L’Organisation De La Famille/2-3

La bibliothèque libre.

UNE FAMILLE-SOUCHE
DU LAVEDAN EN 1856

CHAPITRE III

DÉFINITION DU LIEU, DU TRAVAIL ET DE LA FAMILLE


§ 17

ÉTAT DU SOL, DE L’INDUSTRIE ET DE LA POPULATION

La commune de Cauterets, qu’habite la famille, est située dans le département des Hautes-Pyrénées par 42° 51′ de latitude nord, et par 2° 28′ de longitude ouest. Elle confine, sur une étendue de 20 kilomètres environ, à la frontière d’Espagne. Le sol, où les roches affleurent fréquemment au jour, se compose de schistes argileux de calcaires, de micaschistes et de granites. Il est traversé par de nombreuses sources d’eau thermale dont la température varie de 50° à 99° c.

Le terrain offre des différences de niveau considérables au-dessous de Cauterets, la pente moyenne du Gave est de 46 mètres par kilomètre. Ce bourg est à 971 mètres au-dessus du niveau de la mer ; les montagnes contiguës s’élèvent à 2,000 mètres : le Vignemale, point culminant de la commune, atteint 3,300 mètres. La neige couvre pendant six mois le pays, excepté les parties basses ou directement exposées au midi ; elle persiste toute l’année sur les hautes montagnes, dans les ravins profonds et sur les pentes exposées au nord. La température, qui s’élève accidentellement à 40° c. pendant l’été, sous l’influence du vent d’Espagne, ne comporte pas la culture de la vigne ; elle ne se prête même pas tous les ans à la complète maturité du maïs.

Le sol cultivable n’occupe qu’une faible étendue le cadastre de la commune se résume dans les chiffres suivants :

Propriétés privées :
Prairies basses et hautes (germs
 470 h. 23
15536 h. 25
Terres arables 
 57 19
Maisons, cours et terrains plantés 
 8 83
Propriétés appartenant aux sept communes-unies,
 dites de Saint-Savin :
Bois 
 5,156 45
15,220 83
Friches, rochers, landes, pâturages 
 10,064 38
Propriétés domaniales :
Grandes routes, places. 
 13 55
15,177 01
Rivières, lac. 
 163 46

Surface totale de la commune. 
 15,934 09

Les propriétés privées sont possédées et exploitées dans les conditions que la présente monographie fait connaître (§ 37). Quant aux biens communaux, ils forment deux groupes principaux. Le premier groupe, composé des montagnes contiguës au bourg de Cauterets et aux germs des paysans de la commune, est spécialement réservé aux troupeaux de ces derniers le second groupe, beaucoup plus étendu et comprenant toutes les montagnes situées entre le premier groupe et la frontière d’Espagne, sert pendant l’été au parcours des troupeaux émigrants appartenant aux six communes qui forment avec celle de Cauterets la communauté dite de Saint-Savin. Les forêts comprises dans ces territoires fournissent, par tolérance ou par maraude, aux paysans, outre les bois de chauffage et d’éclairage (§ 23), les matériaux nécessaires à la clôture des champs et des prairies.

La souche de la population se compose d’une cinquantaine de familles de paysans entre lesquelles se répartissent les terres et les prairies ci-dessus indiquées, et dont les plus aisés possèdent de 12 à 24 hectares. Chacune de ces petites propriétés offre ordinairement deux parties distinctes : 1° le domaine, comprenant la maison d’habitation, les granges ou étables d’hiver, la terre arable et les prairies basses, un filet d’eau courante et des arbres épars assez nombreux ; 2° le germ, situé à 600 mètres au-dessus du Gave, de 400 à 550 mètres au-dessus du domaine, et comprenant le reste des prairies, la grange ou étable d’été, avec une chambre pour l’habitation temporaire des bergers.

Le surplus de la population se compose de bûcherons et de charbonniers, de manœuvres et de domestiques fournissant aux paysans un supplément de main-d’œuvre, et surtout de personnes vivant plus ou moins directement des profits que donne le séjour des étrangers attirés en grand nombre, pendant la belle saison, par la réputation des eaux thermales.

