secret d’une déclaration faite à la face du monde. » Sir Charles Stewart voulait indiquer par ces derniers mots, non pas sans doute les conditions de paix offertes à Francfort par les alliés, mais la proposition faite alors par eux de traiter avec Napoléon.

Ces considérations l’emportèrent. Le congrès s’ouvrit enfin, et le 4 février il tint à Châtillon-sur-Seine sa première séance. La manière dont il était composé disait assez ce que la France devait en attendre. Le duc de Vicence avait espéré traiter avec les chefs des cabinets alliés ; il en exprima plusieurs fois le désir. Cette satisfaction ne lui fut pas accordée. M. de Metternich, avec qui il ne cessa d’entretenir une correspondance d’une forme confidentielle et presque amicale, refusa pourtant de le voir. Il ne put être admis à entretenir lord Castlereagh, qui cependant vint passer quelques jours à Châtillon. Les plénipotentiaires qu’on chargea de conférer avec lui furent, pour l’Autriche, le comte de Stadion, prédécesseur de M. de Metternich au ministère des affaires étrangères et l’ardent instigateur de la guerre de 1809 ; pour la Russie, le comte, depuis prince Razumofsky, qui, ambassadeur à Vienne quelques années auparavant, s’était fait remarquer parmi les plus violens ennemis de l’empereur des français ; pour la Prusse, le baron de Humboldt ; pour l’Angleterre, lord Calhcart, lord Aberdeen et sir Charles Stewart, représentans du gouvernement britannique auprès des souverains de Russie, d’Autriche et de Prusse. Le choix de plusieurs de ces négociateurs était loin d’indiquer des intentions conciliantes. Leurs pouvoirs les autorisaient à traiter, non pas seulement au nom des quatre cours, mais au nom de toute l’alliance. Le prince royal de Suède, toujours exigeant et soupçonneux, témoigna quelque déplaisir de n’être pas directement représenté dans le congrès. Lord Castlereagh lui fit dire que s’il y tenait absolument, on y recevrait son ministre, mais qu’alors il faudrait y recevoir aussi ceux des vingt-quatre gouvernemens engagés dans l’alliance, ce qui ne faciliterait pas la négociation. Il n’insista pas.

Si les noms des plénipotentiaires étaient peu rassurans pour Napoléon, les instructions dont ils étaient munis et qu’ils firent bientôt connaître avaient un caractère plus hostile encore. Renfermer la France dans ses anciennes limites sur le continent européen en lui restituant celles de ses colonies que l’Angleterre ne croyait pas avoir un grand intérêt à conserver, telle était la seule base sur laquelle les alliés consentissent à traiter, et ils déclarèrent que tout contre-projet qui s’en écarterait d’une manière tant soit peu essentielle serait repoussé de prime-abord. L’Angleterre avait exigé que les questions de droit maritime ne fussent pas même mises en discussion. Enfin il était entendu entre les confédérés que la France n’interviendrait pas dans la répartition des territoires dont on lui demandait la cession, c’est-à-dire que dans la réorganisation de l’Europe, dans les mesures à prendre pour établir cet équilibre politique auquel elle est si grandement intéressée, on ne tiendrait aucun compte de ses convenances ni de son opinion.

Telles étaient les conditions qu’on proposait au vainqueur de cent batailles, à celui qui, peu de mois auparavant, était encore le maître de l’Europe. À vrai dire, personne ne pensait sérieusement qu’il put les accepter ; lord Castlereagh en convenait dans sa correspondance avec lord Liverpool. Le but qu’on se proposait, que se proposaient du moins plusieurs des parties intéressées, c’était de laisser la porte ouverte à une négociation pour le cas où la guerre viendrait à mal tourner, et cependant de traîner les choses en longueur afin de se réserver le bénéfice des événemens qui semblaient dès lors menacer Napoléon d’une prochaine catastrophe.

La bataille de Brienne venait effectivement d’abattre la dernière barrière qui parût s’interposer encore entre les alliés et Paris. Ils s’étaient absolument refusés à une suspension d’armes que la France avait sollicitée pour faciliter les travaux du congrès. Napoléon, qui, quelques jours auparavant, donnait encore au duc de Vicence l’ordre formel de ne consentir à rien qui ne fût conforme aux propositions de Francfort, céda alors à l’accablement de la mauvaise fortune. Le duc de Vicence reçut, le 6 février, une dépêche du duc de Bassano, qui, au nom de l’empereur, lui donnait carte blanche pour arrêter les progrès de l’ennemi, sauver la capitale et éviter une bataille où étaient les dernières espérances de la nation. Le ton vague et confus de cette lettre, évidemment dictée par Napoléon, disait assez la situation désespérée qui la lui avait inspirée et la répugnance qu’il éprouvait à énoncer en termes précis les sacrifices accablans auxquels il se résignait.

Contre l’attente de ses adversaires mêmes, le grand empereur s’était donc décidé à subir l’humiliation profonde qu’ils voulaient lui infliger. On vit alors quelque chose de bien étrange. Au moment où le duc de Vicence se disposait à faire usage des pouvoirs qu’on venait de lui envoyer, et lorsque déjà il en avait laissé entrevoir toute l’étendue, les ministres des cours coalisées lui déclarèrent par écrit que, l’empereur de Russie ayant jugé à propos de se concerter avec ses alliés sur l’objet des conférences de Châtillon, et ayant ordonné à son plénipotentiaire de demander la suspension des conférences jusqu’à ce qu’il lui eût fait parvenir de nouvelles instructions, elles allaient en effet être suspendues et qu’on préviendrait le plénipotentiaire français du moment où elles pourraient être reprises. Le duc de Vicence protesta vivement contre un procédé aussi singulier, qu’on n’avait pas même cherché à couvrir d’un prétexte spécieux. Les alliés cette fois étaient évidemment dans leur tort ; il fut un moment possible de croire qu’ils auraient à s’en repentir.

En ce moment même Napoléon commençait une de ses plus mémorables campagnes, celle peut-être où il a acquis le plus de véritable gloire, parce que jamais il n’avait eu à combattre avec d’aussi faibles moyens des ennemis aussi nombreux et aussi acharnés. Les coalisés, croyant, après la bataille de Brienne, n’avoir plus d’obstacles sérieux à rencontrer sur la route de Paris, avaient divisé leurs forces pour en faciliter la marche. Tandis que la grande armée, composée des Autrichiens, des contingens des états secondaires de l’Allemagne, de la garde impériale russe, et commandée par le prince de Schwarzenberg, s’avançait par la vallée de la Seine, le maréchal Blücher conduisait par celle de la Marne l’armée prussienne dite de Silésie, renforcée de plusieurs divisions russes. Chacun se précipitait comme pour arriver le premier au but que l’on croyait déjà toucher. Napoléon, profitant de la sécurité exagérée de ses adversaires, réussit à surprendre et à vaincre successivement, dans six combats livrés en huit jours à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry, à Vauchamps, à Nangis, à Montereau, les corps séparés des deux armées, auxquels il fit éprouver une perte de près de quarante mille hommes. Jamais l’ascendant de son génie ne s’était montré avec plus d’éclat. Les ennemis, malgré leur immense supériorité numérique, n’osaient plus sur aucun point tenir devant lui. Le 17 février, Napoléon, enivré par tant de triomphes, écrivait au duc de Vicence pour lui retirer les pleins pouvoirs qu’il lui avait donnés le 6 et lui enjoindre de ne signer la paix qu’aux conditions de Francfort. Le ton de sa lettre, calculé peut-être, respirait la confiance la plus illimitée ; il y exprimait l’espérance de détruire l’armée autrichienne avant qu’elle eût repassé la frontière ; il y offrait comme une faveur de laisser les ennemis rentrer tranquillement chez eux, s’ils consentaient à signer des préliminaires fondés sur les bases de Francfort.

Ce jour-là même, le congrès de Châtillon reprenait ses conférences si malencontreusement interrompues, et les plénipotentiaires alliés présentaient au duc de Vicence un projet de traité dont la substance était la réduction de la France dans ses anciennes limites. On voit qu’on était loin de pouvoir s’entendre.

