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Mémoire historique sur la communauté St.-Antoine & Vies de plusieurs frères/05

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PRÉCIS

DE LA VIE

DE M. RENAUD.

PRÉCIS
DE LA VIE DE M. RENAUD.

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L’HISTORIEN qui écrit la vie des héros du siècle, des hommes que la providence a placés dans les postes éminens de la société, est obligé de travailler son style, de le proportionner à la grandeur des faits qu’il entreprend de louer et de transmettre à la postérité ; mais celui qui n’écrit que la vie simple et uniforme d’un instituteur dont chacun des instans qui la composent, est employé à la pratique constante des mêmes vertus, à l’exercice des mêmes fonctions, à l’art pénible et difficile d’éclairer les esprits et de former les cœurs, de développer les facultés de l’homme, et de créer, pour ainsi dire, les générations, n’a pas besoin d’un style recherché. L’éloquence humaine seroit déplacée dans un sujet de cette nature, sa pompe s’accorderoit mal avec l’humble modestie du personnage, et le cœur ne seroit pas satisfait d’un éloge qui ne seroit pas dicté par le cœur. Je raconterai donc tout simplement quelques circonstances de la vie de M. Renaud qui puissent, en édifiant, faire connoître son caractère et ses mœurs.

Louis Renaud naquit à Taroiseau, village près d’Avallon ; de parens pauvres, mais chrétiens. Jeanne Petit, sa mère, mourut en 1757, et laissa à son mari tous les soins de sa famille. Ce père peu fortuné ne put donner une grande éducation à ses enfans ; mais il leur légua la plus précieuse des successions, l’exemple de ses vertus et l’amour du travail. A la mort de sa mère, Louis Renaud n’avoit encore que douze ans. Sa mémoire étoit excellente, mais peu meublée ; sa pénétration vive, mais sans exercice. Il ne savoit pas lire et n’alloit pas à l’école. La garde des troupeaux ne lui permettoit pas d’assister assidûment au catéchisme. Quelques cantiques qu’il aimoit beaucoup à frédonner, faisoient toute sa science : ce fut la cause de son avancement. Le respectable M. Petitier, curé de Taroiseau, qui vit encore, se promenoit dans les champs la veille de la Pentecôte ; il entend chanter un assez long Cantique sur le mystère du lendemain ; il s’approche du petit berger pour lui dire quelques paroles d’encouragement, et lui faire de petites questions ; il lui demande s’il est assidu à l’école. Le jeune homme lui répond qu’il n’y va pas. Comment donc, dit le Pasteur étonné, avez vous pu apprendre ce cantique, ne sachant pas lire ? Je l’ai ouï chanter cinq ou six fois, répond l’enfant, et je l’ai retenu. M, Petitier découvrant en lui des dispositions heureuses, lui dit : je veux que vous alliez à l’école, j’en parlerai à vos parens, je m’arrangerai avec eux ; je veux aussi que vous assistiez exactement au catéchisme ; cela n’empêchera pas que vous leur soyez utile, en continuant de garder les troupeaux.

M. Petitier alla voir les parens de Louis Renaud, et en obtint facilement ce qu’il demandoit. Il le confia à un maître, et le recommanda à ses soins. Le jeune écolier fit des progrès rapides, il s’appliquoit beaucoup ; il emportoit son livre dans les champs, et mêloit à la vie pastorale les occupations de l’étude. Au bout de six mois il écrivoit et lisoit assez bien. Son bienfaiteur alors voulut bien consacrer une heure par jour à son instruction ; il lui enseigna la grammaire. Après huit mois de soins particuliers il parla à M. de Précy, seigneur de Taroiseau, et lui vanta les progrès du jeune Renaud. Il fut projetté de le placer au collége d’Avallon, en qualité de portier, sous la condition qu’un régent, de la connoissance de M. de Précy, se chargeroit de son éducation. Ce projet échoua ; par l’opposition d’un professeur qui dit : que Louis étoit né pour travailler à la terre, et qu’il falloit qu’il restât dans son état.

