Louÿs – Poésies/Poésies diverses 7

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Slatkine reprints (p. 189-190).

LA TORCHE À TRAVERS LA NUIT


Allegro δ = 120.


   Le soir vibre encor vermeil,
   Sistre et cor sur le méteil,
Lyre et prisme d’où s’effiltrent tous les sylphes du soleil.

   Ténèbres ! qui vous conduit ?
   D’où fond l’aigle, s’il s’enfuit ?
Salamandre, quel feu tremble sur le temple de la nuit ?

   Astre d’ombre. Cœur du ciel !
   D’où monte un masque immortel
Qui se lustre, qui se musque pour les cultes sans autel ?

Qui se lustre, qui se mu

   Simple sylphe clair, dis-nous :
   L’art de vivre est-il si doux ?
Le pas souple de la course rouvre et courbe leurs genoux.

   Vois les formes s’esquivant,
   L’eau morte où fuit l’air vivant,
Et la torche de la viorne que veut tordre et tord le vent ;


   Tous s’éteindre, s’échapper,
   Le bouc poindre de l’alpe, — et
Par la verve de la chèvre l’anapeste galoper.

   Entends frémir le bouleau,
   Quelques myrtes, l’if solo,
Le tumulte des lambrusques sous le buste d’Apollo,

   Rythme juste de Chopin,
   Tel nocturne sous tel pin
Rend perplexe le faon preste, l’œil faunesque du lapin.

   Satyrisque aux verts naseaux,
   La piste suit les roseaux :
Cours la berge, traque et cherche la caverne, les oiseaux !

   Découvre, toujours coulant,
   La source en pleurs sur le flanc,
Vasque, valve de ces palmes, les larmes du marbre blanc.

   Et de l’antre monte au dieu,
   Pluie ou pampre, vol de feu,
Cataracte où la bourrasque frôle et capte l’Oiseau Bleu,

   Jusqu’à l’urne où tour à tour
   Séjournent Laure et l’Amour,
Tour des souffles purs qui tournent et s’empourprent sur le jour

Tour des souffles purs qui tourn31 octobre 1916.