Louis Hébert/05

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Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 45-58).

CHAPITRE V


québec en 1617. — les français accueillent louis hébert avec joie. — la maison de louis hébert. — les premiers défrichements. — la première moisson. — louis hébert et ses luttes contre les marchands. — une requête est envoyée au roi. — mariage d’anne hébert et d’étienne jonquest. — la première ferme modèle au canada.


L’annonce de l’arrivée du vaisseau qui portait Louis Hébert fut accueillie avec joie. Dès qu’on put l’apercevoir de loin, la petite population de Québec se rendit sur la grève pour attendre les nouveaux colons et leur souhaiter la bienvenue. Trois familles se trouvaient alors à l’Habitation, à l’emploi de la Compagnie. C’étaient les familles d’Abraham Martin, de Pierre Desportes et de Nicolas Pivert, soit en tout neuf personnes. Martin était marié à Marguerite Langlois ; il avait une fille, Anne ; Desportes, de son union avec Marie-Françoise Langlois, eut, lui aussi, une fille, appelée Hélène, qui devait s’unir plus tard au fils de Louis Hébert. Pivert n’avait pas d’enfants, mais une de ses nièces demeurait avec lui. Sa femme s’appelait Marguerite Le Sage.

Les familles Martin et Desportes comptent encore de nombreux descendants parmi nous. Quelques interprètes, des commis, des ouvriers, les Pères Récollets, soit environ cinquante personnes, formaient le premier noyau de la Nouvelle-France.

L’arrivée d’un vaisseau, à cette époque, était chose peu ordinaire. Mais cette fois, il y avait plus que simple curiosité dans la démarche des habitants de Québec vers le port : on attendait une famille dont le chef, brave entre tous, avait décidé de s’établir pour jamais sur les terres canadiennes. Quelques hommes connaissaient Louis Hébert pour l’avoir rencontré à Paris. Tous avaient entendu parler de ses travaux en Acadie.

Tandis que les hommes pressaient la main de Louis Hébert, les femmes entouraient Marie Rollet, qui, toute heureuse de rencontrer sur nos bords des personnes de son sexe, fut sensiblement touchée de la sympathie qu’on lui témoignait. Avec de telles compagnes les ennuis de l’exil s’annonçaient moins cruels et moins rudes à supporter. On peut bien penser que cette journée fut tout à la joie. Si l’on en croit la tradition, Louis Hébert dressa sa tente sous un orme majestueux qui se voyait encore en 1848, au coin de la rue Sainte-Anne. C’est là qu’il demeura avec sa famille en attendant qu’il eût une demeure en état de le loger convenablement.

Louis Hébert avait obtenu une concession de terre d’environ dix arpents. Tout en se reposant des fatigues de la traversée, il se mit à la recherche d’un endroit favorable pour asseoir sa maisonnette. Il avait besoin d’un terrain fertile, près du fort, et qu’il pût défricher sans trop de difficultés. Il trouva bientôt ce qu’il cherchait. Il escalada la falaise dont les sommets étaient alors garnis de noyers puissants, aux fortes ramures, et de chênes gigantesques, au feuillage épais, qui plongeaient leurs racines dans une terre riche.

Un panorama admirable s’offrit aux yeux de notre colon. Il en fut émerveillé. Il aimait la grande nature. L’Acadie l’avait charmé, mais toutes les beautés de Port-Royal n’étaient rien en comparaison de ce qu’il vit à Québec pour la première fois. À ses pieds le grand fleuve roulait ses eaux avec impétuosité. En face se trouvaient les rochers si escarpés de la pointe Lévis, tout couverts d’un bois épais. Vers le Nord, les Laurentides ; plus près de lui, la côte de Beaupré, mais toujours et partout… la forêt vierge où habitaient l’Indien et les bêtes fauves. Hébert dut se sentir bien isolé au milieu de cette mer de feuillage. Il ne put se défendre d’un certain sentiment de terreur à la pensée des dangers qui l’attendaient sur ce coin de terre sauvage. En ce moment, il se rendit compte de la grandeur de la tâche qu’il venait inaugurer au milieu de cette barbarie, et de la somme d’énergie qu’il devait dépenser pour commencer la première trouée dans la forêt vierge. Pourtant une pensée vint le consoler et l’encourager. Cette Nouvelle-France, ce royaume plus grand que son pays, n’était-il pas glorieux de le conquérir, non pas à la pointe de l’épée, mais avec la hache pour l’honneur de la France et la plus grande gloire du Christ ! Louis Hébert remercia Dieu de l’avoir appelé à cette œuvre si noble et si belle.

