Mélange d’histoire (Renan)/Histoire de l’instruction publique en Chine

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Calmann-Lévy (p. 353-388).

HISTOIRE
DE
L’INSTRUCTION PUBLIQUE EN CHINE[1]



I.


De toutes les nations asiatiques, la Chine est celle dont les institutions, au moins dans leur mécanisme extérieur, offrent avec la civilisation européenne les rapports les plus remarquables. Les découvertes de la science moderne sur d’autres parties de l’Orient n’ont fait que signaler à notre connaissance un ordre de vie intellectuelle et sociale entièrement différent de celui des nations occidentales. Au contraire, les premières recherches dont la Chine fut l’objet semblèrent révéler une autre Europe, et les explorations des sinologues du XIXe siècle n’ont fait que montrer des analogies encore plus profondes. Je n’entends point seulement parler ici des inventions isolées où ce peuple semble nous avoir devancés, mais dont l’identité avec celles des modernes est plus ou moins contestable, bien qu’elles attestent au moins une direction semblable des esprits. On est sans doute plus frappé de retrouver en Chine, et cela dès la plus haute antiquité, plusieurs de nos institutions, notre système administratif, notre forme générale de gouvernement et de société, une histoire, en un mot, conduite par des mobiles analogues à ceux qui dirigent la nôtre, tandis que les idées européennes sont si étrangement dépaysées en s’appliquant aux autres peuples de l’Asie. La Chine est en quelque sorte une Europe non perfectible : elle a été dès son enfance ce qu’elle devait être à jamais, et telle est la raison de son infériorité. Elle n’a pas eu l’avantage de commencer par la barbarie et de ne posséder d’abord que le germe de son développement ultérieur, sauf à conquérir la perfection par de longs efforts. De là cette têtue médiocrité qui ôte à sa vie toute couleur tranchée, et qui, l’élevant du premier coup bien au-dessus de notre barbarie primitive, la retint ensuite si loin en arrière de notre civilisation actuelle.

Ces ressemblances de la civilisation chinoise avec celle de l’Europe moderne ne sont nulle part plus frappantes que dans le système d’instruction publique qu’elles ont l’une et l’autre adopté. C’est à peine si nous trouvons chez nos ancêtres immédiats dans l’ordre de l’esprit, je veux dire les Grecs et les Romains, quelque trace des institutions qui règlent l’instruction chez les peuples modernes. L’école était le plus souvent, chez eux, individuelle et privée ; l’éducation physique et morale avait seule un caractère officiel. Du reste, nul grade, nul concours reconnu par l’État et constituant un titre ou du moins une condition à la nomination aux fonctions publiques. L’idée des universités est une des plus originales qu’aient eues les nations occidentales, une de celles qu’elles ont tirées le plus exclusivement de leur propre fond. Et pourtant, longtemps avant notre ère, on trouve chez les Chinois un système analogue, établi sur le principe d’une instruction autorisée, d’un corps conférant des grades valables aux yeux de l’État et servant pour l’admission aux charges du gouvernement. Ce système, ils l’ont même appliqué d’une manière bien plus large que ne l’ont fait les peuples de l’Europe, et il lui ont donné une extension qui, à nos yeux, ne saurait être qu’un excès.

L’histoire de l’origine et des vicissitudes successives de ce système d’instruction publique à travers les diverses dynasties qui se sont succédé sur le trône de la Chine a fourni à M. Édouard Biot le sujet d’un livre à la fois savant et utile, non moins précieux pour ceux qui s’occupent des questions d’instruction publique que pour le sinologue et l’historien. Ce dernier genre d’intérêt a principalement dirigé l’auteur. Son livre est avant tout un livre d’érudition, destiné au savant qui fait de la littérature chinoise l’objet d’une étude spéciale. Celui qui ne cherche que les résultats peut d’abord regretter que, au lieu de présenter ses conclusions dégagées des travaux qui l’y ont amené, l’auteur ait préféré donner l’analyse des documents chinois qui servent de base à son ouvrage. Mais l’ensemble qui sort de ces riches détails, l’assurance que donne aux recherches scientifiques l’appui des pièces originales, les aperçus généraux qui se trouvent semés au milieu des citations savantes, compensent abondamment ce que cette forme pourrait avoir de moins attrayant pour certains lecteurs. L’écrivain, qui, obligé de choisir entre l’utilité de la science et la curiosité d’un public superficiel, a le courage de préférer la première, ne mérite sans doute que des éloges.

Deux faits principaux, spécialement intéressants pour les nations européennes, nous semblent mis en lumière dans l’ouvrage de M. Édouard Biot. D’une part, le système des concours décidant de l’admission aux fonctions publiques, de l’autre, le choix d’un certain nombre d’auteurs anciens servant de base à l’éducation intellectuelle et morale, constituent les traits les plus caractéristiques de l’instruction publique en Chine. À chacun de ces deux sujets se rapporteront les deux articles que nous consacrerons à l’examen de l’ouvrage de M. Biot.

Les traditions conservées sur les plus anciennes dynasties chinoises font déjà mention d’établissements d’instruction publique, fondés et soutenus par l’État. Ces établissements étaient à la fois des collèges pour l’éducation de la jeunesse, des prytanées pour les vieillards, des athénées de musique, où l’on réunissait les aveugles, qui, devenus inhabiles à la vie active, étaient chargés de cultiver cet art. La poésie, la danse, la musique, les exercices militaires formaient alors, comme à l’enfance de toutes les sociétés, l’objet de l’éducation. « Ceux qui instruisaient le prince héritier et les gradués littéraires, dit le Li-ki, devaient observer les saisons de l’année. Au printemps et en été, ils enseignaient les danses avec la plume et la flûte[2]. Au printemps, on récitait des airs ; en été, on jouait des instruments à corde. L’intendant de la musique donnait cet enseignement dans la salle d’honneur des aveugles. En automne, on étudiait les rites ; en hiver, on lisait les livres sous la direction des préposés à l’étude des livres. L’enseignement des rites avait lieu dans la salle d’honneur des aveugles ou musiciens ; l’étude des livres avait lieu dans le collège supérieur. »

Un autre chapitre du Li-ki contient des détails très-curieux sur l’éducation de cette époque reculée : « À six ans, on enseigne à l’enfant les nombres (1, 10, 100, 1000, 10000), les noms des côtés du monde (l’orient, l’occident, le midi, le nord). À sept ans, le garçon et la fille ne s’assoient pas sur la même natte ; ils ne mangent pas ensemble. À huit ans, pour entrer et sortir à la porte de la maison, pour se placer sur la natte, pour boire et pour manger, les enfants doivent passer après les personnes plus âgées. On commence à leur apprendre à céder le pas et à montrer de la déférence. — À neuf ans, on leur apprend à distinguer les jours. À dix ans, ils sortent et s’appliquent aux occupations extérieures. — Ils demeurent un certain temps hors de la maison. Ils étudient l’écriture et le calcul… Pour les rites, le maître commence, et les enfants suivent ses mouvements. Ils interrogent ceux qui sont plus âgés, ils s’exercent à tracer les caractères sur des planches de bambou, et à prononcer. — À treize ans, ils étudient la musique ; ils lisent à haute voix les chants en vers. Ils dansent la danse tcho. Quand ils ont quinze ans accomplis, ils dansent la danse siang. Ils apprennent à tirer de l’arc et à conduire un char. — À vingt ans, le jeune homme prend le bonnet viril ; il commence à étudier les rites… Il exécute la danse ta-hia. Il pratique sincèrement la piété filiale et l’amour fraternel ; il étend ses connaissances, mais il n’enseigne pas. Il se renferme en lui-même, et ne se produit pas au dehors. — À trente ans, il a une épouse ; il commence à accomplir les devoirs de l’homme. Il continue ses études, mais sans s’assujettir désormais à une règle rigoureuse ; s’il y a un sujet qui lui plaise, il l’étudie. Il se lie avec des amis ; il compare la pureté de leurs intentions. — À quarante ans, il commence à entrer dans les offices publics de second ordre ; selon la nature des affaires, il émet des propositions, il produit ses observations. Si les ordres des supérieurs sont conformes à la bonne règle, alors il remplit son devoir et obéit ; s’ils ne le sont pas, alors il se retire. — À cinquante ans, il reçoit les insignes supérieurs, il devient préfet, et entre dans les affaires de premier ordre. — À soixante-dix ans, il quitte les affaires. »

