Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/VIII

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Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. 235-300).

CHAPITRE VIII

MŒURS ET COUTUMES DES GENTILS ET DES MAURES.

Il y a comme vous savez, Monsieur, aux Indes des Peuples différens ; les Mahométans et les originaires Indiens que nous nommons Gentils. Commençons par ceux qui sont les plus anciens.

Mœurs et coutumes des Gentils.

« Sans savoir positivement dans quel tems vivoient Brama et leurs autres prétendues divinités[1], ils conviennent entre eux que ce fondateur de leur religion étoit un être d’une nature si excellente, qu’il n’étoit inférieur qu’à Dieu seul, d’une science infinie, toutes ses paroles étoient la vérité. À en juger par la conduite du genre humain, telle que nous la représentent les histoires des autres pays, on pourroit croire que Brama étoit un de ces grands génies que la Providence fait paroitre sur la terre de tems en tems pour le bonheur de l’humanité. Tels étoient Confucius, Zoroastre, et l’on pourroit ajouter Pierre le Grand qui, né dans un âge moins éclairé, auroit pu être aussi révéré parmi les Russes que les deux autres le furent dans leurs nations respectives, lorsque le tems eût répandu un voile sur ses défauts. »

« Ils font remonter l’existence de Brama à plusieurs milliers d’années avant notre époque de la création. Leur chronologie n’est pas, je crois mieux fondée que celle des Chinois, mais il est certain qu’ils peuvent prétendre à l’antiquité la plus reculée. Les premières relations que nous avons de ces peuples nous les représentent comme ayant déjà porté les arts utiles à une grande perfection, ce qui ne peut être que l’ouvrage de bien des siècles, a en juger par les progrès de ces mêmes arts parmi nous. Peut-être ces pays orientaux, peuplés dès l’enfance du monde, n’ont-ils jamais dégénéré dans cet état de barbarie dans lequel nous avons été si longtems enveloppés. La terre, le climat étoient favorables à l’espèce humaine. L’âme ignoroit ces passions fougueuses que nos besoins dans un climat plus rigoureux ont naturellement fait naître.

« Les Brames disent que Brama, leur législateur, leur a laissé un livre, le vedam[2], qui contient toute sa doctrine et ses institutions. Quelques uns disent que la langue originale dans laquelle ce livre avoit été écrit, est totalement perdue, et qu’on ne possède à présent qu’un commentaire nommé Shastah, ou chastah, écrit dans la langue sanscrite connue seulement des Brames qui en font une étude particulière. La morale de ce livre enseigne à croire en un être suprême qui a créé une gradation régulière d’êtres, les uns supérieurs, les autres inférieurs à l’homme, l’immortalité de l’âme, et un état futur de récompenses et de punitions qui consistent dans la transmigration d’un corps à un autre, selon la vie qu’on aura menée dans son état précédent. Tel est l’objet de la croyance des vrais Brames, ou plutôt de ceux qui sont instruits, et le nombre n’est pas grand, mais dans l’opinion qu’il falloit avoir recours à des objets sensibles pour rendre tout cela intelligible au vulgaire, on s’est servi d’allégories pour expliquer cette doctrine. De là sont venues toutes les images de l’être suprême, diversifiés selon l’attribut particulier qu’on vouloit exprimer : sa puissance par une figure avec quantité de bras armés de diverses façons ; sa sagesse par celle d’un homme avec une tête d’éléphant ; ainsi du reste, et c’est, on peut dire la vraie source de l’idolâtrie, car par la suite des tems on a perdu l’explication de ces figures ; elles sont devenues elles-mêmes les objets du culte, et comme la connoissance de la langue sanscrite est réservée à un très petit nombre de Brames des plus savants, ils se trouvent seuls possesseurs de cette espèce de lanterne magyque, d’où ils font réfléchir tels objets qu’il leur plait. D’ailleurs, quoique tous les gentils du continent depuis le cap Comorin jusqu’à Lahore s’accordent[3] à reconnoitre le vedam, cependant ils différent beaucoup dans les altérations qui ont été faites. De là différentes figures sont adorées dans diverses parties de l’Inde, et la première simple vérité d’un être tout puissant se trouve ainsi perdu dans le culte absurde d’une multiplicité d’images qui, dans le principe, n’étoient que les symboles de ses divers attributs.