Ce qui explique et justifie jusqu’à un certain point les illusions que Napoléon se faisait ou semblait se faire sur ce retour de fortune, c’est le sentiment de consternation et de trouble qui, pendant quelques jours, paralysa les conseils de la coalition. Les victoires de l’empereur des Français n’en étaient pas la seule cause. On croyait voir se manifester, dans la population des campagnes, les premiers symptômes d’un mouvement qui eût placé les alliés dans une position bien dangereuse. Des corps de partisans s’étaient formés en Lorraine et en Alsace, et leurs courses, non moins que les vigoureuses sorties des nombreuses garnisons françaises, interceptaient les communications des armées alliées, dont ils enlevaient quelquefois les convois. En Champagne, en Bourgogne, les paysans, exaspérés par les pillages et les violences des Cosaques et de certaines troupes allemandes, se levaient, s’armaient de tous côtés et massacraient ou faisaient prisonniers les soldats isolés, on voyait même sortir des villes des volontaires qui s’associaient à cette chasse. Lorsque les alliés étaient obligés, par l’approche des troupes françaises, d’abandonner une ville qu’ils avaient momentanément occupée, les habitans tiraient sur eux au moment de leur retraite. Les faibles détachemens qui traversaient les villages étaient aussi en butte à des hostilités. Ce mouvement, en devenant plus général, pouvait susciter de grands dangers aux envahisseurs.

Il y avait à peine deux mois qu’on avait pénétré en France, et déjà une grande partie des coalisés aurait voulu repasser le Rhin. Il leur semblait que, si loin de cette barrière, ils n’étaient pas seulement exposés aux hasards ordinaires des combats, et qu’ils couraient des dangers mystérieux auxquels ils avaient hâte de se soustraire. Sir Charles Stewart écrivait à lord Castlereagh que plusieurs des contingens allemands et les chefs qui les commandaient croyaient avoir assez combattu sur le territoire français. Lord Burghersh, aujourd’hui lord Westmoreland, commissaire anglais au grand quartier-général autrichien, racontait ainsi, dans une lettre adressée à ce même ministre, ce qui se passait sous ses yeux : « Nos opérations sont très singulières. Le fait est que nous craignons de combattre… Schwarzenberg voudrait être de retour sur le Rhin… Y retourner sans y être positivement forcé, cela exigerait bien de la force d’esprit pour en supporter la responsabilité ; il reste donc où il est, sans beaucoup d’apparence, je le crains bien, d’y faire grand’ chose… La paix est le cri de tous les officiers de cette armée. Elle est dans un grand état de désorganisation. Le pillage y est arrivé au plus haut degré. »

Cette lettre est d’autant plus digne d’attention qu’au moment où elle fut écrite, le 12 mars, l’armée autrichienne s’était déjà un peu remise du désordre où l’avaient jetée les combats de Nangis et de Montereau. Après ces deux affaires, l’abattement y était si profond, qu’on avait cru devoir faire parvenir à Napoléon des paroles pacifiques par un officier autrichien dont la mission avait pour prétexte l’envoi d’une lettre de l’empereur François à l’impératrice sa fille. L’empereur des Français en avait pris occasion d’écrire lui-même à son beau-père sur un ton de confiance exagérée et presque de bravade contre la coalition. Des conférences s’étaient ouvertes pour négocier une suspension d’armes que les alliés avaient refusée avant leurs derniers revers, mais dont le généralissime autrichien croyait maintenant avoir besoin pour se donner le temps de rallier ses divisions en déroute et de recevoir les renforts qu’il attendait. Ces conférences furent d’ailleurs sans résultat, parce que Napoléon voulait mettre à l’armistice des conditions qui auraient eu pour effet de lui donner une meilleure position militaire, tandis que les alliés voulaient que les deux années gardassent leurs positions actuelles.

Il est juste de remarquer que le découragement dont je viens de parler n’avait pas été général dans les rangs de la coalition. L’intrépide chef de l’armée prussienne, bien qu’il eût éprouvé des échecs aussi graves que ceux du général autrichien, trouvait dans l’activité passionnée qui animait sa vieillesse une force qui le soutenait contre les plus rudes épreuves. Les représentans de l’Angleterre conservaient, au milieu de tout ce désordre, un calme, une présence d’esprit dont il faut sans doute faire honneur au caractère national, mais qui s’explique aussi par cette circonstance, que leur pays n’était pas exposé aux conséquences immédiates d’une grande défaite subie sur les bords de la Seine ou de la Marne. Ils jugeaient très sévèrement la conduite de leurs confédérés ; ils blâmaient la proposition d’un armistice, et surtout le peu de dignité et d’habileté qu’on avait posté dans des procédés souvent fort contradictoires :


« La question politique, écrivait lord Castlereagh à lord Aberdeen, a été misérablement compromise par les excès opposés dans lesquels on est tombé alternativement. Tantôt on poussait l’orgueil jusqu’à ne vouloir écouter aucune proposition, tantôt on se montrait ridiculement impatient d’être délivré de la présence de notre ennemi. »


Lord Aberdeen, de son côté, écrivait de Châtillon à lord Castlereagh :


« L’ennemi est, à mon sens, une source de dangers beaucoup moins redoutable que celle que nous avons parmi nous. Je ne puis trop souvent vous représenter l’état réel des esprits de ces faibles hommes par qui l’Europe est gouvernée. L’accord apparent qui avait eu lieu à Langres couvrait en réalité la défiance et la haine toujours subsistantes. Quelques succès cimenteront de nouveau cet accord ; mais si les hommes dont il s’agit doivent être sévèrement éprouvés par l’adversité, la dissolution est certaine. Votre présence a fait beaucoup, et, je n’en doute pas, les soutiendrait encore en cas de malheur ; mais sans elle ils seraient perdus. »


Cette conviction de la nécessité de la présence de lord Castlereagh pour maintenir en activité les ressorts de l’alliance se trouve reproduite à chaque instant dans les lettres des envoyés anglais. Ils y font parfois allusion à des circonstances qui ne sont pas expliquées et dont la connaissance plus précise jetterait un grand jour sur les hésitations et les dissensions intérieures de la coalition. On voit, par exemple, dans une lettre de lord Castlereagh à lord Liverpool, que pendant le séjour à Troyes du grand quartier-général, il y avait eu des discussions très pénibles entre l’empereur Alexandre et le ministre anglais, mais que les rapports les plus bienveillans et les plus intimes n’avaient pas tardé à se rétablir entre eux.

Le traité de Chaumont, signé le 1er mars par les ministres des affaires étrangères de l’Autriche, de la Grande-Bretagne, de la Prusse et de la Russie, fut le résultat des pourparlers par lesquels on vint à bout de raffermir l’édifice de la grande alliance, un moment ébranlé. Aux termes de ce traité, les quatre puissances prenaient l’engagement, au cas où la France refuserait les conditions qu’on lui avait proposées, de consacrer tous leurs moyens à poursuivre la guerre avec vigueur et dans un parfait concert, afin de procurer une paix générale. À cet effet, elles devaient tenir constamment en activité chacune cent cinquante mille hommes au complet ; l’Angleterre paierait pour cela un subside de 5 millions sterling à répartir entre ses trois alliés ; on ne pourrait faire la paix que d’un commun accord. Enfin ce traité, destiné à assurer l’équilibre de l’Europe, était conclu pour vingt ans, et on pourrait le renouveler avant l’expiration de ce terme. Des articles secrets indiquaient en termes généraux les résultats que la coalition se proposait : la reconstitution de l’Allemagne en états indépendans unis parmi lien fédératif, l’indépendance de la confédération suisse, celle de l’Italie partagée en états distincts, le rétablissement de Ferdinand VII sur le trône d’Espagne et la reconstitution de la Hollande avec un agrandissement de territoire sous la souveraineté de la maison d’Orange.

