Mélanges historiques/06/02

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II
LES MINES DE FER, 1668-1675

Le sol du Canada si favorable à l’agriculture ne renfermait ni diamant, ni or, ni argent, mais il était riche en beaucoup de choses, notamment en fer qui est un article de première nécessité.

Une requête des colons de Québec adressée à Louis XIII en 1621 vante la nature du sol du Canada et dit qu’on y trouve de riches mines de fer, de plomb et de cuivre.

Vers 1650, les colons du Cap-de-la-Madeleine commençaient à attaquer le sol avec la charrue. Ils devaient rencontrer le minerai de fer. Dix ans plus tard on découvrit la même chose à Batiscan. La Mère de l’Incarnation en parle, sans nommer l’endroit. Pierre Boucher, en 1663, mentionne le fer que l’on peut tirer des environs des Trois-Rivières.

L’intendant Talon, en 1666, fit examiner un dépôt de fer qu’on lui avait signalé à la Baie-Saint-Paul. À partir de 1669, les titres des terres accordées en seigneuries portent l’obligation de déclarer les mines dont on aurait connaissance. On alla jusqu’au fond du lac Supérieur explorer les gisements de cuivre, mais sans pouvoir en tirer parti.

La mention fréquente d’ouvriers arquebusiers et taillandiers que l’on rencontre dans les papiers du temps s’explique par l’état même de la colonie. Les premiers métiers que les Canadiens exercèrent furent ceux de charpentier, menuisier, travailleurs en bois, et l’industrie de l’artisan qui fabrique ou répare les outils de fer. L’entretien des armes, surtout, était une nécessité de tous les jours ; cet art exigeait des aptitudes et des connaissances spéciales chez ceux qui s’y livraient. Arquebusiers, serruriers, forgerons, taillandiers, c’étaient là des métiers élevés par les circonstances à la hauteur d’une profession. Les taillandiers s’occupaient des outils tranchants. On n’était pas pressé de mettre de côté, hors d’usage, un instrument dont la manufacture n’existait pas dans le pays ; on le réparait jusqu’à la limite du possible. Tout de même, la matière qui entrait dans cette opération venait de France : fer, plomb, cuivre, étain. Les clous étaient confectionnés au marteau, tant bien que mal. Le charbon de bois s’obtenait facilement pour la forge. Le charbon de terre — si l’on en faisait usage — venait du Cap-Breton où il était déjà l’objet d’un certain commerce.

Voici les noms des ouvriers en fer que j’ai relevés dans les archives des Trois-Rivières autour de l’année 1660 :

Barthélemy et Christophe Croteau, Urbain Beaudry, Jérôme Langlois, Michel Moreau, Jacques Joviel, Jean Badeaux, Jacques Loiseau dit Grandinière, Michel Rochereau, Barthélemy Bertault, Jean Poisson, Louis Martin, Jean Bousquet, Jacques Ménard, Pierre Potevin, Jean Holard et Jean de Noyon, qui dessinait une clef pour sa signature.

C’est beaucoup plus qu’on ne soupçonnerait, vu que la population du gouvernement des Trois-Rivières ne dépassait pas quatre cents âmes. Il va de soi que chacun de ces hommes avait plus d’une corde à son arc et trouvait moyen d’employer son temps de diverses manières lorsque la forge chômait.

En 1668, Talon sollicitait le ministre Colbert de faire travailler aux mines qui avaient été explorées en Canada et de doter la colonie d’ateliers métallurgiques dont le service du roi avait autant besoin que les particuliers, mais on ne l’écouta que d’une oreille distraite[1].

Le 18 août 1670, Talon, revenant de France, débarquait à Québec. Il amenait probablement le sieur de la Potardière, un expert en matière de mines, à qui l’on fit voir des échantillons que M. de Courcelle s’était procurés du voisinage de Champlain et du Cap-de-la-Madeleine. Ce fer était en sable, autrement dit en grains. Il y en avait aussi par masses, qui devait provenir du rang Saint-Félix actuel, seigneurie du Cap. La Potardière visita les lieux, puis retourna en France où il fit un rapport disant qu’il était impossible de désirer meilleur fer et en plus grande abondance. Là-dessus, Colbert écrivit à Talon (11 février 1671) se félicitant de la situation de toute l’affaire et ajoutant : « le sieur de la Potardière y retournera après avoir fait l’épreuve de la mine de fer qu’il a apportée et, lorsqu’il y sera arrivé, le soin que vous devez principalement avoir est de faire en sorte que aussitôt que cette mine sera établie, elle subsiste par elle-même. Dans les suites, si l’on trouve qu’elle soit aussi bonne que nous l’espérons, l’on pourra y faire passer des ouvriers pour la fonte des canons. » Voilà l’esprit du temps : la guerre.