« Ces divinités sont adorées dans des temples qu’on nomme Pagodes[4], bâtis dans toutes les parties de l’Indoustan, dont l’étendue est une terre sainte pour ses habitans, c’est à dire, il n’y a pas un seul endroit où quelque divinité n’ait paru et n’ait fait quelque chose pour mériter un temple et des Brames pour le desservir. Quelques uns de ces batimens sont d’une grandeur énorme, élevés en pierre de taille, et paroissent avoir été l’ouvrage de plusieurs siècles ; quelques uns sont suposés être l’ouvrage de la divinité même ; ils sont ornés de figures représentant les amours de leurs dieux et leurs histoires particulières. Là c’est Eswara qui tord le col à Brama, ici c’est le Soleil à qui on fait sauter toutes les dents, la Lune à qui on a mis le visage en compote dans un repas auquel les dieux s’avisent de se battre. Ils disent que le Soleil et la Lune portent encore les marques de ce terrible combat. Ça et là dans leurs histoires on reconnoit bien quelques allégories morales et métaphysiques ; on apperçoit aussi de tems en tems les traces d’un premier législateur, mais en général le bon sens est si choqué de tout ce qu’il voit, qu’on ne conçoit pas comment un peuple raisonnable ait pu donner dans de pareilles extravagances.

« Leurs coutumes font partie de leur religion[5] étant sanctifiées par le prétendu divin caractère de leur législateur. Si les conjectures étoient permises, on pourroit suposer que le Brama étoit roi ainsi que législateur dans tout le continent de l’Inde, que son principal but a été d’attacher les Indiens à leur pays, et de rendre sacrées pour cet effet toutes les coutumes qu’il jugeroit à propos d’y établir. De là leur vénération pour les trois grands fleuves qui arrosent le pays, le Gange surtout, l’Indus et le Khri[s]tna ; de là celle qu’ils ont pour la vache, créature si essentiellement nécessaire dans un pays où le lait est la nourriture la plus saine, et où les bœufs sont si utiles pour la culture des terres. Mais ce qui distinguent particulièrement les Indiens des autres nations est leur division en tribus ou castes. »

