Mélanges historiques/06/11
XI
LE ROI PREND POSSESSION DES FORGES. — LA FAMILLE POULIN. — CHAPELLE DES FORGES. — MENTION DE DIVERSES PERSONNES. — ON COULE DES BOMBES (BOUILLOIRES), DES CANONS, DES MORTIERS ; ON FAIT DU FER EN BARRES, AUSSI DE L’ACIER. 1743-1748.
Par un arrêt du 1er mai 1743, le roi réunit les Forges et les terres y appartenant (Saint-Maurice et Saint-Étienne) au domaine et propriétés de la couronne, prenant en main et pour son compte l’exploitation des mines et des usines, de la même manière que le tout avait appartenu à la deuxième compagnie (Cugnet) après la vente à elle faite par Pierre Poulin et autres, le 15 octobre 1736, y compris l’obligation de payer à Poulin trois cents francs de rente annuelle si on ne lui rembourse le principal qui est de six mille francs — ce qui met l’intérêt à cinq pour cent.
Cet arrêt a dû parvenir à Québec vers la fin du mois de juin 1743. Dès lors tout passa à l’autorité royale. Cugnet, de Vezain, Simonnet, Taschereau et Gamelin s’effacèrent. Gilles Pommereau, des Trois-Rivières, agissait comme trésorier-payeur. C’est lui qui paya la rente aux héritiers Poulin, de 1743 à 1764. D’après ce que j’ai vu on oublia de signifier officiellement à Cugnet la décision royale du 1er mai 1743, mais il en connaissait la teneur — et le 23 février 1744, on lui communiqua cet arrêt selon les formes.
L’exploitation devait comprendre désormais les mines du Cap-de-la-Madeleine et d’Yamachiche. Isaac Weld, qui visita les Forges en 1796, se fit expliquer bien des choses. Il dit : « On avait découvert une mine aux Trois-Rivières à la surface de la terre et de la plus grande abondance. On n’y fit d’abord que des travaux faibles et mal dirigés. Un maître-de-forge, arrivé d’Europe en 1739, les augmenta, les perfectionna. La colonie ne connut plus d’autres fers. On exporta même quelques essais, mais on s’arrêta là. Cette négligence était d’autant plus funeste qu’à cette époque on avait pris la résolution de former une marine dans le Canada. Le flottage des bois pour la construction des navires était facile par le fleuve et les nombreuses rivières qui s’y jettent. La cour fit bâtir à Québec des ateliers pour cet objet, mais les travaux tombèrent aux mains de personnes qui n’avaient que leurs intérêts particuliers en vue et rien ne prospéra. Les choses étaient ainsi en 1747. »
Si Weld ne se trompe pas, la période de 1743 à 1747 sous le régime du roi n’aurait guère valu mieux que celle de Cugnet de 1737 à 1742[1].
Voici des notes sur la famille Poulin qui trouvent leur place à la date où nous sommes arrivés : le 26 avril 1736, le roi nomme Courval-Nicolet exempt ou expert de la maréchaussée du Canada, poste rendu vacant par le décès de François (?) Foucault. Ce Courval-Nicolet devait être fils de J.-B. Poulin et de Louise Cressé.
Au mois d’avril, à Versailles, une note est écrite disant que Poulin de Courval, procureur du roi aux Trois-Rivières, néglige de payer 22,354 francs qu’il doit à Gendron, jeune marchand de Paris, pour achat de marchandises. Celui-ci était Louis-Jean, fils de J.-B. Poulin et de Louise Cressé. Une note officielle du 21 avril 1739 porte que, en sa qualité de procureur du roi, il est à présumer que Poulin de Courval a acquis des connaissances légales et qu’on doit le choisir pour la charge de juge des Trois-Rivières, laissée vacante par la mort de Godefroy de Tonnancour. En effet, nous le voyons en 1740 « lieutenant-général », soit juge en chef du district. Il était seigneur de Nicolet et conseiller du roi.
En 1741, je rencontre Cressé-Courval et sa femme Anne Lefebvre. Celui-ci est Claude, frère du précédent. En 1739, au mariage de Labonne, des Forges, il y a la signature de « Cressé », et en 1744 « C. Cressé ». Ensuite, même année : « Cressé maître et directeur des forges. » C’est le seigneur de Nicolet.