Par l’effet de ce traité, l’alliance, devenue permanente, prit un caractère beaucoup plus décidément hostile à Napoléon. On voulait en finir. Déjà les plénipotentiaires de Châtillon avaient reçu des instructions dont lord Castlereagh expliquait ainsi qu’il suit le caractère à lord Liverpool : « Vous verrez… que les allies, sans vouloir se donner l’apparence de chercher une rupture, sont décidés à donner à la négociation une prompte issue, et que, quelles que puissent être les chances de la guerre en France ou hors de France, ils sont déterminés à soutenir avec fermeté et persévérance la cause de l’Europe contre Napoléon jusqu’à ce qu’il ait acquiescé en substance aux termes qu’ils lui ont proposés, cette détermination étant la seule qui puisse faire espérer une paix réelle. » N’oublions pas, pour bien comprendre la pensée de lord Castlereagh, que la conviction des puissances était que Napoléon refuserait ces termes si rigoureux.

Tout changea d’aspect à Châtillon. Autant les alliés avaient d’abord paru éviter d’accélérer une négociation dont plusieurs d’entre eux craignaient de voir sortir la paix, autant ils montrèrent d’empressement à la hâter, sans doute parce qu’ils comptaient sur une rupture. Le 28 février, on demanda au duc de Vicence de faire savoir quand on recevrait la réponse du gouvernement français au projet de traité présenté le 17, et ce ne fut pas sans peine qu’on lui accorda un délai de dix jours, en lui déclarant qu’on était prêt à discuter les modifications que la France pourrait proposer, mais qu’on repousserait d’une manière absolue celles qui changeraient tant soit peu les bases essentielles du projet.

La position du duc de Vicence était terrible. De même qu’avant la campagne de Russie, il s’était épuisé en efforts inutiles pour détourner Napoléon d’une entreprise dont il prévoyait les fatales conséquences, de même qu’à Prague il avait vainement essayé de lui démontrer qu’en rejetant, ou en éludant par d’imprudentes temporisations les offres de l’Autriche, on la pousserait dans les rangs de la coalition, il ne cessait maintenant de représenter que des temporisations nouvelles auraient pour résultat la prompte dissolution du congrès, que tel était le vœu secret de plusieurs des alliés, qu’ils n’aspiraient qu’à la ruine complète de Napoléon ; que si l’on n’y prenait garde, l’Autriche, quels que pussent être ses sentimens particuliers, se laisserait elle-même entraîner dans cette voie, et que la coalition était désormais trop bien liée pour que, l’espoir de parvenir à la dissoudre ne fût pas une pure chimère. Il demandait donc avec instance, sinon qu’on lui rendit les pleins pouvoirs dont il avait été muni un instant, au moins qu’on le mit en mesure de négocier avec efficacité en renonçant aux bases de Francfort. Ces remontrances, exprimées avec une noble et éloquente franchise dans des lettres confidentielles qui ont été depuis longtemps publiées, irritaient d’autant plus Napoléon que probablement il ne méconnaissait pas la force des considérations sur lesquelles son ministre les appuyait, bien que l’orgueil et peut-être aussi une politique prise de plus haut l’empêchassent d’accepter un excès d’humiliation qui ne lui eût plus laissé d’avenir. Le duc de Vicence ne recevait donc, au lieu des instructions nouvelles qu’il sollicitait, que des reproches amers, de vagues récriminations mêlées de subtilités et de chicanes.

Il fallait cependant qu’il essayât de faire bonne contenance devant les plénipotentiaires alliés. Seul en présence de six hommes étroitement unis et dont les dispositions hostiles envers la France ne déféraient guère que par les nuances que pouvait y porter le tempérament particulier de chacun, toutes ses tentatives pour donner un peu plus d’aisance et de facilité aux rapports qu’il entretenait avec eux échouaient contre leur résolution bien arrêtée de maintenir ces rapports sur un terrain purement officiel. Dans les entretiens qu’il avait avec quelques-uns d’entre eux en dehors des conférences, il affectait de témoigner une franchise qui, dans des conjonctures moins extrêmes, eût pu sembler excessive ; il ne leur dissimulait pas combien, pour son compte, il désirait la paix et la croyait nécessaire, combien il déplorait les illusions, les emportemens auxquels son maître se laissait entraîner ; il leur parlait des efforts qu’il faisait lui-même pour le ramener à une appréciation plus juste de la situation ; il leur insinuait qu’un langage ferme et soutenu de leur part était opportun pour faire évanouir ces illusions. « Caulaincourt, écrivait sir Charles Stewart, redoute les succès de Bonaparte encore plus que les nôtres, parce qu’il craint qu’ils ne le rendent plus déraisonnable encore. » Dans d’autres instans, exprimant au fond le même sentiment dans une forme en apparence contradictoire, il disait que le seul avantage réel que pussent avoir les succès partiels obtenus par Napoléon, c’était de le rendre plus traitable en désintéressant un peu son amour-propre. À toutes ces avances, à toutes ces insinuations, les alliés ne répondaient qu’avec une politesse froide et réservée qui ne lui permettait pas de s’avancer au-delà et de donner à ces communications un caractère vraiment confidentiel.

Le duc de Vicence n’était pas plus heureux lorsqu’il s’efforçait, dans les conférences officielles, d’élargir tant soit peu les limites si étroites où ses adversaires prétendaient renfermer la négociation. L’acceptation des propositions des alliés, le rejet de ces propositions ou un contre-projet formel qui en conservât toutes les bases, telles étaient, lui répétaient sans cesse les plénipotentiaires de la coalition, les seules réponses qu’ils pussent recevoir. S’il se hasardait à rappeler combien les offres de Francfort avaient été plus modérées, les uns niaient avec peu de bonne foi qu’elles eussent jamais eu un caractère formel ; le comte Razumofsky, plus franc et plus dur, disait que les alliés avaient eu le droit de devenir plus exigeans en proportion de leurs succès. S’il demandait ce qu’on ferait des territoires cédés par la France, ce même comte Razumofsky déclarait que la position actuelle de la France en Europe ne lui donnait aucun titre pour se mêler des affaires de l’Europe ; le comte Stadion ajoutait que les alliés se réservaient de faire leurs arrangemens et que la France n’avait pas le droit de s’en enquérir. On refusait même toute explication sur le sort réservé aux alliés de Napoléon, aux membres de sa famille, aux rois de Saxe, de Westphalie, au vice-roi d’Italie. Une sorte d’ironie amère et concentrée se mêlait quelquefois à la rudesse de ce langage. Le duc de Vicence ayant un jour énuméré, parmi les cessions que la France était disposée à faire, et dont on devait lui tenir compte dans l’ensemble des arrangemens, celle des colonies qu’elle abandonnerait à l’Angleterre, lord Cathcart le pria d’indiquer les colonies qu’elle avait à céder, voulant dire par là que l’Angleterre s’était déjà emparée de toutes les possessions françaises situées au delà des mers. Il fallut que le duc de Vicence rappelât à ce représentant d’une alliance formée, disait-on, pour la restauration des principes de droit et de justice, que les droits de la conquête ont besoin, pour être valables, d’être confirmés par les traités.

Repoussé ainsi de toutes parts, renfermé dans d’infranchissables barrières qui ne lui laissaient aucune liberté de mouvement, le ministre français cherchait à s’ouvrir une issue en s’adressant par écrit à M. de Metternich, qui n’était pas à Châtillon, mais qui avait consenti à continuer avec lui une correspondance confidentielle depuis longtemps entamée ; il essayait de lui persuader que l’Autriche avait intérêt à ne pas laisser accabler la France, de réveiller dans le ministre de l’empereur François quelque reste de sympathie pour la fille, pour le petit-fils de ce souverain, menacés de si cruelles épreuves. De ce côté, ses adjurations, ses supplications étaient reçues avec moins de sécheresse. Les réponses de M. de Metternich étaient empreintes d’un esprit de courtoisie bienveillante, elles témoignaient un désir sincère d’arriver à une pacification ; mais cette pacification, y était-il dit, ne pouvait résulter que d’un prompt acquiescement de la France aux demandes des alliés. Un peu plus tard, il ne serait plus temps de traiter même à ces conditions ; la coalition était fermement décidée à ne pas se dissoudre avant d’avoir atteint son but, et l’empereur François, quels que fussent ses sentimens personnels, en ferait le douloureux sacrifice plutôt que de se séparer de ses confédérés. M. de Metternich, en un mot, disait au duc de Vicence ce que le duc de Vicence ne cessait d’écrire à Napoléon sans parvenir à le convaincre. Il serait injuste de ne pas reconnaître que le ministre autrichien se montrait sincère en cette occasion ; s’il eût voulu réellement préparer la rupture des négociations, il eût tenu un autre langage, et il est difficile de croire qu’il ne désirât pas alors un arrangement.