Le Seigneur, qui lui fermoit cette voie, ne l’abandonna pas. Le jeune Louis fut envoyé à St.-Palais, sous un bon maître ; bientôt après il fut reçu dans la communauté de St. Charles d’Auxerre ; ce fut là qu’il puisa la science des Saints pour la répandre ensuite dans cette ville, où l’on se rappelle avec satisfaction de l’avoir vu à la tête de l’institution ; et à Paris, où la volonté de ses supérieurs l’appella.

Après quelques temps de séjour dans la rue, de Lappe, il fut employé, pendant nombre d’années, aux Écoles de la section des Quinze-Vingts, jusqu’à la destruction de cette maison. Quand il y fut associé, il abandonna son patrimoine à sa famille, se contentant de la table et des vêtemens de la communauté, et pratiquant la pauvreté qui y étoit strictement gardée. Pour connoître M. Renaud, il faut lire l’origine et les réglemens de cette société qu’il a donnés au public, ainsi la vie de M. Foissin son confrère, avec lequel il a été lié, jusqu’à la mort de ce respectable prêtre. La carrière ordinaire des instituteurs n’est pas semée de ces traits honorables selon le monde, qui ne tient pour grand que ce qui est éclatant ; mais elle est remplie de travaux continuels et d’actes de charité envers le prochain, sur-tout envers les enfans. Rien de plus uniforme que la conduite d’un instituteur, ce qu’il a fait aujourd’hui, dirigé par sa règle, il le fera demain, il le fera toujours jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de le retirer de ce monde, ou de le mettre hors de combat par des infirmités, ou la décrépitude de la vieillesse, qui arrive plutôt chez les hommes fortement occupés. Quel fond inépuisable de charité ne doit-il pas avoir pour se renoncer ainsi soi-même, et ne s’occuper que du bien de ceux qui lui sont confiés ! Quelle patience imperturbable pour supporter leurs défauts sans se lasser et sans se plaindre ! Combien ne doit-il pas avoir travaillé à sa propre perfection, et être maître de soi-même, afin de donner constamment le bon exemple, de ne pas mettre sa conduite en contradiction avec la doctrine qu’il enseigne, et ne pas s’exposer à perdre tout le fruit de ses leçons, en détruisant d’une main ce qu’il plante de l’autre.

J’ai bien mal connu M. Renaud, s’il n’a pas rempli toutes les fonctions d’un instituteur vraiment digne de ce nom. Il étoit plein de zèle pour l’instruction des enfans ; il sembloit ne vivre que pour eux. Tout en lui respiroit ce tendre amour pour le premier âge dont J. C. nous a fourni le plus parfait modèle. Son extérieur simple et modeste annonçoit la candeur de son ame ; et la paix dont il jouissoit intérieurement se faisoit sentir dans toutes ses manières, toujours unies sans être compassées. Qui posséda mieux que lui toutes les qualités requises pour l'éducation de la jeunesse, et pour remplacer l'affectueux empressement des parens, chargés par la nature de ce devoir sacré ? M. Renaud ne bornoit pas sa sollicitude à l'instruction de la jeunesse qui lui étoit confiée, il se faisoit un plaisir, disons plus, un vrai besoin de propager les douces influences de la vérité, et la connoissance de la religion. Des livres de piété, dont il faisoit des envois, alloient porter la lumière dans la Bourgogne, dans la Champagne et dans d'autres provinces. Les enfans y apprenoient les Elémens du Christianisme ; les adultes y trouvoient des règles de morale pour toutes les circonstances de la vie ; tous y devenoient les disciples de ces illustres docteurs qui ont si bien connu et défendu la vérité.

M. Renaud faisoit plus : afin de lever tout obstacle qui auroit pu s'opposer à ses vues bienfaisantes, il envoyoit des secours pécunaires à des amis vertueux qui les dispensoient aux parens infortunés, et les mettoit ainsi à même de se priver du travail de leurs enfans durant le cours de leur éducation. Il falloit que M. Renaud sentir tout le prix de l'éducation chrétienne, pour se livrer avec tant d’ardeur à cette bonne œuvre et y consacrer ses facultés, dépositaire des aumônes que des ames charitables y versoient.

