Aller au contenu

Mémoire sur l’endosmose des acides

La bibliothèque libre.
Lu à l’Académie des Sciences, le 19 octobre 1835.




Lorsque je fis mes premières expériences sur l’endosmose, expériences publiées en 1826[1], je vis et j’annonçai que, dans ce phénomène, les acides offraient un mode d’action opposé à celui que présentaient les alcalis. La solution aqueuse de l’un quelconque de ces derniers étant séparée de l’eau pure par une membrane animale, le courant d’endosmose est dirigé de l’eau vers la solution alcaline ; il me parut que l’inverse avait lieu en employant un acide en remplacement de l’alcali. Je revins sur cette assertion trop absolue en 1828[2] : je n’avais pas essayé l’action de beaucoup d’acides ; en étendant mes recherches, je vis que le vinaigre et les acides nitrique et hydrochlorique, étant séparés de l’eau par un morceau de vessie, le courant d’endosmose était dirigé de l’eau vers l’acide. Quant aux acides sulfurique et hydrosulfurique, il me parut qu’ils étaient complètement incapables de produire l’endosmose ; je leur donnai en conséquence la qualification de liquides inactifs par rapport à l’endosmose. Ce langage métaphorique, introduit dans l’énoncé d’une théorie physique, annonçait suffisamment que la véritable théorie de ces phénomènes était encore loin d’être connue : il fallait de nouvelles recherches tant pour établir la certitude des faits observés que pour les coordonner en théorie véritablement physique ; cependant j’ai négligé longtemps de m’en occuper. Les recherches récentes que je vais exposer ici, révéleront une série de faits nouveaux fort importants sur la voie desquels je m’étais trouvé il y a six ans, et qui m’avaient échappé. Avant d’exposer ces nouvelles observations sur l’endosmose, je crois qu’il est nécessaire que j’entre dans quelques explications sur le sens que j’attache à ce mot endosmose, car il me paraît que ce sens n’a pas toujours été bien compris. Je commence par reproduire la définition que j’ai donnée précédemment de ce phénomène.

Lorsque deux liquides miscibles et hétérogènes sont séparés par une cloison à pores capillaires, ces deux liquides marchent l’un vers l’autre avec inégalité, au travers des canaux capillaires de la cloison séparatrice ; il résulte de cette inégalité de marche que l’un des deux liquides reçoit de son voisin plus qu’il ne lui donne, en sorte que son volume augmente sans cesse aux dépens du volume de ce liquide voisin. Il y a donc ici un courant fort et un contre-courant faible. J’ai donné le nom de courant d’endosmose au courant fort, et le nom de courant d’exosmose au courant faible[3]. L’endosmose n’est donc, dans ma manière de voir, que l’existence, au travers d’un corps poreux, d’un courant de fluide plus fort que le contre-courant qui lui est opposé, et produisant ainsi une accumulation de fluide à l’un des côtés de la cloison poreuse, côté qui est celui vers lequel marche le courant le plus fort. Cette accumulation de fluide produit nécessairement un effet dynamique ; elle devient une force qui avait besoin d’être désignée par un nom spécial, afin d’éviter les circonlocutions qui nuisent à la rapidité et à la clarté des idées. Ce nom est celui du courant qui produit l’accumulation du fluide, c’est le nom d’endosmose. Ce mot n’exprime donc point la cause du courant fort, il n’en exprime que l’existence, et l’effet dynamique subséquent qui en résulte. Ainsi, toutes les fois que deux fluides séparés par une cloison poreuse affecteront l’un vers l’autre un courant fort et un contre-courant faible au travers des conduits capillaires de cette cloison poreuse, il y aura endosmose et par conséquent développement d’une force impulsive au côté vers lequel marche le courant fort. On détermine par l’observation les proportions respectives des deux courants antagonistes ; on apprend quelles sont les conditions auxquelles est attachée l’inégalité variable de leur marche, mais la cause générale de cette inégalité ne nous est point encore connue. Ainsi, par exemple, on sait que l’inégalité de la densité des liquides n’est point en rapport constant avec le degré de l’endosmose qu’ils opèrent. C’est ordinairement du côté du liquide le plus dense qu’est dirigé le courant fort ou le courant d’endosmose ; mais cela n’a pas toujours lieu : en effet, l’alcool et l’éther, quoique bien moins denses que l’eau, dont ils sont séparés par une membrane, reçoivent d’elle le courant d’endosmose, comme le feraient des liquides dont la densité est considérable. L’alcool et l’éther s’élèvent moins que l’eau dans les tubes capillaires ; ces liquides ont cela de commun avec les liquides plus denses que l’eau. Des expériences nombreuses m’ayant fait voir que l’endosmose avait lieu du côté du liquide le plus ascendant dans les tubes capillaires, je fus conduit à considérer l’ascension capillaire comme déterminant par son degré, la direction du courant d’endosmose. Des mesures exactes et comparatives prises à cet égard confirmèrent ce premier aperçu, et semblèrent prouver définitivement que l’endosmose est en raison de la différence de l’ascension capillaire des deux liquides séparés par une cloison mince, et qui est perméable pour ces deux liquides. Ce fut donc à cette théorie que je me fixai en 1831[4] : elle était l’expression exacte de tous les faits d’endosmose qui m’étaient connus. Dans cette théorie, la capillarité n’est point considérée comme la cause de l’endosmose, elle n’en est que le moyen ou l’instrument. La cause de ce phénomène me parut être l’attraction réciproque des deux liquides, ou leur tendance à la mixtion. L’action capillaire des canaux de la cloison séparatrice me parut être la force régulatrice qui présidait à la marche inégale de ces deux liquides l’un vers l’autre. Cependant l’analyse mathématique s’empara de ce phénomène et tenta de l’expliquer. Un illustre académicien en France et un mathématicien anglais, M. Power, donnèrent, chacun à leur manière, l’explication analytique du phénomène de l’endosmose considéré comme ayant sa cause dans l’action capillaire. Dans ces deux explications mathématiques le phénomène du contre-courant d’exosmose est mis de côté, ou considéré simplement comme n’ayant qu’une existence accidentelle ; or, ceci est tout à fait contraire à l’observation, qui nous montre toujours l’existence simultanée des deux courants antagonistes d’endosmose et d’exosmose. M. W. Edwards a le premier émis l’idée que l’endosmose est le simple effet de la viscosité de l’un des deux liquides que sépare une cloison poreuse ; c’est, selon lui, cette viscosité qui empêche la perméation du liquide supérieur au travers de la cloison séparatrice, tandis que le liquide inférieur, peu ou point visqueux, filtre avec facilité au travers de cette cloison, et va se mêler avec le liquide supérieur, dont il augmente ainsi le volume. Cette opinion, adoptée par plusieurs physiciens, mérite un sérieux examen.