Ayant choisi le site de sa maison Louis Hébert se mit à l’ouvrage. Ce fut un événement important pour les habitants de Québec que de voir au milieu des arbres se dresser la charpente de la première maison canadienne. Les ouvriers qui se trouvaient au fort prêtèrent leur généreux concours ainsi que les maçons.

L’humble logis de Louis Hébert était en pierre ; les pignons étaient en bois. En 1644, cette maison menaçait de tomber en ruine ; elle fut remplacée par une autre plus spacieuse et plus commode, qui devint le berceau du Petit Séminaire de Québec ; elle avait trente-huit pieds de longueur sur quatorze de largeur. Elle était construite en pierre, et, paraît-il, située à l’entrée même du jardin du Séminaire.

« Champlain, écrit Mme Laure Conan, voyait avec une joie profonde s’élever cette maison. Elle lui paraissait comme une fleur d’espérance sous le grand ciel bleu. Le jour où la famille s’y installa fut pour lui un jour heureux. Il y avait enfin un vrai foyer dans la Nouvelle-France…

» Avec quel contentement Hébert battit le briquet et alluma le premier feu dans l’âtre ! Bien douce fut cette heure. La flamme du foyer, les mille petites voix qui bruissaient dans le bois embrasé mettaient la joie dans tous les cœurs. Au lieu de la toile des tentes trempée de rosée, on avait enfin un toit solide, le bien-être de l’abri et de la chaleur. Les meubles apportés de Paris reparaissaient au jour. On oubliait qu’on était en pleine barbarie dans une forêt sans bornes…


l’habitation de champlain ; sur la falaise est la maison de louis hébert.

» L’œil vif et gai, Mme Hébert allait et venait, plaçant les meubles, rangeant le linge dans les armoires, disposant sur le dressoir sa belle vaisselle d’étain, et, près du feu, les casseroles de cuivre[1]

» C’est avec une émotion profonde que le Père Joseph Le Caron bénit la demeure du pionnier de l’agriculture. Il lui semblait célébrer l’alliance de l’homme avec la terre canadienne. Par delà il voyait comme en un rêve, les travailleurs du sol, tous ces vaillants défricheurs qui, la hache à la main, s’enfonceraient dans la forêt pour y fonder un foyer et il offrait à Dieu leurs rudes labeurs et leurs héroïques misères… »

Autour de son petit logis, Louis Hébert commença les premiers défrichements. L’histoire aurait dû enregistrer cette date mémorable, elle célèbre parfois de moins dignes anniversaires. Louis Hébert, en effet, ce jour-là, prenait effectivement possession du sol canadien. Sans pompe comme sans bruit il commençait la véritable conquête de la Nouvelle France, et la seule vraiment durable. Cet apothicaire parisien devint alors l’habitant vrai, qui s’identifie avec la terre féconde, qui s’y attache par ses travaux, et qui y trouve sa vie, sa richesse et son bonheur

Avant Louis Hébert, les découvreurs avaient pris possession solennellement du Canada, mais y avaient-ils laissé après eux des vestiges de leurs passages ? Non, ils étaient retournés dans la mère-patrie, à l’exception de M. de Champlain, sans avoir rien édifié, rien créé.

Mais par son geste de défricheur, Louis Hébert entreprit la conquête pacifique des terres de la Nouvelle-France. Il assura à son roi la possession de notre vaste pays ; après lui d’autres s’établirent sur de nouvelles terres ; petit à petit, à mesure que la forêt recula devant les pionniers de la civilisation, des champs fertiles, des terres riches fournirent abondamment les produits de la ferme, sources de richesses plus durables que celles du comptoir.

Jusqu’à Louis Hébert, les Français n’eurent ni le temps ni la permission de se livrer à la culture. Les Associés des Marchands l’avaient défendu expressément. Avec le premier colon s’ouvrit la première clairière, dans la sombre forêt, et une ère nouvelle commença à luire sur la Nouvelle-France. L’enfant des bois trouva, dès lors, dans les visages pâles, d’autres hommes que des marchands indignes ; il rencontra des apôtres, des frères. Louis Hébert devint bientôt le confident et l’ami des pauvres indigènes.

