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Mélanges/Tome I/49

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imprimerie de la Vérité (Ip. 152-155).

À PROPOS DE MAUVAIS LIVRES


27 octobre 1881


Il y a quelque temps le percepteur des douanes à Toronto, M. Patton, a saisi un certain nombre de volumes de Paine et de Voltaire. Ces deux auteurs, on le sait, étaient de francs impies et leurs ouvrages ont fait un mal presque incalculable dans le monde. Les livres confisqués sont peut-être ce qu’il y a de plus détestable parmi les œuvres de ces deux mauvais écrivains.

L’acte du percepteur des douanes a été vivement discuté par la presse. Plusieurs journaux l’ont blâmé fortement, entre autres le Globe. Nous ne savons pas si la loi permet à un percepteur des douanes de faire ce que M. Patton a fait, mais nous sommes parfaitement persuadé d’une chose, c’est qu’elle devrait permettre la saisie d’ouvrages semblables. S’il y a un doute, M. Patton a bien fait de donner le bénéfice du doute à la cause de la moralité publique.

Le Globe est un journal de parti quand même, et pour lui tout ce que le gouvernement ou ses agents font est nécessairement mauvais. Il n’y a par conséquent aucun lieu de s’étonner de ses attaques contre le percepteur des douanes de Toronto.

Mais ce qui a lieu de nous surprendre, c’est de voir des journaux, qui veulent passer pour catholiques, et qui se fâchent tout rouge lorsqu’on est obligé de leur dire qu’ils ne le sont pas, appuyer fortement la position insoutenable prise par le Globe. L’Union de St-Hyacinthe s’est signalée dans cette circonstance d’une manière qui ne lui fait pas honneur. Voici ce que dit notre confrère :


À travers les traits sarcastiques qu’il (le Globe) décoche au gouvernement pour sa sollicitude intempestive, il y a plusieurs vérités bonnes à recueillir. Réellement, dit-il, nous tombons en plein dans le domaine de l’absurdité. Le temps où une autorité, soit civile ou ecclésiastique, pouvait contester à tout homme le droit naturel qu’il possède d’user de son jugement et de former son opinion comme bon lui semble, est passé depuis longtemps et ce n’est pas nous qui désirons le voir revivre.


Ainsi l’Union est d’avis, avec le Globe, qu’aucune autorité ecclésiastique n’est justifiée de restreindre le prétendu droit de l’homme de s’empoisonner moralement. C’est nier tout bonnement à l’Église le droit de mettre des livres à l’index, de défendre aux catholiques, sous peine d’excommunication, de lire certains ouvrages !

Nous croyons que c’est la première fois qu’un journal, qui se dit catholique, soit allé aussi loin, et nous espérons que le rédacteur de l’Union a écrit ces lignes plutôt par manque de réflexion que par malice.

À l’encontre de la doctrine de l’Union, il est peut-être bon de rappeler la doctrine de l’Église, telle que nous la trouvons dans la constitution Apostolicœ Sedis publiée par Pie IX :


Nous déclarons, dit Pie IX, soumis à l’excommunication encourue par le fait et réservée spécialement au Souverain Pontife :

Ii — Tous et chacun de ceux qui lisent sciemment, sans la permission du siège apostolique, les livres de ces mêmes apostats et hérétiques enseignant l’hérésie, ainsi que les livres de quelqu’auteur que ce soit nommément prohibés par lettres apostoliques, et tous ceux qui retiennent en leur possession les dits livres, les impriment ou les défendent de quelque manière que ce soit.


Nous invitons le rédacteur de l’Union à méditer surtout les mots que nous avons soulignés.



3 Novembre 1881.


L’Union de Saint-Hyacinthe, malheureusement pour elle, ne veut pas revenir sur sa très grave erreur à propos de mauvais livres, et persiste à parler absolument comme une feuille libre-penseuse qu’elle est. Nous ne savons pas si le percepteur des douanes de Toronto était autorisé par la loi à faire ce qu’il a fait ; les tribunaux en décideront, probablement. Mais ce n’est pas là la question débattue entre le rédacteur de l’Union et nous. Notre confrère a dit, en toutes lettres, que le temps n’était plus où une autorité quelconque, civile ou ecclésiastique, pouvait défendre aux hommes de lire certains ouvrages. C’était nier carrément à l’Église le droit de mettre des livres à l’index.

l’Union, en réponse à notre article, loin de se rétracter ou de s’expliquer, renchérit sur sa pensée et prêche ouvertement le « libre examen. » Pour que l’on ne puisse pas nous accuser d’exagération, nous citons textuellement :


Nous n’avons pas au Canada de religion d’état, et si telle ou telle personne préfère Voltaire à de Maistre, sur quel droit nous appuierons-nous pour l’en empêcher ? Chacun est parfaitement libre, dans notre pays, de suivre qui bon lui semble en matière religieuse… Nos Torquemadas en herbe continueront sans doute à nous traiter d’impie et d’athée ; nous n’en aurons pas moins la prétention de rester fidèle à la foi de nos pères, voire même d’être meilleurs catholiques que nos détracteurs, en mettant la presse au service de cette tolérance chrétienne dont nous nous faisons avec joie l’apôtre en cette circonstance.


C’est avec un sentiment de profonde tristesse que nous transcrivons ces lignes. Nous savions bien que les idées malsaines avaient fait parmi nous d’effroyables progrès depuis quelques années, mais nous ne croyions vraiment pas que la gangrène de l’impiété fût aussi avancée. Nous marchons rapidement dans la voie où la France, la Belgique et l’Italie sont engagées ; il n’est plus permis d’en douter. Le langage de l’Union de Saint-Hyacinthe ne diffère en rien des propos les plus échevelés des journaux libre-penseurs de l’Europe,

La religion catholique n’est pas la religion de l’État, donc ses lois n’obligent pas les consciences ; tous sont libres de suivre qui bon leur semble en matière religieuse ; Voltaire et de Maistre, c’est-à-dire l’esprit catholique et l’esprit impie, sont également respectables, voilà les propositions absolument condamnables que l’Union soutient avec une hardiesse remarquable.

Et ce journal ose protester hypocritement de sa fidélité aux enseignements de l’Église ! C’est en se proclamant catholique qu’il cherche à saper par la base les doctrines de notre sainte religion, car le « libre-examen » est la négation la plus formelle de l’autorité de l’Église, de son empire souverain sur les consciences.