La suite de ce curieux fragment nous apprend que l’éducation des femmes était dès lors ce qu’elle fut toujours depuis en Chine, c’est-à-dire fort négligée. « La fille, à l’âge de dix ans, ne sort plus de la maison. L’institutrice lui apprend à être polie et décente, à écouter et obéir. La fille s’occupe à filer le chanvre ; elle travaille la soie et en tisse diverses sortes d’étoffes… Elle a l’inspection sur les sacrifices (c’est-à-dire sur les repas) ; elle apporte le vin, les sucs extraits, les paniers et les vases de terre. Pour les cérémonies des rites, elle aide à placer les objets qui sont offerts. »

Dès l’ancienne dynastie des Tcheou, qui commence environ 1200 ans avant l’ère vulgaire, on voit déjà apparaître en germe le système des concours littéraires, qui devait par la suite constituer un trait si remarquable de l’éducation et du gouvernement de la Chine. Ce peuple a toujours été pénétré de cette idée que la culture intellectuelle constitue le droit le plus naturel aux places de l’État, et que le concours légal est l’indice le plus sûr du mérite. Les souverains paraissent continuellement préoccupés de rechercher les hommes les plus dignes des emplois publics, d’en tenir un compte fidèle, d’en demander l’indication aux gouverneurs des provinces. L’hérédité des charges, bien qu’elle ait par intervalles dominé en Chine, y a toujours été considérée comme un abus, contre lequel les souverains et les lettrés ont réuni leurs efforts. Ce fut cette hérédité qui, s’établissant sous les derniers souverains de la dynastie Tcheou, hâta leur décadence et leur chute définitive, et transforma la Chine d’abord en une féodalité, puis en une fédération également contraires aux anciens principes. Alors paraît Confucius, qui essaye de ramener ses compatriotes aux traditions primitives, enseigne la centralisation du pouvoir, unit la cause des lettrés à celle de la monarchie, et dépose sa doctrine, ou plutôt la tradition dont il se porte comme l’organe, dans ces livres célèbres qui, sous le nom de King, sont devenus pour la Chine les classiques par excellence et les bases de l’éducation. Ses disciples se multiplient peu à peu et se constituent en association ; Meng-Tseu, le plus célèbre d’entre eux, consolide l’œuvre du maître, et ainsi se trouve établie la corporation des lettrés, qui va désormais jouer dans l’histoire un rôle si important. Les premiers souverains qui régnèrent de nouveau sur la Chine réunie en monarchie ne semblèrent pas comprendre la communauté de leur cause avec celle des lettrés. Ce fut le premier d’entre eux, le célèbre conquérant Thsin-chi-Hoang, qui ordonna de brûler tous les exemplaires des livres de Confucius et avec eux les autres ouvrages anciens qui se trouvaient répandus dans l’empire, et de réduire au silence leurs admirateurs. Mais ce ne fut là qu’un orage passager ; il eut pour causes l’esprit novateur de ce prince, qui voulait que la civilisation de la Chine datât de son règne, et aussi la liberté des lettrés, lesquels usaient largement du droit qui leur fut légalement accordé à certaines époques de critiquer les actes du gouvernement. Dès les premiers temps de la dynastie des Han, les rois se rallient à la corporation puissante dont les principes étaient si bien d’accord avec leurs vues politiques. « La création des concours et l’adoption des King comme base de l’enseignement moral et littéraire, dit M. Édouard Biot, furent des actes de pure politique de la part des empereurs de la dynastie Han. Obligés de lutter contre les princes apanagés de leur propre maison et contre les familles de leurs grands officiers qui réclamaient l’hérédité des charges, ils apprirent que les livres de Confucius condamnaient cette hérédité, recommandaient expressément la centralisation de l’autorité entre les mains du souverain, et conseillaient l’appel public au mérite pour le choix des officiers. De tels principes devaient leur plaire, et ils devaient accueillir ceux qui les professaient comme des auxiliaires utiles dans la lutte où ils étaient engagés. Ils furent donc conduits par leur propre intérêt à favoriser l’influence des lettrés ; ils consentirent aisément à laisser ceux-ci régler les conditions qui pouvaient leur procurer de bons officiers et les délivrer de l’hérédité des charges. Dans des circonstances extraordinaires, ils essayèrent plusieurs autres moyens d’appel au mérite. Ils admirent aux places supérieures de bons employés secondaires, et plus de professeurs que d’officiers sortirent de leur grand collège ; mais le principe de l’entrée aux hautes charges par la voie des concours fondés par la connaissance des King fut établi nettement sous cette dynastie. »

La faveur des lettrés commença à décroître vers la fin du IIe siècle de notre ère, en même temps que la splendeur de la dynastie qui les avait exaltés. Les sectateurs du Tao (disciples de Lao-Tseu), qui, dans toute la suite de l’histoire, se montrent les rivaux des lettrés classiques (disciples de Confucius), obtiennent un crédit fatal à l’enseignement des King : les eunuques, d’ailleurs, profitant de la faiblesse des souverains, font succéder le régime de la faveur à celui des concours. De là des rivalités, des complots chez les lettrés, des persécutions sanglantes de la part de leurs ennemis. L’anarchie et les guerres qui désolèrent la Chine du IIIe au VIe siècle achevèrent de perdre la tradition des bonnes études. Les efforts des Souï et des Thang ne réussirent qu’imparfaitement à les relever. Une autre cause depuis le VIIIe siècle nuisit considérablement au bon effet des anciennes institutions. Ce fut la lutte des deux ministères, le ministère des rites et celui des offices. Le premier fut investi à cette époque de la direction supérieure des examens et des concours, qui avait appartenu jusque-là au ministère des offices. Néanmoins, le ministère des offices resta investi du droit de présentation aux places vacantes de l’administration. De là un conflit perpétuel de pouvoirs entre les deux ministères. « Ces deux départements administratifs, dit Ma-touan-lin, opérèrent sans accord, de sorte que des hommes gradués par le département des rites n’étaient pas admis à gérer les charges publiques, tandis que d’autres qu’ils n’avaient pas reçus furent investis des charges par le département des offices. » — « Parmi les gradués portés sur les listes du ministère des rites, dit-il ailleurs, il n’y en avait pas un sur dix qui réussît à se faire agréer pour une charge par le ministère des offices. »

