Mélanges/Tome I/22

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imprimerie de la Vérité (Ip. 61-62).

L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET LA MINORITÉ PROTESTANTE


27 octobre 1881


Pas un seul de nos lecteurs, nous en sommes bien convaincu, ne se serait jamais imaginé que la minorité protestante de la province de Québec est mécontente de la position qu’elle occupe par rapport à l’éducation. Il nous semble que s’il y a une question sur laquelle tout le monde soit d’accord, c’est bien celle-ci : La majorité catholique de la province de Québec s’est montrée, en matière d’éducation, extrêmement généreuse à l’égard de la minorité protestante. Nous avons toujours cru que notre conduite vis-à-vis des protestants de cette province offre un singulier contraste avec la conduite que les protestants des provinces maritimes tiennent à l’endroit de nos coreligionnaires.

Et les catholiques d’Ontario, ne seraient-ils pas enchantés d’occuper une position aussi avantageuse que celle que nous avons faite à la minorité protestante du Bas-Canada ?

Telle a toujours été notre manière de voir et nous la pensons partagée par tous les catholiques de la Confédération.

Il paraît, cependant, qu’il n’en est rien, que la minorité protestante est fort maltraitée dans la province de Québec, que la majorité catholique se montre tyrannique au dernier point. C’est, du moins, le Witness, de Montréal, qui nous l’apprend, dans un article fort menaçant, insolent et agressif. L’organe du fanatisme termine son étrange écrit en disant que les protestants sont tolérants mais qu’il y a une limite à la patience humaine.

Nous n’avons pas eu le temps d’étudier tous les prétendus griefs du comité protestant du Conseil de l’instruction publique que le Witness fait connaître en publiant des mémoires échangés entre le comité protestant et le comité catholique. Mais parmi ces griefs il y en a un qui est évidemment futile. Le comité protestant soutient gravement que tous ceux qui ne sont pas catholiques doivent être considérés comme protestants, qu’ils soient déistes, athées, musulmans ou païens, peu importe ! Le Witness et ses amis font consister le protestantisme dans l’opposition à l’Église catholique. Singulière doctrine, en vérité, qui enlève au protestantisme toute existence per se. D’après la théorie de ces messieurs, s’il n’y avait pas d’Église catholique, il n’y aurait pas de protestantisme, lequel n’est pas quelque chose mais la simple négation de quelque chose. Nous savions bien que c’était là, en effet, la véritable essence du protestantisme, mais nous croyons que c’est la première fois que les protestants eux-mêmes l’admettent aussi carrément et qu’ils se placent, de propos délibéré, sur un pied d’égalité avec les athées.

Le Witness et le comité protestant reprochent au comité catholique de persister tyranniquement à vouloir considérer le protestantisme comme différent de l’athéisme !

Si les autres griefs du comité protestant ne sont pas plus sérieux que celui-là, il est peu probable que les autorités y fassent beaucoup d’attention.

Le Witness doit savoir que les questions religieuses passionnent facilement les esprits et qu’il fait une œuvre anti-patriotique en les discutant sur un ton aussi acrimonieux.

Il compte sans doute sur les divisions politiques qu’il constate parmi nos compatriotes, et sur le désir qui anime les catholiques de vivre en harmonie avec leurs frères séparés, pour faire accepter sa manière de voir, quelque extravagante qu’elle soit ; mais qu’il n’y compte pas trop, qu’il n’abuse pas outre mesure de la longanimité des catholiques. S’il pousse ses exigences trop loin, il pourrait se réveiller quelque bon matin en face des catholiques de la Province de Québec et de toute la Confédération canadienne unis comme un seul homme, du moins sur les questions religieuses.