Méditations/X

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Mercure de France (p. 35-36).

X


À chaque jour suffit sa peine.
Matthieu, c. vi, 34.


Il est une épargne aussi poignante que des sous dans la bourse d’une mère pauvre ; de l’eau dans le désert de Gobi ; du foin dans la mangeoire d’un âne. C’est l’épargne de la douleur. Ce pain, qui ne diminue pas quand nous y mordons, non plus que celui de Dieu, remplit, jusqu’à la mort, nos bissacs. Mais il s’agit de ne s’en nourrir que peu à peu, tâchant à chaque jour d’oublier que la portion du lendemain est nécessaire et prête. Car ce pain est d’une telle amertume que si, à l’avance, nous voyions quelle part en a été dévolue à chacun, eh bien, chacun tomberait en angoisse et n’en pourrait prendre une miette, cependant que Notre-Seigneur le mangea tout entier au Jardin des Olives, et le nôtre avec le sien. Que si tu essayes de t’abstenir de cet aliment, son âpreté se reporte à quelque autre mets tellement qu’il faut te raviser. La croûte de ce pain est de cet or que les pauvres ne possédèrent point et dont les poètes bâtirent, en songe, Bagdad, ce qui rend plus pénible aux uns et aux autres le coup de dent.