La dynastie des Soung (960-1200) fut la dynastie lettrée par excellence. Les collèges impériaux sont rétablis, les concours sont remis en honneur et décident presque seuls de l’admission aux charges publiques. Les épreuves supérieures se passent devant l’empereur en personne ; Confucius est honoré dans un pavillon particulier sous le nom de « roi souverain de la diffusion des principes réguliers ». Néanmoins, plusieurs orages passagers troublèrent encore cette florissante période. Tantôt ce furent les disciples de Lao-Tseu ou les sectateurs de Fo (bouddhistes)[3], qui essayèrent de remplacer le rationalisme de Confucius, les premiers par le mysticisme et la théurgie, les seconds par un système mythique ; tantôt on eut à lutter contre les innovations du ministre Wang-Ngan-Chi, qui entreprit de changer les principes de l’enseignement et de l’interprétation des King, et dont la méthode, anathématisée par les lettrés de la pure doctrine, reprit faveur à diverses reprises. Souvent aussi les souverains se montrèrent mécontents du tour trop littéraire donné à des études qui avaient pour objet de fournir à toutes les fonctions civiles et militaires. Néanmoins la corporation des lettrés resta puissante, et toutes les nations tartares qui entamèrent à cette époque le territoire de l’empire ou qui se trouvèrent en contact avec la civilisation chinoise, se hâtèrent d’adopter l’institution des concours. Kublaï et les souverains mongols qui régnèrent sur la Chine après les Soung se montrèrent, il est vrai, peu favorables à ce système, qui eût conféré à la nation conquise une trop grande part dans le gouvernement. Les grades littéraires ne purent donner accès qu’aux places inférieures, et encore les candidats mongols avaient-ils un visible avantage sur les indigènes. Mais, aussitôt qu’une nouvelle dynastie chinoise eut remplacé cette dynastie conquérante, on vit revivre les anciennes institutions, et, lorsque les Mantchoux imposèrent de nouveau à la Chine une domination étrangère, ils respectèrent l’ordre établi, ordre qui est encore aujourd’hui une des bases de la constitution chinoise. De graves abus, toutefois tels que l’histoire en présente lors de la décadence de chaque dynastie, se sont introduits dans la direction des concours. L’achat des grades, la substitution trop souvent tolérée des candidats, la faveur achetée à prix d’argent, les irrégularités du ministère des offices, qui est loin de ne considérer dans la distribution des emplois que le titre littéraire, sont autant de plaies qui ont porté atteinte à cette antique institution nationale. « Il résulte de l’aperçu de la situation actuelle, dit M. Biot, qu’il existe des germes de désunion entre les Mantchoux, qui ont le pouvoir suprême, et la vaste corporation des lettrés chinois, qui est répandue dans tout l’empire… Des sociétés secrètes, formées par les lettrés, comptent beaucoup d’adhérents dans diverses provinces de la Chine ; mais probablement elles ne se sentent pas encore assez fortes pour agir à découvert, puisqu’elles n’ont pas profité de l’attaque des Anglais. Il est certain que les Mantchoux redoutent ces sociétés et les poursuivent activement. Aujourd’hui le gouvernement semble aussi gêné dans ses finances qu’en 1826 et 1828, où la vente des charges fut légalement autorisée pour subvenir aux frais de la guerre contre le Turkestan. S’il n’a pas mis de nouveau les grades littéraires à l’encan, il a fait quêter chez les gens riches pour payer le prix de la paix obtenue des vainqueurs. L’empereur est âgé, et son successeur désigné est encore très-jeune. On peut donc présumer qu’il y aura dans quelque temps une collision des deux partis, semblable à celle qui se termina, il y a près de cinq cents ans, par l’expulsion des Mongols ; mais on ne peut savoir au juste quand la pusillanimité des lettrés chinois sera poussée à bout par la fiscalité mantchoue. »

Ces résultats historiques, quel que soit leur intérêt, ne sont pas les plus importants qui ressortent du livre de M. Édouard Biot. Le tableau d’un système d’instruction publique aussi original, n’ayant subi depuis des siècles que des modifications peu considérables, fait naître des réflexions également importantes, et pour celui qui recherche les lois de l’esprit humain, et pour celui qui veut en appliquer la connaissance à l’œuvre si difficile de l’éducation.

Le principe fondamental du système chinois est l’uniformité de l’éducation littéraire, intellectuelle, morale et même spéciale, en entendant par cette dernière celle qui est destinée à donner à chacun les connaissances de la profession qu’il est appelé à remplir. Ce principe, qui chez nous n’est appliqué que jusqu’à une certaine limite, l’est en Chine de la manière la plus absolue. Nous voulons, en effet, que tout homme appelé à une carrière libérale possède ce fonds commun d’instruction qui constitue à nos yeux la culture intellectuelle. Antérieurement aux études spéciales, nous exigeons une base de connaissances générales, les mêmes pour tous ; mais, au-dessus d’une certaine limite, nous permettons les spécialités aux différentes carrières et même aux différentes branches de l’enseignement. Ainsi ne l’ont point compris les Chinois. L’administrateur, le magistrat, le lettré, le soldat même, bien que cette dernière profession ait été souvent exceptée, doivent passer par les mêmes degrés de bachelier (sieou-tsaï), licencié (kiu-jin), docteur (tsin-sse), pour arriver aux hautes fonctions de leur ordre. Cette institution semblerait inexplicable, si l’on ne se rappelait que le travail littéraire n’a de valeur aux yeux de ce peuple que comme exercice intellectuel et moral. Les King sont pris pour base de l’éducation, parce qu’on les envisage comme le répertoire de toute sagesse et comme les sources nécessaires où il faut puiser la connaissance des rites ou du cérémonial antique, qui forme presque seul la morale chinoise. « L’instruction littéraire n’est donnée dans les écoles que comme moyen de connaître les principes du grand maître, dont l’étude assidue doit apprendre à chaque homme à perfectionner à la fois sa moralité et sa tenue extérieure. En constituant l’éducation du peuple sur cette base, les lettrés ont attaché à la tenue extérieure et aux pratiques du cérémonial de la vie ordinaire une importance qui nous paraît étrangement exagérée dans nos idées européennes. Il nous semble même qu’ils ont enchéri à cet égard sur l’habitude des écoles de la cour des Tcheou, où l’on enseignait les six sciences usuelles, savoir la musique, l’écriture, l’arithmétique, le cérémonial, l’art de tirer de l’arc et l’art de conduire un char. Sous les Han, les textes ne parlent plus que de l’enseignement des King dans les écoles de la cour et dans celles des districts. Cette étude paraît répondre à tous les besoins de la vie générale. » Le mérite littéraire est, en effet, aux yeux des Chinois, inséparable de la vertu privée. Être habile dans les King, pratiquer la piété filiale ou fraternelle, être fidèle à ses amis, être versé dans le cérémonial, sont pour eux des termes synonymes de la profession de lettré. Souvent, il est vrai, les études ont dégénéré de cet esprit ; le mérite littéraire a été seul considéré ; les candidats ont préféré la calligraphie, le beau style, la facilité de composition en style vulgaire, ou même des connaissances spéciales dans telle ou telle branche, à l’étude des principes de morale et d’administration contenus dans les King. Mais cette conduite a toujours été considérée comme un abus ; elle a été de la part des empereurs l’occasion de plusieurs édits de réforme. La connaissance des institutions nationales, la morale, la science politique et administrative étant ainsi rattachées à l’étude des King, on comprend comment celle-ci a pu devenir l’objet exclusif de l’éducation préparatoire à toutes les fonctions de l’État, et comment le fondateur de la dynastie des Ming, par exemple, refusait de créer des collèges inférieurs pour l’instruction littéraire des militaires, disant qu’il ne concevait qu’un seul système d’éducation applicable à toutes les carrières. Des esprits sages, tels que Ma-touan-lin, au XIVe siècle de notre ère, déclarent ouvertement qu’il n’est pas très-convenable d’apprécier le mérite des candidats aux emplois administratifs par leur unique mérite littéraire. Mais l’école de Confucius a vaincu tous les obstacles, et, en obligeant les aspirants aux fonctions publiques sans distinction à passer d’abord par l’étude des King, elle a enchaîné l’esprit chinois dans le respect des anciens usages et lui a inspiré une aversion invincible pour les innovations.

