Louÿs – Poésies/Premiers vers 27

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Slatkine reprints (p. 56-57).

DANS LA FORET DE GASTINE


Forêt, haute maison des oiseaux
bocagers.
    P. DE R.


Sur les herbis et sur les graviers
Un ruisseau flue entre deux sentiers
 Où tu passas peut-être ;
Pieusement, sans bruit, j’y pénètre
Cherchant la trace encor de tes pieds.

Jà trois cents ans elle est effacée ;
Mais la futaie au vent balancée
 Garde ton souvenir,
Maître ! et je sens aller et venir
Parmi l’air ta divine pensée.

Le vert Léthé tu laisses parfois
Et viens chercher aux lieux d’autrefois
 L’ombre dodonéenne,
À l’heure vague où la nuit ramène
L’horreur sacrée et la paix des bois.


Loin des rougeurs où le jour expire,
Tu viens ici pendre encor ta lyre
 Aux branches de bois noir,
Pour écouter aux souffles du soir
Les frondaisons des cimes bruire.

Tu viens dormir sous les troncs serrés
Dans la fraîcheur montant des fourrés,
 Dans la blanche bruine ;
Et la forêt, ta « saincte Gastine »,
Étend sur toi ses rameaux sacrés.

Car tu descends des bois Élysées,
Et, dédaignant les coupes versées
 Et les libations,
Elle répand du haut des buissons
Tous ses parfums, toutes ses rosées.

Tous ses parfumsBourgueil, 8 juin.