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Mélanges/Tome I/63

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imprimerie de la Vérité (Ip. 193-200).

SAINT ZACHARIE DE METGERMETTE


14 juillet 1881


Dernièrement, notre rédacteur en chef avait l’honneur d’accompagner le R. P. Lacasse à Metgermette, nouvel établissement de colonisation. Il croit qu’un récit de ce petit voyage ne sera pas sans intérêt pour les lecteurs de la Vérité. Pour que ce récit soit moins guindé, abandonnons le nous trop pompeux, qui convient à l’article politique, et adoptons le moi, plus familier et qui sied mieux au simple chroniqueur :

Lundi, le treize juin, je prenais le train du « Québec Central » autrefois le « Lévis et Kennébec, » pour

Saint-Joseph de la Beauce, en route pour le canton de Metgermette. Il faisait une chaleur accablante. Dans le wagon où je me trouvais, il y avait fort peu de monde, et il ne se produisit aucun incident pour m’empêcher d’admirer, à mon aise, les belles campagnes que nous traversions, la fertile vallée de la Chaudière, et les magnifiques paroisses qu’arrose cette rivière.

À la station « du Pont, » située à cinq milles de Saint-Joseph, un brave ami de la colonisation, M. Gagné, m’attendait avec un petit billet du R. P. Lacasse. Le bon Père m’invitait à le rejoindre à St-Georges, et m’informait que M. Gagné s’était chargé de m’y conduire. Les sept lieues et demie qui séparent la station du Pont de St-George furent bientôt franchies, malgré la chaleur et la poussière. Car, il faut le dire, les chevaux de la Beauce ont un « train de route » superbe. Aussi, les gens de ce beau comté sont-ils particulièrement fiers de leurs chevaux. On m’a assuré qu’un brave cultivateur de cette contrée a intenté, un jour, une poursuite contre son voisin parce que celui-ci avait dit que son cheval, à lui, le défendeur, allait plus vite que le cheval du demandeur. C’était une insulte qu’il fallait laver dans un procès.

Au presbytère de St-Georges, où j’arrivai vers sept heures, le R. P. Lacasse m’attendait. Il me présenta à M. le curé Bernier, qui m’offrit l’hospitalité de sa maison avec une si grande cordialité qu’il m’eût été impossible de la refuser, quand bien même j’aurais été tenté de le faire. Le R. P. Bournigalle, 0. M. I. s’y trouvait aussi, ayant commencé à prêcher une retraite aux paroissiens de St-Greorges, le matin même. J’y fis, de plus, la connaissance de M. Meunier, autrefois vicaire de Sainte-Marie, aujourd’hui curé de Saint-Zacharie de Metgermette, de M. Roy, vicaire de St-Georges, de M. Gosselin, vicaire de Saint-François, et de M. P. Théberge, ecclésiastique, qui s’intéresse vivement à la colonisation, et qui, soit dit sans blesser sa modestie, a déjà beaucoup fait pour cette belle œuvre.

En pareille compagnie, il va sans dire que la soirée se passa fort agréablement. Nous eûmes une longue et intéressante conversation sur l’établissement de nos terres incultes, l’amélioration de l’agriculture et l’immigration, interrompue quelquefois par un bon mot ou un récit de voyage du R. P. Bournigalle, ou une anecdote amusante du E. P. Lacasse.

Le lendemain matin, vers dix heures, nous partîmes pour Metgermette. Nos véhicules étaient deux superbes « planches ». Ce sont les seules voitures qui puissent résister aux chemins de colonisation. M. B. Roy, de Saint-Joseph, conduisait le P. Lacasse, et M. Bourque, employé de M. Gagné, m’avait pris sous ses soins.

En gravissant les hauteurs qui dominent le village, nous vîmes sortir de l’église une nombreuse procession. C’était la procession du jubilé, et elle était faite aussi pour demander de la pluie. Quatre heures après, il pleuvait à plein ciel.