Ces dispositions eussent-elles prévalu contre les passions de la plupart des coalisés, dans le cas où Napoléon se serait décidé à souscrire à ce qu’on exigeait de lui ? Il est permis d’en douter, au moins pour l’époque qui a suivi la conclusion du traité de Chaumont ; il est permis de croire qu’on eût suscité des difficultés nouvelles. Ce qui est certain, c’est que les plénipotentiaires n’avaient pas les pouvoirs nécessaires pour en finir. Sir Charles Stewart, qui n’était certes pas plus enclin qu’un autre à traiter avec Napoléon, mais qui se sentait mal à l’aise et peut-être humilié du peu de latitude d’action qu’on lui accordait, écrivit à lord Castlereagh pour se plaindre de la nécessité où il se trouvait, aussi bien que ses collègues, d’en référer sur toutes choses à son gouvernement et pour lui demander ce qu’il devrait faire dans le cas peu probable d’ailleurs où le plénipotentiaire français offrirait de signer le traité proposé. La réponse de lord Castlereagh est curieuse et peint la situation : « Dans l’hypothèse presque inconcevable, dit-il, d’une acceptation pure et simple, sans aucune modification, peut-être n’y aurait-il pas d’objection à vous autoriser à la recevoir, en réservant la rédaction du projet dans la forme convenable. »

Cependant le terme de dix jours assigné au duc de Vicence s’était écoulé. Il dut enfin s’expliquer. À défaut d’un consentement que Napoléon, malgré ses instances, ne l’avait pas mis en mesure de présenter, il lut, le 10 mars, à la conférence, des observations rédigées avec beaucoup de mesure et d’habileté, mais qui n’étaient nullement en rapport avec ce qu’on lui avait demandé. Le sens général en était que, toutes les autres puissances s’étant considérablement agrandies depuis vingt années, les conditions proposées à Francfort suffiraient à peine pour placer la France dans une situation qui reconstituât l’équilibre existant en Europe avant 1792, et dont le rétablissement était le but avoué de la coalition. Les plénipotentiaires alliés, après avoir entendu ces observations, dirent d’une voix unanime qu’on ne pouvait y voir qu’un refus. Le duc de Vicence s’étant récrié contre cette interprétation, ils le sommèrent de déclarer positivement s’il acceptait ou s’il refusait. Au moment où ils allaient lever la séance, ce qui n’eût été rien moins que la rupture du congrès, il se décida enfin à leur remettre une déclaration portant que l’empereur des Français était prêt à renoncer à toute souveraineté, suprématie, protectorat ou influence constitutionnelle quelconque en dehors des limites de la France, à reconnaître l’indépendance de l’Espagne sous la souveraineté de Ferdinand VII, l’indépendance de l’Italie, celle de la Suisse sous la garantie des grandes puissances, celle de l’Allemagne, celle de la Hollande, sous la souveraineté de la maison d’Orange, et enfin à faire à l’Angleterre des cessions au-delà des mers moyennant un équivalent raisonnable.

Trois jours après, le 13 mars, le congrès se réunit de nouveau. Les plénipotentiaires alliés signifièrent au duc de Vicence que leurs cours avaient jugé sa déclaration complètement insuffisante, en ce qu’elle ne s’expliquait pas sur plusieurs des questions posées dans le projet de traité. Ils demandèrent encore une fois une réponse précise et catégorique, et comme le ministre français essayait de gagner du temps, ou, pour mieux dire, d’amener ses adversaires à entrer avec lui en discussion réglée : « Je vois bien qu’il faut en finir, » s’écria le comte de Stadion. Poussé ainsi dans ses derniers retranchemens, le duc de Vicence promit de présenter un contre-projet complet, et ce ne fut pas sans peine qu’il obtint pour cela un délai de quarante-huit heures. Ce qu’on aura peine à croire, c’est qu’aux yeux de quelques-uns des plénipotentiaires il y eut dans de tels procédés un excès de condescendance et de courtoisie pour la France. Telle est pourtant l’opinion que sir Charles Stewart exprimait le jour même dans une lettre qu’il écrivait à lord Castlereagh, pour lui rendre compte de ce qui venait de se passer.

Le 15 mars, le duc de Vicence, à qui on avait refusé la veille un nouveau délai dont il aurait eu besoin pour prendre une dernière fois les ordres de son souverain, présenta enfin le contre-projet tant attendu. Voici quelle en était la substance : la Belgique et la rive gauche du Rhin seraient restées à la France ; le prince Eugène aurait eu le royaume d’Italie jusqu’à l’Adige, auquel on aurait joint les îles Ioniennes ; le roi de Saxe, le grand-duc de Berg, neveu de Napoléon, sa sœur la princesse de Lucques, les princes de Neuchâtel et de Bénévent, ses grands-officiers, eussent été maintenus dans leurs états. Le plénipotentiaire français, en énonçant de telles propositions, ne pouvait se faire illusion sur l’accueil qu’elles rencontreraient ; aussi s’empressa-t-il d’ajouter qu’il était prêt à en discuter tous les articles dans un esprit de conciliation. Les ministres alliés se bornèrent à dire que la pièce qu’on venait de leur communiquer était trop importante pour qu’ils pussent y faire, séance tenante, une réponse quelconque.

Cette réponse n’eut lieu que trois jours après, la majorité des plénipotentiaires ayant cru devoir, malgré la vive opposition de quelques-uns d’entre eux, demander préalablement aux souverains des instructions définitives dont la nature ne pouvait d’ailleurs être douteuse. Le 18, dans une dernière conférence, le comte de Stadion, portant la parole pour tous ses collègues, donna lecture au duc de Vicence d’un acte par lequel ils déclaraient, au nom et par l’ordre de leurs gouvernemens, que le contre-projet présenté par lui ne s’écartant pas seulement des bases qu’ils avaient proposées, mais étant essentiellement contraire à l’esprit qui les avait dictées, et indiquant de la part du gouvernement français le désir de traîner en longueur des négociations aussi inutiles que compromettantes, les puissances alliées regardaient ces négociations comme terminées ; qu’indissolublement unies pour le grand but qu’avec l’aide de Dieu elles espéraient atteindre, elles ne faisaient pas la guerre à la France ; qu’elles regardaient les justes dimensions de cet empire comme une des premières conditions d’un état d’équilibre politique, mais qu’elles ne poseraient pas les armes avant que les principes qu’elles soutenaient n’eussent été reconnus et admis par son gouvernement. Après une réplique ferme et mesurée du duc de Vicence, qui, tout en repoussant les accusations dirigées contre le cabinet français, faisait encore un appel à la discussion et à la conciliation, le congrès fut dissous le 19 mars. Napoléon, dont les armes avaient cessé d’être victorieuses, venait en ce moment même de se résigner à donner enfin à son ministre l’autorisation de faire les concessions qu’il jugerait indispensables pour empêcher la rupture des négociations : bientôt il alla plus loin, et le 25, le duc de Vicence, qui venait seulement de rejoindre l’empereur, put écrire à M. de Metternich qu’il était pourvu des pouvoirs nécessaires pour conclure la paix ; mais la marche rapide des événemens devait rendre inutile cette détermination si tardive.