En dissolvant un même poids de gomme arabique et de sucre dans un même poids d’eau, on a deux solutions dont la viscosité n’est point la même ; l’eau gommée est sensiblement plus visqueuse que l’eau sucrée. Or, si l’on sépare ces deux liquides par un morceau de vessie, le courant d’endosmose sera dirigé de l’eau gommée vers l’eau sucrée, c’est-à-dire que ce sera le liquide le plus visqueux, ou l’eau gommée, qui traversera la membrane avec le plus de facilité, ou en plus grande quantité ; bien plus, le même phénomène aura lieu en mettant dans le même poids d’eau une quantité de gomme double de celle du sucre. Ainsi, j’ai expérimenté qu’une solution de deux parties de gomme arabique dans trente-deux parties d’eau (densité 1,023), et une solution d’une partie de sucre dans le même poids d’eau (densité 1,014), étant séparées par un morceau de vessie, le courant d’endosmose est encore dirigé de l’eau gommée vers l’eau sucrée. Ces faits prouvent bien évidemment que le courant d’endosmose n’est point toujours dirigé du liquide le moins visqueux vers le liquide le plus visqueux. Ce n’est donc pas l’inégalité de la viscosité de ces deux liquides qui est ici la cause de l’inégalité de leur perméation au travers de la cloison poreuse qui les sépare. Afin d’établir ces faits d’une manière irréfragable, j’ai dû mesurer exactement la viscosité comparative de l’eau gommée et de l’eau sucrée qui ont servi aux expériences dont je viens de parler. Cette mesure comparative de la viscosité des liquides s’opère en observant le temps que chacun d’eux, à volume égal, met à s’écouler par un tube capillaire de verre et par une température semblable. J’ai donc soumis à cette épreuve comparative 1° l’eau pure ; 2° la solution d’une partie de sucre dans 32 parties d’eau ; 3° la solution d’une partie de gomme arabique dans 32 parties d’eau ; 4° enfin la solution de deux parties de gomme arabique dans 32 parties d’eau. Par une température de 7 degrés centésimaux, quinze centilitres d’eau pure s’écoulèrent par un canal capillaire de verre en 157 secondes ; quinze centilitres de la solution d’une partie de sucre dans 32 parties d’eau, s’écoulèrent en 159 secondes 1/2 ; quinze centilitres de la solution d’une partie de gomme dans 32 parties d’eau, s’écoulèrent en 262 secondes 1/2 ; enfin, quinze centilitres de la solution de deux parties de gomme dans 32 parties d’eau, s’écoulèrent en 326 secondes.

On voit, par ces expériences, que la viscosité de l’eau sucrée qui contient une partie de sucre sur 32 parties d’eau (densité 1,014), est très peu supérieure à la viscosité de l’eau pure ; que la viscosité de l’eau gommée qui contient une partie de gomme sur 32 parties d’eau, est bien supérieure à la viscosité de l’eau sucrée ci-dessus ; on voit enfin que l’eau gommée qui contient deux parties de gomme sur 32 parties d’eau (densité 1,023), possède une viscosité deux fois plus forte que celle de l’eau sucrée qui contient une partie de sucre sur 32 parties d’eau.

Il semble qu’on ne puisse rien ajouter à ces preuves, qui démontrent que l’endosmose ne dépend point de la viscosité des liquides ; cependant j’offrirai encore ici une nouvelle preuve de cette vérité. Le fait très-singulier que je vais faire connaître, prouvera en même temps que les cloisons séparatrices de diverses natures exercent une influence spéciale sur le sens dans lequel s’opère l’endosmose.

On sait qu’en séparant l’eau de l’alcool par une membrane animale ou végétale organisée, le courant d’endosmose est dirigé de l’eau vers l’alcool. J’ai établi une cloison séparatrice entre ces deux liquides avec du taffetas gommé, enduit, comme on sait, de caoutchouc ; ce qui équivalait à une membrane mince de caoutchouc pur. Pendant les trente six premières heures de l’expérience, j’ai observé un courant d’endosmose extrêmement lent, dirigé de l’alcool vers l’eau. Après ce temps, l’endosmose, dirigée toujours de même, est devenue très-rapide. J’attribue cet accroissement de la vitesse de l’endosmose à ce que le caoutchouc, altéré par l’action de l’alcool, était devenu plus facilement perméable. Toujours est-il certain que, dans cette expérience, on voit le courant d’endosmose dirigé de l’alcool vers l’eau, au lieu d’être dirigé de l’eau vers l’alcool, ainsi que cela a toujours lieu lorsque la cloison qui sépare l’alcool de l’eau est formée par un tissu organique animal ou végétal. On voit ici, d’une manière manifeste, l’influence qu’exerce la cloison séparatrice sur la direction du courant d’endosmose. Cela prouve en même temps que la différence de viscosité des deux liquides ne joue aucun rôle dans la production de ce phénomène. Je ferai observer que le courant d’endosmose qui porte l’alcool vers l’eau en traversant la cloison de caoutchouc, est accompagné par un contre-courant d’exosmose qui porte l’eau vers l’alcool, en traversant de même la cloison. Je me suis assuré, en effet, que, dans cette expérience, l’alcool avait reçu de l’eau ; cependant on sait que le caoutchouc n’est point perméable à l’eau. Cela prouve que ce dernier liquide n’avait pu traverser la cloison de caoutchouc qu’en se mêlant avec l’alcool qui occupait les interstices moléculaires de cette substance. Une fois introduit dans ces interstices, l’alcool attire l’eau par affinité de mixtion, et l’introduit ainsi dans la substance du caoutchouc, qui ne donne aucun accès à l’eau lorsqu’elle se présente seule. Ainsi, c’est à l’état de mixtion dans les canaux capillaires de la cloison séparatrice que les deux liquides opposés marchent l’un vers l’autre par une progression croisée et inégale. C’est par un moyen fort simple que je me suis assuré que l’alcool qui avait servi à cette expérience avait acquis de l’eau : j’y ai mis le feu, et il est resté une quantité notable d’eau pour résidu de la combustion, tandis qu’il n’en est point resté du tout après la combustion de l’alcool semblable à celui qui avait servi à l’expérience. Après avoir bien prouvé que le phénomène de l’endosmose ne dépend point de la différence de la viscosité des liquides, j’aborde l’examen de la théorie que j’ai précédemment établie, théorie d’après laquelle le courant d’endosmose serait constamment dirigé, du liquide le plus ascendant dans les tubes capillaires, vers celui dont l’ascension capillaire est moindre. C’était effectivement ce qui s’était constamment présenté à mon observation ; mais des faits nouveaux et très-singuliers m’ont fait voir que j’avais tort d’admettre cette théorie comme générale.

