Ludwig van Beethoven (Foa)/I

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Aubert et Cie (Petits contes historiquesp. 1-8).

LUDWIG VAN BEETHOVEN,
ou
LE PETIT MAÎTRE DE CHAPELLE.




CHAPITRE PREMIER.

Le pot de pommade.


— Mon Dieu ! que c’est désagréable d’être laid !… disait un petit garçon de cinq ans monté debout sur une chaise devant une cheminée, ce qui mettait son visage à la hauteur de la glace du trumeau qui décorait cette cheminée ; et, armé d’une brosse, et puisant dans un pot de pommade qu’il avait à sa portée d’énormes portions de son contenu qu’il posait sur ses cheveux noirs et crépus, il essayait avec sa brosse de donner à sa chevelure hérissée une position couchée. Mon Dieu ! que c’est désagréable d’être laid, surtout quand on est le fils aîné de M. Beethoven, premier ténor de la chapelle électorale de Cologne, qu’il me faudra un jour chanter dans la chapelle, et que j’entendrai toutes les femmes crier : Mon Dieu ! qu’il est laid… Là… j’ai beau mettre de la pommade, en mettre tant et plus… jamais ces cheveux ne seront lisses comme les cheveux de Charles ou de Jean… jamais ! Mon Dieu ! que mes frères sont heureux d’être blonds… et jolis… Maudite mèche de cheveux crépus… Voyez comme elle se relève… entêtée de mèche, va !… Je suis en colère… oh ! que je suis en colère… comme la bonne quand la soupe se renverse… comme M. Stumer, mon maître d’écriture… quand je ne peux pas faire ce qu’il veut… Et cette veste, comme elle me rend gros, bouffi… et mon pantalon, comme il est laid… et mes souliers !… que je suis mal chaussé… Et cette petite Léonore, qui est si moqueuse !… aussitôt qu’elle me verra… elle se moquera de moi… Voilà le gros poupart… ou le vilain grognon… ou le petit ours mal léché… Et puis, elle me demandera peut-être encore, avec son petit air moqueur, pourquoi j’ai pris la tête à ours avec laquelle ma bonne balaie les plafonds pour ôter les toiles d’araignées… au lieu de prendre une jolie petite tête blonde… comme Charles ou Jean… Encore cette mèche qui ne veut pas s’aplatir… à force de pommade, pourtant… j’en mettrai trois pots, s’il le faut… je suis tout en nage… que c’est fatigant d’être laid… Si j’étais joli… il y a une heure que je serais prêt… Et je parie… oh ! je le parie, qu’après tout le mal que je me suis donné… Léonore ne sera pas contente… Parce qu’elle a deux ans de plus que moi, qu’elle a sept ans, qu’elle est grande fille, enfin… elle se croit tout permis… mais je sais bien ce que je ferai… je la rosserai… tant… tant… et tant… qu’elle finira par bien m’aimer…

— Joli moyen pour se faire aimer, Louis ! dit une jeune femme paraissant à la porte de la chambre.

— Dam, maman, c’est un moyen comme un autre, répondit Louis passant toujours la brosse sur sa tête avec la même intrépidité.

— Et qui t’apprêtes-tu à traiter avec des façons si courtoises ? dit la nouvelle arrivée.

— Léonore, dit Louis.

— Léonore, la nièce de l’électeur de Cologne ? demanda la jeune femme.

— Elle-même, affirma le petit garçon…

— Et pourquoi, mon enfant ?

— Parce qu’elle ne m’aime pas donc, répondit le petit sans hésiter.

— Et tu espères te faire aimer…

— À force de la battre, oui, dit Louis, achevant la phrase de sa mère.

— Écoute-moi, Louis, dit madame Beethoven s’avançant dans la chambre : si M. Stumer, ton maître d’écriture, que tu n’aimes pas extrêmement, te battait… beaucoup, l’aimerais-tu davantage ?

— Encore moins… dit Louis étourdiment.

— Alors… lui dit sa mère…

— Oui, maman : mais d’abord, Léonore n’a pas pour me détester le motif que j’ai, moi, pour ne pas aimer M. Stumer : je ne lui enseigne pas à écrire, moi ; je ne passe pas une heure tous les jours à lui dire : Ne raidissez pas vos doigts… tenez mieux votre plume… le corps éloigné de la table… ne faites pas aller vos coudes… ne remuez pas les mains… ce jambage est tordu, recommencez… ça n’est pas ça… recommencez encore… Si vous étiez mon fils, je vous mettrais au pain et à l’eau pendant quinze jours… Comme c’est amusant… je ne lui dis pas tout ça, moi, à Léonore : donc, elle n’a aucune raison pour ne pas m’aimer ; donc, il faut qu’elle m’aime…

— Ta, ta, ta… Mais, que fais-tu donc là, huché sur cette chaise ? lui dit la mère s’approchant tout à fait et s’apercevant alors seulement de l’occupation de son fils… Ah ! mon Dieu, ma pommade !…

— Dam, je me fais beau, répondit Ludovic sans s’émouvoir.

À ces mots, deux enfants, l’un de quatre ans, l’autre de trois, récemment entrés dans la chambre, partirent d’un éclat de rire, si net, si franc, que les larmes en vinrent aux yeux de Louis.

— Riez, riez, dit-il en colère : ris, Jean ; et toi aussi, Charles, ris donc : est-ce ma faute, à moi, si je suis laid, brun et crépu ? si je ne suis pas blanc, rose et blond comme vous, est-ce ma faute ?

— Non, mon pauvre Louis, dit la jeune mère, qui se reprochait d’avoir ri, et voulait par une douce caresse effacer cette fâcheuse impression causée sur son enfant !… non… d’ailleurs, tu n’es pas laid… quand tu es sage.

— Si, je suis laid… je le suis, dit Louis en pleurant, et c’est ce qui me fait pleurer ; et quand je pleure, je suis encore plus laid, je le sais encore : aussi personne ne m’aime.

— Et moi, Louis ? lui dit sa mère d’un ton de reproche et de tristesse.

— Vous, vous m’aimez parce que vous êtes ma mère, et que les mères sont obligées d’aimer toujours leurs enfants, répondit Louis… mais les autres… mais mademoiselle Simrok, mais Léonore…

— Léonore ne t’aime pas parce que tu la bats… Louis, lui dit Charles.

— Je la bats parce qu’elle ne m’aime pas, répliqua Louis, et je la battrai tant qu’elle finira par m’aimer…

— Comme si on aimait les gens qui vous font du mal, répliqua le plus petit des enfants qui pouvait à peine parler.

Dans ce moment M. Beethoven parut. Mais, pour bien faire comprendre ce qui va se passer, il est utile qu’au préalable je fasse le portrait au moral comme au physique de ce ténor, ainsi que celui de sa femme.