La nouvelle de la dissolution du congrès fut reçue en Angleterre avec une vive satisfaction. Ce qu’on appelait les lenteurs, les ménagemens excessifs de la coalition excitait déjà dans ce pays beaucoup de mécontentement. Sur la fausse nouvelle que les préliminaires de la paix avaient été signés à Châtillon et que par conséquent Napoléon gardait sa couronne, les fonds avaient baissé à la bourse de Londres. Le sous-secrétaire d’état Edward Coke écrivait à lord Castlereagh : « Le rétablissement des Bourbons est considéré maintenant comme le sine qua non de la sécurité et du désarmement. » Lord Castlereagh, dans une lettre qu’il adressa à lord Bathurst, secrétaire d’état de la guerre et des colonies, se crut obligé de justifier la permission qu’on avait donnée au duc de Vicence de présenter un contre-projet. Il fit remarquer qu’on avait exigé que ce contre-projet fut conforme en substance aux propositions des alliés, qu’on en avait tiré l’avantage d’obliger l’ennemi à s’expliquer, et que s’il en était résulté un retard de quarante-huit heures, c’était parce que les plénipotentiaires, au lieu de rejeter immédiatement des propositions inadmissibles, avaient cru devoir en référer à leurs cours. C’était donc sans raison, ajoutait-il, qu’on s’était alarmé à Londres.

Sir Charles Stewart, annonçant à. Edward Coke la rupture de la négociation, lui disait : « Vous vous réjouirez, j’en suis convaincu, de la clôture des conférences… Quant à moi, je sais bon gré à Bonaparte d’être un autre Catilina, et les admirables opérations qu’il a accomplies en dernier lieu, avec des forces si inférieures, contre deux armées dont chacune était plus nombreuse que la sienne, ne peuvent qu’accroître sa réputation militaire. Je crois qu’il ne s’est jamais montré plus grand, et qu’il n’a jamais joué avec plus d’habileté un jeu désespéré que depuis la bataille de Brienne. » Ces témoignages d’admiration accordés à un ennemi qui les méritait si bien, mais dont on ne parlait d’ordinaire, que sur le ton de l’outrage et du mépris, sont l’expression naïve de la joie qui remplissait le cœur de sir Charles Stewart. Il devenait pour un moment presque juste envers Napoléon, par reconnaissance de ce qu’il avait refusé la paix.

Cette disposition des esprits pourrait difficilement être comprise, si l’on ne tenait compte du changement qui s’était opéré depuis quelques semaines dans la situation respective des armées belligérantes. Au moment où se terminait le congrès, Lyon ouvrait ses portes à un corps autrichien que le maréchal Augereau n’avait pas su contenir. Peu de jours auparavant, le 12 mars, Bordeaux avait appelé les Anglais et proclamé la royauté de Louis XVIII. En France et hors de France, cette première manifestation du sentiment royaliste avait produit un très grand effet. Sur le théâtre même où Napoléon avait naguère obtenu de si éclatans succès, son étoile pâlissait de nouveau. Les marches continuelles, les combats presque journaliers par lesquels il avait pu jusqu’alors, à plusieurs reprises, arrêter, repousser, écarter successivement deux formidables armées marchant sur Paris par deux routes différentes, avaient épuisé ses dernières ressources. L’excès de la fatigue non moins que le fer de l’ennemi opérait chaque jour dans les rangs de ses soldats des vides qu’il ne pouvait remplir qu’incomplètement et avec beaucoup de difficulté, tandis que les masses énormes de la coalition, à peine entamées par les pertes qu’il leur faisait subir, étaient sans cesse recrutées de nouveaux corps arrivant de l’Allemagne et du nord de l’Europe. Les chefs alliés, voyant que c’étaient toujours les mêmes divisions, les mêmes régimens qu’ils avaient à combattre sur les points les plus éloignés, avaient fini par s’apercevoir du petit nombre de leurs adversaires. Ils avaient repris quelque confiance. Le découragement se glissait au contraire, sinon encore parmi les soldats, au moins parmi les lieutenans de Napoléon. Là où il ne se trouvait pas en personne avec son héroïque garde, plus d’un échec partiel était venu balancer l’effet de ses victoires. Les alliés, voulant en finir, mais n’osant l’attaquer corps à corps avant d’avoir rassemblé toutes leurs forces, prirent la résolution de réunir les armées de Schwarzenberg et de Blücher. Cette jonction ayant eu lieu sans qu’il pût s’y opposer, l’habileté de ses manœuvres, la timidité, l’irrésolution que sa présence jetait encore dans l’esprit de la plupart des généraux de la coalition, purent seules, à la bataille d’Arcis-sur-Aube, le préserver d’une destruction entière. L’unique voie de salut qui lui restât ouverte, c’était de tenter un de ces coups hardis qui contiennent nécessairement l’alternative d’une ruine complète ou d’un éclatant triomphe : il se décida à abandonner la défense directe de la route de Paris, à se porter sur les derrières de l’ennemi, à rallier les nombreuses garnisons de l’Alsace et de la Lorraine, et à se placer, ainsi renforcé, entre la frontière et les alliés, dont il eût rompu les communications.

Il espérait qu’effrayés d’un mouvement aussi audacieux, et craignant de se trouver coupés et isolés au centre de la France, les alliés s’empresseraient de rétrograder vers le Rhin. Peu s’en fallut, dit-on, que cette espérance ne se réalisât, et la retraite fut un moment à peu près résolue ; mais les conseils de quelques hommes plus fermes ou plus passionnés, appuyés par les avis qu’on recevait de Paris sur les intrigues qui s’y agitaient déjà contre le gouvernement impérial, finirent par l’emporter dans l’esprit de l’empereur Alexandre. L’ordre fut donné de diriger sans retard la presque totalité des forces coalisées sur la capitale de la France, dont les abords n’étaient plus protégés que par les maréchaux Marmont et Mortier, à la tête de vingt mille hommes au plus. Le prince de Schwarzenberg et le maréchal Blücher conduisaient l’expédition, l’empereur de Russie et le roi de Prusse marchaient avec elle ; mais l’empereur François, entraîné au loin par un des derniers mouvemens rétrogrades de l’armée autrichienne, se trouvait alors à Dijon, où étaient aussi non-seulement M. de Metternich, mais M. de Hardenberg et lord Castlereagh. L’Angleterre n’était représentée, sous le rapport politique, au quartier-général de la grande armée, que par lord Calhcart et sir Charles Stewart, accrédités diplomatiquement auprès des souverains de Russie et de Prusse.

Les lettres que sir Charles Stewart écrivait alors à lord Castlereagh sont une sorte de journal de cette marche décisive. Elles retracent, avec la vivacité et le désordre du champ de bataille, cette lutte de quelques milliers de soldats français restés seuls en présence de la grande armée européenne, harassés, exténués, poursuivis à outrance, débordés dans toutes les positions qu’ils essayaient d’occuper successivement pour retarder sa marche précipitée et pour donner à Napoléon le temps de revenir au secours de Paris ; elles nous montrent les gardes nationales postées au passage des rivières ou s’appuyant des accidens du terrain pour seconder la résistance des troupes de ligne. On ne peut se défendre de quelque émotion en lisant ce tableau tracé par un ennemi de l’agonie du gouvernement impérial, de ces derniers et impuissans efforts de l’honneur militaire toujours vivant, et d’un patriotisme trop tard réveillé. Sir Charles Stewart lui-même, lorsqu’il raconte la journée de Fère-Champenoise, ce douloureux et glorieux combat qui n’a pas même eu parmi nous l’honneur d’un bulletin, ne peut s’empêcher de laisser percer une certaine sympathie pour ces cinq mille gardes nationaux de l’ouest qu’on vit alors, tombant à l’improviste au milieu des masses de la coalition, se former en bataillons carrés, rejeter toutes les sommations, toutes les adjurations que l’empereur Alexandre, saisi de pitié, leur faisait parvenir pour les décider à mettre bas les armes, repousser plusieurs attaques, poursuivre leur marche en faisant feu comme des vétérans aguerris, et enfin, entourés de toute part, foudroyés, déchirés par la mitraille, ne succomber que sous la charge furieuse d’une innombrable cavalerie.