Au registre des Forges, en 1744, il y a Bernardin de Gannes, missionnaire, puis Denis Baron, prêtre missionnaire, en l’absence du Père Bernardin. Le 7 août, le frère Clément Lefebvre signa pour la première fois comme exerçant les fonctions curiales. Il s’agit du baptême de Louise, née de parents algonquins. On baptisa « dans la chapelle des Forges. » Je pense que cette chapelle avait été construite en même temps que d’autres édifices par Chaussegros de Léry en 1737. Dès le 20 avril 1739 le frère Augustin Quintal la mentionne ; et encore, le 25 mars 1740, le baptême de Pierre Alary a lieu « dans la chapelle de Saint-Maurice. »[2]
Même registre, année 1744, il y a Lacombe et sa femme Lachance, Michel Chaillé, marteleur, de Belleville, employé, Godard, Blais, Bériau, forgerons ; Marguerite de Vieux-Pont, Champagne, J.-B. Brassard, commis ; François Chevalier, François de Nevers, Marie Dubeau veuve Cardinal, Jean Grondin et sa femme Geneviève Ouellette, Pierre Michelin et sa femme Claire Filet. Cardinal et Marie Dubeau me sont inconnus. Chevalier pareillement. Grondin et sa femme, de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, étaient établis aux Forges en 1743 et y demeurèrent constamment par la suite.
Marie Bélisle, qui était aux Forges en 1743, devait être parente ou la femme de « maître Bélisle », engagé par Poulin de Francheville en 1732 ; Bélisle est mentionné aux Forges en 1748 et 1749 ; il était marié avec Anne Messier.
En 1745, je vois le nom de « De Louche » au registre des Forges. C’est Pierre Delouche, né à Québec en 1720 et fait prêtre récollet en 1743. En 1747, le frère Clément Lefebvre reparaît, puis en 1748, Barnabé Cordier, Lefebvre, Valérien Gaufin, Luc Hendrix.
Jean-André Dumas, boulanger, né en 1718 à l’île d’Orléans, marié à Québec en 1740 avec Geneviève Chabot, et leur fils Joseph arrivèrent aux Forges en 1744 et y demeurèrent quatre années, après quoi ils allèrent à l’île d’Orléans.
En 1745, au registre de la chapelle des Forges il y a, le 7 mai, l’acte de sépulture de Joseph, fils de Joseph Aubry et de Josephte Chèvrefils, âgé de deux ans et six jours, inhumé avec permission, aux Trois-Rivières[3].
Le 2 février 1745, J.-B. Dupuis fait baptiser des jumelles. Les noms suivants sont au registre de la chapelle des Forges : Pierre Bouvet, maître-taillandier, J.-B. Brossard, commis du sieur Perrault, Joseph Aubry, maître-charbonnier.
Au registre des Trois-Rivières en 1745, on voit l’acte de sépulture de François Perrault, négociant, âgé de soixante-sept ans, inhumé dans le cimetière des pauvres. Cela ne veut pas dire qu’il était ruiné de fortune, car ses fils étaient dans une situation fort à l’aise. Nous les trouverons aux Forges.
Aux Trois-Rivières, le 10 août 1745, Julien Duval, né en 1695, fils de Nicolas et de Jeanne Degoie, paroisse Saint-Germain, diocèse d’Angers, en Anjou, épousa Antoinette Guéry, veuve de Jean Aubry, des Forges. Ce ménage vécut à la Pointe-du-Lac, où ces deux personnes moururent en janvier 1750. Pas de descendance.
Jean-Baptiste Morier, né à Sainte-Foy, près Québec, en 1717, marié à Québec en 1738 avec Marie-Anne Lamothe dit Laramée, était charretier aux Forges en 1745 et jusqu’à 1758 au moins.
En 1745, Pierre Mercier, serrurier, est aux Forges. Était-il parent de Thérèse Mercier, mariée avec François-Pierre Beaupré qui fut tué aux Forges en 1739 ?