Il n’est pas possible d’en dire le nombre[6], chaque métier a pour ainsi dire sa tribu particulière[7]. « Celle des Brahmes est la première, mais encore a-t-elle tant de sous-divisions qu’on s’y perd. Il y a des brames de divers dégrés d’excellence, qui ont le soin de la religion. Ils sont sacrés pour les autres Indiens ; ils ont un empire despotique sur tous les esprits. Il est assez difficile de donner un caractère général des brames, à cause de la différence qui se trouve dans leurs vues particuliers, et les dégrés de connoissance qu’ils peuvent avoir. Quelques uns de ceux avec qui j’ai eu occasion de m’entretenir[8], avouent leurs erreurs introduites dans leur religion, reconnoissent un être suprême, tournent en ridicule la superstition et l’idolâtrie de la multitude, mais en même tems soutiennent que c’est une nécessité de s’accommoder à la fo[i]blesse du peuple et ne veulent admettre aucun doute sur le prétendu divin caractère de leur législateur. Parlez leur de la vérité de la religion chrétienne, ils répondent que le tout peut être vrai, mais que Dieu a donné à chaque nation des loix particulières, une forme de culte différente des autres, qu’il leur a prescrit la leur, suivie par leurs ancêtres depuis plusieurs milliers d’années, et qu’ils n’ont aucune raison de douter qu’elle lui soit agréable. Cette façon de penser les porte à ne point s’embarasser de faire des prosélites, et fait qu’on ne peut guères les convertir. » Les brames descendent probablement des Brachmanes, dont l’antiquité parle avec tant de vénération, philosophes renommés dans le monde entier pour leurs sciences, et qui excelloient en astronomie ; mais en ce cas on peut dire que leurs descendants ont bien dégénéré, soit en qualité de philosophes, soit à titre de savans. Ils n’ont conservé que l’empire usurpé sur les consciences. Un petit nombre d’entre eux qui, comme j’ai dit, sont versé dans leur langue savante prennent l’essor au dessus du vulgaire. On en trouve quelques uns qui ont poussé leurs études dans les mathématiques assez loin pour se faire un système du monde entier, et un cours d’astronomie plus régulier qu’on ne croiroit, mais qui n’approche pas de la perfection à laquelle cette science est parvenue chez les Européens. Ils calculent très bien leurs éclipses. Je me souviens d’avoir entendu dire souvent au V. P. Boudier[9], Jésuite, qu’il avoit été surpris des connoissances qu’il avoit trouvées dans certain raja[10] qu’il avoit eu occasion d’entretenir pendant ses voyages dans l’Inde. Je me souviens aussi d’un certain Saladjes jnontra, officier de distinction, qui étoit à Patna, et que je voyois très souvent ; c’étoit un plaisir de l’entendre discourir et de voir les moyens dont il se servoit pour tâcher de concilier ses idées particulières d’astronomie et de géographie avec celles qu’il avoit puisées parmi les Européens. Par une application suivie, il étoit venu à bout de concevoir assez bien notre système de l’univers. « Du reste[11], on peut dire que les brames en général sont aussi ignorants que la multitude ; cela vient de ce que ceux qui étudient la nature, et qui ont pénétré dans quelques uns de ses secrets, ne cherchent que les moyens d’en profiter pour tromper le peuple et s’attirer leur vénération. Pour y parvenir il est nécessaire que le mystère ne soit confié qu’à très peu de personnes. Par exemple, on doit être surpris d’entendre tous les brames prédire immanquablement une éclipse, et cependant, demandez leur ce que c’est qu’une éclipse, ils vous feront tous l’histoire absurde d’un dragon qui veut dévorer le soleil ou la lune. Pour éviter ce malheur il faut avoir recours aux ablutions, aux charités, il faut, disent ils, se purifier dans la rivière, et faire beaucoup de bruit pour épouvanter le dragon. L’éclipse passée, ils ont grand soin de faire entendre au peuple, que sans toutes ces cérémonies, le dragon n’auroit pas quitté prise. Au fond, le commun des brames n’en sait pas plus que le peuple, mais ils ont entre les mains une suite d’éclipse[s] calculées pour quelques milliers d’années, travail dû à quelques brames réellement savans, dont ils abusent pour tirer avantage de l’ignorance de la multitude. Leur système est que sans cela, le peuple ne pourroit être bien gouverné ; ainsi l’on ne doit pas être surpris des excès où les emporte l’astrologie judiciaire qu’ils ont poussée jusqu’au dernier degré de folie. L’almanach composé par leurs brames a une planette, ou un génie particulier, non seulement pour chaque jour mais encore pour chaque heure, chaque minute et chaque action. Rien ne se fait sans le consulter, et pour former ce qui s’appelle le moment heureux, il faut le concours de je ne sais combien de circonstances favorables. Certains jours sont bons pour marcher dans le nord ; d’autres jours sont pour aller au sud ; certains jours sont tellement remplis ou occupés par les mauvais génies qu’il faut absolument s’abstenir de toute affaire. Lorsqu’après bien des consultations faites dans toutes les règles, on prend enfin son parti ou se croit au moment d’agir, s’il survient un coup de tonnerre, voilà tout dérangé, toutes les résolutions sont anéanties, quelque chose que puisse dire l’almanach et vous remarquerez que les Mahométans ne sont pas plus sensés là dessus que les Gentils ; ils ont aussi leurs astrologues, de sorte qu’entre Mahométans et Gentils, il y a pour le moins la moitié de l’année perdue par les mauvais génies. Le principal astrologue est de tous leurs conseils, rien n’est entrepris sans son avis, et son veto est tout aussi efficace que pouvoit l’être celui d’un tribun dans le sénat de Rome. L’opinion qu’on y a attachée le rend, en effet, de la plus grande conséquence. Un général qui s’aviseroit de faire marcher l’armée contre le sentiment de l’astrologue, seroit tout aussi condamnable que le général romain qui engagea le combat, quoique les poulets ne voulussent pas manger. »