Le 29 mars, tandis que Napoléon, averti trop tard des mouvemens des alliés, accourait pour défendre sa capitale, ramenant des frontières de la Lorraine quarante mille hommes qu’il avait encore sous son commandement, les armées ennemies prenaient position devant les hauteurs de Montmartre, et le 30 au soir sir Charles Stewart datait de Belleville, près Paris, une lettre qui commençait ainsi : « Après une victoire brillante, Dieu a livré la capitale de l’empire français entre les mains des souverains alliés, juste rétribution des calamités infligées à Moscou, à Vienne, à Madrid, à Berlin et à Lisbonne, par le désolateur de l’Europe. » Le 31, las vainqueurs firent leur entrée solennelle dans les murs de Paris. Sir Charles Stewart, dans son enthousiasme, crut voir la population tout entière arborant la cocarde blanche et poussant des acclamations en faveur des Bourbons.


III

Je n’ai pas à raconter ici l’histoire de la restauration, à expliquer comment M. de Talleyrand, fixant enfin les irrésolutions de l’empereur Alexandre, le décida à rétablir le trône des Bourbons, comment sortit, des entraînemens libéraux du monarque victorieux et des calculs intéressés de l’homme d’état, le gouvernement constitutionnel qui devait régir la France pendant trente-quatre années. Ce grand changement fut, dans la coalition, l’œuvre exclusive d’Alexandre. Tout se décidait auprès de lui dans un conseil intime où siégeaient, avec M. de Nesselrode, M. d’Anstedt et le général Pozzo di Borgo, ennemis mortels de Napoléon. Le roi de Prusse, peu porté à l’initiative et séparé en ce moment de son principal ministre, n’était consulté que pour la forme. Le prince de Schwarzenberg, généralissime autrichien, d’un caractère naturellement facile, n’essaya pas même, en l’absence de l’empereur François et de M. de Metternich, d’exercer quelque influence sur des événemens où il s’agissait pourtant du sort de la fille et du petit-fils de son maître. Quant à l’Angleterre, je l’ai déjà dit, elle n’était représentée au grand quartier-général que par lord Cathcart et sir Charles Stewart, qui restèrent étrangers à ce qui se passait. On voit même, par la correspondance de sir Charles, qu’il en était assez mal informé. Cette circonstance ne dut pas peu contribuer à lui faire voir avec humeur et défiance des faits qui, au surplus, étaient de nature à inquiéter la politique d’un ministre anglais et à blesser les préjugés d’un tory. Rendant compte, le 4 avril, à lord Liverpool de la révolution qui s’accomplissait sous ses yeux, il exprimait la crainte que M. de Nesselrode et le général Pozzo lui-même, malgré son habileté consommée, ne fussent pas de force à tenir tête à M. de Talleyrand et ne se laissassent entraîner par lui ; il accusait M. de Talleyrand de tout organiser d’avance dans la pensée de se rendre maître absolu, d’annuler le nouveau roi, et déjà il croyait le voir aussi puissant par l’intrigue et l’artifice que Napoléon l’avait été par son immense force militaire ; il déplorait l’absence de lord Castlereagh, qui laissait le champ libre aux combinaisons les plus dangereuses pour l’Angleterre, et il semblait redouter surtout la conclusion entre la France et la Russie d’arrangemens commerciaux réciproquement favorables aux intérêts des deux pays, mais contraires aux intérêts britanniques. « Il est évident, disait-il, que la politique de l’empereur de Russie a été plutôt de coqueter avec la nation française que de faire une déclaration publique et manifeste au sujet de Louis XVIII… Il s’est conduit avec tant d’adresse depuis son arrivée ici, qu’on ne saurait calculer le degré d’influence qu’il a obtenu sur l’opinion parisienne. »

Cependant la joie que la chute de Napoléon inspirait à sir Charles Stewart faisait plus que compenser le mécontentement qu’il éprouvait à d’autres égards. Sa haine, loin d’être adoucie par le spectacle de cette grande infortune, trouvait une vive satisfaction à voir l’homme qui avait si longtemps joué le premier rôle sur le théâtre du monde en sortir marqué, disait-il, de cette dégradation que toute sa carrière avait si bien méritée, à le voir abandonné de tous les siens, même de Berthier, et réduit à une situation telle que le seul sentiment qu’il pût désormais inspirer était cette pitié que les chrétiens accordent aux plus infortunés de leurs frères. Il faut convenir que cette invocation à la charité chrétienne intervient ici d’une manière assez inattendue.

Il est à remarquer que la correspondance de sir Charles Stewart contient dès cette époque, sur le singulier choix fait pour la résidence de l’empereur déchu, des observations dont tout le monde dut plus tard reconnaître la justesse. Suivant lui, M. de Talleyrand et son gouvernement en étaient très mécontens, et beaucoup de personnes s’inquiétaient de la position de l’île d’Elbe, si voisine de l’Italie, où Napoléon comptait tant de partisans, où le prince Eugène était si populaire, où régnait encore Murat, dont on devait se défier ; il pensait donc, sans se préoccuper des engagemens déjà pris, qu’il fallait chercher une autre retraite moins dangereuse pour le terrible vaincu. « Notre malheur, ajoutait-il, c’est que Bonaparte existe encore. »

Lord Castlereagh ne tarda pas d’arriver à Paris, où se trouvèrent bientôt réunis les souverains et leurs ministres. Louis XVIII, retenu en Angleterre par une attaque de goutte, ne vint qu’au mois de mai prendre possession de sa couronne. Déjà Monsieur, investi de la direction provisoire du gouvernement en qualité de lieutenant-général du royaume, avait conclu avec les gouvernemens alliés une suspension d’armes qui stipulait d’une part l’évacuation du territoire de l’ancienne France, de l’autre la remise aux coalisés des nombreuses places occupées encore en dehors de ces limites par des garnisons françaises, et l’abandon à leur profit de l’artillerie et des munitions de ces places. Cette convention, qu’on a beaucoup reprochée depuis au lieutenant-général et à M. de Talleyrand comme un acte de faiblesse, mais que les circonstances expliquent, disait d’avance quelles seraient les clauses essentielles de la paix définitive. Le traité de Paris ne fut pourtant signé que cinq semaines plus tard, le 30 mai. Les bases en étaient peu différentes des propositions de Châtillon. Cependant, comme dans les premiers momens de l’occupation de Paris l’empereur Alexandre, pour aider à la restauration des Bourbons, avait donné à entendre qu’en se ralliant à eux la France pourrait obtenir des conditions plus avantageuses que celles qu’on eût accordées à Napoléon ou à son fils, il fallut bien tenir compte de cette promesse, mais on le fit au meilleur marché possible. Alexandre, que lord Castlereagh avait craint de trouver trop favorable aux intérêts français, ne se montra pas bien exigeant dans ce sens. Avignon enlevé au pape en 1791, une petite partie de la Savoie, quelques cantons de la Belgique et de la rive gauche du Rhin enclavés ou à lieu près dans nos anciennes frontières, c’est à cela que se réduisirent les concessions des cours alliées, et à Châtillon, dans les courts instans où on avait semblé vouloir traiter sérieusement, on était d’accord de les faire, au moins pour la plupart, à Napoléon. Comme lord Castlereagh le faisait remarquée a lord Liverpool en lui rendant compte de la négociation, ces agrandissemens de l’ancienne France n’étaient pas de nature à alarmer beaucoup le reste de l’Europe ; on les avait calculés de manière à ne pas accroître sa force militaire, et tous ces territoires réunis ne contenaient pas une population de plus de six cent mille âmes. Il eût pu ajouter que ce n’était pas, à beaucoup près, l’équivalent des pertes qui nous étaient infligées au-delà des mers. On reconnaît facilement d’ailleurs, en lisant la correspondance de lord Castlereagh pendant la négociation, qu’il avait presque à s’excuser auprès de son gouvernement de ne pas nous imposer des sacrifices plus considérables. On trouvait, par exemple, à Londres que notre position dans les Antilles restait encore trop forte. Lord Castlereagh répondait qu’il était d’une bonne politique de ne pas traiter trop rigoureusement la dynastie qu’on venait de rétablir. Il insistait sur la convenance de n’insérer dans le traité aucune clause empreinte d’un caractère particulier de défiance hostile, ou qui pût humilier la France. En dernier résultat, le gouvernement britannique reçut pour sa part, dans les dépouilles des vaincus, les îles de France, de Sainte-Lucie et de Tabago, appartenant jadis à la France, celle d’Héligoland cédée par le Danemark, l’établissement hollandais du cap de Bonne-Espérance, Malte et les Iles-Ioniennes[5]. C’étaient, comme on voit, des positions importantes acquises dans toutes les mers.