Les enfans, néanmoins, n’absorboient pas toute son attention et toutes ses forces. Ses compatriotes qui venoient à Paris trouyoient en lui un ami, un guide, un protecteur : il dirigeoit leurs pas dans cette ville, où les écueils sont si dangereux, et où la vertu sans appui vient souvent faire un triste naufrage ; il leur donnoit des avis sages qu'il fortifioit de ses exemples ; il garantissoit les jeunes gens de la séduction, en leur montrant les suites funestes d’une aveugle confiance, et les retenoit sur les bords de l’abîme, par les secours puissans de la Religion. Le misérable étoit sûr d'être assisté ; sa bourse étoit ouverte au besoin. L’affligé venait oublier ses afflictions auprès de lui, Ses enteetiens et ses lettres ont dissipé bien des chagrins et calmé bien des peines. La force que donne la Religion est un rempart contre tous les évènemens de la vie, Les plus violentes persécutions ne sauroient abattre un cœur plein de l’esprit de Dieu ; souvent même, le persécuté force l’estime et l’admiration des persécuteurs.

Cette vérité ne parut jamais mieux qu’en 1793, époque fatale dont le souvenir déchirant arrache des larmes à la sensibilité. L’abbé Bernard dénonça jusqu’à trois fois, dans le cours de Brumaire, à la section de la rue de Montreuil, les instituteurs du faubourg St. Antoine, comme contrevenant aux décrets de la convention, en vivant en communauté. D’après la réponse de M. Renaud, la section se reposant sur les autorités constituées, de l’exécution des décrets, et ne voyant, dans cette réunion d’amis, que les avantages qu’ils lui procuroient sans être à charge à personne, déclara : qu’ils avoient toujours mérité sa confiance ; les invita à lui continuer leurs services et les exempta de monter la garde, à laquelle ils avoient été assujettis jusques-là. Bernard, qui, après avoir donné la bénédiction nuptiale à l’abbé Aubert, s’étoit marié lui-même, dénonça cet instituteur et ses confrères, comme signataires d’une pétition incivique contre le mariage des prêtres. L’instituteur répondit : que laissant les citoyens Aubert et Bernard pour ce qu’ils étoient (ce sont ses propres termes) il avoit déclaré par écrit, comme il le déclaroit encore de vive voix, en présence de toute l’assemblée, que ces deux prêtres mariés avaient entièrement perdu sa confiance, et ne la recouvreroient jamais. Ce n’est point ; ajouta-t-il, comme on le prétend ; à l’instigation du curé de Ste Marguerite, qui ne m’en a pas dit un seul mot, que je l’ai fait ; mais de mon propre mouvement ; comme je le ferois encore aujourd’hui, si la chose évoit à faire ; la dénonciation fut méprisée par le comité, et M. Renaud dut son salut au respect que lui avoient acquis ses vertus. Bientôt après, la Providence délivra les Français du tyran Roberspierre, le jour même, où Bernard avoit envoyé ses agens prendre le nom de M. Renaud, pour le classer dans la liste de proscription.

M. Renaud étoit redevable de la solidité de sa vertu, à son amour pour la retraite. Il ne sortoit que quand il avoit du bien à faire, ou que le devoir l’y contraignoit ; il n’aimoit pas le monde et s’y trouvoit déplacé ; il savoit qu’on ne s’y montre jamais, sans perdre quelque chose de l’attachement à ses devoirs. Oui, le monde sera toujours l’écueil des personnes consacrées à Dieu, ou vouées à la piété. La retraite est leur élément dont elles ne peuvent sortir sans danger. Aussi, M. Renaud, semblable au pieux auteur de l’imitation, se sentoit soulagé d’un grand poids, quand il rentroit dans sa chère cellule ; où il pouvoit respirer à son aise, loin du fracas de la ville, et de la corruption du monde.

Nul ne fut plus humble que lui : plus son mérite étoit reconnu, plus il prenoit occasion de s’humilier devant Dieu, et à mesure qu’on louoit ses qualités précieuses, il se reprochoit à lui-même ses imperfections et ses fautes. La confiance que lui témoignoient ses confrères étoit sans bornes ; ils ne faisoient rien sans le consulter ; ils agissoient avec plus d’assurance, quand ils avoient obtenu qu’il approuvât leur conduite. Leurs écrits étoient soumis à sa révision, il pouvoit ajouter ou retrancher à son gré : tant on étoit persuadé qu’il n’abuseroit pas du droit qu’on lui laissoit, et que ce qu’il auroit corrigé acquerroit un degré d’exactitude plus propre à produire son effet. Ses confrères n’étoient pas les seuls qui rendissent justice à son jugement et à sa capacité. Combien de fois fut-il pris pour arbitre par des gens du dehors qui estimoient sa droiture ? Les administrateurs eux-mêmes ; voulant profiter de ses lumières et de son expérience, le firent entrer dans les assemblées du conseil qui se tenoient, au moins tous les mois.