Il y a, comme j’ai déjà dit, plusieurs divisions dans la caste des brames. Ils portent tous le cordon, mais diffèrent par le nombre de fils dont il est composé. Les grands brames ne peuvent rien manger de ce qui a vie. Si, à l’aide d’un microscope, vous leur faites voir des insectes dans les fruits, dans le lait qu’ils mangent, ils vous disent que c’est une erreur de votre part, que l’objet aperçu est dans le verre et non dans ce qu’ils mangent. Leur abstinence de toute chair vient sans doute de la doctrine de la métempsycose, mais comment concilier cette opinion avec la permission qu’ont les autres gentils, et même beaucoup de brames de manger de plusieurs sortes de poissons, du mouton, du cabri et de presque toutes les bêtes fauves ? Certains animaux terrestres ou aquatiques qui sont permis à une caste sont défendus à une autre ; il n’y a que la dernière[12] à qui il soit permis de manger de tout, aussi est-elle toujours regardée comme impure. Ces distinctions me feroient croire que dans le système du législateur, il entroit moins de religion à cet égard que de politique pour la conservation des animaux. Les seuls véritablement sacrés sont la vache, le bœuf, le veau, certains oiseaux sauvages ; la volaille domestique est regardé comme impure chez les gentils, même plus que le cochon parmi les Maures. J’ai dit qu’il étoit permis à des brames de manger certaines viandes. J’en ai eu à mon service qui mangeoient tous les jours de la viande de cabri. Au reste, c’est, je crois, selon les circonstances où le brame se trouve ; à l’armée, par exemple, en voyage, il lui sera permis de faire bien des choses dont il seroit obligé de s’abstenir s’il étoit chez lui ; mais, d’ailleurs, il faut que l’animal dont il mange la chair ait été sacrifié à son idole et, que le tout soit apprêté de la main d’un brame. Qui que ce soit d’une autre caste ne doit toucher au plat, sans quoi, il faudroit refaire la cuisine. Du même principe un brame ne peut s’allier à une autre caste, parce que la sienne est la plus élevée. Malgré cette supériorité si décidée au faveur des brames, on en voit quantité qui servent dans les familles des castes inférieurs, surtout dans celles des riches marchands et banquiers qui, ainsi que les rajas, se font un honneur de ne rien manger qui ne soit préparé par un brame. Ce brame domestique, cependant, conserve toujours sa dignité ; il reçoit l’humble salut de son maître, et le lui rend en tendant la main droite d’un air de protection.

Les avantages temporels qui reviennent aux brames de leur autorité spirituelle, et l’impossibilité d’être admis dans leur tribu, ont probablement donné naissance à cette prodigieuse quantité de faquirs qui, par les pénitences les plus austères, se mettent à la torture pour s’attirer la même vénération qu’un brame acquiert par sa seule naissance.

« Les Brames[13] qui se trouvent tout à fait dégagés des affaires du monde, forme une espèce de gens fort superstitieux et de mœurs très innocentes, qui étendent la charité autant qu’ils peuvent sur les hommes et les animaux ; ils font consister la perfection de leur religion dans l’observation exacte du nombre de cérémonies prescrites en l’honneur de leurs dieux, et dans la plus grande attention à préserver leurs corps de toutes souillures ; de là toutes ces purifications, ces ablutions, auxquelles on les voit presque toujours occupés. » Un Européen qui, pour la première fois de sa vie, verroit un brame faire sa prière sur le bord du Gange, ou à quelque fontaine privilégiée, seroit tenté de le prendre pour sot par la quantité de signes qu’il fait et la variété de ses gestes ; il faut assurément qu’il ait bonne mémoire pour ne pas se tromper. Probablement ils ont quelque livre qui répond à notre rituel, mais beaucoup plus ample.

Le service qu’ils estiment le plus agréable à leurs divinités est celui qu’ils nomment Pouja, qui n’est autre chose qu’un sacrifice d’offrandes, accompagné de toutes les cérémonies que la superstition peut avoir inventée. Les rajas le font célébrer presque tous les jours chez eux, et même dans leur camp. Ils ont un certain nombre de brames qui officient. Le chef brame fait arranger sur des planches, ou sur un lit de gazon tous les petits dieux, ou pagodes de différens métaux et figures. On y met des vases pour les ablutions, on y répand toutes les fleurs de la saison, on y apporte en offrande du ris, du blé, du sel, enfin les fruits de la terre qu’on est à portée d’avoir. Le principal brame, assisté de ses confrères, fait les prières accoutumées auxquelles doivent se joindre tous les Indiens présents. Pendant la cérémonie qui dure une heure et plus, on entend de tems à autre, le carillon de plusieurs clochettes, et surtout à la fin, le tintamarre devient insupportable.