En ce qui concerne la France, le traité de Paris pouvait se résumer ainsi : outre les colonies cédées à l’Angleterre, elle abandonnait à la coalition quarante départemens, dont une bonne partie lui avait été cédée par des traités formels après des guerres régulières. Je ne fais entrer en ligne de compte ni le royaume d’Italie, ni le protectorat de la confédération du Rhin, qui constituaient pour Napoléon des titres distincts de souveraineté ou de suprématie, ni les états que gouvernaient divers membres de sa famille et où il régnait en réalité sous leur nom. Certes de telles conditions étaient rigoureuses, et si elles ne constituaient pas un véritable abus de la victoire, c’en était du moins l’usage le plus sévère. Cependant, en France même, l’opinion presque générale les considéra alors non-seulement comme satisfaisantes, mais comme généreuses, et cette opinion a jeté de si profondes racines, qu’aujourd’hui encore bien des gens, qui ne parlent qu’avec un ressentiment, une indignation presque exagérés de la dureté du second traité de Paris, signé après la bataille de Waterloo, affectent, comme pour mieux faire ressortir cette dureté, de la mettre en contraste avec la générosité prétendue de celui du 30 mai 1814. Comment expliquer une pareille appréciation ? Par un des traits les plus malheureusement caractéristiques de l’esprit français, par l’impétuosité aveugle avec laquelle il se précipite successivement dans les ordres d’idées les plus opposés. Vingt années de guerre terminées par d’affreux désastres n’avaient pas seulement calmé l’ardeur belliqueuse, la passion de conquêtes, l’orgueil patriotique, qui, peu auparavant, exaltaient encore les esprits ; on en était venu à regarder le retour de la paix comme un bienfait tellement inappréciable, qu’on s’inquiétait assez peu des conditions auxquelles il fallait l’acheter. Dans l’irritation qu’on éprouvait contre le régime impérial et contre le gouvernement révolutionnaire qui l’avait précédé, on ne se bornait pas à frapper d’une juste réprobation ce qu’il y avait eu d’inique, de violent dans leurs procédés envers les gouvernemens étrangers ; on se persuadait que, pendant les vingt-cinq années qui venaient de s’écouler, ces gouvernemens avaient eu constamment raison contre nous, que tous leurs actes avaient été marqués au coin de la justice et de la loyauté, que les conquêtes achetées par le sang de nos soldats et consacrées par tant de traités solennels étaient toutes au même degré d’odieuses spoliations dont aucun droit ne pouvait résulter en notre faveur, que par conséquent les alliés, en se contentant de nous les reprendre et en nous en laissant même quelques débris insignifians, faisaient preuve d’une insigne modération. Tels étaient les sentimens qu’on entendait alors exprimer, non pas seulement par des émigrés, par d’anciens royalistes, en qui de semblables préventions eussent été naturelles et faciles à concevoir, mais par beaucoup d’hommes qui n’avaient pas séparé leur existence et leur fortune de celle de la France pendant les époques qu’ils vouaient ainsi à un anathème absolu. Peut-on s’étonner que le gouvernement des Bourbons n’ait pas fait d’énergiques efforts pour nous conserver une partie des conquêtes de la révolution et de l’empire, alors que nous paraissions y attacher si peu de prix ? Et de tels efforts, qui d’ailleurs eussent rencontré tant d’obstacles, n’auraient-ils pas été frappés d’impuissance par le seul fait de cet affaissement de l’esprit national évident à tous les yeux ? L’empereur Alexandre, si désireux alors de rendre son nom populaire parmi nous, et qui peut-être eût plaidé vivement et efficacement auprès de ses alliés la cause de la France, si elle ne se fût pas ainsi abandonnée, pouvait-il se montrer pour elle plus exigeant qu’elle ne l’était elle-même ? Lorsqu’elle paraissait heureuse de rentrer dans ses anciennes limites, lorsqu’elle saluait par ses acclamations ceux qu’elle appelait ses libérateurs, nul n’avait certes le droit de réclamer en sa faveur un meilleur traitement. Sans doute l’épuisement, les sacrifices, les souffrances de toute nature que la guerre lui avait infligés expliquent, excusent même jusqu’à un certain point cette déplorable défaillance, mais il faut y voir surtout un des plus déplorables résultats de cette mobilité qui fait de notre histoire une suite de réactions violentes, et qui nous permet si rarement de nous arrêter pour quelques instans dans la modération, c’est-à-dire dans la vérité.

Cinq jours après la signature du traité de Paris, le 3 juin, Louis XVIII réunissait les nouvelles chambres françaises et promulguait la charte, dont le projet de constitution du sénat et la déclaration royale de Saint-Ouen avaient déjà posé les bases. Cette œuvre d’un sage libéralisme était l’expression sincère de la politique du roi Louis XVIII, la fidélité avec laquelle il n’a cessé, malgré quelques écarts partiels et passagers, d’en maintenir l’exécution en est la meilleure preuve ; mais on doit reconnaître que l’influence de l’empereur Alexandre ne contribua pas peu à lui donner la force d’entrer si résolument dans une voie où ne le poussaient certes pas la plupart des hommes dont il était entouré. Telles étaient alors les dispositions du monarque russe, qu’il était à peine satisfait des garanties données par la royauté restaurée aux idées nouvelles et aux intérêts sortis de la révolution.

Par un étrange contraste, tandis que l’autocrate du Nord prenait une part si décisive à l’organisation constitutionnelle de la France, le gouvernement anglais, non seulement restait complètement étranger à ce grand changement, mais le jugeait à plusieurs égards avec une malveillance qui pouvait tenir à une secrète jalousie de l’ascendant exercé par la Russie autant qu’aux préjugés du torysme. On voit par une lettre que lord Castlereagh écrivait à lord Liverpool quelques semaines avant la publication de la charte, mais lorsque déjà on connaissait les principes sur lesquels elle devait reposer, que la composition de la chambre des pairs, formée en majorité d’anciens membres du sénat, choquait singulièrement les préventions aristocratiques de nos voisins. On y voit aussi que la pensée de mettre les différens cultes sur le pied d’une sorte d’égalité leur paraissait une absurdité inconcevable, les idées des plus raisonnables d’entre eux, de lord Castlereagh, par exemple, ne s’élevant pas encore au-dessus de la notion d’une simple tolérance des dissidens. Et cependant cette égalité, qu’ils trouvaient si absurde, devait tourner en France au profit de leurs coreligionnaires !