Silencieux par goût et par principe, il parloit peu ; il fuyoit Les conversations oiseuses ; il n’avoit d’attrait, que pour les entretiens qui rouloient sur la Religion et avoient pour objet la gloire de Dieu et le bien du prochain. Dans ces entretiens même, il évitoit avec soin de passer pour savant ; il ne se faisoit pas remarquer, par un empressement déplacé. Sous prétexte de piété, il étoit bien éloigné de se permettre, à l’égard de qui que se soit, le moindre propos désavantageux ; il savoit que rien ne la rend plus méprisable, et ne la déshonore plus aux yeux des gens du monde que ces railleries, ces plaintes éternelles, ces critiques amères, dont on ne se fait pas assez de scrupule, parmi ceux qui en font profession publique. Autant il étoit circonspect dans ses paroles, autant il exigeoit que les autres le fussent en sa présence. Il ne prêtoit jamais l’oreille aux discours empoisonnés de la détraction, et ce qu’il en entendoit malgré lui, le couvroit d’une salutaire confusion. En voici un trait qui m’a paru caractéristique.

« Etant un jour avec lui, écrit un de ses amis, je lui parlois d’un confrère qui venoit de faire une faute scandaleuse : il répondit en soupirant : on fait des fautes à tout âge ; et se mit à me parler d’autre chose ». Sévère envers lui-même plein d’indulgence pour les autres, il pardonnoit aisément à la légèreté des jeunes gens, et couvrait du manteau de la charité les fautes des anciens. La charité est toujours accompagnée de l’aimable cortège de toutes les vertus ; elles se trouvoient éminemment réunies dans M. Renaud. Il fut sobre, tempérant, pacifique sans faiblesse, ami de la vérité sans affectation, pieux sans bigoterie, zélé sans excès, humble sans bassesse, austère sans dureté, actif, vigilant, laborieux, ménageant le temps pour ses devoirs, et pratiquant ses devoirs pour l’éternité.

S’il étoit à la promenade avec ses confrères et ses disciples, il ne prenoit aucune part à leurs amusemens : seul, retiré dans un coin, il méditoit à son aise ; il couchoit par écrit les pensées qui lui venoient en foule, se réservant de les mettre en ordre, dans des momens de loisir, et d’élaguer celles dont il ne pourroit faire usage.

C’étoit là sa méthode ordinaire quand il faisoit ses lectures. Sa plume et son papier l’accompagnoient toujours ; il notoit les passages les plus remarquables ; il recueilloit les observations qu’ils lui faisoient naitre, s’enrichissant par ce moyen, et de son propre bien et de celui des autres : méthode recommandée par de très-grands hommes, et notamment par dom Mabillon, dans son Traité des Études Monastiques, comme seule propre à former de vrais savans. M. Renaud, qui mettoit ainsi à profit les momens de récréation, ne pouvoit que bien employer les heures de travail. Alors, il se livroit à l’étude avec une ardeur incroyable. Il auroit souvent passé les bornes de la modération, si le besoin de repos ne se fût fait sentir avec trop d’empire, et si les exercices ne l’eussent empêché de prolonger ses études. Il n’est pas étonnant qu’avec une pareille préparation il ait répandu par-tout la bonne odeur de J. C., et formé des élèves selon le cœur de Dieu.

Les fonctions d’instituteur lui avoient laissé, pendant dernières années de sa vie, assez de relâche pour composer quelques opuscules, dictés par l’amour de la Religion. Le premier, est un Essai pour chanter les Vêpres et Complies en français avec 37 airs notés. Ce Traité fut suivi d’une Dissertation sur la Célébration de la liturgie en langue française, déposée à la Bibliothèque impériale, le premier Juillet 1805. L’un et l’autre de ces deux opuscules ont été approuvés plusieurs hommes distingués dont on conserve les lettres.