Au cours des années 1671-72 on travailla aux mines en question par ordre du gouverneur de Courcelle et de l’intendant Talon. Le comte de Frontenac, qui les remplaça tous deux en septembre 1672, visita les mines et écrivit à Colbert, le 2 novembre : « Celle dont on vous a parlé est très-bonne. Je l’ai été voir moi-même pour vous en rendre un compte plus exact, et j’ai été ravi qu’on en ait découvert une autre contre celle du Cap-de-la-Madeleine, qui est beaucoup plus riche et plus abondante, et qu’on aura de la peine à épuiser parce qu’il y a quatre lieues de côtes, depuis Champlain jusqu’au Cap, qui en sont toutes pleines. Tous les ruisseaux qui en coulent le marquent assez, leurs eaux étant toutes pleines de rouille. J’ai eu même la curiosité d’en vouloir boire et j’ai trouvé qu’elles sentent le fer à pleine bouche. Les mineurs que j’y ai menés et qui y travaillent actuellement rendent la chose assurée, de sorte que, si vous êtes dans la résolution de faire faire des forges et une fonderie, il est certain qu’on ne manquera pas de matière. Il y a six monceaux de mine tirés au Cap-de-la-Madeleine qui pourront suffire, suivant le rapport et le procès-verbal du mineur que je vous envoie, à deux fontes de trois ou quatre mois chacune. La question sera de savoir l’endroit où l’on placera la forge parce que, selon mon sens, elle serait beaucoup mieux sur la rivière Pepin, qui est sur le territoire de Champlain, que sur la rivière du Cap où les Pères Jésuites ont déjà un moulin tout fait, lequel, à la vérité, en rendrait la construction plus facile ; mais la mettant sur la première rivière, elle se trouverait entre les deux mines et l’on pourrait faire venir plus aisément la matière du Cap à Champlain, parce que cela est en descendant le fleuve, que de la faire remonter de Champlain au Cap, outre que la mine du territoire de Champlain, étant assurément plus abondante que l’autre, la plus grande partie de matière se tirera de ce côté-là. Quand vous serez déterminé à faire travailler à la dite forge, comme les gens que vous enverrez seront sans doute habiles, ils verront si la rivière dont je parle a assez d’eau, s’il y aura assez de chute pour y placer les roues et si l’on n’y pourra pas joindre d’autres ruisseaux qui en sont très proches, comme celui de Hertel qui est assez considérable, ainsi que le chef des mineurs, qui vient d’arriver et à qui j’avais donné charge de remonter jusqu’à deux lieues dans la rivière Pepin, m’assure que l’on peut faire très facilement. Il est certain que, si l’on établit une fois ces forges, elles apporteront de très grands avantages non seulement par le fer excellent qui s’y fera mais encore par la consommation du bois qui facilitera le défrichement des terres, et par le nombre de gens qu’il faudra employer pour leur exploitation qui contribueraient aussi à la consommation des vivres et denrées que nous commençons d’avoir de trop et desquels, si les habitants n’ont le débit, il est à craindre qu’ils négligent la culture des terres, ne trouvant point à vendre leur blé, et la plupart n’ayant que cela pour acheter les hardes dont ils ont besoin. »

L’endroit où le minerai de fer était le plus abondant, le plus pur et le moins difficile à exploiter est le site appelé aujourd’hui les Vieilles Forges — la terre de Maurice Poulin — mais au temps de Courcelle et de Frontenac on n’y pensait pas encore. D’ailleurs la côte du Cap, Champlain et Batiscan offrait des avantages pour le transport par le fleuve que la rive sud de la rivière des Trois-Rivières ne possédait pas encore, tandis qu’il y avait un chemin du Cap à Batiscan.

Le principal dépôt de minerai dans cette dernière direction est à quatre milles de la rivière et à une douzaine de milles du Saint-Laurent, au rang Saint-Félix, seigneurie du Cap, où les terres sont basses et entrecoupées de tourbières, ce qui les rend plus difficiles à fouiller que le sol élevé du Cap et de Champlain. Aussi, Talon, La Potardière, de Courcelle et Frontenac croyaient-ils avoir trouvé plus près du fleuve les meilleurs gisements. Saint-Félix est comme pavé de masses ou gâteaux de minerai. On en découvre en abondance jusque dans les tourbières. Les dépôts s’étendent vers Saint-Malo situé à quarante arpents du fleuve et à environ un mille du Saint-Maurice. Plus on remonte cette dernière rivière plus les terres qui la bordent fournissent du fer et toujours de qualité supérieure. Tout indique aussi que la région des Vieilles Forges, sur une bonne distance, à droite et à gauche, du nord au sud à peu près, recouvre une nappe d’huile de charbon[2].

Les espérances que Talon et Frontenac nourrissaient à cet égard ne devaient pas se réaliser de sitôt, non plus que d’autres excellents projets conçus par eux. Louis XIV entrait alors dans sa politique de conquête en Europe et se disait fatigué du Canada. Il ne paraît nulle part que l’on ait fait quelque chose de stable pour utiliser notre fer, qui est, dit-on, supérieur à celui de la Suède et qui n’aurait fait dépenser aucun argent à la couronne.


  1. Talon comparait le fer de la rivière du Gouffre (Baie-Saint-Paul) au meilleur métal de France.

    Cette mine avait été étudiée par M. de la Tesserie.

  2. Notes prises par l’auteur sur les lieux, en 1869. Voir la préface.