Lucienne/I/XVI

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (p. 167-180).

XVI


Enfin elle put quitter Paris. Elle prit le train à la gare de Lyon ; mais elle ne savait pas précisément où elle allait, ni très-clairement ce qu’elle allait faire, et elle n’était pas sans inquiétude sur l’aventure où elle entrait ainsi à tâtons.

Elle avait pris son billet pour Châlons à tout hasard ; mais elle s’arrêta, quelques stations avant cette ville, à un village nommé Chagny, pour lequel elle se décida en le voyant par la portière du wagon.

Il n’y avait ni omnibus, ni voiture, ni carriole d’aucune espèce à cette gare modeste, pour transporter les voyageurs et les bagages. Lucienne ne pouvait cependant pas porter elle-même sa lourde valise. La gare était assez loin du village, et elle ne savait pas le chemin.

On finit par hêler un gamin, qui alla chercher une brouette et mit la valise dessus.

— Où qu’nous allons ? dit-il alors en regardant Lucienne.

— À l’auberge, dit-elle.

— Laquelle des deux ? C’est t’y chez la mère Bourguignon ou chez m’sieu Berthan, Au Bon cep ?

— Va à la plus belle des deux, dit Lucienne.

L’enfant ôta sa casquette et se gratta la tête indécis ; mais brusquement, il remit sa coiffure, et, poussant la brouette, partit aussitôt.

Lucienne le suivit de loin. De temps en temps il s’arrêtait pour l’attendre.

Ils longeaient une route à travers les vignes qui s’étendaient à perte de vue de tous côtés avec leurs feuilles rougies et bronzées par l’automne. Presque toutes les feuilles étaient tombées déjà, et le cep nu laissait voir le court échalas auquel il s’appuie ; de sorte que les champs semblaient une forêt de pieux. Pas un arbre ne dépassait le niveau uniforme des vignes, si ce n’est, tout au fond du paysage, devant des collines gris de perle dentelées sur le ciel, une rangée de minces peupliers.

Les premières maisons du village commençaient au bord de la route qui venait aboutir à la principale rue de Chagny. Ces maisons, crépies à la chaux, de hauteur inégales, étaient laides ; elles n’avaient pas la grâce pittoresque des chaumières, ni l’élégance des maisons bourgeoises. Il fallait monter quelques marches, protégées quelquefois par une rampe verte, pour entrer dans les boutiques, chez le boulanger, chez l’épicier. Le débit de tabac dont la devanture était peinte en blanc s’ouvrait seul de plain-pied sur la rue. À chaque instant on entendait des sonnettes tinter, quand on ouvrait ou refermait des portes.

Lucienne, tout en suivant son guide, regardait de côté et d’autre et n’osait pas s’avouer qu’elle avait un peu peur toute seule dans ce village, au milieu de ces inconnus qui collaient leurs visages aux fenêtres pour la voir passer.

Le gamin tourna un angle et déboucha sur une petite place plantée d’arbres. Au milieu, on voyait la vasque d’une fontaine, et, derrière les arbres, le porche ogival d’une vieille petite église. La brouette s’arrêta net devant une palissade peinte en vert et coupée par une porte à claire-voie, au-dessus de laquelle, sur une planche arrondie en demi-cercle, on pouvait lire :


Venue Bourguignon. Loge à pied.


L’enfant poussa la porte et courut prévenir à l’intérieur, tandis que Lucienne pénétrait dans le petit jardinet, long de quelques pas, qui précédait la maison.

L’hôtesse vint au-devant de Lucienne avec le sourire banal au service de tout le monde ; elle s’essuyait rapidement les mains à son tablier, et s’avançait en toute hâte, faisant claquer ses galoches sur les deux marches de pierre du seuil.

— Qu’est-ce qu’il y a pour votre service, ma belle demoiselle ? dit-elle.

— Puis-je loger chez vous pendant quelques jours ? dit Lucienne.