J’ai dit plus haut dans quelle incertitude j’étais relativement à l’anomalie que me présentaient les acides soumis aux expériences d’endosmose. J’avais toujours placé les acides au-dessus de l’eau, dont ils étaient séparés par une membrane animale. Certains acides, tels que l’acide hydrochlorique, à des degrés très-divers de densité, et l’acide nitrique seulement à des degrés assez élevés de densité, m’avaient offert l’endosmose, dont le courant était dirigé de l’eau inférieure vers l’acide supérieur, en sorte que l’acide s’élevait graduellement dans le tube de l’endosmomètre. J’avais vu, au contraire, l’acide sulfurique assez étendu d’eau et l’acide hydrosulfurique, placés dans les mêmes circonstances que les acides ci-dessus, descendre toujours et graduellement dans le tube de l’endosmomètre. J’en conclus que ces acides ne produisaient point d’endosmose, et qu’ils filtraient mécaniquement, par l’effet de leur pesanteur, vers l’eau qui leur était inférieure et dont ils étaient séparés par un morceau de vessie. J’avais expérimenté que les acides sulfurique et hydrosulfurique, ajoutés à de l’eau gommée, lui enlevaient la propriété d’opérer l’endosmose ; cette eau gommée descendait alors dans le tube de l’endosmomètre, au lieu d’y opérer un mouvement ascensionnel, comme à son ordinaire. C’est ce qui me fit dire métaphoriquement que les acides sulfurique et hydrosulfurique étaient ennemis de l’endosmose. Des recherches reprises sur cet objet m’ont enfin éclairé sur la marche de ces phénomènes. Ce fut l’acide oxalique qui fit briller à mes yeux la première lueur à cet égard. Ayant mis dans un endosmomètre fermé par un morceau de vessie, une solution d’acide oxalique, et ayant plongé le réservoir de l’instrument dans l’eau, je fus surpris de voir que le liquide acide s’abaissait rapidement dans le tube de l’endosmomètre, et s’écoulait vers l’eau inférieure, en filtrant au travers de la membrane animale séparatrice. J’eus alors l’idée de faire une disposition inverse des deux liquides ; je mis de l’eau dans l’endosmomètre, et je plongeai son réservoir dans la solution d’acide oxalique. Je vis alors avec étonnement l’eau monter rapidement dans le tube de l’instrument, en sorte que, contrairement à tout ce j’avais observé jusqu’alors, le courant d’endosmose était dirigé de l’acide vers l’eau. Voici le détail de cette expérience : Ayant mis de l’eau de pluie dans le réservoir de l’endosmomètre, je plongeai ce réservoir, fermé par un morceau de vessie, dans une solution d’acide oxalique dont la densité était 1,045 (11,6 parties d’acide cristallisé, sur 100 de solution) ; la température était à + 5 degrés centésimaux. L’ascension de l’eau dans le tube de l’endosmomètre a duré pendant trois jours en diminuant graduellement de vitesse. Cette ascension étant devenue presque imperceptible, j’évacuai l’endosmomètre, dans lequel je trouvai de l’eau chargée d’acide oxalique. L’acide extérieur était réduit à la densité 1,033. Ainsi, en même temps que l’acide inférieur avait pénétré dans l’eau par endosmose, l’eau supérieure avait pénétré dans l’acide par exosmose, et en avait diminué la densité ; mais la perméation de l’eau avait été moins considérable que celle de l’acide, en sorte que l’eau supérieure, augmentée de volume, s’était élevée dans le tube de l’endosmomètre. Ainsi, nous voyons encore ici bien évidemment l’existence des deux courants opposés et inégaux. Ayant remis de l’eau de pluie dans l’endosmomètre, je plongeai son réservoir dans l’acide oxalique ci-dessus mentionné, dont la densité était devenue 1,033. Au bout de deux jours, l’ascension étant devenue presque imperceptible, j’évacuai l’endosmomètre, qui se trouva contenir, comme précédemment, de l’eau chargée d’acide oxalique ; la densité de l’acide extérieur était devenue 1,025. Je remis dans ce même acide l’endosmomètre que j’avais de nouveau rempli d’eau de pluie. L’endosmose eut lieu, mais avec moins de vitesse que précédemment. Ayant interrompu l’expérience au bout de vingt-quatre heures, je trouvai la densité de l’acide extérieur réduite à 1,023 ; l’eau intérieure contenait de l’acide, comme à l’ordinaire. Je réduisis à 1,01 la densité de l’acide oxalique extérieur, et l’eau placée dans l’endosmomètre me donna encore une endosmose assez énergique. Je réduisis la densité de cet acide à 1,005 (1,2 d’acide sur 100 de solution), et l’endosmose fut encore très-remarquable.

Dans ces expériences, j’ai vu que l’endosmose était d’autant plus rapide que l’acide oxalique extérieur était plus dense, en sorte que la facilité de perméation de cet acide au travers d’une membrane animale croit avec la densité de sa solution aqueuse. Ainsi, nous voyons dans cette expérience un liquide plus dense que l’eau et moins ascendant qu’elle dans les tubes capillaires, lequel cependant forme le courant d’endosmose ou le courant fort, tandis que l’eau qui lui est opposée forme le contre-courant d’exosmose ou le contre-courant faible. Ceci est contraire à tout ce que j’avais observé précédemment. La théorie que j’avais basée sur la différence de l’ascension capillaire des deux liquides opposés se trouve donc infirmée, ou du moins elle n’est plus d’une application générale. Quelle peut être la cause de ce nouveau phénomène ? Les membranes animales livreraient-elles plus facilement passage à une solution d’acide oxalique qu’à l’eau au travers de leur tissu ? C’est ce que j’ai recherché par les expériences suivantes.