À trois lieues de Saint-Georges se trouve le canton de Watford. C’est un nouvel établissement, voisin de Metgermette. M. le curé Bernier doit bientôt y faire ériger une chapelle, et, pour le moment, M. Meunier desservira cette colonie.

Nous fîmes un petit détour pour visiter une partie de ce canton. Watford renferme de belles terres et de magnifiques cours d’eau, et déjà plusieurs colons, pleins de courage et d’énergie, y sont établis. La plupart de ces braves gens, occupés à la construction d’une grange, se trouvant réunis près du chemin, le P. Lacasse put leur adresser quelques paroles d’encouragement.

Revenant ensuite sur nos pas, nous nous engageâmes dans le chemin qui conduit à Metgermette. Les chemins de colonisation sont, comme le chemin du Paradis : terriblement difficiles à parcourir. Roches, souches, racines, trous, bourbiers, arbres renversés qui bloquent la voie, arbres debout, mais à moitié rongés par le feu, qui menacent de vous écraser à chaque instant, voilà les délices réservées à ceux qui sont obligés de parcourir les chemins de colonisation. Pauvres colons ! me disai-je, si les ministres et les députés voyageaient par ces routes plus souvent, vous briseriez plus rarement vos voitures. Et je me mis à rédiger, mentalement, le projet de loi suivant que je recommande à l’attention de nos législateurs :

PROJET DE LOI CONCERNANT LES CHEMINS
DE COLONISATION

Attendu qu’il est à peu près impossible de faire de la colonisation sans des routes praticables ;

Attendu que les chemins de colonisation sont ordinairement dans un état affreux ;

Attendu que les ministres et les députés ignorent généralement les difficultés énormes que les colons rencontrent dans ces chemins ;

Attendu que les ministres et les députés travailleraient peut-être un peu plus à faire disparaître ces difficultés s’ils en avaient personnellement connaissance ;

Attendu qu’il appert que les ministres et les députés ont le goût et le loisir de faire des voyages, puisqu’ils vont aux eaux, et à d’autres endroits d’amusement ;

La Reine, de par l’avis et avec le consentement de la législature de la province de Québec, décrète ce qui suit :

Article I. — Tout député devra produire, au commencement de chaque session, et remettre entre les mains du président de la législature, un certificat signé par M. le curé A. Labelle, le R. P. Z. Lacasse, ou toute autre personne compétente, constatant que le dit député a parcouru, de bonne foi, pendant les vacances, quinze milles de chemin de colonisation.

Article II. — Tout ministre de la couronne, siégeant à l’Assemblée législative, devra produire, de la même manière, un certificat semblable au certificat mentionné dans l’article précédent, constatant qu’il a parcouru, de bonne foi, pendant les vacances, cinquante milles de chemin de colonisation.

Article III. — Tout député, ou tout ministre qui aura négligé de se conformer aux dispositions ci dessus, perdra, ipso facto, son droit de siéger et de voter dans l’Assemblée législative de la province de Québec, et sera inéligible tant qu’il ne se sera pas conformé aux dispositions de cet acte.

Article IV. — Le troisième jour après l’ouverture de chaque session, le président de l’Assemblée législative devra ordonner une nouvelle élection dans tout comté dont le représentant aura négligé de se conformer aux dispositions de cet acte.

Article V. — Cet acte viendra en vigueur le jour de sa sanction, et ne pourra pas être abrogé ou amendé tant qu’il y aura de la colonisation à faire dans la province de Québec.

Au moment même où j’achevais, dans mon esprit, la rédaction de cette loi aussi nécessaire que rigoureuse, la pluie vint changer le cours de mes idées. Nous fûmes bientôt mouillés jusqu’aux os, mais pas un seul murmure ne s’échappa de nos lèvres. Au contraire, nous rendions grâces au ciel de cette bienfaisante averse et nous demandions qu’elle durât longtemps.