Le concours littéraire est donc en Chine la voie naturelle pour parvenir aux diverses fonctions de l’État. Il est même remarquable que les grades n’y sont point seulement comme chez nous des conditions nécessaires à l’exercice de ces fonctions, mais qu’ils y donnent un certain droit et mettent d’eux-mêmes le gradué sur la liste des éligibles. On pourrait les rapprocher sous ce rapport de notre agrégation plutôt que de nos grades universitaires. Les concours ne sont pas, il est vrai, les seules voies pour parvenir aux emplois publics. Nous avons vu que de fait la faveur et la vénalité infligent à la règle de trop fréquentes exceptions ; il existe même d’autres voies légales, comme le passage par les emplois subalternes, et la protection pour les fils d’officiers supérieurs. Néanmoins le principe général n’en demeure pas moins établi, bien que les empereurs mantchoux, à diverses reprises, en aient senti les abus. Il arrive en effet trop souvent que les lettrés actuels étudient beaucoup plus les arguties du style des concours que les idées morales et politiques contenues dans les ouvrages de Confucius. En 1726, Young-Tching suspendit les études littéraires de la province de Tche-Kiang, parce que les candidats s’occupaient de pure littérature au lieu d’étudier les principes de la morale et de l’administration. « On doit se souvenir, dit-il, qu’en subventionnant les lettrés, l’État n’a pas pour but d’exciter le talent littéraire, qui est inutile, mais d’inspirer au peuple le respect qu’il doit aux princes et aux ancêtres. » Ce fut par un motif semblable que Kia-King, le prédécesseur de l’empereur actuel, refusa en 1800 d’autoriser l’établissement de collèges et de concours littéraires dans les provinces de Tartarie, parce que, dit-il dans son rescrit, ces provinces doivent avant tout conserver les habitudes et l’esprit militaires.

L’obtention des grades littéraires et l’admission aux fonctions publiques, ou, comme l’on dit, au titre de « membre du gouvernement », étant devenues le but unique de l’éducation, on a vu naître tous les abus qui se produisent chaque fois que l’on substitue dans la culture intellectuelle une fin trop pratique à la recherche désintéressée de la science. Ainsi l’usage exclusif des manuels, la préparation mécanique et dirigée uniquement en vue du concours, sont, à ce qu’il paraît, le défaut des bacheliers en Chine comme dans bien d’autres pays. En outre, l’âge des candidats n’étant pas limité, ceux-ci continuent indéfiniment à se présenter, et souvent ils réussissent à un âge trop avancé pour remplir convenablement les fonctions qui exigent de l’activité. C’est ce qui sert au moins de prétexte pour tolérer le rachat pécuniaire des examens, et ce qui amène souvent les magistrats à compenser par leurs exactions, dans l’exercice de leur charge, les dépenses qu’ils ont dû faire pour l’obtenir.


II.


L’éducation officielle dont nous venons de décrire les principaux caractères est celle qui se donne dans les collèges annexés au palais de l’empereur ou distribués dans les provinces. Au-dessous de ces collèges se trouvent d’innombrables établissements d’instruction primaire, lesquels ont un caractère privé, et ne relèvent du gouvernement que par l’inspection à laquelle ils sont soumis. Toutes les relations s’accordent du reste à témoigner que l’instruction élémentaire est très-répandue en Chine.

L’admission dans les collèges impériaux est assujettie à certains examens ; ce qui fait de cette admission un premier titre littéraire. Les élèves sont subventionnés par l’État ; en sorte que de tels établissements correspondent exactement à ce que nous appelons les « écoles du gouvernement. » Ces collèges ont été de la part des empereurs l’objet d’innombrables édits. Vers eux se sont toujours portés les premiers soins des fondateurs de dynastie, et ils ont ressenti le contre-coup de toutes les révolutions. On comprend, en effet, d’après ce qui précède, qu’ils tiennent au fond même de l’édifice de l’État.

Quant aux règlements particuliers qui concernent les différents grades, ils offrent avec les nôtres de frappantes ressemblances. Les grades sont au nombre de trois, correspondant à nos titres de bachelier, licencié, docteur. La première épreuve se compose uniquement d’examens oraux, la seconde de compositions écrites. Les questions se tirent au sort[4] ; les plus grandes précautions sont prises pour constater l’identité des candidats et cacher leurs noms à l’examinateur ; ce qui n’empêche pas qu’il ne se passe de nombreuses supercheries au su ou à l’insu des juges du concours. Il est sévèrement interdit aux candidats d’apporter aucun livre ; les aspirants au doctorat peuvent seuls s’aider de quelques dictionnaires dans leur composition de poésie. Mais les éditions en petit format, très-répandues en Chine, et plus encore les larges manches des candidats déjouent sous ce rapport toutes les précautions, et c’est ce qui a porté les inspecteurs sévères à demander la suppression absolue dans l’empire de ces sortes de formats. — Les épreuves de licence n’ont lieu que dans les capitales de province ; elles durent plusieurs jours, et leur résultat est proclamé avec beaucoup de solennité.

Les matières de ces trois examens sont à peu près les mêmes quant à la nature des sujets, et ne diffèrent que quant à la difficulté. Un des documents les plus curieux de l’ouvrage de M. Edouard Biot est un programme ou questionnaire pour la licence qu’il a analysé et traduit, et qui est très-propre à nous faire comprendre la portée des études chinoises. Voici les principaux sujets, dont chacun donne lieu à plusieurs questions : Astronomie ou cosmographie ; — Morale ; — Science critique et histoire littéraire des King, de leurs commentaires, de leurs éditions ; — Histoire littéraire et critique des auteurs classiques et de leur commentaires ; — Critique des livres erronés ou qui ne renferment qu’une part de vérité ; — Histoire : critique des différents historiens ; parallèle des plus célèbres d’entre eux ; de la manière d’écrire l’histoire en général ; — Jugements sur le style des différentes époques ; — Histoire de l’enseignement ; règlements qui le régissent ; — Étude des caractères et de la prononciation ; — Musique ; — Droit politique et civil ; administration, économie politique ; — Questions d’utilité publique actuelle.