Tous les brames qui, d’une manière ou d’autre, se trouvent engagés dans les affaires du monde, n’ont rien dans leurs mœurs qui doive leur faire donner la préférence sur les autres Indiens, bien au contraire, ils ne les valent pas. Dans la persuasion où ils sont que l’eau du Gange doit effacer leurs crimes, et n’ayant, d’ailleurs, presque rien à craindre des loix sous un gouvernement gentil, ils abusent souvent de leurs privilèges pour donner dans des excès qu’on voit rarement parmi les autres Indiens.

Les Tribus inférieures à celle des brames doivent toutes avoir leur rang assigné. L’Indien d’une caste inférieur se croit honoré en adoptant les coutumes d’une caste au dessus, mais celle-ci sacrifieroit tout plutôt que de céder le moindre de ses privilèges. L’inférieur reçoit tout avec respect du supérieur, mais celui ci ne mangera absolument rien de ce qui aura été accommodé par une personne d’une caste au dessous de la sienne. Leurs mariages, ainsi que ceux des brames, sont limités dans leurs castes particulières, aucune alliance étrangère n’est permise. Cependant on fraude la loi ; du moins j’ai vu des exemples par lesquels il sembleroit prouvé que dans certains cas, un homme peut prendre une femme d’une caste supérieure à la sienne, mais il ne doit jamais en prendre une qui lui soit inférieure. De là, outre la physionomie commune à tous les Indiens gentils, on reconnoit un air de ressemblance dans les personnes d’une même caste. Il y a des castes remarquables pour leur beauté, d’autres qui le sont par leur laideur ; la dernière est celle qu’on nomme halalkores[14]. C’est un composé de tout ce que la nation a de plus vil ; destinés à la misère par leur naissance, ils sont employés dans la société à ce qu’il y a de plus bas ; leur fonction la moins ignoble est celle d’enterrer les morts. Les blanchisseurs[15] sont un degré au dessus. Les halalkores sont regardés avec tant d’horreur que dans quelques parties de l’Inde, comme à la côte Malabare, si un halalkore vient à toucher un homme distingué par sa naissance, un Nair, par exemple, celui ci tire son sabre et le tue impitoyablement ; il n’a à craindre ni les loix, ni les remords de sa conscience. Un Indien qui vient à perdre sa caste, telle qu’elle soit, se trouve dans la caste des halalkores, mais ce n’est pas sans retour. Aujourdhui il n’y a point de crimes que les brames n’ayent trouvé le moyen de faire expier moyennant des pénitences, et surtout des aumônes, dont une bonne partie tombe dans leurs mains.

La plupart des gentils vivent de lait, de ris et de légumes assaisonnés d’épiceries et autres drogues que fournit le pays. Ils se contentent de cette nourriture moins par religion que parce qu’elle leur coûte peu, car les brames exceptés, et une ou deux autres castes, il leur est permis de manger du poisson et certaines viandes ; aussi ceux qui sont en état de se procurer ces douceurs s’en privent rarement. Il y a quelques castes distinguées, où l’on voit toutes les familles, quoique riches, se nourrir beaucoup plus scrupuleusement que les brames mêmes ; soit par dévotion, soit par ostentation, il n’est pas permis d’y brûler du suif parcequ’il vient de l’animal ; je ne sais même s’il leur seroit permis d’avoir une tabatière d’écaille ou de corne. On leur met dans l’idée qu’en se condamnant à une abstinence aussi scrupuleuse de tout ce qui a raport à l’animal, ils auront un jour le bonheur d’être associés aux brames par les transmigrations. Ils devroient donc, pourriez vous me dire, s’abstenir aussi de lait, et de nos draps. Mais il y a une différence ; le lait et la laine se tirent de l’animal sans qu’il en souffre. Le soldat gentil a la permission de manger du mouton, du poisson, du gibier. En général, on doit convenir que l’Indien vit très sobrement ; on en voit très peu qui fassent usage de liqueurs fortes.