Le lundi, 20 décembre 1745, au tribunal des Trois-Rivières, est entendue la cause d’Étienne Cantenet, sableur aux forges Saint-Maurice, accusé d’avoir tué Pierre Guyon Goujot, aux Forges, et vu que le meurtrier se dérobe à la justice, on le condamne à être pendu en effigie. Parmi les juges il y a Rouillard Saint-Cyr, juge prévôt de Batiscan, et François Le Boulanger Saint-Pierre, procureur-fiscal de la seigneurie du Cap-de-la-Madeleine. La signature de « Caron, greffier » termine la pièce, ce qui veut dire Joseph Caron, notaire, huissier du Conseil Supérieur, demeurant à Québec avant 1744 où il devint greffier des Trois-Rivières.
Au registre des Forges, en 1746, il y a J.-B. Délorme, maître-fondeur, Pierre Dasylva, charretier ; Nicolas Chaput, Nicolas Champagne, contremaître. En 1747, Pierre Marquet dit Périgord, ouvrier ; Jean Dumas, boulanger ; Pierre Labonne, employé ; Jacques Perrault, « négociant aux Forges ». Le 16 octobre, Jean Pigeon, charretier, meurt subitement sur le « premier coteau en s’en retournant de la ville. » On voit mentionné Joseph Gouvernet, maître-bombardier. Je suppose qu’il coulait les « bouilloires » rondes portant un goulot très court qui étaient en usage partout alors comme à présent.
Le 18 septembre, Nicolas Champagne épouse Élisabeth, sœur de J.-B. Bériau, forgeron aux Forges, en présence de Martel de Belleville, de Cressé, directeur des Forges, des sieurs Cugnet, fils ; Claude et J.-B. Cressé, fils ; J.-B. Perrault, Hertel, Cournoyer, J.-B. Bériau, frères de la mariée, Pierre Bouvet, son beau-frère. Champagne signe d’une écriture mal assurée. Martel devait remplacer Jacques Simonnet enterré le 21 mai précédent aux Trois-Rivières.
Jean-Urbain Martel de Belleville ci-dessus se maria à Québec, cette année 1747 avec Élisabeth Gatin qui mourut bientôt après. Le registre des Forges le note « employé par le roi. »
De François Perrault et de Suzanne Pagé étaient nés à Québec, Jacques, Jean-Baptiste et Louis-François que nous voyons tous trois aux Forges, comme marchands, à partir de 1746. Jacques, l’aîné, se maria à Québec en 1749 avec Charlotte Boucher de Boucherville.
En 1748, le registre des Forges nous donne les noms de J.-B. Dupuis, charretier, et de sa femme Catherine Constantineau, Charles Godard, chauffeur ; Madeleine Lamontagne (Bayard), Antoine Dupuis et sa femme Ursule Alary, Joseph Gouvernet, maître-bombardier ; Jean Dumont, boulanger, et sa femme Geneviève Chabot ; Cressé seigneur de Nicolet et directeur des Forges ; Élie Hérard et sa femme Suzanne Chaput ; J.-B. Perrault, négociant ; Pierre Portugais dit Dasylva, charretier, et sa femme Ursule Dupuis ; maître Pierre Bouvet et sa femme Catherine Bériau ; Louis Hostain dit Marineau, charretier, et sa femme Geneviève Ladouceur ; Nicolas Champagne et sa femme Élisabeth Bériau ; maître Bélisle et sa femme Anne Messier ; Jacques Laviolette et sa femme Marguerite Duverger ; J.-B. Morlier, charretier, et sa femme Anne Laramée.
Les prêtres desservant les Forges sont Clément Lefebvre, Barnabé Cordier, Valérien Gaufin, commissaire provincial, et Luc Hendrix.
Le 22 avril 1748, aux Trois-Rivières, Simon, venu de France en 1738 avec son père Jean Aubry, épouse Marie, fille de Michel Beaudet et de Thérèse Proulx, de la paroisse de Lotbinière, en présence de Cressé, directeur des Forges, Joseph Aubry, Pierre Marchand, Cressé Saint-Maurice. Le frère Cordier célèbre le mariage. Cressé Saint-Maurice, né en 1716, était fils de Jean-Baptiste Poulin et de Madeleine Forestier (secondes noces). On le voit cadet dans les troupes à l’âge de treize ans. Comme J.-B. Poulin était seigneur de Nicolet et directeur des Forges, la présence de Saint-Maurice s’explique.
