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Louis XVII en Champagne/10

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L. Hurtau (p. 96-98).

CONCLUSION.

Deux ans plus tard, l’abbé B., revenu des illusions sentimentales et des chimères légitimistes, s’était profitablement rallié au gouvernement établi. Au lieu de lui garder rancune de son escapade, le pouvoir lui avait fait beau visage : les transfuges sont gens utiles, et qui n’ont plus de préjugés ; s’il ne faut pas compter sur leur dévouement, on peut au moins compter sur leurs services.

Cinq ans plus tard (29 novembre 1807), Battellier, procureur impérial près le tribunal civil de Vitry, s’était fort adouci à l’égard des monarques, et commençait à penser qu’il en est dans le nombre dont l’image ne doit pas choquer les yeux d’un bon citoyen.

« … Je vous adresse, ci-joint, écrivait-il à un ami, la grandeur d’un cadenas que je vous prie de faire exécuter. Je voudrais que sur le cristal vous fissiez peindre en or le portrait de l’Empereur, dans le genre de ma grande épingle que vous connaissez. Ce cadenas ou verrou est destiné à attacher la cravate… »

Et dix ans plus tard (8 mai 1812), l’ex-duc d’Ursel, l’ex-duc de Longueville, l’ex-Dauphin de France, mourait sur la paille d’un cabanon de Bicêtre : c’était le tragique après le comique. L’inoffensif imposteur avait fait ombrage au vainqueur d’Austerlitz, qui, sans avoir, comme en d’autres circonstances, l’excuse de la raison d’État, appesantit sur cet enfant sa despotique volonté. Les juges l’avaient condamné à quatre ans de prison ; mais, lorsque les quatre ans furent passés, la porte du cachot ne s’ouvrit point pour lui : l’Empereur, d’un mot, transforma cet emprisonnement temporaire en réclusion perpétuelle. Qui ne songerait à la petitesse des grands hommes, en réfléchissant que la mort d’un jeune vagabond fut peut-être pour Napoléon un plaisir et un soulagement ?

Cette fin misérable nous fait en quelque sorte oublier les voies qui y menèrent Hervagault : il est une juste pitié pour toutes les victimes du pouvoir arbitraire. Et, après tout, qu’y a-t-il d’odieux et de répugnant en cette originale figure ? Jean-Marie laissa croire, plutôt qu’il ne trompa ; ses mensonges ne furent ni malfaisants ni pervers. Entre tous ceux qui ont vécu de la sottise des autres, il fut le seul sans doute que ses dupes chérirent jusqu’au bout, et qui ne fit que des heureux.