À diverses reprises, les empereurs ont ordonné par leurs édits d’insister sur les questions politiques, et, ce qui peut nous paraître plus singulier, de demander aux candidats des dissertations sur les affaires du temps. La médecine, l’astronomie (astrologie) et le calcul ont eu presque toujours des écoles spéciales, en dehors de l’enseignement libéral, parce que ces études sont envisagées par les Chinois comme de simples professions. Les sciences furent de la part des empereurs mongols l’objet d’une protection particulière. Quant aux exercices militaires, ils faisaient primitivement partie de l’éducation commune à tous ; ils furent plusieurs fois rétablis au même titre ; d’autres empereurs séparèrent profondément l’éducation civile et l’éducation militaire, et créèrent des grades militaires à côté des grades civils.

Les concours et les grades littéraires ne sont pas le seul trait de ressemblance qui existe entre le système d’instruction publique des Chinois et celui des nations européennes. Le choix identique des moyens d’éducation adoptés de part et d’autre constitue une autre analogie non moins remarquable. De même, en effet, que les nations européennes se sont accordées à donner pour base à l’instruction de la jeunesse, non point l’étude de la langue moderne, au moins dans son état contemporain, mais l’étude des langues et des littératures anciennes, ainsi que d’un certain nombre d’auteurs représentant un autre âge de la langue moderne ; de même les Chinois n’ont jamais fait consister l’éducation dans l’étude du style vulgaire, mais dans la connaissance de ces monuments antiques dont la forme est si différente de celle qui est maintenant usitée. Les King sont les classiques de la littérature chinoise. Ces ouvrages sont écrits dans une langue plus ancienne et tellement différente de l’usuelle, que M. Abel Rémusat ne craignait pas de dire que le chinois vulgaire est peut-être plus éloigné du chinois littéral que celui-ci ne l’est du latin et du français[5]. Cette langue ancienne est, en outre, d’une concision désespérante, sans caractères alphabétiques, d’une structure imparfaite, dénuée de formes grammaticales rigoureusement définies, et, par toutes ces raisons, d’une obscurité que les commentaires peuvent à peine dissiper ; ce qui la rend inaccessible au vulgaire. On peut d’abord s’étonner que les Chinois aient choisi comme moyen d’éducation des textes dont l’étude paraît être de si peu d’usage dans la vie ordinaire. Le style moderne, en effet, est clair et facile. « Ici, dit M. Rémusat, tous les rapports sont marqués, toutes les nuances sont exprimées, les sujets ne sont plus sous-entendus, ni les particules de nombre ou de temps abandonnées à la sagacité du lecteur ou de l’auditeur. Les mots groupés en forme de polysyllabes, les substantifs affectés de désinences spéciales, les conjonctions et les prépositions soigneusement mises à leur place, les adverbes distingués par des terminaisons, une foule d’auxiliaires et de mots analogues aux particules tant séparables qu’inséparables dans les verbes allemands, une construction enfin toujours conforme à l’ordre naturel des idées, font du chinois familier la plus claire comme la plus facile de toutes les langues »[6].

Pourquoi donc n’avoir pas choisi cet idiome, qui semble réunir à une plus grande perfection l’avantage d’être l’instrument du commerce ordinaire de la vie ? C’est exactement l’objection qu’on entend répéter tous les jours contre les langues classiques, et qui, bien que superficielle, ne laisse pas d’être en apparence l’expression de ce qu’on a coutume d’appeler le bon sens ou l’esprit positif. Ne serait-ce point déjà une raison pour s’en défier, puisqu’il est rare que ces difficultés trop apparentes tiennent devant une discussion sévère ? On peut le croire. Mais, sans faire à l’opinion que nous combattons un reproche de sa prétendue évidence, opposons-y du moins un fait bien remarquable, je veux dire le choix par lequel les Chinois ont fait de leur langue ancienne la base de l’éducation pour toutes les professions et toutes les conditions, et cela sans obéir à aucun motif religieux. En effet, cette langue et cette littérature anciennes sont, à leurs yeux, beaucoup moins sacrées que classiques. Confucius est pour eux non l’objet d’un culte religieux, mais d’un culte philosophique et littéraire. C’est comme exercice intellectuel et comme leçon de morale que l’étude des King a paru aux Chinois propre à servir de fondement à l’éducation. « La double difficulté qu’il faut vaincre pour les lire et en comprendre le sens est supposée exercer au plus haut degré les diverses facultés de l’esprit. L’inégalité du succès dans leur explication, constatée par des concours réguliers, sert comme une sorte de caractère spécifique pour marquer la portée de l’intelligence et désigner le rang auquel chacun peut légitimement atteindre dans les emplois publics pour l’utilité de l’État. » À diverses époques, il est vrai, l’étude du style antique fut négligée et on y substitua les modèles écrits en style moderne ; mais ces innovations eurent toujours de fâcheux effets pour la culture intellectuelle et morale, et, au lieu de la gravité, de la modestie que les anciens candidats puisaient dans l’étude des King, on n’eut plus que des esprits légers et futiles, sans sérieux et sans principes. De même pourtant que chacune des nations européennes a bientôt ajouté aux auteurs anciens une classe d’auteurs modernes, mais non contemporains, qu’une forme plus sévère et je ne sais quel vernis d’antiquité ont déjà consacrés ; de même les Chinois ont associé aux King un certain nombre d’ouvrages d’une date relativement récente, et se sont ainsi constitué un second ordre de classiques. Tous les faits d’ailleurs qui ont coutume de se produire autour de livres placés au panthéon littéraire se sont manifestés dans la manière dont les King ont été traités par les lettrés. Critique scrupuleuse des textes, innombrables commentaires, admiration sans réserve, culte pour les auteurs ; rien ne leur a manqué de ce qui constitue la religion classique. Ce fait d’une langue ancienne choisie comme objet principal de l’éducation, et concentrant autour d’elle les efforts littéraires d’une nation qui s’est depuis longtemps formé un nouvel idiome, n’est pas du reste particulier à la Chine. C’est le fait général des langues classiques, lequel dérive, non pas, comme on voudrait le faire croire, d’un choix arbitraire, mais bien d’une des lois les plus générales de l’histoire des langues, loi qui ne tient en rien au caprice ni aux opinions littéraires de telle ou telle époque. C’est mal comprendre le rôle et la nature des langues classiques que de donner à cette dénomination un sens absolu et de la restreindre à un ou deux idiomes, comme si c’était par un privilège essentiel et résultant de leur constitution qu’ils fussent prédestinés à être l’instrument d’éducation de toutes les races. L’existence des langues classiques est un fait universel de linguistique, et le choix de ces langues, de même qu’il n’a rien d’absolu pour tous les peuples, n’a rien d’arbitraire pour chacun d’eux.