— Mais où donc que vous pourriez loger, si ce n’était pas chez moi ? s’écria gaiment l’hôtesse. C’est bien sûr pas chez ce farceur de père Berthau, qui est dans les vignes plus souvent qu’à son tour, et qui ne loge que des routiers et des ivrognes comme lui ; vous seriez là, ma foi, en jolie société !

— Vous allez me donner une chambre alors ?

— La plus belle encore ! celle qui est sur le devant. Sidonie ! cria-t-elle, ouvre les volets, dans la chambre du premier.

— On y va ! répondit une jeune voix des profondeurs de la maison.

Lucienne suivant l’aubergiste entra dans un vestibule carré et gravît un escalier à rampe de bois. Le gamin venait après elle, la valise sur l’épaule.

Ils entrèrent tous dans la chambre destinée à Lucienne. Sidonie était là, penchée hors de la fenêtre pour arrêter le crochet des volets. C’était une grosse fille rougeaude, les cheveux serrés dans une marmotte d’indienne, les manches retroussées jusqu’au coude. Elle s’en alla avec le gamin, tout fier de la pièce de vingt sous que lui donna Lucienne, et qu’il noua au coin de son mouchoir.

— Eh ben, ça vous va-t-il cette chambre ? dit l’hôtesse en regardant autour d’elle d’un air très-satisfait.

— Parfaitement, dit Lucienne décidée à se contenter de tout.

La chambre n’était pourtant pas trop de son goût, avec son carrelage fendillé, son papier arraché par places, le lit plus haut que large, sous les rideaux de toile jaune ornés d’une bande rouge, la chaise unique, et la table boiteuse sur laquelle était posée une cuvette avec un pot à l’eau égueulé.

— Vous avez de la terre par ici ? demanda tout à coup la veuve Bourguignon, qui essayait de se renseigner un peu sur la nouvelle venue.

— Non, dit Lucienne, je ne possède aucune terre.

— Alors, c’est vous qui venez pour la vigne au père Grialvat, qu’on va vendre par autorité ?

— Je n’ai pas l’intention d’acheter des vignes, je viens simplement pour voir ce pays, dit Lucienne.

— Tiens ! s’écria l’aubergiste, il n’y a pourtant pas grand’chose de curieux par ici ; du premier coup d’œil, on a tout vu ; ce n’est que vignes à dix lieues à la ronde. À moins de visiter la fabrique de bouteilles au bout du village… Ceux qui n’ont pas peur d’avoir chaud vont voir ça. Aussi peut-être que vous êtes Anglaise ?

— Justement, dit Lucienne en souriant.

— Je l’aurais parié ! les Anglais aiment à voyager.

Et tout en aidant Sidonie, qui était rentrée et mettait des draps au lit, elle lui dit tout bas :

— C’est une miche.

Sans doute, elle avait l’intention de dire miss.

Lucienne s’était approchée de la fenêtre ouverte et regardait devant elle. Le soleil venait de s’enfoncer derrière la Côte-d’Or dont le faîte semblait bordé d’un liseré de feu. Trois rayons blancs s’élançaient à travers le ciel et illuminaient les nuages couleur d’ardoise et de pourpre qui tachaient l’azur pâle. Dépassant les collines d’un violet intense, les peupliers découpaient sur cet or incandescent leur délicate ossature. Tout le bas du paysage se perdait dans une ombre bistrée et chaude.

Soudain, la cloche de l’église s’ébranla et emplit l’air de ses vibrations profondes. Presque aussitôt, un son de trompe se fit entendre dans la campagne, lent, mélancolique, prolongé.

Ce bruit éveilla un souvenir confus dans la mémoire de Lucienne ; il lui semblait qu’elle l’avait déjà entendu à cette même heure, mêlé comme ce soir au son de la cloche et dans ce même paysage instinctivement elle chercha des yeux une fontaine. Elle en vit une en effet, entre les arbres, au milieu de la place. La vasque pleine d’eau reflétait le ciel et faisait une tache brillante dans la demi-obscurité.

Lucienne attendait quelque chose qui devait compléter le tableau qu’elle revoyait. Quoi ? Elle n’aurait pu le préciser, mais elle savait que quelque chose devait se passer à cette fontaine.