Le dernier de ses ouvrages, qu’il déposa aussi à la bibliothèque impériale, est un Recueil de Chants pour le service divinRecueil de Chants pour le service divin, en français, et dont on a fait usage au salut, en l’église de Ste Marie, pendant tout le temps que M. Brugière y a exercé le culte catholique.

Le temps marqué par la Providence n’est peut-être pas éloigné, où les temples retentiront des actions de graces d’un peuple fidèle, en langue vulgaire ; où le cœur, d’accord avec la bouche, célébrera la grandeur de la divinité, avec effusion, avec intelligence. Si l’Eglise a des raisons légitimes pour se refuser maintenant aux vœux de quelques hommes instruits, et aux besoins du peuple, il faut espérer que ces obstacles seront un jour levés, et qu’il nous sera permis de mêler ensemble nos voix et nos prières dans un langage connu de tous. En attendant, gardons-nous de blâmer notre mère commune de sa conduite, et de lui reprocher avec amertume son attachement à la langue antique qui servit à transmettre à nos aïeux le don précieux de la foi et de la morale évangélique ; l’esprit de sagesse qui l’anime suffit pour la mettre à couvert de nos censures. Elle ne peut nous soustraire ce qui seroit essentiel au salut, et dès qu’elle nous prive de la satisfaction de chanter ses cantiques en français, il n’en faut pas davantage pour nous convaincre que la liturgie en latin n’est pas opposée à l’institution divine et à l’enseignement des pères.

À ces opuscules que M. Renaud composa de son fonds, il joignit encore l’édition des Sermons de M. Brugière, son digne ami. C’est la peine que lui donna la correction des épreuves, qui avança sa mort. Sa santé, déjà affoiblie par des études continuelles, par des courses longues et pénibles, par le travail de l’instruction, par les secousses de la révolution, par le chagrin de voir l’établissement auquel il appartenoit, détruit sans retour, et le vide qu’il laissoit dans l’éducation des pauvres enfans de cette immense capitale, alloit en dépérissant, lorsqu’il entreprit de donner au public deux volumes de Prônes. L’ardeur avec laquelle il poursuivit cet ouvrage le réduisit bientôt à l’extrémité ; il fut atteint d’une forte fièvre, suite inévitable d’un squirre au foie. Après un an de langueur et de souffrance, il mourut le 8 Février 1806, âgé de 62 ans.

Nous l’avons vu quelquefois dans son lit de mort ; et nous pouvons assurer qu’il nous à toujours édifié par les sentimens chrétiens dont il n’a cessé d’être animé. La patience, la résignation, le courage avec lequel il a supporté sa dernière maladie ne pouvoit partir que d’une ame, depuis long-temps sous l’empire de la grace, accoutumée aux souffrances et au mépris de tout ce qui flatte les sens. Quelle douceur ! quelle piété tendre ! Combien les paroles, qui sortoient de sa bouche mourante, respiroient le désir de quitter cette terre étrangère, de s’unir avec J. C. ! quelle soumission à la volonté de Dieu ! quelle conformité à la passion de son divin maître dont il étoit constamment occupé ! On n’eut pas besoin de l’exhorter à l’amour de Dieu, il en étoit pénétré : il ne fallut pas employer les moyens ordinaires pour lui adoucir les horreurs du trépas, il attendoit avec joie sa délivrance ; la sérénité qui brilloit sur son visage, et la piété qui éclatoit dans ses discours, édifioient tout-à-la-fois et rassuroient ses amis.

Ainsi meurent les justes. Toute la vie est pour eux l’apprentissage de la mort. Comme ils en font le sujet de leurs continuelles méditations, ils se familiarisent avec elle, ils la voient approcher sans effroi ; elle est pour eux le vestibule de l’immortalité.

Pour nous, les témoins de sa vie et les admirateurs de ses vertus, souvenons-nous qu’il nous fut uni par les liens de la charité ; que sa mémoire soit toujours en bénédiction parmi nous ; et s’il reste à son ame quelques imperfections à expier, offrons à Dieu, avec le tribut de nos prières, le sacrifice du sang de son divin Fils, qui est la propitiation des vivans et des morts.