Ces divers éléments de la population se trouvent dans les proportions indiquées ci-après :


Paysans travaillant exclusivement sur leurs domaines 372
Agriculteurs travaillant en partie pour le compte d’autrui 84
Bûcherons et charbonniers 172
Gens de métier, commerçants, porteurs, etc. 473
Propriétaires vivant principalement de la location de leurs maisons 173
Personnes appartenant aux professions libérales 102

Total 1,376


La famille décrite dans cette monographie appartient à la catégorie des paysans-propriétaires : son domaine est à 1 kilomètre et élevé de 50 mètres au-dessus du pont de Cauterets. Le germ est situé 550 mètres plus haut et à 3 kilomètres de ce même bourg.

La commune produit en froment, seigle, orge, millet, sarrasin et maïs, la moitié environ des céréales nécessaires à la nourriture des agriculteurs ; le surplus provient des plaines situées vers le nord. Les principaux produits sont les veaux, les agneaux, et, en moindre proportion, les chevaux ou les mulets. Pendant la saison des bains, les agriculteurs trouvent à Cauterets un débouché avantageux pour le lait, le beurre et les œufs.

Les célèbres eaux minérales de cette localité y attirent chaque année, pendant les dix semaines de la saison chaude, environ 12,000 étrangers. De là résulte une classe spéciale de bourgeois logeurs, d’aubergistes, de marchands, d’artisans, de loueurs de chevaux, de porteurs et de guides dont l’accroissement progressif tend à modifier l’ancien état d’équilibre de la population. Cette circonstance, favorisant une tendance naturelle vers l’indépendance, multiplie les petits ménages vivant momentanément des ressources offertes par les étrangers, et commence à détruire les anciennes communautés de famille. Cependant, sous l’influence de l’opinion locale et de la tradition, la plupart de ces communautés ont résisté jusqu’à ce jour aux influences émanant des baigneurs et de la loi civile la famille-souche décrite dans la présente monographie offre, sous ce rapport, un remarquable exemple de l’ancienne constitution sociale de cette région (§ 34).

§ 18

ÉTAT CIVIL DE LA FAMILLE

L’opinion publique a maintenu dans cette localité, et spécialement dans cette famille, une organisation fort différente de celle qui règne dans la majeure partie de la France. Le domaine de la famille conserve intégralement de génération en génération réunit, dans une complète communauté d’existence, tous les membres qui n’ont pas voulu s’établir au dehors (§ 33). Le bien est toujours transmis à l’aîné des enfants (garçon ou fille) ; le nom de famille est lui-même religieusement conservé et il est donné par la coutume au gendre qui épouse l’héritière de la maison (Ayrété). C’est ainsi que le chef de famille actuel, nommé Joseph Py, et qui est entré dans la maison en épousant l’héritière, est généralement connu sous le nom de Mélouga. Dans l’opinion de tous, ce même nom doit être invariablement attribué au possesseur de cette propriété ; il était donné à Pierre Dulmo, beau-père de Py qui était également entré dans la maison en épousant l’héritière ; enfin il est déjà attribué à Bernard Oustalet, marié à la fille aînée de Py, et qui, après la mort de ce dernier, deviendra à son tour chef de la communauté.

Le nom, l’âge et les relations de parenté des quinze membres de la communauté sont indiqués ci-après :

1. Joseph Py, dit Mélouga, maître de maison, veuf de Dominiquette Dulmo, précédente héritière. 74 ans
2. Savina Py, dite Mélouga, fille aînée de Joseph Py, maîtresse de maison depuis la mort de sa mère, héritière de la propriété, mariée depuis 19 ans, grosse de son huitième enfant. 45
3. Bernard Oustalet, dit Mélouga, mari de Savina, chef de famille, appelé à succéder à Joseph Py dans les fonctions de maître de maison. 60
4. Marthe Oustalet, dite Mélouga, fille aînée de Savina, future héritière. 18
5. Eulalie Oustalet, dite Mélouga, sœur jumelle de Marthe. 18
6. Germaine Oustalet, dite Mélouga, 3e fille de Savina. 16
7. Élisabeth Oustalet, dite Melouga, 4e fille de Savina. 14
8. Suzanne Oustalet, dite Mélouga, 5e fille de Savina. 12
9. Joseph Oustalet, dit Mélouga, 1er fils de Savina. 9
10. Dorothée Oustalet, dite Mélouga, 6e fille de Savina. 7
11. Jean Dulmo, dit Melouga, oncle de Savina, célibataire. 56
12. Marie Dulmo, dite Mélouga, tante de Savina, célibataire. 48
13. Jean-Pierre Py, dit Melouga, frère de Savina, célibataire. 38
14. Dominique Py, dit Mélouga, frère de Savina, maladif, célibataire. 32
15. Antoine R***, célibataire, étranger à la famille, engagé en qualité de berger-domestique (§ 19). 59

