Lucette, ou les Progrès du libertinage/01-10

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CHAPITRE X.

Elle rêve : elle rougit.


L’Image de ſon cher Lucas la ſuivoit par-tout. Si quelqu’un l’appelloit, elle croyoit entendre ſa voix. Arrivoit-il un accident dans le village, elle craignoit qu’il n’eût part au danger. Enfin, ſes diſcours, ſes actions, ſon ſilence, tout s’adreſſoit à Lucas.

On auroit tort de conclure qu’il étoit le ſeul mortel fortuné pour qui ſon cœur s’intéreſſât. Elle le croyoit peut-être ainſi ; mais celle qui ſe figure n’aimer qu’un ſeul galant, ſe trompe quelquefois.

Lucette s’accoutuma aux empreſſemens du valet-de-chambre, aux étourderies de l’Abbé, aux vives careſſes du Marquis, & aux offres du Financier : ſa froideur n’étoit plus qu’apparente ; ſa foible vertu ne battoit que d’une aîle ; les deſirs l’enflammoient ; ſes ſens agités lui peignoient mille douceurs à ſe rendre : elle éprouvoit qu’il eſt difficile d’être ſage. Elle tomba dans une mélancolie ſinguliere ; elle ſentit en elle un vuide qui l’étonna : l’ennui ſe peignoit dans ſes regards ; ſes yeux battus annonçoient que le ſommeil s’éloignoit d’elle : en vain cherche-t-elle à ſe diſtraire, tout lui paroît inſipide ; ces campagnes fleuries, où elle ſe plaiſoit tant autrefois, lui ſont indifférentes : la fraîcheur du matin n’enchante plus ſon ame ; elle évite & cherche la ſolitude, les boſquets délicieux, les bois ſombres & touffus la font ſoupirer. Que lui manque-t-il ? Ces plaiſirs que la nature fait deſirer, que la Jeuneſſe ne ſçauroit fuir, & brûle de connoître.

Elle devint auſſi tout-à-coup rêveuſe. À peine d’Arneuil & Frivolet pouvoient-ils la retirer de ſa rêverie ; les diſcours tendres l’y plongeoient davantage. Dès qu’on lui parloit d’amour, elle devenoit triſte, elle méditoit profondément. Je laiſſe à préſumer ce qui lui donnoit lieu de réfléchir. La Beauté que tout porte à la tendreſſe, veut en vain réſiſter à ſon penchant ; elle devient ſombre & penſive, mais enfin un jour elle retrouve ſa bonne humeur.

Notre héroïne commença d’entendre fineſſe : un mot, un rien la faiſoit rougir. Elle n’évitoit plus la compagnie des hommes, elle ſembloit même les chercher. Lorſqu’on s’approchoit d’elle, ſon petit cœur palpitoit ; elle n’étoit plus maîtreſſe de cacher ſon trouble, & ſon viſage ſe couvroit d’une rougeur ſubite.

À ce dernier trait le Lecteur doit s’écrier qu’elle ne tardera pas à ſuccomber ; il aura raiſon. Conſidérez cette jeune fille : un galant l’entretient de ſa paſſion ; elle rêve, elle rougit, ſigne prochain de ſa défaite. Cette dévote paroît repouſſer les careſſes d’un jeune téméraire ; elle ſe fâche, elle réſiſte : oui, mais la couleur de ſon teint dément ſes efforts, & découvre ſes deſirs.

Les Dames ont ſenti combien leur viſage pouvoit les trahir ; auſſi ont-elles eu recours à un rouge artificiel, qui cache celui que fait naître l’amour, le plaiſir, & trop ſouvent la honte.


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