Louis Hébert/10

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Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 93-97).

CHAPITRE X


guillaume couillard et Mme hébert sont maltraités par les anglais. — ils désirent retourner en france. — leur requête est rejetée. — longue attente. — retour des français. — joie de la famille couillard. — la sainte messe est célébrée dans la maison du premier colon. — relation du père le jeune.


Combien fut longue pour Guillaume Couillard et sa famille, l’absence des Français ! Abandonnés sur nos bords au milieu des bois, obligés de vivre avec des gens sans religion, qui leur faisaient endurer toutes sortes de mauvais traitements, que de fois ils regrettèrent la détermination qu’ils avaient prise de rester dans la Nouvelle-France.

Les Anglais, sans aucun scrupule, tuaient leur bétail, pillaient leur terre, donnaient de l’eau-de-vie aux indigènes, qui commettaient alors des vols et des dégâts. Ceux qui avaient pris l’habitude de venir à la maison de Couillard où Mme Hébert leur enseignait le catéchisme, ne venaient plus que rarement à cause des tracasseries dont ils étaient victimes.

Mais ce qui accrut les peines de l’exil ce fut l’absence de prêtres et la privation de tout secours religieux. Cette famille priait avec ferveur ; elle demandait à leur Dieu de leur envoyer les Français qui seuls pouvaient lui gagner les pauvres sauvages.

Que de fois, Mme Hébert, de la fenêtre de sa maison, qui donnait sur le fleuve, jetait des regards anxieux, cherchant à découvrir quelque navire ami ! Mais rien n’apparaissait à l’horizon. Les jours s’écoulaient, les semaines, les mois se succédaient, et nos chers ancêtres ne voyaient pas venir le drapeau de la mère-patrie !

Trois longues années s’écoulèrent ainsi. Combien ardente leur prière montait vers le ciel ! À la fin, désespérant de voir le retour de M. de Champlain, ils demandèrent au général de les reconduire en France. Mais Kertk avait besoin d’eux ; il ne voulut pas se rappeler les engagements qu’il avait contractés envers eux lors de la capitulation. Il leur fallut se résigner et attendre.

Enfin ! un jour un navire fut signalé près de l’Île d’Orléans ; était-ce la France qui approchait ? Chacun se demandait s’il était le jouet d’un rêve ; on ne pouvait croire à tant de bonheur ! Quelle émotion durant ces heures d’attente ! C’était bien la France qui venait à leur secours ! leur cœur ne les avait pas trompés, car ils apercevaient le drapeau blanc qui claquait gaiement au souffle de la brise. La France ! La France ! ce cri dut être répété bien des fois par nos chers ancêtres. Oui, c’était elle, qui revenait sur les bords du Saint-Laurent ; elle allait cette fois reprendre les travaux qu’elle avait à peine ébauchés depuis un quart de siècle ; et elle devait établir sur nos rives une colonie puissante qui aurait été le plus beau fleuron de sa couronne si elle eût su le défendre contre l’ennemi, un siècle et demi plus tard.

La joie de Couillard et des siens est plus facile à imaginer qu’à décrire. Avec quelle hâte le navire fut attendu sur la grève ! Dieu seul le sait ! Toute la famille se rendit au-devant des Français pour leur souhaiter la bienvenue. Ce fut au milieu des larmes que furent échangées les poignées de mains.

Pour récompenser la fidélité de la première famille canadienne, la Providence permit que le premier sacrifice de la messe fût offert dans sa maison.

Nous laissons au Père Le Jeune le soin de nous rappeler cette scène si émouvante de notre histoire. « Nous allâmes célébrer la Sainte Messe dans la maison la plus ancienne de ce pays-ci, c’est la maison de Mme Hébert, qui s’est habituée près du fort, du vivant de son mari ; elle a une belle famille, sa fille est ici mariée à un honnête Français. Dieu les bénit tous les jours, il leur a donné de très beaux enfants. Leur bétail est en très bon point ; c’est l’unique famille française habituée au Canada.

« Ils cherchaient les moyens de passer en France mais ayant appris que les Français retourneraient à Québec, ils commencèrent à revivre. Quand ils virent arriver ces pavillons blancs sur les mâts de nos vaisseaux ils ne savaient à qui dire leur contentement, mais quand ils nous virent, dans leur maison, pour y dire la Sainte Messe, qu’ils n’avaient point entendue depuis trois ans, bon Dieu ! quelle joie ! les larmes tombaient des yeux quasi de tous, de l’extrême contentement qu’ils en avaient. Oh ! que nous chantâmes de bon cœur le Te Deum ! C’était juste le jour de la fête de saint Pierre et de saint Paul. Le Te Deum chanté, j’offris à Dieu le premier sacrifice à Québec. Dieu sait si les Français furent heureux de voir déloger les Anglais, qui ont fait tant de maux à ces misérables contrées, et qui sont cause que les sauvages ne sont point baptisés. »

L’abbé Ferland, parlant de ce colons, s’exprime ainsi : « Leur satisfaction fut complète quand ils purent assister au saint sacrifice de la messe, qui fut célébré dans la demeure de la famille Hébert. Depuis le départ de Champlain, ils avaient été privés de ce bonheur et, pour cause de religion, ils avaient été maltraités par leurs compatriotes huguenots passés au service de l’Angleterre. Ces bons catholiques étaient tellement affligés de ne pouvoir obtenir les secours de la religion qu’ils s’étaient décidés à abandonner leur maison et leurs terres pour se retirer dans la mère-patrie. Dieu vint à leur aide en rendant le Canada à la France, et en permettant ainsi que les missionnaires puissent reprendre leurs travaux. »


la sainte messe célébrée dans la maison de Mme hébert en 1632.

Oui, la France était revenue sur le rocher de Québec ! Quel bonheur pour ces pauvres exilés, et surtout quel honneur que de recevoir dans leur humble demeure les représentants de Dieu ! Mais ne méritaient-ils pas une attention toute particulière de la divine Bonté, ces pauvres colons qui, depuis si longtemps, avaient été privés des secours de la religion ?

« Aussi, dit M. Bourassa, lorsque la France vint reprendre possession de son domaine, rendu par l’Angleterre, ce fut sous le toit de la veuve Hébert qu’elle chanta son Te Deum, et offrit à Dieu son sacrifice d’action de grâces, il n’y en avait pas d’autre resté intact au Canada, et certainement qu’on n’en aurait pas trouvé de plus digne d’un pareil honneur. Car, c’est sous ce seul et humble chaume qu’avait survécu la parole, la foi, l’espérance de la France-mère, qu’avait palpité son amour, qu’avait reposé comme une immortelle relique, le germe déjà indestructible de la Nouvelle-France. Le roi récompensa plus tard ce courage viril : il créa un fief en faveur de Couillard, gendre de la veuve Hébert, et lui conféra le titre et les privilèges du seigneur. Et Dieu fit sortir de ce berceau des Hébert, une légion d’hommes forts et vertueux qui allèrent propager et implanter, sur toutes les rives du Saint-Laurent, ce nom et les traditions de bien et d’honneur puisées au sein de leur première mère. »