Depuis 1826, la communauté a doté et établi au dehors 10 de ses membres, savoir 2 fils de Pierre Dulmo, mariés à 30 et 28 ans ; 3 filles du même, mariées à 38, à 26 et à 34 ans ; Savina mariée à 26 ans en 1837 ; 1 fils de Joseph Py, marié à 29 ans ; enfin 3 autres filles du même, mariées à 24, à 25 et à 21 ans. Des renseignements analogues, recueillis pour la plupart des maisons de ce district, démontrent que l’on peut compter au moins sur une moyenne d’un mariage tous les quatre ans dans chaque famille, ou d’un jeune ménage établi annuellement par chaque groupe de 8 maisons, lorsque l’on tient compte des garçons qui se consacrent au service militaire, des jeunes gens des deux sexes qui entrent dans les ordres sacrés ou dans les communautés religieuses, et en général de ceux qui, par divers motifs, restent dans le célibat. Les jeunes gens qui s’établissent ainsi en dehors des communautés entrent dans l’une des catégories ci-dessus indiquées (§ 17) ; ils s’adonnent pour la plupart aux industries du bâtiment, à la confection des meubles, aux métiers de guides et de loueurs de chevaux, c’est-à-dire aux professions que multiplie chaque année l’affluence croissante des étrangers (§ 17). En l’absence de toute impulsion vers les colonies françaises, et au détriment de la nationalité, quelques jeunes émigrants, inspirés par l’exemple de la population des Basses-Pyrénées[1] commencent à s’acheminer vers l’Amérique du Sud. Ils s’établissent sur les territoires de Buenos-Ayres ou de Montevideo, et ils ne reviennent guère au pays natal.

§ 19

RELIGION ET HABITUDES MORALES

Toute la famille, élevée dans la religion catholique romaine, en observe régulièrement les pratiques. Les enfants reçoivent au catéchisme, dirigé par le curé, une instruction religieuse prolongée ; ils ne font guère la première communion avant 14 ans pendant l’hiver, à la fin de chaque veillée, la prière est faite en commun et récitée à haute voix. Tous les membres de la famille communient à Pâques ; plusieurs d’entre eux, les femmes particulièrement, à toutes les grandes fêtes. Le repos du dimanche est scrupuleusement observé mais le clergé accorde toutes les dispenses nécessaires pour les récoltes de foin et de céréales. Le maître de maison et son beau-frère Jean Dulmo sont membres d’une confrérie religieuse dite de Saint-Laurent, qui prend part, surtout dans les processions, à l’exercice du culte ; la maîtresse et sa tante Marie Dulmo sont affiliées à cette même confrérie. Le souvenir des parents morts est pieusement conservé ; des sommes considérables sont consacrées à faire dire des messes à leur intention.

