Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juin 1833/01
Il n’est plus permis de douter aujourd’hui que notre globe n’ait, à des époques dont nous ne pouvons fixer précisément la date, mais dont nous connaissons l’ordre de succession, éprouvé de violentes catastrophes qui, sans altérer sensiblement sa forme générale, ont beaucoup modifié sa surface et changé à chaque fois les rapports des mers et des terres. Chacune de ces révolutions a laissé après elle des traces, à l’aide desquelles nous pourrons un jour, non-seulement tracer la forme des continens à diverses époques, mais encore nous faire une idée des plantes et des animaux qui existaient alors. Les débris des êtres organisés conservés dans les couches successivement formées sont les médailles à l’aide desquelles nous referons ainsi l’histoire des temps antérieurs à la naissance de l’homme. On sait comment, à l’aide de quelques fragmens, notre illustre Cuvier est parvenu à reconstruire des animaux qui vivaient sur cette partie du globe que Paris occupe aujourd’hui, à nous les faire connaître presque comme si nous les avions vus, au point qu’il ne nous manque, pour ainsi dire, que de savoir quelle était la couleur de leur pelage. La science qu’il a créée et portée tout d’un coup à un si haut degré de perfection, continue d’être cultivée avec zèle. On ne se borne pas à étudier les restes des grands vertébrés, et l’investigation s’étend aux plus humbles produits des deux règnes organiques. Toutefois on sent bien que la difficulté augmente, à mesure que les êtres dont on s’occupe sont de plus petite dimension, et que leur organisation plus fragile les a exposés davantage à la destruction. Les insectes sont surtout dans ce cas, et les vestiges qu’ils ont laissés, ont dû, dans bien des cas, échapper à l’attention des observateurs.
Assez fréquens dans les terreins supérieurs à la craie, les insectes fossiles deviennent extrêmement rares dans les terreins qui lui sont inférieurs, et jusqu’à présent ce n’était que dans les calcaires schisteux de Solenhofen, dans la Hesse, et de Stonesfield, près Oxford, qu’on en avait trouvé quelques exemples ; encore faut-il remarquer que les roches qui les renferment dans ces deux localités se rapportent aux couches les plus supérieures de formations oolitique ou jurassique. Voici pourtant qu’une empreinte d’insecte fossile vient d’être découverte dans le terrein houiller, c’est-à-dire dans la formation la plus inférieure des terreins secondaires. On s’attendait si peu à rencontrer des insectes dans ce terrein, qu’un très habile géologue anglais, M. Gedeon Mantell, à qui ce morceau avait été d’abord présenté au milieu de beaucoup d’autres impressions végétales provenant de la même localité, n’y arrêta point son attention, et se méprenant sur sa véritable nature, le comprit dans une série d’échantillons qu’il adressait à M. Adolphe Brongniart, dont les beaux travaux sur les végétaux fossiles sont appréciés des géologues étrangers aussi bien que de ceux de notre pays. M. A. Brongniart, en examinant cette empreinte, reconnut qu’elle ne provenait pas d’un végétal, et l’ayant fait voir à M. Audouin, celui-ci jugea tout d’abord qu’elle était due à une aile d’insecte, et s’occupa de déterminer l’ordre et le genre auxquels l’animal appartenait.
De tous les organes extérieurs des insectes, les ailes sont peut-être ceux qui fournissent les caractères les plus tranchés et les plus faciles à saisir ; malheureusement on ne les a encore étudiées convenablement que dans les hyménoptères et les diptères, et l’aile en question n’appartenait point à un insecte de l’un ou l’autre de ces ordres. Il a fallu en conséquence que M. Audouin se livrât à un examen assez long, pour arriver à une détermination satisfaisante. Malgré ces difficultés, il a bien constaté, 1o que l’insecte appartenait à l’ordre des nevroptères ; 2o qu’il avoisinait les hémérobes, les semblis et surtout les corydales, et qu’il se rapprochait beaucoup du genre mantispe, qui fait le passage naturel aux orthoptères du genre mante ; 3o qu’il n’appartenait à aucune des espèces et probablement à aucun des genres connus. Ce dernier résultat est conforme à ce que l’on observe relativement à tous les animaux fossiles, qui, en général, diffèrent d’autant plus des espèces vivantes qu’ils appartiennent à des couches plus anciennes.
L’empreinte qui a été l’objet des recherches de M. Audouin, avait été trouvée, au milieu de nombreux fossiles végétaux, en Angleterre, à Colebrookedale dans le Shropshire. La note qu’il a rédigée à ce sujet, a été présentée à l’Académie des sciences dans la séance du 25 février.