La cloche s’était tue, mais la trompe continuait à sonner sa note monotone.

Bientôt un grand troupeau arriva par la route qui venait des champs, les bœufs s’avançaient seuls, sans berger, sans qu’aucun chien les guidât. Quelques-uns vinrent plonger leurs mufles dans l’eau pareille à de l’argent en fusion, et firent retomber des ruissellements lumineux ; puis des groupes se formèrent, et de différents côtés les bêtes s’en allèrent chacune vers son étable.

C’était bien ce que Lucienne attendait.

— J’ai déjà vu cela, sans aucun doute, se disait-elle, profondément surprise ; ce n’est pas la première fois que je vois des bœufs rentrant d’eux-mêmes au village, rappelés par ce son de trompe. Mais où donc l’ai-je vu ? Jamais je ne suis venue ici. Et ce souvenir, malgré sa netteté, est si lointain, si perdu, qu’il semble se rattacher à une autre existence. Après tout, j’ai peut-être lu une scène analogue à celle-ci dans un livre, ajouta-t-elle, après un instant de rêverie.

Et elle se retourna vers madame Bourguignon, qui lui demandait si elle voulait dîner.

— Certainement, dit Lucienne, j’ai très-faim.

— Eh bien, descendons, dit la veuve, c’est l’heure où l’on trempe la soupe à ceux qui reviennent des champs ; vous aurez de la compagnie ; des paysans, c’est vrai, mais ça sera toujours plus gai que les quatre murs. D’ailleurs, soyez sans crainte, je vous mettrai une table à part.

— Je n’ai nullement peur de ces braves gens, dit Lucienne.

— C’est vrai qu’ils sont bien tranquilles quand ils n’ont pas bu ; mais la rivière est plus souvent à sec que leur gosier. Aussi, comment s’empêcher de boire dans un pays où on n’a qu’à tendre le bec pour qu’il vous tombe du vin dedans ?

— C’est vrai, nous sommes en Bourgogne, dit Lucienne.

La salle d’en bas, beaucoup plus longue que large était tendue d’un papier à vignette, où le même chasseur visant le même gibier, se répétait un nombre infini de fois. Le plafond très-bas était tout noirci par la fumée des chandelles et le sable répandu sur le sol, entre les tables carrées recouvertes de toile cirée et les bancs de bois, criait sous les pieds.

Il n’y avait personne encore lorsque Lucienne entra. On mit une serviette sur une table près de la fenêtre, et l’on posa dessus une lourde assiette en terre émaillée, blanche en dedans, noire en dehors, puis un gobelet et un couvert d’étain.

— Je vais vous chercher une chaise, dit l’aubergiste à Lucienne ; le banc de bois vous semblerait trop dur.

Lorsque Lucienne fut installée dans son coin, elle entama la conversation avec la mère Bourguignon, qui allait et venait par la salle, posant des assiettes sur la toile cirée des tables.

— Le climat est-il sain par ici ? demanda-t-elle.

— Si l’air est bon, q’vouss voulez dire ? Il n’est pas mauvais. Nous n’entendons jamais parler d’épidémies.

— Vous avez peu de malades, alors ?

— On est malade tout de même et l’on meurt ici comme ailleurs, dit l’hôtesse. Tenez, v’là la petite aux Conier, des vignerons de par ici, qu’a la rougeole, et ils ont perdu leur vache ces jours-ci ; c’est un vrai guignon ! Et puis il y a la fille au père Grialvat, vous savez, celui qu’on va vendre ; elle est peut-être trépassée à l’heure qu’il est ; mais pour celle-là, c’est une bénédiction de s’en aller.

— Ce sont de pauvres gens ? dit Lucienne, vivement intéressée ; on pourrait peut-être leur venir en aide, on pourrait empêcher la vente qui menace ce pauvre homme.