L'Histoire générale des langues a depuis longtemps amené les savants à constater ce fait, que, dans tous les pays où s’est produit quelque mouvement intellectuel, deux couches de langues se sont déjà superposées, non pas en se chassant brusquement l’une l’autre, mais la seconde sortant par d’insensibles transformations de la poussière de la première. Partout une langue ancienne a fait place à un idiome vulgaire, qui ne constitue pas à vrai dire une langue différente, mais plutôt un âge différent de la langue qui l’a précédée ; celle-ci plus savante, plus synthétique, chargée de flexions exprimant les rapports les plus délicats de la pensée, plus riche même dans son ordre d’idées, bien que cet ordre d’idées fût comparativement plus restreint ; le dialecte moderne, au contraire, correspondant à un progrès d’analyse, plus clair, plus explicite, séparant ce que les anciens assemblaient, brisant les mécanismes de l’ancienne langue pour donner à chaque idée et à chaque relation son expression isolée. Peut-être le mot d’analyse n’est-il pas le plus exact pour exprimer cette marche des langues ; on pourrait même en s’y arrêtant trouver quelques exceptions apparentes à la lui dont il s’agit. Ainsi l’arménien moderne a beaucoup plus de syntaxe et de construction synthétique que l’arménien antique, qui pousse très-loin la dissection de la pensée. De même on ne peut dire que le chinois moderne soit plus analytique que le chinois ancien, puisqu’au contraire les flexions y sont plus riches, et que l’expression des rapports y est plus rigoureuse. Mais ce qui est absolument général, c’est le progrès en détermination, et, par suite, en clarté. Les langues modernes correspondent à un état plus réfléchi de l’intelligence et à une conscience beaucoup plus distincte ; les langues anciennes tiennent encore de la spontanéité primitive, où l’esprit confondait tous les éléments dans une confuse unité et perdait dans le tout la vue analytique des parties[7].

Quel que soit, du reste, le procédé qui préside à la décomposition et à la succession des langues, cette succession est en elle-même un fait incontestable, et l’on pourrait à peine citer une partie considérable de l’ancien monde civilisé où deux langues ne se soient ainsi remplacées l’une l’autre. Si nous parcourons, par exemple, les diverses branches de la famille indo-germanique, tout d’abord, au-dessous des idiomes de l’Inde, nous trouvons le sanscrit. Le sanscrit, avec son admirable richesse de formes grammaticales, ses huit cas, ses six modes, ses désinences nombreuses et ces formes de mots variées qui énoncent, avec l’idée principale, une foule de notions accessoires, représente une sorte d’âge d’or du langage. Mais bientôt ce riche édifice se décompose. Le pâli, qui signale son premier âge d’altération, est empreint d’un remarquable esprit d’analyse. « Les lois qui ont présidé à la formation du pâli, dit M. Eugène Burnouf[8], sont celles dont on retrouve l’application dans d’autres idiomes ; ces lois sont générales, parce qu’elles sont nécessaires… Les inflexions organiques de la langue mère subsistent en partie, mais dans un état évident d’altération. Plus généralement, elles disparaissent, et sont remplacées, les cas par des particules, les temps par des verbes auxiliaires. Ces procédés varient d’une langue à l’autre, mais le principe est toujours le même ; c’est toujours l’analyse, soit qu’une langue synthétique se trouve tout à coup parlée par des barbares qui, n’en comprenant pas la structure, en suppriment et en remplacent les inflexions, soit que, abandonnée à son propre cours et à force d’être cultivée, elle tende à décomposer et à subdiviser les signes représentatifs des idées et des rapports, comme elle décompose et subdivise sans cesse les idées et les rapports eux-mêmes. Le pali paraît avoir subi ce genre d’altération ; c’est du sanscrit, non pas tel que le parlerait une population étrangère pour laquelle il serait nouveau, mais du sanscrit pur, s’altérant et se modifiant lui-même à mesure qu’il devient populaire, » — Le prâcrit, qui représente le second âge d’altération de la langue ancienne[9], est soumis à des lois analogues : d’une part, il est moins riche, de l’autre plus simple et plus facile. Le kawi enfin, autre corruption du sanscrit, mais formé sur une terre étrangère, participe aux mêmes caractères. « Si je devais présenter une opinion sur l’histoire du kawi, dit Crawfurd, je dirais que c’est le sanscrit privé de ses inflexions, et ayant pris à leur place les prépositions et les verbes auxiliaires des dialectes vulgaires de Java. Nous pouvons facilement supposer que les Brahmanes natifs de cette île, séparés du pays de leurs ancêtres, ont, par insouciance ou ignorance, essayé de se débarrasser des inflexions difficiles et complexes du sanscrit, par les mêmes raisons qui ont porté les barbares à altérer le grec et le latin, et à former le moderne romaïque et l’italien[10] » — Mais ces trois langues elles-mêmes, formées par dérivation du sanscrit, éprouvent bientôt le même sort que leur mère. Elles deviennent à leur tour langues mortes, savantes et sacrées, le pali dans l’île de Ceylan et l’Indo-Chine, le prâcrit chez les Djainas, le kawi dans les îles de Java, Bali et Madoura, et à leur place s’élèvent dans l’Inde des dialectes plus populaires encore, l'hindoustani, le bengali et les autres idiomes vulgaires de l’Indoustan, doni le système est beaucoup moins savant[11].

Dans la région intermédiaire de l’Inde au Caucase, le zend, le pehlvi, le parsi[12] ou persan ancien, sont remplacés par le persan moderne. Or le zend, par exemple, avec ses mots longs et compliqués, son manque de prépositions et sa manière d’y suppléer au moyen de cas formés par flexions, représente une langue éminemment synthétique.

Dans la région du Caucase, l’arménien et le géorgien modernes succèdent à l’arménien et au géorgien antiques. En Europe, l’ancien slavon, le gothique, le nordique se retrouvent au-dessous des idiomes slaves et germaniques. Enfin, c’est de l’analyse du grec et du latin, soumis au travail de décomposition des siècles barbares, que sortent le grec moderne et les langues néo-latines. Les langues sémitiques présentent une marche analogue. L’hébreu, leur type le plus ancien, montre une tendance marquée à accumuler l’expression des rapports, et souvent il les laisse dans l’indétermination. « Les Hébreux, semblables aux enfants, dit Herder, veulent tout dire à la fois. Il leur suffit presque toujours d’un seul mot où il nous en faut cinq ou six. Chez nous, des monosyllabes inaccentués précèdent ou suivent en boitant l’idée principale ; chez les Hébreux, ils s’y joignent comme proclitique ou comme son final, et l’idée principale reste dans le centre, semblable à un roi puissant que ses serviteurs et ses valets entourent de près, formant avec lui un seul tout, lequel se produit spontanément dans une harmonie parfaite[13] ». Or l’hébreu disparaît à une époque reculée pour laisser dominer seuls le chaldéen, le samaritain, le syriaque, le rabbinique, dialectes plus analysés, plus longs, plus clairs aussi quelquefois. Mais l’arabe, de son côté, est trop savant pour l’usage vulgaire de peuples illettrés. Les peuples conquis par les premiers khalifes ne peuvent en observer les flexions délicates et variées, le solécisme se multiplie et devient de droit commun, au grand scandale des grammairiens ; on y obvie en abandonnant les flexions et en y suppléant par le mécanisme plus commode de la juxtaposition des mots. De là, à côté de l’arabe littéral, qui devient le domaine exclusif des écoles, l’arabe vulgaire, d’un système beaucoup plus simple et moins riche en formes grammaticales. Les notations de cas, l’expression des modes par les terminaisons du futur, l’usage de la voix passive pour chaque forme verbale, la distinction des genres dans plusieurs circonstances, mille autres nuances ont disparu, et la langue semble rentrer dans l’ancien cercle sémitique, au delà duquel elle avait fait, en sa forme savante, une si brillante excursion.