La filtration d’un liquide par l’effet de la pesanteur au travers d’une lame poreuse dont les canaux capillaires sont très-petits, n’est facilement appréciable que lorsque la face inférieure de cette lame poreuse est baignée par ce même liquide. Ce n’est que de cette manière qu’on peut apprécier la filtration des liquides au travers d’une membrane animale dont le tissu est serré, telle, par exemple, qu’un morceau de vessie. Il est nécessaire que la face inférieure de la membrane soit baignée par le même liquide que celui qui repose sur la face supérieure, afin qu’aucune cause étrangère ne modifie sa filtration. Nous savons, en effet, que l’hétérogénéité des deux liquides, en produisant l’endosmose, dénaturerait complètement les effets de la simple filtration. Si donc je veux éprouver la filtration de l’eau au travers d’une membrane, j’adapte cette membrane au réservoir d’un endosmomètre que je remplis d’eau, laquelle s’élève à une certaine hauteur dans le tube de l’instrument. J’applique ensuite la face inférieure de cette membrane sur la surface de l’eau contenue dans un vase inférieur. L’eau contenue dans l’endosmomètre filtre au travers de la membrane et se déverse dans l’eau du vase inférieur ; la quantité de cette filtration dans un temps donné est marquée par l’abaissement de l’eau dans le tube gradué de l’instrument. Si je veux éprouver comparativement la filtration d’une solution aqueuse quelconque, je place cette solution aqueuse dans le même endosmomètre dont la membrane est alors baignée extérieurement par la même solution aqueuse, et j’observe quelle est la quantité de son abaissement dans le tube de l’instrument pendant un temps égal à celui qui a été employé pour la filtration de l’eau. Il est nécessaire de commencer par éprouver la filtration de l’eau, et l’on passe ensuite à l’épreuve de la filtration de la solution aqueuse ; mais il faut avoir soin alors de laisser tremper pendant un quart d’heure au moins la membrane de l’endosmomètre dans la solution aqueuse dont on veut éprouver la filtration, afin qu’elle s’imbibe complètement de ce dernier liquide et qu’elle remplace l’eau qui imbibait la membrane. Sans cette précaution, les résultats de la seconde expérience seraient fautifs. Il faut également avoir soin que les circonstances des deux expériences comparatives soient exactement semblables. C’est de cette manière que j’ai procédé pour éprouver comparativement la filtration de l’eau et celle de la solution aqueuse d’acide oxalique au travers d’un morceau de vessie. J’ai trouvé qu’à la température de + 21° cent., la filtration de l’eau de pluie étant représentée par 24, la filtration d’une solution aqueuse d’acide oxalique à la faible densité de 1,005 (1,2 d’acide sur 100 de solution) était représentée par 12 ; une solution de ce même acide étant employée à la densité 1,01, sa filtration fut représentée par 9.

Il est donc prouvé que l’eau traverse les membranes animales plus facilement que ne le fait une solution d’acide oxalique. Pourquoi donc ce dernier liquide traverse-t-il la membrane animale plus facilement et en plus grande quantité que ne le fait l’eau, lorsque cette dernière baigne la face de la membrane opposée à celle qui est baignée par l’acide ? C’est ce qui me paraît impossible à déterminer dans l’état actuel de nos connaissances.

La découverte de la singulière propriété que possède l’acide oxalique, de diriger le courant d’endosmose vers l’eau, lorsqu’il est séparé de ce dernier liquide par une membrane animale, me fit penser que tous les autres acides présenteraient le même phénomène. Il me fut offert, en effet, d’abord par l’acide tartrique et par l’acide citrique. Ces deux acides sont bien plus solubles dans l’eau que ne l’est l’acide oxalique. La solution saturée de ce dernier à + 25 degrés centésimaux n’atteint que la densité 1,045 (11,6 parties d’acide cristallisé sur 100 de solution). Or la solubilité des acides tartrique et citrique est très-grande ; en sorte que leurs solutions aqueuses peuvent acquérir une densité bien plus considérable. J’expérimentai quels étaient les effets d’endosmose de ces deux acides tartrique et citrique aux différents degrés de densité de leurs solutions aqueuses, et je découvris, non sans surprise, que leurs solutions très-denses et leurs solutions moins denses offrent l’endosmose dans des sens inverses. Ainsi, pour l’acide tartrique, lorsque sa solution possède une densité supérieure à 1,05 (11 parties d’acide cristallisé sur 100 de solution), et qu’elle est séparée de l’eau par une membrane animale, la température étant à + 25 degrés centésimaux, le courant d’endosmose est dirigé de l’eau vers l’acide ; mais lorsque, dans les mêmes circonstances, la densité de la solution acide est inférieure à 1,05, le courant d’endosmose est dirigé de l’acide vers l’eau, de la même manière que nous venons de le voir pour l’acide oxalique. Ainsi, suivant le degré plus ou moins élevé de sa densité, l’acide tartrique présente l’endosmose dans deux sens opposés. À la densité moyenne de 1,05, et par une température de + 25 degrés centésimaux, il n’offre d’endosmose dans aucun sens, et cependant il ne laisse pas d’y avoir pénétration réciproque de l’acide et de l’eau que sépare la membrane animale ; mais cette pénétration réciproque s’opère avec égalité de marche au travers de la membrane, en sorte qu’il n’y a point d’endosmose, c’est-à-dire, point d’augmentation du volume de l’un des liquides aux dépens de la diminution du volume du liquide opposé. L’acide citrique présente exactement les mêmes phénomènes ; la densité moyenne qui sépare ses deux endosmoses opposées est de même à peu près, 1,05, à la température de + 25 degrés cent. Ces faits me firent juger que si l’acide oxalique ne présentait que l’endosmose dirigée de l’acide vers l’eau, cela provenait de ce que sa solution, à la température de + 25 degrés, n’atteignait point la densité nécessaire pour que cette solution acide présentât l’endosmose dirigée de l’eau vers l’acide.