— Ce pauvre homme ? dites cette pauvre fille plutôt ! si elle est encore de ce monde, s’écria madame Bourguignon. Lui, c’est un mauvais homme, paresseux, ivrogne, qui battait sa fille et la laissait sans le sou ; il ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort. — Ah ! voilà mon monde, ajouta-t-elle en allant ouvrir la porte.

Une dizaine de paysans, armés de pics et de pioches, entraient dans le vestibule où ils laissèrent leurs outils ; puis ils pénétrèrent dans la salle en se bousculant par jeu et en trébuchant bruyamment avec leurs gros souliers ferrés.

— C’étaient pour la plupart les célibataires et les veufs du pays, ceux qui n’avaient pas de ménage, et quelques journaliers venus pour les vendanges, et qui étaient restés dans le village, les vendanges finies, pour terminer quelque besogne.

— Allons, de la tenue ! ne voyez-vous pas qu’il y a une dame ? s’écria la mère Bourguignon, en leur distribuant quelques bourrades. — Celui-ci, c’est mon garçon, ajouta-t-elle s’adressant à Lucienne et frappant sur l’épaule d’un grand gaillard de vingt-cinq ans.

Le jeune homme ainsi présenté ôta son chapeau de paille et se tint debout devant Lucienne d’un air étonné.

— La vendange a-t-elle été bonne cette année ? dit la jeune femme pour dire quelque chose.

— C’est-à-dire que nous manquions de tonneaux et qu’il a fallu jeter des pleines charretées de raisin au bord de la route, répondit le paysan. Ça a fait de grandes taches bleues qu’on voit encore sur le chemin de Nolay.

— Allons ! va chercher une bouteille du meilleur pour mam’selle, au lieu de nous raconter des histoires, dit l’hôtesse en mettant dans les mains de son fils une chandelle et la clef de la cave. — Nous avons tordu le cou à un poulet en votre honneur, reprit-elle en se tournant vers Lucienne. Mais vous goûterez bien tout de même à notre soupe aux choux ?

— Certainement, dit Lucienne.

Sidonie entra dans la salle, portant à deux mains une grande soupière noire, d’où s’échappait une fumée odorante. Son arrivée calma un peu la turbulence des convives, qui continuaient à se faire des niches et qui, glissant d’un bout à l’autre des bancs, les faisaient basculer, au milieu des cris, des rires et des jurons ; en voyant la soupe, ils poussèrent un hourrah de joie.

Lucienne, au milieu de tout ce bruit, par instant croyait rêver. Sa pensée s’en allait vers Adrien ; elle revoyait les derniers jours qui venaient de s’écouler, elle oubliait l’heure présente, puis brusquement elle y revenait, et pendant une seconde ne pouvait s’expliquer comment elle se trouvait dans ce lieu étrange, près de ces paysans tapageurs.

Elle était mal à l’aise, inquiète, effrayée même, et par moment, perdant l’espérance de voir aboutir ses projets, elle les trouvait chimériques, en face de ces êtres si parfaitement réels parmi lesquels elle devait choisir un aide pour la seconder, un complice peut-être.

— Lorsqu’ils sauront ce que je veux, se disait-elle, ils me prendront sans doute pour une folle.

Mais ces défaillances morales étaient de peu de durée ; le souvenir de celui qu’elle aimait lui rendait bientôt le courage et la confiance.

Elle songeait à la jeune fille expirante de celui qu’on nommait Grialvat ; c’était autour du grabat funèbre sur lequel elle s’imaginait la voir que tournait la pensée de Lucienne. Elle eût bien voulu questionner encore l’hôtesse à ce sujet ; mais elle craignait de l’étonner en témoignant un intérêt si peu explicable pour une inconnue.

Vers la fin du repas, au moment où elle allait se retirer, Lucienne vit entrer dans la salle un homme petit, trapu, assez malpropre, à la face rouge et bourgeonnée, qui jeta autour de lui des regards clignotants.

Il fut salué par un concert de cris.

— C’est le père Grialvat !

— Ce vaurien de Grialvat !

— Ça va bien, vieux sans-souci ?

Lucienne, qui s’était levée, se rassit.