Les langues de l’extrême Orient présentent un phénomène analogue dans la superposition du chinois ancien et du chinois moderne ; les idiomes malais, dans cette langue ancienne à laquelle Marsden et Crawfurd ont donné le nom de grand polynésien, qui fut autrefois la langue de la civilisation de Java, et que Balbi appelle « le sanscrit de l'Océanie[14] ». Les faits que nous venons de citer suffisent pour établir en loi générale que chacune des langues modernes a son antécédent antique, ou plutôt n’est que la transformation d’une langue ancienne, qui a servi d’instrument à la pensée dans un autre âge[15].

Mais que devient la langue ancienne ainsi expulsée de l’usage vulgaire par le nouvel idiome ? Son rôle, pour être changé, n’en est pas moins remarquable. Si elle cesse d’être l’intermédiaire du commerce habituel de la vie, elle devient la langue savante et presque toujours la langue sacrée du peuple qui l’a décomposée. Fixée d’ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle reste le partage des savants, la langue des choses de l’esprit, et il faut d’ordinaire des siècles avant que l’idiome moderne ose à son tour sortir de la vie vulgaire, pour se risquer dans l’ordre des choses intellectuelles. Elle devient en un mot classique, sacrée, liturgique, termes corrélatifs suivant les divers pays où le fait se vérifie, et désignant des emplois qui ne vont pas d’ordinaire l’un sans l’autre. Chez les nations orientales, par exemple, où le livre antique ne tarde jamais à devenir sacré, c’est toujours à la garde de cette langue savante, obscure, à peine connue, que sont confiés les dogmes religieux et la liturgie. Le sanscrit chez les Hindous, le pâli chez les bouddhistes, le kawi à Java et dans l’île de Bali, le zend et le pehlvi chez les Parsis, le tibétain chez les Mongols, l’hébreu chez les juifs, le samaritain, le mendaïte ou nazoréen, le copte chez les sectes du même nom ; le chaldéen chez les Syriens orientaux, le syriaque chez les Maronites, le grec chez les Abyssins, l’arabe dans toutes les régions musulmanes, l’arménien, le géorgien anciens, dans les pays où ces dialectes furent jadis vulgaires, sont l’idiome d’une liturgie, d’un livre sacré ou d’une version vénérée à l’égal d’un livre sacré, et constituent l’objet presque exclusif des études, réduites dans ces contrées à l’ordre sacerdotal. C’est une loi générale, en effet, que la langue liturgique et sacrée ne soit pas la langue vulgaire[16].

Une autre cause a dû contribuer à maintenir chez les nations chrétiennes de l’Orient le culte de la langue ancienne. La plupart de ces nations n’ont commencé à cultiver leur langue, souvent même à l’écrire, que par suite de l’introduction du christianisme. Leur premier ouvrage a d’ordinaire été une version de la Bible, que l’antiquité a entourée aux yeux du peuple d’un prestige de sainteté, et qui d’ordinaire a sa légende miraculeuse. C’est à la forme fixée par cette première littérature que la nation demeure dans la suite invariablement attachée. Les peuples de l’Orient, en effet, n’ont d’ordinaire été déterminés à écrire que par un motif religieux. Les Arméniens, les Géorgiens, les Syriens, les Éthiopiens[17] n’ont guère eu de littérature que depuis le christianisme et sous son influence. Le Tibet n’a connu les lettres que par suite de l’introduction du bouddhisme.

Le même fait se reproduit, avec des modifications profondes, chez les nations occidentales. L’ancien slavon sert de langue liturgique à l’Église russe, et constituait avant Pierre le Grand l’organe unique de la littérature. Les traditions mythologiques de l’Edda sont consignées dans l’ancien nordique, et maintenant encore le grec et le latin servent de langues sacrées et liturgiques à des cultes chrétiens, Mais les langues anciennes étaient destinées chez ces nations à un rôle plus étendu et plus universel. Ce qui est langue sacrée pour les Orientaux, lesquels ne conçoivent la science que sous la forme religieuse, devient langue classique chez les nations européennes. À vrai dire, ces deux rôles ne sont pas distincts : ce sont deux manières, accommodées au génie divers des peuples, d’être la langue des choses de l’esprit ; et ce serait même se tromper que de considérer une de ces deux fonctions comme excluant l’autre. En effet, la langue antique, qui, chez les Occidentaux, est surtout classique, y est quelquefois sacrée, et réciproquement la langue sacrée des Orientaux joue souvent chez ces nations le rôle de classique. En un mot, soit sous forme de langue sacrée, soit sous forme de langue liturgique, soit sous forme de langue classique, qu’elle se réfugie dans les temples ou dans les écoles, ou dans les uns et les autres, la langue antique, après sa disparition de l’usage vulgaire, n’en reste pas moins l’organe de la religion, de la science, souvent même des rapports civils et politiques, c’est-à-dire de tout ce qui s’élève au-dessus de la sphère des idées ordinaires. De là, chez les Orientaux, l’existence universelle de deux langues, l’une vulgaire, abandonnée au caprice de l’usage populaire, l’autre littérale, depuis longtemps fixée et seule ayant le privilège d’être écrite. C’est ainsi que l’arabe littéral et le gheez, par exemple, s’emploient dans les lois, dans les ordonnances, dans toutes les pièces officielles. Les Arabes, même dans leurs lettres particulières, se rapprochent beaucoup du style littéral ; tant il est vrai que ces peuples se figurent la langue savante seule comme susceptible d’être écrite.

Ce n’est pas que la langue vulgaire ne puisse aussi, du moins en Europe, arriver à s’ennoblir et à toucher aux choses de l’esprit. L’esprit européen, bien plus fécond que l’esprit asiatique, a su animer de nouveau les débris de son analyse, et se créer de nouvelles formes après avoir brisé les formes anciennes. Toutefois, lors même que la langue vulgaire s’est ainsi élevée à la dignité de langue savante et littéraire, la langue ancienne n’en conserve pas moins son caractère sacré. Elle subsiste comme un monument nécessaire à la vie intellectuelle du peuple qui l’a dépassée, comme une forme antique dans laquelle devra parfois venir se mouler la pensée moderne, pour retrouver sa force et sa discipline.

C’est donc un fait général de l’histoire des langues que chaque peuple trouve sa langue classique dans les conditions mêmes de son histoire, et que ce choix n’a rien d’arbitraire. C’est un fait encore que, chez les nations peu avancées, tout l’ordre intellectuel est confié à cette langue, et que, chez les peuples où une activité intellectuelle plus énergique s’est créé un nouvel instrument mieux adapté à ses besoins, la langue antique conserve un rôle grave et religieux, celui de faire l’éducation de la pensée et de l’initier aux choses de l’esprit.