Les observations précédentes avaient été faites pendant les grandes chaleurs de l’été ; le thermomètre centigrade indiquait + 25 degrés lorsque j’ai déterminé le terme moyen de densité de la solution d’acide tartrique, terme moyen de densité en deçà et au delà duquel l’endosmose opérée par cette solution acide et l’eau est dirigée vers l’eau ou vers l’acide. Il était important de savoir si l’abaissement de la température apporterait quelque modification dans ces phénomènes. J’ai donc répété ces expériences par une température de + 15 degrés centésimaux et j’ai vu avec surprise que le terme moyen de densité dont il vient d’être question était considérablement déplacé dans le sens de l’augmentation de la densité du liquide acide. Ainsi, ce terme moyen de densité étant 1,05 (11 parties d’acide cristallisé sur 100 parties de solution) par une température de + 25 degrés centésimaux, il se trouva être 1,1 (21 parties d’acide cristallisé sur 100 parties de solution) par une température de + 15 degrés, c’est-à-dire, que la solution d’acide tartrique qui occupe ce nouveau terme moyen contient presque deux fois plus d’acide que n’en contenait la solution qui occupait le précédent terme moyen, lorsque la température était de dix degrés centésimaux plus élevée. Cette première expérience indiquait que le terme moyen de densité dont il est ici question éprouverait de nouveaux déplacements dans le même sens par de nouveaux abaissements de température. C’est effectivement ce qui est arrivé. À la température de + 8 degrés 1/2 centésimaux, la solution d’acide tartrique, à la densité 1,1, n’offrit plus le terme moyen qui, à la température de + 15 degrés, séparait les deux endosmoses opposées ; cette solution opérait alors franchement l’endosmose vers l’eau. Il me fallut augmenter sa densité jusqu’à 1,15 (30 parties d’acide sur 100 de solution), pour parvenir à un nouveau terme moyen au delà duquel l’endosmose était dirigée vers l’acide, et en deçà duquel l’endosmose était dirigée vers l’eau. La température étant abaissée à un quart de degré au-dessus de zéro, la solution d’acide tartrique, à la densité 1,15, n’offrit plus le terme moyen ; elle produisit l’endosmose vers l’eau, ce qui m’indiqua que ce terme moyen devait être cherché dans une plus grande densité de la solution d’acide tartrique. Je trouvai ce nouveau terme moyen correspondant à la température de 1/4 de degré au-dessus de zéro, dans la solution d’acide tartrique dont la densité était 1,21 (40 parties d’acide sur 100 de solution) ; toute solution d’acide tartrique supérieure en densité à 1,21 dirigeait alors le courant d’endosmose de l’eau vers l’acide, et toute solution du même acide inférieure à la densité 1,21 dirigeait le courant d’endosmose de l’acide vers l’eau. Il résulte de ces expériences que l’abaissement de la température favorise l’endosmose vers l’eau, et que l’élévation de la température favorise l’endosmose vers l’acide. En effet, une même solution d’acide tartrique opère avec l’eau, tantôt l’endosmose vers l’acide, lorsque la température est élevée, tantôt l’endosmose vers l’eau, lorsque la température est abaissée. Il semblerait que l’abaissement de la température rendrait ici la perméation capillaire de la solution d’acide tartrique plus facile et plus prompte que celle de l’eau, et cela, suivant une certaine concordance entre le degré de la température et la densité de la solution acide. Ce phénomène serait analogue à celui qu’a fait connaître M. Girard, relativement à l’écoulement comparé de l’eau nitrée et de l’eau pure par un tube capillaire de verre[5]. Il a expérimenté, en effet, que, jusqu’à la température de + 10 degrés, une solution d’une partie de nitrate de potasse dans trois parties d’eau s’écoule plus vite que l’eau pure par un canal capillaire de verre, tandis que cette même solution s’écoule plus lentement que l’eau lorsque la température est supérieure à + 10 degrés. Pour savoir si cette analogie présumée est fondée, j’ai mesuré comparativement la durée de l’écoulement par un canal capillaire de verre de l’eau pure, et l’écoulement d’une solution d’acide tartrique dont la densité était 1,105 (21,8 parties d’acide sur 100 parties de solution). Par une température de + 7 degrés centésimaux, quinze centilitres d’eau s’écoulèrent par un canal capillaire de verre en cent cinquante-sept secondes ; le même volume de la solution d’acide tartrique (densité 1,105) s’écoula en trois cent une secondes par le même canal capillaire. Ainsi, il n’y a aucune analogie à établir entre les résultats de l’expérience de M. Girard et le fait d’endosmose vers l’eau, qui a lieu lorsqu’à la température de + 7 degrés on sépare une solution d’acide tartrique (densité 1,105) de l’eau pure par une membrane animale. Au reste, je dois dire ici qu’une solution d’une partie de nitrate de potasse dans trois parties d’eau, étant séparée par une membrane de l’eau pure, j’ai toujours vu le courant d’endosmose dirigé de l’eau vers la solution de nitrate de potasse, et cela, aux températures comprises entre zéro et + 10 degrés, comme aux températures plus élevées. Cela prouve que l’endosmose est soumise à des lois tout à fait différentes de celles de la simple filtration capillaire. J’ajouterai que la solution d’acide tartrique (densité 1,105) ayant une viscosité presque double de celle de l’eau, et passant cependant par endosmose dans ce dernier liquide lorsqu’elle en est séparée par une membrane animale, et à la température de + 7 degrés centésimaux, cela s’ajoute aux faits exposés plus haut, et qui prouvent que l’endosmose ne dépend point généralement de la viscosité des liquides.

Les liquides acides sont jusqu’ici les seuls qui, séparés de l’eau par une membrane animale, aient offert le courant d’endosmose dirigé vers l’eau. Tous les acides, sans exception, offrent ce phénomène, qui, pour moi, a été longtemps inaperçu, et cela, parce qu’il se confondait par ses apparences avec un autre phénomène, celui de l’abolition de l’endosmose. J’ai fait voir, en effet, dans un précédent ouvrage[6], que tous les liquides qui agissent chimiquement sur la membrane de l’endosmomètre, abolissent plus ou moins promptement l’endosmose, après l’avoir produite pendant quelque temps. L’acide sulfurique est spécialement doué de cette propriété d’abolir promptement l’endosmose ; alors l’acide placé dans l’endosmomètre descend, par l’effet de sa pesanteur, vers l’eau située au-dessous, en filtrant mécaniquement au travers de la membrane qui sépare ces deux liquides. Si l’on renverse la position de ces derniers en mettant l’eau dans l’endosmomètre et l’acide sulfurique en dessous, l’eau descend de même vers l’acide en filtrant mécaniquement au travers de la membrane devenue incapable de donner lieu à l’endosmose. J’avais conclu de cette observation, que l’acide sulfurique était inactif pour l’endosmose, c’est-à-dire, qu’il ne pouvait point produire ce phénomène. J’ai vu, depuis, qu’il le produit, comme tous les autres acides, dans deux directions opposées, mais toujours pendant un espace de temps assez court. Ainsi, par une température de + 10 degrés centésimaux, l’acide sulfurique à la densité 1,093, étant séparé de l’eau par un morceau de vessie, le courant d’endosmose est dirigé de l’eau vers l’acide. Mais ce phénomène dure peu : bientôt l’endosmose est abolie, et si l’acide est placé en dessus, il descend vers l’eau, non par endosmose vers ce dernier liquide, mais simplement par filtration mécanique. Par cette même température de + 10 degrés, l’acide sulfurique réduit à la densité 1,054, étant placé dans l’endosmomètre dont le réservoir et une partie du tube sont plongés dans l’eau, le courant d’endosmose est dirigé de l’acide vers l’eau, en sorte que l’acide descend dans le tube de l’endosmomètre ; mais cette descente est bien différente par sa cause, de celle qui a lieu lors de l’abolition de l’endosmose. Dans ce dernier cas, la descente s’arrête lorsque le niveau s’est établi entre l’acide intérieur et l’eau extérieure, au lieu que lorsque la descente de l’acide a lieu par endosmose vers l’eau, l’acide descend dans le tube de l’endosmomètre assez profondément au-dessous du niveau de l’eau extérieure. C’est ce qui a lieu dans l’expérience dont il est ici question. Au bout d’un temps assez court, cette endosmose vers l’eau est abolie, et l’acide remonte lentement dans le tube de l’endosmomètre, jusqu’à ce qu’il ait atteint le niveau de l’eau extérieure. Nous voyons ainsi qu’à la température de + 10 degrés, l’acide sulfurique dont la densité est 1,093, offre l’endosmose dirigée de l’eau vers l’acide ; que sa densité étant 1,054, il offre l’endosmose dirigée de l’acide vers l’eau. Entre ces deux endosmoses opposées, il existe nécessairement un terme moyen qui n’offre point du tout d’endosmose ; ce terme moyen se trouve dans la densité 1,07 de l’acide sulfurique, la température étant toujours à + 10 degrés. Alors les deux liquides que sépare la membrane animale de l’endosmomètre marchent l’un vers l’autre avec égalité au travers de cette membrane, en sorte que le liquide contenu dans l’endosmomètre reste pendant un certain temps à la même hauteur dans le tube de cet instrument ; ensuite il se met à descendre par le fait de l’abolition de toute endosmose. Il m’a fallu faire ces expériences par une température peu élevée, pour distinguer ces divers phénomènes les uns des autres ; car lorsqu’il fait chaud, l’abolition de l’endosmose par l’acide sulfurique arrive si promptement que c’est à peine si l’on peut observer les légers phénomènes d’endosmose qu’il produit d’abord.