Les défrichements coûtèrent beaucoup de peines. Les arbres avaient d’énormes proportions et ils étaient durs à abattre. Que de coups il fallait donner pour faire tomber un de ces géants de la forêt ! Et quel courage ne fallait-il pas pour se livrer à ce travail ardu ! Louis Hébert était l’homme choisi par la Providence. Comment expliquer, sans une vocation spéciale, l’affection de Louis Hébert pour des travaux si pénibles, quand il pouvait vivre à l’aise dans l’exercice de sa profession ? Il paraît évident que Dieu aidait notre colon dans son œuvre.

Dès l’aurore Louis Hébert se mettait au travail. Il frappait à coups redoublés sur les arbres qui s’obstinaient à rester debout. Quand il les voyait tomber son cœur battait de joie ; ce fut pied par pied qu’il conquit un petit coin de terre qu’il ensemença la première année.

À l’heure des repas, Louis Hébert retournait dans son logis et y prenait la nourriture dont il avait tant besoin. La figure souriante de son épouse et la vue de ses enfants lui donnaient un regain de courage pour terminer sa journée. Il rentrait au logis, le soir, harassé de fatigue, mais heureux, satisfait, d’avoir gagné quelques pieds de terre sur le domaine qu’on lui avait accordé.

La prière se faisait en famille. Hébert, en vrai chrétien, suppliait le bon Dieu de bénir ses efforts. Il demandait avec instance qu’il lui fût donné de voir la prospérité de la Nouvelle-France, et les moyens de travailler efficacement à la conversion des sauvages.

Ce fut avec une joie indicible qu’il traça son premier jardin tout près de son logis. Il y avait çà et là des souches qui résistaient malgré ses efforts, des roches qu’il ne pouvait transporter plus loin, mais peu lui importait, à travers ces troncs d’arbres réfractaires, à travers ces roches, il se tailla un beau jardin.

La terre était riche, les cendres des petits feux qu’il avait allumés, formaient un engrais excellent. Louis Hébert prit la bêche et s’employa à remuer le sol fécond tout prêt à recevoir la semence. Il nous semble voir à l’œuvre ce noble fils de France courbé sur la bêche, le visage ruisselant de sueur, bouleversant le sol vierge, et déposant les grains de semence dont il attendait avec espoir une riche moisson.

Louis Hébert entoura son jardin de mille soins. Il y avait tant de raisons pour lui de réussir. Si la moisson était bonne, la terre était fertile, et l’on pouvait espérer l’établissement d’une colonie stable. D’autres suivraient bientôt son exemple, malgré les peines qu’exigeait une telle entreprise. Toutes ces forêts qu’il contemplait chaque jour, et qui garnissaient l’Île d’Orléans, les hauteurs de Québec, la belle côte de Beaupré, la Nouvelle-France, enfin, il fallait les abattre. Cet immense pays plus grand que la France, il fallait le défricher, le peupler, le conquérir sur la barbarie.

Louis Hébert visitait son jardin tous les jours. C’était pour lui une jouissance que de voir les plantes, les légumes, les fleurs, même le blé croître à vue d’œil. Quand M. de Champlain gravissait la falaise pour l’aller visiter, Louis Hébert s’empressait de lui montrer les progrès accomplis. M. de Champlain savait toujours trouver des paroles d’encouragement. Il s’intéressait à cette entreprise et il ne pouvait taire l’admiration qu’il en éprouvait.

« Je visitay, écrit-il, les lieux, les labourages des terres que je trouvai ensemencées et chargées de beau bled ; les jardins chargés de toutes sortes d’herbes, comme des choux, raves, laictues, pourpié, oseille, persil et autres légumes aussi beaux et advencés qu’en France. Bref le tout s’augmentant à vue d’œil. »

M. de Champlain se félicitait d’avoir introduit dans la colonie un agriculteur habile et persévérant.

À l’automne, Louis Hébert recueillit la première moisson. Quelle joie dut lui causer cette récolte abondante, évidemment bénie par la Providence ! Les légumes étaient venus admirablement bien. Mais les épis de blé dorés excitèrent l’admiration d’un chacun. Louis Hébert se sentit récompensé au centuple de ses labeurs. Ce qu’il avait dû peiner pour obtenir un tel résultat, lui seul le pouvait dire avec sa femme ! Dieu avait béni ses efforts, et cette bénédiction divine répandue sur ses travaux remplit son âme de joie et de reconnaissance. Laissons la plume au poète qui raconte dans les termes suivants cet événement important de la vie de notre premier colon.