La langue moderne, en effet, étant toute composée de débris de l’ancienne, il est impossible de la posséder d’une manière scientifique, à moins de rapporter ces fragments à l’édifice primitif, où chacun d’eux avait sa valeur véritable. L’expérience prouve combien est imparfaite la connaissance des langues modernes chez ceux qui n’y donnent point pour base la connaissance de la langue antique dont chaque idiome moderne est sorti. Le secret des mécanismes grammaticaux, des étymologies, et par conséquent de l’orthographe, étant tout entier dans le dialecte ancien, la raison logique des règles de la grammaire est insaisissable pour ceux qui considèrent ces règles isolément et indépendamment de leur origine. La routine est alors le seul procédé possible, comme toutes les fois que la connaissance pratique est recherchée à l’exclusion de la raison théorique. On sait sa langue comme l’ouvrier qui emploie les procédés de la géométrie sans les comprendre sait la géométrie. Formée, d’ailleurs, par dissolution, la langue moderne ne saurait donner quelque vie aux lambeaux qu’elle essaie d’assimiler, sans revenir à l’ancienne synthèse pour y chercher le cachet qui doit imprimer à ces éléments épars une nouvelle unité. De là son incapacité à se constituer par elle-même en langue littéraire, et l’utilité de ces hommes qui durent, à certaines époques, faire son éducation par l’antique et présider, si on peut le dire, à ses humanités. Sans cette opération nécessaire, la langue vulgaire reste toujours ce qu’elle fut à l’origine, un jargon populaire, né de l’incapacité de synthèse et inapplicable aux choses intellectuelles. Non que la synthèse soit pour nous à regretter. L’analyse est quelque chose de plus avancé, et correspond à un état plus scientifique de l’esprit humain. Mais, seule, elle ne saurait rien créer. Habile à décomposer et à mettre à nu les ressorts secrets du langage, elle est impuissante à reconstruire l’ensemble qu’elle a détruit, si elle ne recourt pour cela à l’ancien système, et ne puise dans le commerce avec l’antiquité l’esprit d’ensemble et d’organisation savante. Telle est la loi qu’ont suivie dans leur développement toutes les langues modernes. Or les procédés par lesquels la langue vulgaire s’est élevée à la dignité de langue littéraire sont ceux-là mêmes par lesquels on peut en acquérir la parfaite intelligence. Le modèle de l’éducation philologique est tracé dans chaque pays par l’éducation qu’a subie la langue vulgaire pour arriver à son ennoblissement.

L’utilité historique de l’étude de la langue ancienne ne le cède point à son utilité philologique et littéraire. Le livre sacré pour les nations antiques était le dépositaire de tous les souvenirs nationaux ; chacun devait y recourir pour y trouver sa généalogie, la raison de tous les actes de la vie civile, politique, religieuse. Les langues classiques sont, à beaucoup d’égards, le livre sacré des modernes. Là sont les racines de la nation, ses titres, la raison de ses mots et par conséquent de ses institutions. Sans elle, une foule de choses restent inintelligibles et historiquement inexplicables. Chaque idée moderne est entée sur une tige antique ; tout développement actuel sort d’un précédent. Prendre l’humanité à un point isolé de son existence, c’est se condamner à ne jamais la comprendre ; elle n’a de sens que dans son ensemble. Là est le prix de l’érudition, créant de nouveau le passé, explorant toutes les parties de l’humanité ; qu’elle en ait ou non la conscience, l’érudition prépare la base nécessaire de la philosophie.

L’éducation, plus modeste, obligée de se borner et ne pouvant embrasser tout le passé, s’attache à la portion de l’antiquité qui, relativement à chaque nation, est classique. Or ce choix, qui ne peut jamais être douteux, l’est pour nous moins que pour tout autre peuple. Notre civilisation, nos institutions, nos langues sont construites avec des éléments grecs et latins. Donc le grec et le latin, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, nous sont imposés par les faits. Nulle loi, nul règlement ne leur a donné, ne leur ôtera ce caractère qu’ils tiennent de l’histoire. De même que l’éducation chez les Chinois et les Arabes ne sera jamais d’apprendre l’arabe ou le chinois vulgaire, mais sera toujours d’apprendre l’arabe ou le chinois littéral ; de même que la Grèce moderne ne reprend quelque vie littéraire que par l’étude du grec antique ; de même l’étude de nos langues classiques, inséparables l’une de l’autre, sera toujours chez nous, par la force des choses, la base de l’éducation. Que d’autres peuples, même européens, les nations slaves par exemple, les peuples germaniques eux-mêmes, bien que constitués plus tard dans des rapports si étroits avec le latinisme, cherchent ailleurs leur éducation, ils pourront s’interdire une admirable source de beauté et de vérité ; au moins ne se priveront-ils pas du commerce direct avec leurs ancêtres ; mais, pour nous, ce serait renier nos origines, ce serait rompre avec nos pères. L’éducation philologique ne saurait consister à apprendre la langue moderne, l’éducation morale et politique, à se nourrir exclusivement des idées et des institutions actuelles ; il faut remonter à la source et se mettre d’abord sur la voie du passé, pour arriver par la même route que l’humanité à la pleine intelligence du présent.

  1. Essai sur l’histoire de l’instruction publique en Chine et de la corporation des lettres, par M. Édouard Biot. Paris, 1847.
  2. Sortes de danses où les danseurs tenaient à la main une plume ou une flûte.
  3. Fo n’est qu’une abréviation de Fo-tho, transcription chinoise du nom de Bouddha.
  4. La forme seule du tirage est un peu différente de la nôtre. Les séries de questions sont écrites sur des planchettes rangées les unes à côté des autres ; les concurrents tirent des flèches jusqu’à ce qu’ils en aient touché une : on appelle cela « tirer sur la planchette ». « Ce fut une idée analogue, dit Ma-touan-lin, qui plus tard fit couvrir de colle les noms des candidats pour empêcher les recommandations et les intrigues. » — Telles étaient au moins les formes autrefois usitées. Le second usage subsiste encore ; je ne sais si le premier a été modifié.
  5. Recherches sur les langues tartares. page 119.
  6. Recherches sur les langues tarrtares, loc. cit.
  7. De là cette loi, en apparence singulière, que les langues des peuples les moins avancés sont précisément les plus compliquées. V. Frédéric Schlegel, Philosophische Vorlesungen insbes. über Phil. der Sprache, 3e  leçon, p. GH.
  8. Essai sur le pali de MM. Burnouf et Lasseu, p. 140-141.
  9. Essai sur le pali, p. 158-159.
  10. Cf. Asiat. Researches, vol. XIII, Calcutta, 1820, p. 161. — Voyez surtout W. de Humboldt : Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java, t. II, § 1, etc.
  11. L’hindoustani, par exemple, n’a plus que six cas et deux nombres. Sa conjugaison est beaucoup moins riche que celle du sanscrit, et il n’a plus de flexions pour exprimer diverses relations, comme celle du comparatif.
  12. Le parsi est encore parlé par les Guèbres, mais seulement entre eux ; car pour tout l’usage vulgaire ils prennent la langue du pays où ils vivent.
  13. Histoire de la poësie des Hebr. premier dial.
  14. Atlas ethnographique, tabl. xxiii.
  15. L’écriture présente une marche analogue, l'hiéroglyphisme ayant précédé l'alphabétisme. Tant il est vrai que la complexité se retrouve bien plutôt que la simplicité au début de l’esprit humain.
  16. Souvent même elle est complètement ignorée de ceux qui en répètent les sons avec un respect traditionnel, en leur attribuant encore une eflicacité surnaturelle. C’est ainsi que le copte et le zend ont été à certains moments presque entièrement ignorés des sectes religieuses qui s’en servent dans leur liturgie. Cf. Abel Rémusat, Rech. sur les langues tartares, p. 161, 371.
  17. Cf. Ludolfi, Historia œthiopica, I. IV. c. i. init.