L’acide sulfureux à la densité 1,02 étant séparé de l’eau par une membrane animale, n’offre que la seule endosmose vers l’eau, et avec assez d’énergie. Au bout d’un temps assez court, il abolit l’endosmose comme le fait l’acide sulfurique. J’ai obtenu ces résultats à la température de + 5 degrés et à celle de + 25 degrés centésimaux.

J’avais anciennement regardé l’acide hydrosulfurique comme étant inactif par rapport à l’endosmose. Je l’assimilais, sous ce point de vue, à l’acide sulfurique ; le fait est qu’il est comme lui, propre à produire l’endosmose. Celui que j’ai employé possède la densité 1,00628 : étant séparé de l’eau par un morceau de vessie, il offre constamment l’endosmose vers l’eau. Mes expériences ont été faites avec ce même résultat, depuis la température de + 4 degrés jusqu’à celle de + 25 degrés centésimaux. Son action un peu prolongée abolit aussi l’endosmose.

L’acide nitrique, à une densité un peu forte, offre l’endosmose vers l’acide, lorsqu’il est séparé de l’eau par une membrane animale. Ainsi, par une température de + 10 degrés centésimaux, cet acide, à la densité 1,12 ou à une densité plus forte, offre l’endosmose vers l’acide ; à la densité 1,08 et dans les mêmes circonstances, il offre l’endosmose vers l’eau ; à la densité 1,09, il offre le terme moyen entre les deux endosmoses opposées. Par des températures plus élevées, l’acide nitrique, séparé de l’eau par une membrane animale, abolit très-promptement l’endosmose, surtout lorsque sa densité n’est pas très-forte, en sorte qu’on ne peut presque plus observer les phénomènes éphémères d’endosmose qu’il produit.

L’acide hydrochlorique est le plus puissant de tous les acides minéraux pour opérer la direction du courant d’endosmose de l’eau vers l’acide ; il faut affaiblir considérablement sa densité pour qu’il présente, avec une membrane animale, la direction du courant d’endosmose de l’acide vers l’eau. Ainsi, par une température de + 22 degrés centésimaux, l’acide hydrochlorique doit être réduit, par l’adjonction de l’eau, à la densité 1,003, pour qu’il offre l’endosmose vers l’eau, lorsqu’il est séparé de ce dernier liquide par une membrane animale ; à une densité plus forte, il offre l’endosmose vers l’acide. Lorsque la température est abaissée au-dessous de + 22 degrés, le même acide acquiert la propriété d’opérer l’endosmose vers l’eau, en possédant une plus forte densité. Ainsi, j’ai expérimenté que, par la température de + 10 degrés centésimaux, l’acide hydrochlorique à la densité de 1,017 offrait le terme moyen qui sépare l’endosmose vers l’acide de l’endosmose vers l’eau. Par cette même température, l’acide hydrochlorique à la densité de 1,02 offrait l’endosmose vers l’acide, et à la densité 1,015 présentait l’endosmose vers l’eau. Or, par une température plus élevée, l’acide hydrochlorique à la densité 1,015 présente l’endosmose vers l’acide. Ainsi, un abaissement de douze degrés centésimaux dans la température fait que le terme moyen de densité de l’acide hydrochlorique, terme moyen qui sépare les deux endosmoses opposées, monte du voisinage de la densité 1,003 à la densité 1,017, c’est-à-dire que la quantité d’acide ajoutée à l’eau est presque sextuplée.

Dans l’état actuel de nos connaissances, c’est à coup sûr un phénomène bien inexplicable que celui du changement de direction du courant d’endosmose, suivant le degré de densité de l’acide et suivant le degré de la température. L’étrangeté de ce phénomène apparaîtra encore davantage par l’observation qui va suivre. Jusqu’ici, c’est toujours par une membrane animale que j’ai séparé l’acide de l’eau ; je sépare actuellement ces deux substances par une membrane végétale. Nous avons vu plus haut que l’acide oxalique, séparé de l’eau par une membrane animale, offre toujours l’endosmose de l’acide vers l’eau, quelle que soit la densité de l’acide, quelle que soit la température. J’ai rempli d’une solution de cet acide une gousse de baguenaudier (colutea arborescens). Cette gousse, ouverte seulement à l’un de ses bouts, et formant ainsi un petit sac, fut fixée, au moyen d’une ligature et par son ouverture, à un tube de verre. Ayant plongé cette gousse vésiculeuse remplie d’acide dans l’eau de pluie, l’endosmose se manifesta par l’ascension du liquide acide dans le tube de verre, c’est-à-dire, que le courant d’endosmose fut dirigé de l’eau vers l’acide. La partie inférieure de la tige au porreau (allium porrum) est enveloppée par les pétioles tubuleux et engaînants des feuilles. En fendant sur l’un de leurs côtés ces tubes cylindriques, on obtient des membranes larges et suffisamment résistantes pour pouvoir être fixées au réservoir d’un endosmomètre au moyen d’une ligature. Un réservoir d’endosmomètre, pourvu de cette membrane végétale, ayant été rempli d’une solution d’acide oxalique et plongé ensuite dans de l’eau de pluie, l’acide s’éleva graduellement dans le tube de l’endosmomètre ; en sorte que, dans cette expérience, le courant d’endosmose fut dirigé de l’eau vers l’acide, ce qui est l’inverse de ce qui a lieu lorsque le réservoir de l’endosmomètre est fermé par une membrane animale. Les acides tartrique et citrique, employés à des densités inférieures à 1,05, et par une température de + 25 degrés centésimaux, offrent l’endosmose vers l’eau avec une membrane animale ; ils offrent, au contraire, l’endosmose vers l’acide avec une membrane végétale. J’ai essayé, à cet égard, des solutions d’acide tartrique décroissant graduellement de densité, depuis 1,05 (11 parties d’acide tartrique cristallisé sur 100 parties de solution) jusqu’à la diminution de la densité à 1,0004 (1 partie d’acide cristallisé sur 1000 parties de solution), et toujours j’ai obtenu l’endosmose vers l’acide. Mon endosmomètre était fermé avec une membrane mince et diaphane d’allium porrum, et je ne me servais que d’eau de pluie recueillie avec soin. L’abaissement graduel de la température, depuis + 25 degrés jusqu’à près de zéro, n’a rien changé à ce résultat. L’acide sulfurique, à la densité 1,0274, et par une température de + 4 degrés centésimaux, séparé de l’eau pure par une membrane végétale, m’a offert l’endosmose vers l’acide ; séparé de l’eau par une membrane animale, il m’a offert l’endosmose vers l’eau.

