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Louis II de Bavière/Introduction

La bibliothèque libre.
Flammarion (p. 3-4).


Il est peu de figures qui prêtent davantage à la légende et au roman que celle du malheureux roi de Bavière. À ne prendre que la France, il serait difficile de compter ce que lui doit la littérature. Il y a eu sur lui, à propos de lui ou autour de lui, des romans lyriques et des romans ironiques. Il y a eu le Roi Vierge, il y a eu le Roi Fou, et Jules Lemaître a pensé à la tragédie de Starnberg en écrivant ses Rois.

Une idéale apparition au milieu d’un siècle de fer, un martyr de l’art, un martyr de la foi, Louis II n’est pas moins que tout cela en quatorze vers d’un sonnet de Verlaine.

La Norvège aussi s’est intéressée à Louis II et elle n’a pas découvert chez lui moins de merveilles. Biôrnstierne Biôrnson a fait l’aveu qu’il avait longtemps rêvé d’écrire une pièce sur le roi de Bavière, d’être le Shakespeare de cet Hamlet.

M. Gabriel d’Annunzio devait écrire encore dans ses Vierges aux Rochers : « Ce Wittelsbach m’attire par l’immensité de son orgueil et de sa tristesse… Louis de Bavière est vraiment un roi, mais roi de lui-même et de son rêve. » Hélas ! roi de lui-même n’est qu’un mot, un mot lyrique. Et la vérité nous oblige à dire qu’on ne trouve rien de pareil, à l’analyse, dans la vie sans direction, dans les songeries à la dérive, du malheureux héritier des Wittelsbach.

Cette débauche de littérature aura certainement valu aux châteaux du roi de Bavière la visite de plus d’un voyageur séduit. Et la mémoire de Louis II n’aura pas à se plaindre : ce furent souvent des voyageurs de marque. Maurice Barrès, par exemple, se donna la peine de faire chez Louis II une promenade idéologique. Seulement Maurice Barrès, ayant vu, vit tout de suite juste. Il trouva bien médiocre la sensibilité du roi de Bavière. Il se détourna vite des « fumées de son imagination ». Avec une pitié désenchantée il parla dans l’Ennemi des lois de « l’âme naïve et trop sensible » du prince solitaire, et le montra succombant à la tâche d’accorder son rêve avec la réalité. Maurice Barrès mesura la vanité de cet effort en visitant les fameux châteaux qui en sont les témoins et qui lui parurent dignes d’un banquier parvenu. Toutefois, il voulait faire à Louis II l’aumône de cette formule : « Il ressentit, jusqu’à la démence, la difficulté d’accorder son moi avec le moi général », et il protesta « contre les conditions de la vie réelle ». D’où les amitiés passionnées de Louis II pour certaines grandes individualités grandes, du moins il les croyait telles. D’où encore son horreur de la foule.

Le roi de Bavière et sa vie tourmentée n’ont pas cessé de parler à l’imagination des hommes. Ses châteaux reçoivent toujours des visiteurs. Louis II n’a pas eu tort d’élever des palais où se fixe la curiosité. Sinon, sa cousine, la tragique Élisabeth d’Autriche, eût bien pu effacer son souvenir. Comme la sensibilité de l’Impératrice est plus douloureuse et plus profonde que la sienne ! Et quelle rivale pour notre artiste manqué ! Car la royale mélancolie de cette Wittelsbach eut le don de s’exprimer avec art et avec noblesse, tandis que les épanchements de Louis II on en trouvera plusieurs modèles dans sa bizarre correspondance sentimentale sont de la bien mauvaise littérature. Son bonheur voulut seulement que des noms illustres, des événements historiques fussent mêlés à sa vie. Il a eu Wagner. Il a traversé 1870 et la fin de la vieille Allemagne. C’est pourquoi toute une cour de romanciers et de poètes a pu broder une auréole au Néron bavarois. Louis II a-t-il vu très clair dans les théories wagnériennes ? S’y est-il même intéressé ? C’est bien douteux, mais peu importe. Quant à nous, nous prenons ici l’engagement de ne pas discuter un mot des doctrines qu’a professées l’homme de Bayreuth. Pour dire franchement notre pensée, nous n’avons même aucune espèce d’opinion sur le Drame musical. C’est pourquoi nous raconterons l’histoire de Louis II et de Wagner comme on raconterait Peau d’Âne, en espérant que le lecteur s’y divertira.