« Ce site c’est Québec. Au nord montent splendides
Les échelons lointains des vastes Laurentides.
En bas, le fleuve immense et paisible, roulant
Au soleil du matin son flot superbe et lent,
Reflète, avec les pins des grands rochers moroses,
Le clair azur du ciel et ses nuages roses.
Nous sommes en septembre ; et le blond fructidor,
Qui sur la plaine verte a mis des teintes d’or,
Au front des bois bercés par les brises flottantes
Répand comme un fouillis de couleurs éclatantes ;
On dirait les joyaux d’un gigantesque écrin,
Un repos solennel plein d’un calme serein
Plane encor sur ces bords où la chaste Nature
Aux seuls baisers du ciel dénouant sa ceinture,
Drapée en sa sauvage et rustique beauté,
Garde tous les trésors de sa virginité.


Cependant un lambeau de brise nous apporte
Comme un refrain joyeux, qu’une voix mâle et forte,
Mêlée à des éclats de babil argentin,
Jette dans l’air sonore, aux échos lointains.
Ce sont des moissonneurs avec des moissonneuses,
Ils suivent du sentier les courbes sablonneuses,
Et, le sac à l’épaule, ils cheminent gaîment.
Ce sont des émigrés du doux pays normand,
Des filles du Poitou, de beaux gars de Bretagne,
Qui viennent de quitter leur lande ou leur campagne,
Pour fonder une France au milieu du désert.


L’homme qui les conduit, c’est le robuste Hébert,
Un vaillant ! le premier de cette forte race
Dont tout un continent garde aujourd’hui la trace,
Qui, dans ce sol nouveau par son bras assaini,
Mit le grain de froment, trésor du ciel béni,
Héritage sans prix dont la France féconde,
Dans sa maternité, dota le nouveau monde !
Ils vont dans la vallée où les vents assoupis
Font ondoyer à peine un flot mouvant d’épis
Qu’ont mûris de l’été les tépides haleines.


Bientôt le blé tombe à faucilles pleines ;
La javelle, où bruit un essaim de grillons
S’entasse en rangs pressés au revers des sillons,
Dont le creux disparaît sous l’épaisse jonchée ;
Chaque travailleur s’ouvre une large tranchée ;
Et, sous l’effort commun, le sol transfiguré
Laisse choir tout un pan de son manteau doré.


Le soir arrive enfin, mais les gerbes sont prêtes ;
On en charge à pleins bords les rustiques charrettes
Dont l’essieu va ployant sous le noble fardeau ;
Puis, presque recueilli, le front ruisselant d’eau,
Pendant que, stupéfait, l’enfant de la savane
Regarde défiler l’étrange caravane
Et s’étonne à l’aspect de ces apprêts nouveaux,
Hébert, qui suit, ému, le pas de ses chevaux[2],
Rentre, offrant à Celui qui donne l’abondance,
La première moisson de la Nouvelle-France[3].


L’année même de son arrivée, Louis Hébert donna en mariage, Anne, sa fille aînée, au sieur Étienne Jonquest, colon originaire de Normandie. Le Père Le Caron reçut les serments des jeunes époux. Ce fut le premier mariage au Canada. Cette union fut de courte durée. Bientôt le deuil entra dans la demeure du premier colon. Quelques mois plus tard, en effet, Anne Hébert mourut. Cette tombe venait à peine de se refermer, que la mort réclama une nouvelle victime dans la personne d’Étienne Jonquest. Ces jeunes époux, encore pleins d’espérance, furent moissonnés au milieu de leur bonheur.

Louis Hébert et son épouse furent profondément attristés par ces deuils. Mais ils puisèrent dans leur foi chrétienne des consolations qui leur firent surmonter ces épreuves. Louis Hébert continua son œuvre.

Encouragé par les premiers succès, il agrandit les défrichements sur son domaine et recula peu à peu les limites de son jardin. Marie Rollet l’aidait de son mieux ; sa fille Marie-Guillemette, née probablement à Port-Royal en 1606, et le petit Guillaume, trouvaient les moyens de se rendre utiles. Après trois ans, Louis Hébert récoltait plus de grains et de légumes qu’il n’en avait besoin pour l’entretien de sa famille. Il put même en échanger aux sauvages contre des pelleteries.

