Mélancolie (Woinez)
I
Pour la première fois quand les feuilles paraissent ;
Quand tout s’ouvre au plaisir, les hommes et les fleurs
L’homme aux brûlantes nuits que ses rêves caressent,
La fleur aux frais baisers des errantes vapeurs ;
Quand les blancs agnelets, de l’étable qu’ils laissent,
Courent, en bondissant, comme frères et sœurs,
À la colline verte où leurs troupeaux s’engraissent
Avant d’aller tomber aux sacrificateurs ;
Quand tout avec amour de lumière s’abreuve,
Heureux et respirant cette existence neuve
Que la nature épanche à flots voluptueux,
Oh ! dites-moi pourquoi ma pauvre âme s’affaisse,
Et loin de se livrer à la commune ivresse,
S’épouvante à l’aspect de tant de cœurs joyeux ?
II
Ne vous est-il jamais entré dans la pensée
Devant cet univers si rempli de beauté,
Que cela dut un jour mourir de vétusté
Ainsi qu’une maison par ses maîtres laissée ?
Au milieu de la valse étourdie, insensée[1],
Où la passion vole, ivre de volupté,
D’une ronde de morts, a finir empressée,
N’avez-vous pas cru voir le galop emporté ?
Pour moi, je sens venir des larmes à mon âme,
Quand je vois tant de vie à ces beaux corps de femme.
Car je me dis : leurs jours sont comme ces flambeaux ;
Court sera leur éclat, ils passent comme l’onde,
Et le temps qui détruit chaque chose du monde,
Leur crie : Allez finir le bal dans vos tombeaux !
Ainsi, toute douleur se traduit de ta joie,
Flot murmurant du monde, insensé tourbillon !
Dans les larmes toujours ton sourire se noie.
Toujours l’ombre s’élève à côté du rayon !
Marcherons-nous sans cesse en cette même voie ?
Nous faudra-t-il longtemps fendre encor ce sillon ?
Et chaque doux parfum que la nature envoie,
Ne nous doit-il venir que mêlé de poison ?
Oh ! si c’est là le sort des choses de la terre,
Que rien n’y soit réel, et que tout, comme verre,
S’y brise entre les mains de qui veut le saisir,
Enlevez-moi, seigneur, où vraie[2] est toute chose,
Où la douleur n’est point à côté du plaisir,
Où le poison n’est pas un soupir de la rose !