Mélanges/Tome I/90

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imprimerie de la Vérité (Ip. 310-312).

QU’EST-CE QU’UN LIBÉRAL ?

22 avril 1882

Dans un article précédent, nous avons répondu à la question : Qu’est-ce qu’un conservateur ? Nous avons dit que pour être vraiment conservateur il ne suffit pas de suivre aveuglément tel ou tel chef politique. Il faut, pour être digne de ce titre que beaucoup se donnent aujourd’hui sans y avoir le moindre droit, posséder des principes certains et invariables qui puissent nous guider sûrement dans toutes les situations de la vie publique. Il est nécessaire que ceux qui, de loin ou de près, sont appelés à administrer les affaires du pays, aient une règle de conduite fixe et déterminée. Ces principes et cette règle, on les chercherait vainement en dehors des vérités qu’enseigne l’Église. Plus on est pénétré de ces vérités essentielles, plus l’intelligence les comprend, plus la volonté y adhère, plus on les traduit par des actes, plus on est conservateur de l’ordre social. Voilà pour nous ce qui constitue le véritable conservateur.

Maintenant répondons à cette autre question :

Qu’est-ce qu’un libéral ?

Quatre vingt dix-neuf sur cent de ceux qui se disent libéraux auraient autant de peine à résoudre ce problème que la plupart des soi-disant conservateurs en auraient à répondre à la question que nous avons discutée dans notre premier article.

Pour les uns, un libéral est un homme de progrès ; pour d’autres, c’est un homme aux idées larges, pour d’autres encore, c’est un homme qui veut des réformes.

Progrès, idées larges, réformes, voilà des termes fort vagues, qui peuvent signifier quelque chose ou rien du tout, pas assez ou trop. Tout le monde veut le progrès, chacun croit ses idées plus larges que celles de son voisin, et il n’y a pas une institution humaine si parfaite qu’elle ne puisse et ne doive être perfectionnée ou réformée.

Parler ainsi du libéralisme, c’est prononcer des paroles en l’air et vides de sens.

Tous ceux qui se disent libéraux et qui croient sincèrement que le libéralisme ne renferme que les choses énumérées plus haut, feraient bien mieux de garder ces choses et de renoncer au nom qui ne signifie pas cela du tout, et qui est très mal noté, pour cause.

Nous n’entrerons pas ici dans une longue dissertation philosophique sur le libéralisme, sur son origine, et ses causes premières. Cette partie de la question est savamment traitée dans les conférences du R. P. Paquin que nous publions en ce moment.

Ce qu’on entend, et ce qu’il faut entendre par libéralisme, c’est l’exclusion de Dieu de la politique, ou pour nous servir de la définition du Père Ubald : « La suppression des droits de Dieu dans l’ordre civil et politique. »

Il y a bien, aussi, les libéraux impies, qui cherchent à supprimer les droits de Dieu, non-seulement dans l’ordre civil et politique, mais partout ; qui voudraient non-seulement chasser Jésus-Christ de la terre, mais l’expulser même du ciel. Il ne s’agit pas ici de ce libéralisme absolu, qui n’est autre chose que l’athéisme.

Le libéralisme que nous avons à combattre est cet ensemble de doctrines séduisantes qui, tout en professant un grand respect pour les droits de Dieu, veut en restreindre l’exercice et les limiter à certaines matières. Comme si Dieu n’était pas le Maître souverain de toutes choses, des sociétés, comme des individus : comme si Ses lois saintes ne devaient pas obliger l’homme ici bas dans quelque position qu’il se trouve, qu’il soit roi, prince, législateur ou simple citoyen ; comme si la politique, c’est-à-dire l’art de conduire les peuples vers leur fin, était soustraite à Sa toute puissante juridiction !

Voilà le libéralisme ; il n’y en a pas d’autre. Et remarquez bien que ce libéralisme que nous venons de définir, est semblable, quant à sa nature, au libéralisme impie et à l’athéisme, et qu’il y conduit fatalement. En effet, on exclut Dieu d’abord de la politique, on prétend qu’il n’a rien à voir aux élections, aux lois, à l’administration de la chose publique ; que les électeurs, les députés, les ministres ne lui doivent aucun compte de leurs actes publics. Puis on avance d’un pas ; on dit que le bon Dieu est de trop dans l’école ; ensuite qu’il est de trop dans la famille, et finalement qu’il est de trop partout, dans l’Église, dans la conscience des individus.

Voilà la pente sur laquelle glissent ceux qui commencent par nier les droits de Dieu dans l’ordre civil, pente qui conduit à l’abîme, à l’enfer.

Encore une fois, nous conjurons tous ceux qui, par libéralisme politique, ne veulent désigner que l’amour du vrai progrès, des réformes utiles et d’une sage administration de la chose publique, de renoncer à ce mot afin qu’il n’y ait plus d’équivoque.

Dans des articles subséquents, nous tâcherons de faire voir comment ce vrai libéralisme, dont nous avons parlé, se traduit par les actes.

On s’apercevra que l’on peut être vraiment libéral, dans le mauvais sens du mot, tout en se donnant un autre titre.