Ces habitudes se lient à des mœurs fort recommandables ; le maître et la maîtresse exercent sur tous les membres de la famille l’autorité indispensable à la conduite des travaux et au maintien de l’ordre intérieur. Les enfants, voyant les membres de la communauté obéir à ses chefs en toute circonstance, s’habituent, dès leur plus jeune âge, à accorder aux supériorités sociales le respect à défaut duquel il ne peut y avoir de stabilité dans l’État. Mais, en même temps, les sentiments d’affection que développe la vie de famille contribuent à alléger, pour tous les subordonnés, le poids de cette autorité. Les enfants sont traités avec douceur, et l’on fait de grands sacrifices pour leur éducation ; nonobstant l’urgence des travaux confiés aux adultes, ils se livrent en toute liberté aux jeux de leur âge. On remarque que, sous l’influence de l’enseignement scolaire, les enfants sont devenus plus familiers avec la langue française que ne le sont les gens âgés, et qu’ils se servent moins exclusivement du patois local. Bien que les mariages soient peu précoces, les mœurs des jeunes gens sont exemplaires. Les membres de la famille qui gardent le célibat, et qui laissent dans la communauté la dot à laquelle ils auraient droit, sont traités avec beaucoup d’égards. Le domestique lui-même (§ 18) est logé, nourri et vêtu exactement comme un membre de la famille sa situation, qui est évidemment la conséquence d’anciennes habitudes (§ 34), est de tous points préférable à celle qui est faite maintenant aux domestiques dans la plupart des classes de la société française.

Les tendances religieuses du pays, fondées sur une foi traditionnelle, se maintiennent malgré le contact des étrangers (§ 17), par suite de l’influence dont le clergé jouit dans cette localité. L’événement le plus heureux que puisse désirer une famille est de faire arriver à la prêtrise un de ses enfants. Le jeune prêtre, en effet, renonce toujours, en faveur de l’aîné, à sa part de l’héritage ; il contribue ainsi à prolonger, pendant une nouvelle génération, la conservation intégrale du bien de famille. Souvent il apaise, par son ascendant, les dissentiments qui tendent à s’élever dans la communauté. Recruté dans la localité même, le clergé y est fortement imbu des opinions qui dominent chez les personnes les plus éclairées : il se persuade que le bien-être et la moralité des paysans sont intimement liés au maintien de la tradition en ce qui concerne la conservation intégrale des patrimoines ; l’une de ses constantes préoccupations est d’employer dans ce but l’influence dont il dispose (§ 33). Cette sollicitude pour un détail essentiel de la constitution économique du pays a les plus heureuses conséquences pour les paysans elle explique en partie pourquoi ce district a pu échapper jusqu’à ce jour au régime des partages forcés, propagé maintenant dans la majeure partie de la France.

Quelle que soit, au reste, la cause qui maintient dans cette localité le principe de la transmission intégrale des biens patrimoniaux, l’observation apprend tout d’abord que ce principe est, avec la religion et l’autorité paternelle, le premier mobile de cette population. Chaque famille y subordonne, en toutes circonstances, ses pensées et ses actes c’est le grand intérêt commun que les parents signalent, dès le plus jeune âge, au respect de leurs enfants c’est la préoccupation vers laquelle chacun se trouve constamment ramené par l’expérience même de la vie commune et par la pression de l’opinion locale.

§ 20

HYGIÈNE ET SERVICE DE SANTÉ

Presque tous les membres de la famille se distinguent par un large développement de force corporelle et par une santé robuste la taille du maître de maison est de 1m75 ; celle de la maîtresse est de 1m65. À 74 ans, le premier prend part encore à tous les travaux et fait au besoin assez lestement l’ascension du germ (§ 17). Les filles aînées, âgées de 18 ans, portent aisément sur les épaules et sur la tête, par des chemins difficiles, des charges de 80 kilogrammes. La fécondité des femmes, l’une des conséquences de la pureté des mœurs et l’une des causes principales de la prospérité des familles, paraît aussi devoir être attribuée à ce que les filles ne se marient qu’après avoir acquis tout leur développement physique (§ 18). La maîtresse actuelle de la maison a déjà 7 enfants vivants ; sa mère en a eu 12, et sa grand’mère 10. Dans plusieurs autres maisons de la commune la fécondité est encore plus grande.

Les indispositions et les maladies de la famille proviennent presque toutes de la suppression brusque de la transpiration, par suite des variations fréquentes de la température. C’est particulièrement à cette cause qu’il faut attribuer l’état maladif habituel d’un membre de la famille (§ 18). La population paraît donc agir judicieusement en résistant à l’introduction des étoffes légères à bon marché fournies par le commerce, et en conservant l’usage traditionnel de ses épaisses étoffes de fabrication domestique (§ 26).