L’acide hydrosulfurique, à la densité de 1,00628, qui, séparé de l’eau par une membrane animale, offre constamment l’endosmose vers l’eau, offre au contraire l’endosmose vers l’acide lorsqu’il est séparé de l’eau par une membrane végétale. Je n’ai fait cette dernière expérience qu’à la température de + 5 degrés. L’acide sulfureux, à la densité 1,02, étant séparé de l’eau par une membrane animale, offre d’une manière énergique l’endosmose vers l’eau, et cela à toutes les températures au-dessus de zéro jusqu’à + 25 degrés centésimaux. Je n’ai point fait d’expériences d’endosmose par des températures plus élevées. Lorsque l’acide sulfureux à la densité de 1,02 est séparé de l’eau par une membrane végétale, il n’offre ni l’endosmose vers l’acide ni l’endosmose vers l’eau ; il paraît alors soumis aux simples lois de l’écoulement par filtration : il y a abolition de l’endosmose. J’ai voulu voir l’effet d’endosmose qu’il produirait avec un endosmomètre fermé par une lame d’argile cuite, et j’ai vu, non sans surprise, qu’il produisait très-énergiquement l’endosmose vers l’eau. J’avais mis l’acide dans le réservoir de l’endosmomètre, et ce liquide s’élevait assez haut dans le tube de l’instrument, que je plongeai dans l’eau jusqu’à l’endroit où l’acide s’élevait dans le tube. L’acide s’abaissa pendant quatre heures dans le tube de l’endosmomètre, et parvint dans cet abaissement jusqu’à près de 12 centimètres au-dessous du niveau de l’eau extérieure ; ensuite il remonta lentement dans le tube jusqu’au niveau de l’eau, et il s’y arrêta. Ainsi je vis que d’abord l’acide sulfureux avait descendu dans le tube au-dessous du niveau de l’eau par endosmose vers l’eau, et qu’il avait remonté par simple filtration vers le niveau de l’eau. Il n’y avait plus alors aucune endosmose ni vers l’eau, ni vers l’acide ; elle était abolie. L’acide sulfurique étendu d’eau, et pourvu ainsi de la densité 1,0549, se comporte comme l’acide sulfureux lorsqu’il est séparé de l’eau par une lame d’argile cuite ; il présente d’abord l’endosmose vers l’eau, mais au bout de quelques minutes cette endosmose s’arrête et n’est point remplacée par l’endosmose contraire ; il n’y a plus alors que simple filtration par l’effet de la pesanteur, toute endosmose est abolie. L’acide hydrosulfurique se comporte exactement de même étant séparé de l’eau par une lame d’argile cuite. Ce phénomène est d’autant plus singulier qu’il n’est point général. Ainsi l’acide oxalique présente l’endosmose vers l’acide lorsque ce dernier est séparé de l’eau par une lame d’argile cuite. J’ai observé ce phénomène depuis + 4 degrés jusqu’à + 25 degrés centésimaux, et avec les plus fortes densités que puissent acquérir les solutions de cet acide aux diverses températures comme avec de très-faibles densités de ces solutions. L’acide tartrique offre de même l’endosmose vers l’acide lorsqu’il est séparé de l’eau par une lame d’argile cuite. J’ai autrefois noté ce fait[7], qu’un peu d’acide sulfurique ou hydrosulfurique ajouté à de l’eau gommée, fait que le courant d’endosmose cesse de se porter de l’eau vers l’eau gommée, en sorte que ce dernier liquide, au lieu de monter dans le tube de l’endosmomètre, s’abaisse graduellement dans ce tube. J’avais attribué généralement ce phénomène à l’abolition de l’endosmose ; mais il est évident qu’il est dû, dans certains cas, à la direction du courant d’endosmose de l’acide vers l’eau. Ainsi, relativement à l’eau gommée acidifiée dont je viens de parler, placée au-dessus de l’eau dont elle était séparée par une membrane animale, elle s’abaissait dans le tube de l’endosmomètre, et s’écoulait vers l’eau sous-jacente, soit par abolition de l’endosmose, soit par le fait de l’existence de l’endosmose vers l’eau. L’expérience seule peut déterminer quelle est celle de ces deux causes qui fait descendre le liquide acide vers l’eau. Tous les acides, en les employant à la densité qui leur fait opérer l’endosmose vers l’eau, et en quantité suffisante, peuvent, par leur adjonction, vaincre la disposition que possédera un liquide quelconque à opérer l’endosmose opposée ; voici un exemple de ce phénomène. Le pouvoir d’endosmose de l’eau sucrée est des plus considérables, ainsi que je l’ai démontré ailleurs. L’eau qui tient en solution un 16e seulement de son poids de sucre, produit une endosmose rapide dirigée de l’eau vers l’eau sucrée. Or, j’ai expérimenté qu’en ajoutant à cette eau sucrée une quantité d’acide oxalique égale en poids à celle du sucre qu’elle tient en solution, c’est-à-dire, un 16e de son poids, on intervertit le sens du courant d’endosmose, lequel ne marche plus alors de l’eau pure vers l’eau sucrée, mais bien de l’eau sucrée et acide vers l’eau pure, en sorte que l’acide oxalique entraîne, pour ainsi dire, de force l’eau sucrée à laquelle il est associé, dans la direction d’endosmose qui lui est propre. Ici, c’est le liquide dense, visqueux, et peu ascendant dans les tubes capillaires, qui traverse la membrane animale avec plus de facilité et en plus grande quantité que ne le fait l’eau pure. Ceci s’ajoute aux preuves exposées plus haut, pour démontrer de la manière la plus péremptoire que le plus de facilité de perméation que manifeste l’un des deux liquides lors de l’endosmose, ne provient point de ce qu’il est moins visqueux que le liquide qui lui est opposé. J’ai dissous dans seize parties d’eau deux parties de sucre et une partie d’acide oxalique ; j’ai plongé dans cette nouvelle solution le réservoir d’un endosmomètre fermé par un morceau de vessie et rempli d’eau pure. Celle-ci n’a point varié d’élévation dans le tube de l’instrument pendant deux heures que j’ai continué l’expérience. Ainsi il n’y a point eu d’endosmose. Cependant j’ai trouvé que l’eau contenue dans l’endosmomètre contenait beaucoup d’acide oxalique ; cela était également apercevable par l’emploi de l’eau de chaux et par la dégustation. Ce dernier moyen y faisait également découvrir l’existence du sucre. Ainsi le liquide acide et sucré extérieur à l’endosmomètre avait pénétré dans l’eau que contenait cet instrument. Si cette introduction n’avait pas augmenté le volume de l’eau, cela provient de ce que celle-ci avait perdu par l’effet du contre-courant descendant un volume égal à celui du liquide introduit dans l’endosmomètre par le courant ascendant. Ici il n’y avait point d’endosmose, bien qu’il existât encore deux courants antagonistes au travers de la membrane qui séparait les deux liquides. On ne doit point perdre de vue, en effet, que je ne donne le nom d’endosmose qu’à l’existence d’un courant fort opposé à un contre-courant faible, courants antagonistes s’opérant simultanément au travers de la cloison qui sépare les deux liquides. Du moment que ces deux courants antagonistes deviennent égaux, il n’y a plus d’accumulation de liquide d’un côté, et dès lors il n’y a plus là d’effort de dilatation ou d’impulsion ; en un mot, il n’y a plus d’endosmose.