— Et ta vigne ?

— Elle n’est pas core vendue, répondit le paysan.

— Et ta fille ? cria un autre.

— Elle n’est pas core morte, mais, ma fine, c’est tout comme ; elle bat la campagne et ne connaît pus personne.

— Toi, tu viens boire à sa santé, dit quelqu’un.

— Hé ! misère ! répondit Grialvat, ceux qui meurent n’empêchent pas ceux qui se portent ben d’avoir soif.

— Vous n’avez pas d’honte, s’écria madame Bourguignon en survenant, de venir gobeloter au cabaret tandis que votre pauvre enfant est à l’agonie, et de la laisser mourir toute seule comme un chien au coin d’un champ.

— Allons, ne vous fâchez pas, la mère ! dit Grialvat ; elle a de la société ; les voisines sont venues pourla soigner. Quèque vous voulez que je lui fasse, moi : je ne suis pas médecin. Et puis ça me tourne le sang de l’entendre geindre et de ne pas pouvoir lui dire de se taire. Mais c’est pas tout ça, donnez-moi à boire, j’crève la soif.

— Vous devriez boire vos larmes pour l’instant, vilain sans cœur ! reprit madame Bourguignon ; vous ne valez vraiment pas la corde pour vous pendre. Et quand je pense qu’il y a là une bonne demoiselle qui, en apprenant qu’on va vous vendre, s’intéressait à vous et avait comme idée de tirer votre vigne des griffes des huissiers ! mais je lui ai un peu dit ce que vous valez, et qu’elle fera bien (Je répandre ses bienfaits sur d’autres que sur vous.

Le père Grialvat jeta un regard rapide du côté de Lucienne, et il changea aussitôt l’expression de son visage.

— Vous avez mal agi, la mère, si vous avez fait ça, dit-il ; mais vous vous vantez ; vous êtes ben trop bonne pour vouloir la mort du pécheur. Vous savez ben que, si j’étais un peu aidé, si mon bien était libéré, je reprendrais courage et je travaillerais comme les autres. Ce n’est pas vous qui auriez arrêté quelqu’un qui voulait me tirer de l’ornière.

— Allons donc ! vous, travailler. Vous êtes un ivrogne et un paresseux incorrigible.

— Ne l’écoutez pas, ma belle demoiselle, dit-il en s’approchant de Lucienne. Elle a une dent contre moi ; sans ça elle ne parlerait pas comme elle fait. Elle sait bien qu’il n’y a pas pus honnête que moi et que c’est le guignon qui me tient.

— Allons, laissez mam’selle tranquille ! s’écria la mère Bourguignon.

— On ne peut pourtant pas se laisser voler comme dans un bois et arracher le pain de la bouche ! s’écria Grialvat exaspéré ; v’la une bonne dame qui voulait me secourir, et vous vous mettez à la traverse ; vous la détournez d’un pauvre homme comme moi, qui ai trois petits enfants à nourrir.

— Est-ce vrai qu’il a d’autres enfants ? demanda Lucienne à l’hôtesse.

— Oui, c’est vrai, et ils ne sont pas heureux, les pauvres mioches !

— Où demeurez-vous ? dit Lucienne à Grialvat.

— Au tournant de la route. La chaumière au père Grialvat, tout le monde la connaît.

— Eh bien ! j’irai chez vous demain, et je verrai s’il y a quelque chose à faire, non pour vous, qui ne me semblez pas valoir grand’chose, mais pour la pauvre malade et pour vos enfants.

— Le bon Dieu vous bénira et vous donnera une vie heureuse, dit le paysan d’un air doucereux. J’suis peut-être un peu dur envers ma fille, mais, que voulez-vous ? nous n’avons jamais pu nous entendre, nous avons toujours été comme chien et chat. Mais mes garçons, minute, c’est une autre affaire ; je me laisserais mourir de faim pour leur donner mon dernier morceau de pain.

Madame Bourguignon haussa les épaules en entendant cela, tandis que Lucienne se levait pour remonter dans sa chambre.