La maîtresse de maison traite elle-même les rhumes et les autres indispositions au moyen d’infusions de plantes médicinales cultivées dans le jardin [§ 32 (3)]. Pour les maladies proprement dites, on a recours aux soins des médecins. Bernard Oustalet, chef de famille, est affilié à une société de secours mutuels établie à Cauterets. Celle-ci, moyennant une contribution annuelle de 6 francs, lui assure, au besoin, les secours de la médecine et de la pharmacie, avec une indemnité journalière de 1 fr. pendant la maladie et de 0 fr. 50 pendant la convalescence. La maison étant voisine du bourg (§ 17), ces soins s’étendent même, par tolérance, à la femme et aux enfants du sociétaire. Tous les autres membres de la famille sont traités, en cas de maladie, par un médecin qui reçoit à titre d’abonnement une rétribution annuelle de 7 fr., tant pour ses soins que pour la fourniture des médicaments.

Le tableau suivant signale la longévité des habitants de la commune de Cauterets et les âges auxquels se contractent habituellement les mariages :

NOMBRE DES INDIVIDUS DE CHAQUE ÂGE, DANS LA COMMUNE DE CAUTERETS
ÂGES SEXE MASCULIN
SEXE FÉMININ
Céliba-
taires.
Mariés. Veufs. Total. Céliba-
taires.
Mariés. Veufs. Total.

Au-dessous de 18 ans.
18 à ................. 22 —
22 à ................. 30 —
30 à ................. 40 —
40 à ................. 50 —
50 à ................. 60 —
60 à ................. 70 —
70 à ................. 80 —
80 à ................. 84 —

245
 31
 25
 21
 16
   9
   4
   3
   0

  »
  »
12
67
70
54
27
  9
  3

  »
  »
  »
  2
  4
  7
  4
  6
  3

245
 31
 37
 90
 90
 70
 35
 18
   6

276
  60
  48
  34
  18
   4
   4
   1
   0

  »
  4
29
68
77
42
18
  3
  1

    »
    »
    3
    3
  10
  18
  16
  11
    6

276
 64
 80
105
105
 64
 88
 15
  7

Totaux (1,376) 
354 242 226 622 445 242 267 754

Les infirmités sont assez rares et ne sont signalées que chez 4 individus du sexe masculin, savoir : 2 aliénés, 1 idiot et 1 sourd-muet.

§ 21

RANG DE LA FAMILLE

Propriétaire d’une habitation agréable jouissant, en raison de son existence frugale, d’une honnête aisance contribuant à accroître la force de l’État par ses nombreux rejetons (§ 18) et par sa production agricole [§ 32, (1) à (5) ] ; ayant toujours réussi, à chaque génération, à établir honorablement tous ceux de ses membres qui ont désiré sortir de la communauté (§ 33), la famille, caractérisée par le nom de Mélouga attaché à son domaine patrimonial, jouit dans le pays d’une considération méritée.

La nécessité de maintenir l’harmonie et d’exercer la direction dans une nombreuse communauté de parents et de domestiques donne naturellement aux chefs de maison la finesse, le discernement et l’esprit de conciliation, unis à une grande expérience des hommes et des choses. L’organisation sociale de cette vallée développe, par conséquent, chez les paysans la capacité administrative beaucoup plus que ne le fait ailleurs le régime d’isolement spécial à notre époque. Il existe donc, par exception, dans le personnel de cette localité, pour les besoins des administrations communales des ressources bien supérieures à celles que nos modernes institutions réclament ordinairement. En cas d’extension des attributions communales, notamment en ce qui concerne l’administration des forêts et des eaux thermales, on verrait surgir immédiatement, dans cette contrée fidèle à la tradition locale, des fonctionnaires préparés à remplir leurs devoirs. On restaurerait ainsi les mœurs que les tyrannies royales ou populaires ont fait oublier dans les localités où se sont introduites les idées dérivant fatalement du partage forcé des héritages.

On trouverait difficilement ailleurs des types de paysans-propriétaires représentant plus dignement les sociétés européennes, et, en particulier, la nationalité française.




  1. Paysan du Labourd (Basses-Pyrénées). Les Ouvriers des deux Mondes, t. Ier, p. 161.