Enfin, à quatre heures de l’après-midi, après avoir parcouru trois lieues de bons chemins et trois lieues de chemins impossibles, nous avons devant nous la terre promise, le canton de Metgermette, et le beau lac des Abénaquis sur les bords duquel des Français sont venus, il y a quelques années, faire des défrichements, aujourd’hui abandonnés. Seul, monsieur Victor Vannier y est resté, bravant la solitude et l’ennui. Il y possède maintenant un joli établissement, une maison fort spacieuse près du lac, un magnifique parterre, des champs fertiles ; et il a, de plus, l’agréable perspective d’être bientôt entouré de voisins. M. Vannier et son estimable famille nous reçoivent avec cette exquise politesse française que tout le monde connaît. Dans cette maison hospitalière, nous oublions bientôt les fatigues du voyage.

La nouvelle que le Père Lacasse est arrivé se répand bientôt, et le soir, plusieurs des colons établis dans ce canton se rendent chez M. Vannier pour avoir des nouvelles. Le R. P. leur annonce que Mgr l’Archevêque n’a pas voulu les laisser plus longtemps orphelins, qu’il a érigé le canton de Metgermette en paroisse, sous le vocable de Saint-Zacharie, qu’il a nommé M. Meunier, vicaire de Sainte-Marie, à cette nouvelle cure, et que M. le curé arrivera demain pour prendre possession de sa paroisse. Il fallait voir la joie de ces braves gens en apprenant cette heureuse nouvelle. Nous, habitants des villes, nous ne pouvons nous faire une idée de ce qu’est la solitude de la forêt, ni de la terreur indicible que cette solitude inspire aux colons. Les mouches, la chaleur, les durs travaux du défrichement ne les font pas reculer ; ils n’hésitent pas à les affronter. Mais la solitude les épouvante. Et ce sentiment honore grandement nos colons canadiens : ils craignent de mourir sans le secours de notre sainte religion. Aussi, rétablissement d’une nouvelle colonie se fait-il toujours lentement, tant que le prêtre n’y est pas établi. Mais mettez un prêtre au fond du bois, dans le canton le plus reculé, le plus inaccessible, et vous avez plus fait pour la colonisation que si vous dépensiez cinquante mille piastres en chemins et en défrichements. La confiance naît aussitôt ; les colons arrivent, nombreux et pleins de courage, et dans peu d’années, vous voyez surgir une magnifique paroisse là où, naguère, il n’y avait que des terres incultes. Mgr l’Archevêque de Québec comprend cette grande vérité, et voulant le succès de la colonisation, il n’a pas hésité à donner un curé à Saint-Zacharie de Metgermette, bien que le nombre des colons qui s’y trouvent aujourd’hui soit comparativement fort restreint. Et l’avenir, soyons en convaincus, donnera raison à Sa Grandeur.

Après avoir, fait part aux colons de cette bonne nouvelle, le R. P. tire de son inépuisable répertoire quelques anecdotes amusantes. Puis, nous récitons ensemble le chapelet et les prières du soir.