Jacques Jahan dit Laviolette, né en 1721 à la Pointe-Lévis, marié le 11 novembre 1745 à Québec avec Marie-Marguerite Robert dit Du Rodeau, Durandeau et Duvergé. De 1748 à 1756, on retrouve ce ménage aux forges Saint-Maurice. Le père de Jacques fut inhumé aux Trois-Rivières le 14 janvier 1763. Ce Laviolette était aux Forges depuis 1740.
Antoine-Claude Baraillon dit Raimbaut, contremaître aux Forges à la date du 4 novembre 1748 est ainsi indiqué par Mgr Tanguay. En 1757, Raimbaut dit Baraillon, Parisien, né en 1720, enseigne dans les troupes, épouse Catherine Dandonneau, d’une famille de Champlain[4]. C’est tout ce que nous en savons.
Cette année 1748, en février, Hocquart visite les Forges et continue son voyage jusqu’à Montréal. Le chevalier de Beauharnois réside durant six semaines aux Forges et y fait couler quatre mortiers de six pouces et deux canons qui se trouvent tous très bien réussis[5]. Le 21 mai le ministre écrivait de Versailles que l’on avait fait à Rochefort l’épreuve des fers fabriqués au martinet, de l’acier aussi, et des bombes du Canada et que le fer est satisfaisant, non pas l’acier dont les grains sont trop gros. Les bombes ne sont pas selon les règles[6].
- ↑ Par une lettre du conseil de la marine datée du 12 mai 1745, nous voyons que les recettes de l’année fiscale 1744-1745, égalent les dépenses ; le stock en marchandises se monte à 50,432 livres, ce qui représente un profit. Le 7 mars 1746, la même correspondance nous informe que du 1er octobre 1741 au 1er janvier 1745, les recettes ont été de 254,473 francs et les dépenses se chiffrent à la même somme ou à peu près. Après avoir déduit les dettes de l’ancienne compagnie aux ouvriers, il resterait une avance de 42,846 livres depuis que l’exploitation est faite pour le compte du roi, mais il fallait rembourser la main d’œuvre. De plus, les négociations avec M. Fleur et M. de Sérilly, de Rochefort, pour obtenir des ouvriers, de 1745 à 1748, mangent le profit. En 1745, l’on fit bien des déboursés pour obtenir un maître-fondeur expérimenté « pour remplacer celui trop âgé qui dirige les Forges ».
- ↑ On a déjà dit que cette chapelle avait d’abord été construite en bois rond, puis améliorée peu après. On y ajouta une sacristie en pierre, de 20 x 20 pieds qui était encore bien conservée en 1860. Elle était vis-à-vis l’aile de la « grande maison » ; la chapelle était au nord-ouest. Vers 1763, la petite chapelle fut abandonnée. Elle resta vide durant quelque temps, puis elle servit de hangar aux voitures jusqu’à la fin du dix-huitième siècle alors qu’elle fut démolie. La messe se fit dans la « grande maison » durant assez longtemps, jusqu’à ce qu’on y fit élever la chapelle dont nous donnons la photographie. Malgré sa reconstruction, c’est encore le modèle de la première chapelle, avec une allonge.
- ↑ Il y avait un cimetière aux Forges. Il a dû exister dès 1738 ou 1739. Il s’étendait le long du Saint-Maurice, à l’endroit où était le grand jardin en 1870.
- ↑ Dictionnaire généalogique, vol. VI, p. 501.
- ↑ Il écrivit au ministre de la marine que les Forges sont dans un bon état.
- ↑ À la date du 25 avril le président du conseil de la
marine avait écrit à MM. de la Galissonnière et Hocquart qu’on
avait fait l’essai de trois canons fabriqués aux Forges et que
la matière a été reconnue propre à faire de l’artillerie, mais
les canons ont été mal fabriqués ; il ajoute que maître Gouvernet
n’a pas les connaissances voulues pour une pareille opération,
mais que, la paix signée, on verra à y envoyer un
maître-fondeur compétent dans cette ligne.
Quant aux bombes dont se plaignait le ministre, il est bon d’ajouter qu’elles donnaient entière satisfaction dans tous les ménages canadiens. Mon grand’père m’a souvent dit que ces « canards » venaient des « Cyclopes ». On appelait ainsi autrefois les vieilles forges.