L’Encyclopédie/1re édition/BONNE DÉESSE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 323-324).

* BONNE DÉESSE, (Myth.) Dryade, femme de Faune, roi d’Italie, que son époux fit mourir à coups de verges, pour s’être enivrée, & à laquelle de regret il éleva dans la suite des autels. Quoique Fauna aimât fort le vin, on dit toutefois qu’elle fut si chaste qu’aucun homme n’avoit su son nom, ni vû son visage. Les hommes n’étoient point admis à célébrer sa fête, ni le myrte à parer ses autels. On lui faisoit tous les ans un sacrifice dans la maison, & par les mains de la femme du grand-prêtre. Les vestales y étoient appellées, & la cérémonie ne commençoit qu’avec la nuit : alors on voiloit les représentations même des animaux mâles ; le grand-prêtre s’éloignoit, emmenant avec lui tout ce qui étoit de son sexe. On prétend que c’étoit en mémoire de la faute & du châtiment de Fauna, qu’on bannissoit le myrte de son autel, & qu’on y plaçoit une cruche pleine de vin : le vin, parce qu’elle l’avoit aimé ; le myrte, parce que ce fut de branches de myrte qu’on fit la verge dont elle fut si cruellement foüettée pour en avoir trop bû. Les Grecs sacrifioient aussi à la bonne déesse, qu’ils appelloient la déesse des femmes, & qu’ils donnoient pour une des nourrices de Bacchus, dont il leur étoit défendu de prononcer le nom. Du tems de Cicéron, qui appelle les mysteres de la bonne déesse par excellence mysteres des Romains, Publius Clodius les profana en se glissant en habit de femme chez Jules César, dans le dessein de corrompre Mutia, sa femme. La déesse Fauna faisoit un double rôle en Italie ; c’étoit une ancienne reine du pays, & c’étoit aussi la terre : cette duplicité de personnage est commune à la plûpart des dieux du paganisme ; & voici la raison qu’on en lit dans le grand Dictionnaire historique. Dans les premiers tems tous les cultes se rapportoient à des êtres matériels, comme le ciel, les astres, la terre, la mer, les bois, les fleuves, qu’on prenoit grossierement pour les seules causes des biens & des maux. Mais comme le progrès de l’opinion n’a plus de bornes, quand celles de la nature ont été franchies, la vénération religieuse qu’on avoit conçûe pour ces êtres, s’étendit bien-tôt avec plus de raison aux personnes qui en avoient inventé le culte. Cette vénération augmenta insensiblement dans la suite des âges par l’autorité & le relief que donne l’antiquité : & comme les hommes ont toûjours eu le penchant d’imaginer les dieux semblables à eux, rien ne paroissant à l’homme, dit Cicéron, si excellent que l’homme même, on en vint peu-à-peu à diviniser les inventeurs des cultes, & à les confondre avec les divinités mêmes qu’ils avoient accréditées. C’est ainsi que la même divinité fut honorée en plusieurs endroits de la terre sous différens noms, sous les noms qu’elle avoit portés, & les noms des personnes qui lui avoient élevé les premiers autels ; & que Fauna fut confondue avec la terre, dont elle avoit introduit le culte en Italie. On l’appella aussi la bonne déesse, la déesse par excellence ; parce que la terre est la nourrice du genre humain, & que la plûpart des êtres ne tirent leur dignité que du bien ou du mal que nous en recevons.