Le sens opposé dans lequel s’opèrent l’endosmose vers l’eau produite par les acides d’une densité déterminée et l’endosmose opposée produite par d’autres liquides, devait faire penser qu’en mettant un de ces derniers liquides dans un endosmomètre fermé par une membrane animale, laquelle serait baignée en dehors par une solution d’acide pourvu d’une densité convenable, on obtiendrait de la part du liquide placé dans l’intérieur de l’endosmomètre une ascension beaucoup plus rapide que celle qui a lieu lorsque c’est l’eau pure qui est le liquide extérieur. C’est effectivement ce que l’expérience m’a fait voir. J’ai mis dans un endosmomètre fermé par un morceau de vessie une solution de cinq parties de sucre dans 24 parties d’eau. Ayant plongé le réservoir de l’endosmomètre dans l’eau, j’ai obtenu, dans l’espace d’une heure, une ascension du liquide intérieur représentée parle nombre 9. Le réservoir du même endosmomètre contenant la même eau sucrée, ayant été plongé dans une solution d’acide oxalique dont la densité était 1,014 (3,2 parties d’acide cristallisé sur 100 de solution), j’obtins, dans l’espace d’une heure, une ascension du liquide intérieur représentée par le nombre 27. Ainsi, la substitution de la solution d’acide oxalique à l’eau pure, en dehors de l’endosmomètre, avait triplé l’introduction du liquide extérieur dans l’eau sucrée contenue dans l’endosmomètre, ou avait triplé l’endosmose. J’ai obtenu des résultats identiques avec les acides tartrique et citrique employés aux densités qu’il faut qu’ils possèdent pour opérer l’endosmose vers l’eau. Il semblerait résulter de ces dernières expériences, que l’eau chargée d’une faible proportion de l’un des acides dont il est ici question possède une puissance de pénétration plus grande que celle de l’eau pure au travers des membranes animales ; mais une expérience directe, rapportée plus haut, prouve qu’il n’en est rien. C’est toujours l’eau pure qui, employée seule, a le plus de puissance de pénétration au travers des membranes animales. Si donc, dans les expériences que je viens d’exposer, l’eau chargée d’acide passe au travers de la membrane animale, plus facilement et plus abondamment dans l’eau sucrée que ne le fait l’eau pure, cela provient évidemment de ce qu’il y a ici une double action physique que je n’entreprendrai point d’expliquer, savoir : 1° une action réciproque des deux liquides hétérogènes l’un sur l’autre, action qui modifie, qui intervertit même tout à fait la force de la puissance naturelle de pénétration propre à chacun de ces liquides lorsqu’ils sont employés isolément ; 2° une action particulière de la membrane sur les deux liquides qui la pénètrent, action qui, dans la membrane animale, donne le courant fort ou le courant d’endosmose à l’acide pourvu d’une densité déterminée, et le contre-courant faible ou le contre-courant d’exosmose à l’eau pure. On n’hésitera point, je pense, à reconnaître l’existence de cette action propre à la membrane animale, en voyant qu’une membrane végétale produit, dans les mêmes circonstances, des effets d’endosmose diamétralement opposés. L’action particulière qu’exerce la membrane séparatrice dans la production de l’endosmose se manifeste de même d’une manière éclatante dans l’expérience par laquelle j’ai fait voir plus haut que le courant d’endosmose est dirigé de l’eau vers l’alcool, lorsque ces deux liquides sont séparés par une membrane animale, et qu’au contraire le courant d’endosmose est dirigé de l’alcool vers l’eau, lorsque ces deux liquides sont séparés par une cloison membraniforme de caoutchouc.




  1. L’agent immédiat du mouvement vital dévoilé, etc.
  2. Nouvelles recherches sur l’endosmose, etc.
  3. J’ai dit ailleurs et je répète ici, qu’il ne faut avoir aucun égard à la signification étymologique de ces expressions mal choisies, endosmose et exosmose, expressions que je ne conserve que parce qu’elles sont actuellement adoptées, et qu’ainsi il y aurait de l’inconvénient à les changer. Ces expressions n’entraînent point du tout les idées d’entrée et de sortie que leur étymologie semble indiquer : ainsi le courant d’endosmose ou courant fort peut être dirigé tantôt du dehors d’un endosmomètre vers sa cavité, tantôt de cette même cavité vers le dehors. Lorsque le courant d’endosmose est dirigé du dehors vers le dedans de l’endosmomètre, le liquide contenu dans ce dernier monte graduellement dans le tube au-dessus du niveau du liquide extérieur. Lorsque le courant d’endosmose est dirigé du dedans de l’endosmomètre vers le dehors, le liquide contenu dans cet instrument s’abaisse graduellement dans le tube au-dessous du niveau du liquide extérieur, dans lequel le tube aura été enfoncé jusqu’à l’endroit où le liquide intérieur aura été artificiellement élevé. On voit ainsi qu’il y a deux manières opposées de faire ces expériences d’endosmose ; suivant la position que l’on donne aux deux liquides que sépare la cloison perméable, on fait monter le liquide contenu dans l’endosmomètre au-dessus du niveau du liquide extérieur, ou on le fait descendre au-dessous de ce même niveau. Il est bon, dans beaucoup d’expériences, d’essayer successivement ces deux manières d’observer l’endosmose.
  4. Annales de physique et de chimie, tom. XLIX, p. 411.
  5. Mémoires de l’Académie des Sciences, 1816.
  6. Nouvelles recherches sur l’endosmose et l’exosmose, etc., pag. 25. Voyez aussi mon mémoire imprimé dans les Annales de physique et de chimie, tom. XLIX, pag. 415.
  7. Nouvelles recherches sur l’endosmose et l’exosmose, etc., pag. 8.