Cependant les Associés des Marchands prirent ombrage de ces succès. Ils résolurent de le molester afin de le décourager et d’empêcher ainsi d’autres colons de suivre son exemple. Ils lui firent défense de trafiquer avec les indigènes et l’obligèrent même à leur céder le surplus de ses grains s’arrogeant ainsi des droits sur le fruit de son travail.

Des procédés si indignes révoltaient l’âme de Louis Hébert mais ne le découragèrent pas. Il se plaignit à M. de Champlain, qui ne put améliorer la situation. Louis Hébert n’en continua pas moins à défricher et à cultiver ; une seule pensée occupait son esprit : assurer l’avenir de la colonie, à la fondation de laquelle il avait tout sacrifié, son avenir, ses parents, sa patrie, son repos.


madame hébert enseignant le catéchisme aux enfants sauvages.

Bientôt les persécutions augmentèrent ; elles devinrent si criantes que M. de Champlain résolut de faire entendre des plaintes à la cour. Il ordonna une assemblée des habitants. Les Récollets s’empressèrent de donner leur approbation au projet. Le Frère Sagard surtout ne pouvant contenir son indignation au souvenir de ces tracasseries s’écrie quelque part dans ses ouvrages : « Ô Dieu ! partout les gros poissons mangent les petits ! » Mais il s’empresse de donner un juste tribut d’éloges à Louis Hébert qui persévérait à demeurer dans la colonie « nonobstant les grandes traverses des anciens Marchands qui l’ont traité avec toutes les rigueurs possibles, pensant lui faire perdre l’envie d’y demeurer et à d’autres (ménages) d’y aller s’établir. »

M. de Champlain présida l’assemblée ; pour la circonstance, Louis Hébert fut nommé Procureur du roi. Les Frères Denis Jamay et Le Caron, Eustache Boulé, beau-frère de M. de Champlain, y assistèrent ainsi que plusieurs autres.

Il fut décidé qu’on demanderait au roi de laisser une plus grande latitude aux colons ; qu’on choisirait avec soin les familles les plus laborieuses et les plus chrétiennes. Et on sollicitait la faveur d’éloigner les familles protestantes afin de former une colonie exclusivement catholique.

M. de Champlain ne voulait introduire dans le pays que des gens laborieux. Quelque temps auparavant il avait dû renvoyer en France deux familles qui étaient dans le pays depuis quelques années et qui n’avaient pas défriché un seul arpent de terre.

Les plaintes des colons de Québec furent entendues à la cour. La Compagnie des Marchands fut dissoute et Louis Hébert put enfin continuer ses travaux sans être molesté.

Le Frère Sagard se montra l’un des plus heureux de ce changement. Il exprima sa satisfaction dans les lignes suivantes : « Messieurs les nouveaux Associés, écrit-il, ont à présent adoucy toutes ces rigueurs et donnent tout sujet de contentement à cette honneste famille qui n’est pas peu à son aise. »

Libre enfin de se livrer à la culture, Louis Hébert non seulement agrandit ses champs mais il fit passer au Canada des bestiaux : ce fut pour sa famille une nouvelle source de revenus. Il établit ainsi sur ses terres la première ferme modèle. Autour de sa maison, il planta de jeunes pommiers et des pruniers qu’il fit venir de Normandie. Au témoignage du Frère Sagard, de bonne heure, au printemps, les pommiers de Louis Hébert se couvraient de fleurs ; et à l’automne rapportaient de bonnes récoltes. Des plants de vignes, des fleurs que Marie Rollet entourait de mille soins, ajoutaient à la beauté de cette ferme canadienne.

En 1636, ces pommiers existaient encore, le Père Le Jeune, arrivant dans la colonie, écrivit dans la Relation : « Les pommiers que Louis Hébert a plantés ayant été gastés par les animaux, il faudra attendre pour voir si les pommes viennent bien en ce pays, bien qu’on me l’assure. » La persévérance de Louis Hébert avait triomphé de la mauvaise volonté des Associés des Marchands trop ambitieux et trop égoïstes pour aider à l’établissement de la Nouvelle-France.



  1. On peut voir au monastère des Révérendes Sœurs du Bon Pasteur, de Québec, une fontaine antique qui fut apportée au Canada par Louis Hébert, et qui a été conservée dans la famille Couillard de génération en génération.
  2. Il n’y avait pas de chevaux dans la colonie à cette époque.
  3. Louis Fréchette. La légende d’un peuple.