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Mélite/Acte 4/Scène 2

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Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE II.


CLORIS, MÉLITE.



CLORIS.


Je chéris tellement celles de votre sorte,
Et prends tant d’intérêt en ce qui leur importe,
Qu’aux pièces qu’on leur fait je ne puis consentir 263,
Ni même en rien savoir sans les en avertir.
Ainsi donc, au hasard d’être la mal venue,
Encor que je vous sois, peu s’en faut, inconnue,
Je viens vous faire voir que votre affection
N’a pas été fort juste en son élection.


MÉLITE.


Vous pourriez, sous couleur de rendre un bon office,
Mettre quelque autre en peine avec cet artifice ;
Mais pour m’en repentir j’ai fait un trop bon choix 264 :
Je renonce à choisir une seconde fois,
Et mon affection ne s’est point arrêtée
Que chez un cavalier qui l’a trop méritée.


CLORIS.


Vous me pardonnerez, j’en ai de bons témoins,
C’est l’homme qui de tous la mérite le moins 265.


MÉLITE.


Si je n’avois de lui qu’une foible assurance,
Vous me feriez entrer en quelque défiance ;
Mais je m’étonne fort que vous l’osiez blâmer 266,
Ayant quelque intérêt vous-même à l’estimer.


CLORIS.


Je l’estimai jadis, et je l’aime et l’estime
Plus que je ne faisois auparavant son crime.
Ce n’est qu’en ma faveur qu’il ose vous trahir,
Et vous pouvez juger si je le puis haïr 267,
Lorsque sa trahison m’est un clair témoignage 268
Du pouvoir absolu que j’ai sur son courage.


MÉLITE.


Le pousser à me faire une infidélité 269,
C’est assez mal user de cette autorité.


CLORIS.


Me le faut-il pousser où son devoir l’oblige ?
C’est son devoir qu’il suit alors qu’il vous néglige.


MÉLITE.


Quoi ! le devoir chez vous oblige aux trahisons 270 ?


CLORIS.


Quand il n’en auroit point de plus justes raisons,
La parole donnée, il faut que l’on la tienne.


MÉLITE.


Cela fait contre vous : il m’a donné la sienne.


CLORIS.


Oui ; mais ayant déjà reçu mon amitié,
Sur un vœu solennel d’être un jour sa moitié 271,
Peut-il s’en départir pour accepter la vôtre ?


MÉLITE.


De grâce, excusez-moi, je vous prends pour une autre,
Et c’étoit à Cloris que je croyois parler.


CLORIS.


Vous ne vous trompez pas.


MÉLITE.


Vous ne vous trompez pas._Donc, pour mieux me railler 272,
La sœur de mon amant contrefait ma rivale ?


CLORIS.


Donc, pour mieux m’éblouir, une âme déloyale 273
Contrefait la fidèle ? Ah ! Mélite, sachez
Que je ne sais que trop ce que vous me cachez.
Philandre m’a tout dit : vous pensez qu’il vous aime ;
Mais sortant d’avec vous, il me conte lui-même
Jusqu’aux moindres discours dont votre passion
Tâche de suborner 274 son inclination.


MÉLITE.


Moi, suborner Philandre ! ah ! que m’osez-vous dire !


CLORIS.


La pure vérité.


MÉLITE.


La pure vérité._Vraiment, en voulant rire,
Vous passez trop avant ; brisons là, s’il vous plaît.
Je ne vois point Philandre, et ne sais quel il est.


CLORIS.


Vous en croirez 275 du moins votre propre écriture 276.
Tenez, voyez, lisez.


MÉLITE.


Tenez, voyez, lisez._Ah, Dieux ! quelle imposture !
Jamais un de ces traits ne partit de ma main.


CLORIS.


Nous pourrions demeurer ici jusqu’à demain,
Que vous persisteriez dans la méconnoissance :
Je les vous laisse. Adieu.


MÉLITE.


Je les vous laisse. Adieu._Tout beau, mon innocence
Veut apprendre de vous le nom de l’imposteur 277,
Pour faire retomber l’affront sur son auteur.


CLORIS.


Vous pensez me duper, et perdez votre peine.
Que sert le désaveu quand la preuve est certaine ?
À quoi bon démentir ? à quoi bon dénier… ?


MÉLITE.


Ne vous obstinez point à me calomnier ;
Je veux que, si jamais j’ai dit mot à Philandre…


CLORIS.


Remettons ce discours : quelqu’un vient nous surprendre ;
C’est le brave Lisis, qui semble sur le front 278
Porter empreints les traits d’un déplaisir profond.


Scène I

Acte IV, scène II

Scène III


263. Var. Qu’aux fourbes qu’on leur fait je ne puis consentir. (1633-57)

264. Var. Mais pour m’en repentir j’ai fait un trop beau choix. (1633-60)

265. La leçon de 1657 :
C’est l’homme qui de tous l’a mérité le moins.
est certainement une faute d’impression.

266. Var. Mais je m’étonne fort que vous l’osez blâmer,
Vu que pour votre honneur vous devez l’estimer. (1633-57)

267. Var. Après cela jugez si je le peux haïr. (1633)
Var. Jugez après cela si je le puis haïr. (1644-57)

268. Var. Puisque sa trahison m’est un grand témoignage. (1633-57)

269. Var. Vraiment c’est un pouvoir dont vous usez fort mal,
Le poussant à me faire un tour si déloyal. (1633-57)

270. Var. Quoi ! son devoir l’oblige à l’infidélité !
clor. N’allons point rechercher tant de subtilité. (1633-57)

271. Var. Sur un serment commun d’être un jour sa moitié. (1633-57)

272. Var. Vous ne vous trompez pas._Doncques, pour me railler. (1633-57)

273. Var. Doncques, pour m’éblouir, une âme déloyale. (1633-57)

274. Voyez plus haut, p. 194, note 3.

275. L’édition de 1664 donne : vous croiriez. pour vous croirez. ce qui est sans doute une faute d’impression.

276. Var. Vous en voulez bien croire au moins votre écriture. (1633-57)

277. Veut savoir par avant le nom de l’imposteur,
Afin que cet affront retombe sur l’auteur.
clor. Vous voulez m’affiner ; mais c’est peine perdue :
Mélite, que vous sert de faire l’entendue ?
La chose étant si claire à quoi bon la nier ? (1633-57)

278. Var. C’est le brave Lisis, qui tout triste et pensif,
À ce qu’on peut juger, montre un deuil excessif. (1633-57)