Louÿs – Poëtique, suivie de Théâtre, Projets et fragments ; Suite à Poëtique/Théâtre 4
IOSEPH
(Une place de Thèbes ; à gauche, le palais du roi ; à droite, statue de Râ Harmakis.)
aux pieds de la statue.
Râ-Harmakis, ô dieu tout-puissant,
Baisse un œil miséricordieux sur nos peines,
Sois-nous fidèle et compatissant,
Car nous venons le cœur très pur et les mains
[pleines.
La faim nous ravage, et nous t’offrons
Les derniers épis mûrs glanés dans les champs
[vides.
Mais sans ta force, ô dieu, nous mourrons
Et nul ne fermera nos paupières livides.
Râ-Harmakis, ô roi radieux,
Grâce ! écarte la foudre qui nous extermine
Car il se meurt le peuple des dieux
C’est la famine, la famine, la famine !
(Elle se tord les mains)
Et je suis calme, très calme…
S. (penchée sur sa pierre, les bras écartés)
… pas pour longtemps
Réveille-toi, Jôseph, de ton rêve. La vie
Sur ton corps palpitant ne s’est pas assouvie.
Elle t’étreint, elle te possède, insensé !
Tu ne l’as point goûtée encore tout entière
Elle te réservait quelque douleur dernière
Réveille-toi ! car le supplice est commencé !
Ah ! ce serait trop simple aussi, visionnaire !
Si tu pouvais mourir d’un supplice ordinaire
Pour rester, au fond des tortures, triomphant
Et t’en aller porter à ton dieu de Judée
La fierté d’être vierge en ton cœur débordée
Et toute la clarté de tes grands yeux d’enfant.
Non. Je t’ai réservé des peines plus infâmes.
Toi qui te fais un jeu de la douleur des femmes
Toi qui vas méprisant les souffrances d’amour
Ignorant du bonheur, innocent de la faute.