Le lendemain matin, mercredi, le P. Lacasse, M. Roy, deux jeunes gens venus pour visiter les terres et moi, nous partons pour explorer le canton. Nous nous rendons d’abord chez M. F. Gagné, établi à quatre milles du lac, au milieu du bois. M. Gragné n’a commencé ses travaux que l’automne dernier, et déjà il a un magnifique défrichement bien ensemencé. Il aura une bonne récolte cet automne. Après avoir passé quelques instants avec ce brave colon, nous continuons notre marche à travers la forêt. Nous visitons le lot de M. Roy sur lequel il y a un bon pouvoir d’eau. M. Roy se propose d’y commencer la construction d’un moulin dès cet été, je crois. Partout, nous trouvons de belles terres, bien boisées et bien arrosées. Sur les coteaux il y a de superbes « érablières » et dans les fonds, qui sont très étendus et d’une qualité supérieure, nous remarquons de magnifiques « cédrières ». Le terrain de Metgermette est très-avantageux. Il y a, ça et là, quelques roches perdues, mais pas assez pour nuire à la culture de la terre. Comme l’a dit M. Gagné, ce ne sont pas des roches qui poussent, c’est-à-dire qu’elles sont sur la surface du sol. Si vous les ôtez, il n’en vient pas d’autres à leur place, comme cela arrive en quelques endroits. Du reste, il y a bien des lots, où il ne sè trouve pas de roches du tout. En un mot, le canton de Metgermette, ou plutôt la paroisse de Saint-Zacharie, est incontestablement un des plus beaux établissements de colonisation que l’on puisse trouver dans la province de Québec. Tous ceux qui visitent cette colonie sont enchantés par la beauté du site et la richesse du sol. Aussi les lots se prennent-ils rapidement. Il en reste encore à prendre, mais ceux qui voudront se trouver prés de la chapelle, devront s’adresser sans délai à M. Létourneau, agent des terres à Saint-Joseph.

Après avoir marché toute la journée, nous retournons chez M. Vannier vers six heures du soir. M. le curé Meunier y est déjà rendu, et installé dans une des maisons près du lac, qu’il occupera en attendant que la chapelle et le « presbytère » soient construits. Le bas de cette maison lui sert de demeure, tandis que le haut est converti en chapelle.

Le soir, nouvelle réunion des colons à la maison de M. Vannier.

Le lendemain matin, jour de la Fête-Dieu, en attendant la messe, je visite, avec M. Létourneau, agent des terres, une partie de la paroisse que je n’avais pu voir la veille.

Le R. P. Lacasse chanta la grand’messe dans la scierie construite près du lac. Environ cent cinquante personnes assistèrent à l’office divin, car plusieurs étrangers étaient venus des paroisses de la Beauce, témoigner par leur présence de leur dévouement à l’œuvre de la colonisation. M. le curé Meunier exprima à ses nouveaux paroissiens le grand bonheur qu’il éprouvait de se voir au milieu d’eux, pour y résider aussi longtemps que la Providence le lui permettra. Il dit de plus un mot de saint Zacharie, patron de la nouvelle paroisse, et patron aussi du R. P Lacasse. En choisissant ce nom, Mgr l’Archevêque a sans doute voulu reconnaître publiquement le zèle et le dévouement que le P. Lacasse ne cesse de déployer en faveur de la colonisation.

Après la messe, il y eut procession du Très Saint Sacrement. L’un des reposoirs avait été préparé sur le balcon de la maison de M. Vannier, l’autre, à quelques arpents plus loin. Ce fut un touchant spectacle que cette procession solennelle au milieu du bois.

Après la procession nous nous réunissons au presbytère où nous prenons le dîner. Puis, nous faisons l’inventaire des dons faits à la nouvelle paroisse par les généreux habitants de Sainte-Marie et de Saint-Joseph, qui ont fondé l’Œuvre du Tabernacle de Sainte-Marie dont le but est de fournir aux missions pauvres les objets nécessaires au culte.

Ensuite, nous songeons à l’avenir, et nous nous donnons rendez-vous à Saint-Zacharie, en 1884, lors de la visite pastorale de Mgr l’Archevêque. À cette époque, Saint-Zacharie sera déjà une paroisse florissante. Nous y trouverons une magnifique chapelle de 125 pieds sur 60.

Et voilà le récit de mon voyage à Metgermette. À une heure, jeudi après-midi, je reprenais le chemin de Québec, via Saint-Georges et Saint-Joseph, et en partant, bien que je sois d’un caractère peu démonstratif, je ne pus m’empêcher de crier au Père Lacasse :

Vive la colonisation ! Vive Saint-Zacharie ! Vivent les gens de la Beauce !