En général, l’influence extérieure du cabinet de Londres était loin, à cette époque, de s’exercer dans le sens des idées libérales, et c’est bien à tort qu’on a voulu depuis lui faire un mérite ou un sujet de reproche d’avoir pratiqué une sorte de propagande de liberté constitutionnelle. Sans doute, en contribuant avec la coalition tout entière à soulever les peuples contre Napoléon, il avait imprimé aux esprits un mouvement qui devait naturellement les entraîner à réclamer la liberté intérieure après avoir conquis l’indépendance nationale. Ces deux principes, sans être inséparables, se tiennent par des liens trop étroits pour qu’il ne soit pas difficile d’évoquer l’un sans faire penser à l’autre ; mais le gouvernement britannique, bien différent en cela de l’empereur de Russie, ne tenait nullement à établir entre eux cette solidarité. En Portugal, où il dominait sans contrôle pendant la guerre et longtemps encore après, aucune atteinte ne fut portée au pouvoir absolu. En Espagne, où son ascendant était moins complet, les délibérations des cortès de Cadix furent pour lui un sujet continuel d’irritation et de défiance, et l’extravagante constitution votée par ces cortès, cette copie presque textuelle de notre constitution de 1791, ne pouvait certes obtenir les suffrages des hommes d’état anglais ; aussi la virent-ils abolir sans regret lorsque Ferdinand VII remonta sur le trône. L’intention qu’il manifestait alors de la remplacer par des institutions plus monarchiques, mais qui ne feraient pas revivre les insupportables abus de l’ancien régime, suffisait pleinement pour satisfaire le cabinet de Londres ; son mécontentement, ses remontrances ne commencèrent qu’après les actes déplorables qui marquèrent les premières années du despotisme de Ferdinand du sceau d’un despotisme ignare, grossier et cruel, tel qu’en ont vu rarement les temps modernes. En Sicile, il est vrai, lorsque cette île n’était protégée contre l’invasion des Français que par l’occultation britannique ; lord William Bentinck, qui présidait, en ce pays et en Italie, à l’action diplomatique et militaire de l’Angleterre, contribua puissamment à l’établissement d’une constitution fort analogue, dans sa forme extérieure, à celle du peuple anglais ; mais il se proposait surtout par là de maîtriser une cour dont les caprices contrariaient souvent ses projets. Lord William d’ailleurs n’était rien moins qu’un agent docile du ministère tory, et il en représentait assez mal la pensée. Lord Castlereagh se plaignait de son incorrigible whiggisme et de la difficulté de le diriger. Il l’accusait d’avoir excité sans mesure et sans prudence, parmi les populations italiennes, le sentiment de l’indépendance et de la nationalité, d’avoir pris sur lui, par exemple, de faire espérer aux Génois le rétablissement de leur ancienne république, qui n’entrait pas dans les projets des alliés, et de n’avoir pas compris que s’il avait pu être à propos de se faire une arme contre la France des encouragemens donnés à l’amour de la liberté, ces encouragemens ne devaient pas être continués alors qu’ils devenaient des obstacles à la domination autrichienne et sarde. Il disait enfin que grâce à ces imprudences, si la guerre se fût prolongée, des complications désastreuses n’auraient pu manquer de survenir en Italie. La correspondance de lord Castlereagh est remplie des témoignages de la préoccupation très vive que faisaient naître en lui les progrès de l’esprit libéral et constitutionnel dans une grande partie de l’Europe. Il y parle avec dépit de toutes ces constitutions de fraîche date qui menacent le monde de convulsions nouvelles ; il fait des vœux pour que d’imprudentes tentatives en Italie n’augmentent pas le nombre des expériences périlleuses tentées sur tant d’autres points dans la science du gouvernement.


« Il est impossible, écrit-il à lord William Bentinck, de ne pas voir qu’un grand changement se prépare en Europe et que les principes de liberté sont en pleine activité. Ce qu’il y a à craindre, c’est que la transition ne soit trop soudaine pour avoir le degré de maturité qui pourrait en faire sortir l’amélioration et le bonheur du monde. Voilà des constitutions nouvelles lancées en France, en Espagne, en Hollande, en Sicile. Voyons-en le résultat avant d’encourager d’autres tentatives… Je suis certain qu’il vaut mieux retarder qu’accélérer l’opération de ce principe si hasardeux qui est maintenant à l’œuvre. En Italie, il est d’autant plus nécessaire de nous en abstenir que nous sommes en concert d’action avec l’Autriche et la Sardaigne. Lorsque nous avions à chasser les Français de l’Italie, il était raisonnable de courir tous les risques pour atteindre le but, mais l’état actuel de l’Europe n’exige plus qu’on recoure à de tels moyens. »


Il y avait bien de la sagacité dans ces calculs. L’esprit qui prévoyait ainsi, peu de semaines après la chute de Napoléon, la grande place que les questions de constitution et de liberté allaient tenir désormais dans la politique européenne n’était certainement pas un esprit ordinaire. La prudence qui conseillait de retirer après la victoire les promesses de liberté dont on s’était aidé pour l’obtenir mérite sans doute moins d’admiration : on est en droit de la taxer, jusqu’à un certain point, de machiavélisme ; mais ce tort n’est pas particulier à l’Angleterre : ce fut celui de la coalition tout entière, à l’exception de l’Autriche, qui n’avait jamais fait entrer dans ses programmes et ses proclamations la moindre allusion à la liberté des peuples.


L. DE VIEL-CASTEL

  1. La publication de cette correspondance vient d’être terminée en Angleterre. Les derniers volumes, les seuls qui doivent nous occuper en ce moment, contiennent de nombreux documens relatifs aux dix années pendant lesquelles lord Castlereagh a exercé les fonctions de principal secrétaire d’état pour les affaires étrangères, de 1812 à 1822. L’éditeur, qui n’est autre que le marquis de Londonderry, frère et héritier de l’illustre homme d’état, nous apprend, pour expliquer ce qu’il y a d’incomplet dans cette publication, que les papiers dont elle se compose, retenus longtemps sous les scellés, lui ont été remis dans un état de désordre et de mutilation auquel il ne lui a pas été possible de remédier. Il ne parait pas d’ailleurs que lord Castlereagh eût conservé entre ses mains la suite complète et régulière des copies de sa correspondance officielle, dont les originaux étaient nécessairement déposés dans les archives de son ministère ; à quelques exceptions près, le recueil qu’on vient de mettre au jour consiste en lettres particulières et confidentielles échangées par lui avec les principaux agens de la diplomatie britannique, quelquefois aussi avec des princes et des ministres étrangers. On y trouve par conséquent (et c’est là ce qui en fait la grande valeur) les intentions, les vues du cabinet anglais, ses appréciations sur les hommes et sur les choses, exprimées avec beaucoup plus de franchise et de netteté qu’elles ne peuvent l’être dans les dépêches proprement dites ; mais on ne doit pas s’attendre à ce qu’un pareil recueil contienne sur toutes les questions les éclaircissemens, les développemens nécessaires pour les faire bien comprendre de qui n’aurait pas d’avance une connaissance assez étendue de l’histoire politique de cette époque. Lord Castlereagh et ses correspondans, s’entretenant ensemble, en termes familiers et souvent au milieu du tumulte de la guerre, de faits, de différends, de prétentions qui leur étaient parfaitement connus et qui occupaient toute leur pensée, ne sauraient être toujours intelligibles pour des lecteurs auxquels ils ne prévoyaient sans doute pas que leurs confidences dussent jamais parvenir. L’éditeur de cette correspondance a lui-même, il est vrai, joué un rôle important dans la plupart des négociations dont le livre par lui publié nous présente l’histoire, et il aurait pu remplir plus d’une regrettable lacune. Malheureusement il ne parait pas avoir pensé que ce soin fût une partie essentielle de la tache qu’il avait entreprise, et j’ajouterai qu’à d’autres égards encore il y a porté une négligence difficile à excuser. Malgré les imperfections, il est juste de reconnaître que le marquis de Londonderry, en livrant au public ce volumineux recueil, a tout à la fois jeté beaucoup de jour sur une des époques les plus intéressantes de l’histoire de l’Angleterre et de l’Europe, et rendu un important service à la mémoire de son frère.
  2. Cette impropriété de métaphore est un trait caractéristique du style de lord Castlereagh.
  3. Le titulaire de ce département était le chancelier Romanzow, que son âge et sa santé avaient retenu en Russie.
  4. Ce qui est plus étrange, c’est que lord Castlereagh appelait le prince Eugène le maréchal Beauharnais, nien qu’il n’eût jamais été revêtu de cette dignité.
  5. La cession à l’Angleterre des Iles-Ioniennes fut postérieure au traité du Paris.