Luc/Chapitre XXVII

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Ambert & Cie (p. 223-227).
XXVII

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Lucet a cru entendre la porte s’ouvrir, et l’attention que sollicite ce bruit inattendu dissipe toute la lourdeur de son assoupissement. Il craint de se leurrer à nouveau… Doucement une robe frôle les tapis. Il s’assoit sur son lit, anxieux ; même il a peur, une peur irraisonnée d’enfant que les ténèbres effraient… On pousse la porte de sa chambre restée entr’ouverte sur le boudoir… Cette fois c’est sûr… il ne peut douter… Et son désir, sa peur défaillante crient ensemble vers l’aimée :

— … Qui est là ?… qui est là ?… répète-t-il angoissé, haletant, perdant toutes notions des joies trouvées dans la solitude de son lit, et qu’il méprise…

Et quand, dans l’espace de deux secondes il acquiert la certitude que c’est Nine, quand il voit que c’est elle, dans l’ombre où elle n’ose parler encore et où ses bras nus et son visage font un halo de clair obscur, il interroge encore, quand même, mais plus bas ; et la passion de son jeune corps frissonnant fait trembler ses lèvres…

Il n’ose se lever ; il est nu ; il ne peut aller vers elle. L’audace de Nine l’épouvante ; et son cœur d’enfant, dans sa poitrine blanche, bat à coups doubles :

— Nine… c’est vous ?… Nine… Jeannine… c’est vous ?…

Et la voix chérie déjà se penche contre le lit de Lucet ; des chuchotements caressent les boucles légères de l’enfant ravi, et ses lèvres divinement fraîches reçoivent des lèvres hardies de Nine le « oui » qui affole sa chair voluptueuse. Et sans se voir, dans un mouvement imprévu, les bras nus de Nine rencontrent les bras nus de Chérubin. Leurs bouches étonnées se prennent… des mots curieux, des mots très doux, très caressants, très câlins et très heureux mouillent leur bouche que l’obscurité rend audacieuse…

… Mais Luc se reprend déjà, confus et raisonnable. Il veut se lever, essayer d’une résistance héroïque dans l’état de ses sens ; il veut protester de son respect, être le frère aîné de Nine et non pas l’amant… Le souvenir de Julien l’inquiète aussi ; mais il tremble de prononcer ce nom qui ferait se dissoudre la joie tumultueuse de posséder Jeannine… Et Jeannine que la bouche adorable et les bras nus de Lucet ont grisée plus encore que l’atmosphère de cette chambre où des feuillages d’automne et le pollen affolant des roses et la tiédeur du lit se répandent et sinuent en luxurieux arômes, Jeannine brave les scrupules de Lucet. Cette défense impossible aggrave le désir qui la précipite vers lui… Elle rejette l’épais manteau qui la couvre toute, et, dans le noir complice de l’alcôve, soudain, l’éphèbe se sent enveloppé de deux bras dont la chair attiédie caresse et prend sa chair. Un long frisson divinise l’ambre délicat de ses membres polis qu’embrasse la nudité de Nine…

De ses lèvres jolies il absorbe l’amante, des chevilles fragiles au front vêtu d’un flot de cheveux défaits. À leur tour ses doigts effilés répondent aux soins capricieux de la vierge en péril et font sa’bouche haletante s’épuiser en baisers…

Elle possède maintenant ce gamin dont les formes, sur la scène, avouent, en le maillot cambré, la force neuve, la douceur élégante… La force s’exprime en la violence qu’elle sent aux bras nerveux ; la douceur, en les recherches onduleuses des jambes ; l’élégance, en les yeux proches dont les longs cils battent ses yeux pervers, en les lèvres mutines qui mangent ses lèvres complaisantes… Et la gamine mignonne, et savante depuis peu, parcourt de ses menottes impertinentes et joyeuses de connaître, le corps frissonnant de Lucet.

Et l’adolescent rit dans la nuit aux fantaisies chuchotantes de Nine… L’image de la jeune fille travestie en page, tour à tour abandonnée ou raidie contre la violence de ses étreintes dans leur rencontre vespérale, se découvre en le maillot de Chérubin… et ce souvenir exaspère jusqu’à la douleur la volupté de l’enfant.

Ils ne se parlent plus… Leurs bavardages s’épuisent en d’autres expressions. Leurs nudités se lient, puis Nine éperdue repousse les exigences de Lucet…

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Elle va crier ; la main fine du gamin clôt la bouche gémissante à laquelle son triomphe arrache un long sanglot… Nine étouffe et mord la paume de l’enfant qui veut maîtriser sa plainte… Lucet retire sa main, tend ses lèvres ; Nine les prend et ses larmes en vain supplient l’orgueil de l’amant dont l’ivresse s’accroît de leur douleur humiliée…

L’initiateur juvénile, honteux soudain des violences dont souffre la vierge que sa force fait femme, boit sur le doux visage de l’aimée la jeunesse qu’exaltent les râles en lesquels déjà la joie magnifie et prime la souffrance… Les mains mignonnes et méchantes de Nine se crispent sur le velouté des reins joueurs qui la tiennent serve en le désordre du lit… Elle se raidit ; mais la tension arquée de son jeune corps surprend sa volonté et fait plier sa résistance ; elle s’anéantit dans le consentement. Sa voix gémit ; elle appelle Chérubin, le retient longuement, câline de sa bouche rose et dolente la bouche triomphante et savoureuse de l’enfant d’abord repoussé…

Luc parle doucement ; et ses paroles accélèrent la volupté soudaine qui multiplie la joie de leur chair… Ils se taisent, bouche contre bouche… Leurs baisers et leurs caresses se mêlent au frisson en lequel enfin s’échangent les prémices délicieuses de leurs adolescences…

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Ils se vont délier… Jeannine expire de sa bouche mouillée sur la bouche défaillante de Luc :

— … Encore… encore…

Un renouveau de désir point en l’adolescent lassé… Il retient celle qui chante sur lui son délire… Ses caresses hésitent, puis, tout à coup, se renforcent d’une certitude glorieuse…

Comme Nine a crié tout à l’heure sa souffrance, Luc à son tour crie sur la jeune gorge de l’aimée la joie et la fierté d’une vigueur qu’il ne se connaissait pas…

Une fois encore l’ivresse jaillit en eux, accablante et chérie, et, lente d’abord, s’exprime en l’essor épuisant qui, dans les flancs de Nine, abonde en tressaillantes allégresses…

Et la vierge fécondée imprime sa reconnaissance sur l’épaule du mâle…

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