Il seroit trop long de détailler toutes leurs cérémonies, ou plutôt leurs folies religieuses. Plusieurs autres en ont fait des collections très amples, sans compter celles que donneront probablement un jour les Missionnaires Italiens qui m’ont paru avoir très approfondi la religion des Gentils et les différences qui s’y trouvent d’un pays à l’autre. Je me contenteroi de dire qu’ « au milieu de tant d’erreurs, on voit avec plaisir qu’ils reconnoissent les vérités qui forment l’harmonie de l’univers, savoir qu’il existe un être suprême, à qui rien ne peut être aussi agréable que la charité et les bonnes œuvres. Les cérémonies de leur culte au grand temple de Djagonat, où tous les Indiens vont en pèlerinage, semblent n’avoir été instituées que pour leur rappeler ces vérités. Là, le brame, le laboureur, le marchand, toutes les castes présentent leurs offrandes, mangent et boivent ensemble, donnant par là à entendre que toutes les distinctions sont d’invention humaine, et qu’aux yeux de Dieu tous les hommes sont égaux.

« Cette division, en différentes classes, a eu deux effets sur toute la nation ; elle est cause, par le défaut d’union entre les membres qui la composent qu’elle a dû toujours être facilement vaincue par le premier étranger qui s’est présenté ; mais aussi c’est cette même division qui a soutenu les manufactures dans le pays, malgré toutes les vexations des Mahométans, car tant que le fils ne peut suivre d’autre profession que celle de son père, les manufactures ne peuvent tomber qu’en exterminant la nation même. » Ce que dessus cependant ne doit pas être pris à toute rigueur. J’ai eu occasion de voir des gentils d’une profession toute autre que celle de leur père. J’ai vu aussi beaucoup de soldats ou sipayes, dont les pères n’avoient jamais été soldats ; mais à l’égard de ces derniers on peut dire qu’il est permis à tout gentil d’être soldat. Le législateur n’a jamais prétendu les mettre hors d’état de se défendre, quoiqu’il les ait mis en effet dans l’impossibilité de faire une bonne défense, et c’est en quoi il s’est trompé ; il y a des brames soldats, j’en ai vu, qui se battoient très bien.

« Les gentils se marient dès l’enfance. Malgré cela les femmes indiennes sont remarquables par leur fidélité conjugale qui les porte à suivre leurs maris sur le bûcher. Beaucoup de personnes prétendent que cette coutume ne fut établie que pour en abolir une qui s’étoit introduite, dont les maris étoient la victime. » Mais pourquoi cette coutume n’est-elle que dans certaines castes ? car il s’en faut de beaucoup que toutes les femmes ayent la permission de se brûler ; on dira, peut-être, qu’il n’y avoit que ces castes où les femmes s’avisassent d’empoisonner leurs maris. Quoiqu’il en soit[16], il est certain « qu’aujourd’hui la plupart des femmes paroissent se prêter à ce sacrifice par un sentiment d’honneur et d’affection conjugale. Il faut remarquer que le mari et la femme sont élevés ensemble dès leur enfance. La femme n’a aucune occasion de faire connoissance d’un autre homme ; toutes ses affections sont concentrées dans le seul objet de son amour. » Elle est instruite de bonne heure et préparée à ce sacrifice qu’elle est accoutumée à regarder comme le plus grand bonheur qui puisse lui arriver. Elle est fortement persuadée qu’en se brûlant avec son mari, elle sera heureuse avec lui dans l’autre monde, quoique, peut être, elle ait été maltraitée dans celui ci. J’ai vu brûler des femmes qu’on m’a assuré n’avoir pas été trop bien avec leurs maris. On fait entendre à la femme, que si elle néglige de donner cette dernière marque de son amour, elle court risque de perdre pour jamais son mari qui pourroit bien se remarier pendant son absence. Quelques mauvaises que soyent ces raisons, néanmoins si ces pauvres femmes sont réellement persuadées de leur solidité, il faut avouer qu’elles forment ensemble un puissant motif. Tout cela est bon pour celles qui sont enthousiasmées de leur mari ; mais comme dans le grand nombre des femmes qui se brûlent, il en faut compter quelques unes qui, peut-être, ont toujours été très peu sensibles à l’amour conjugal, semblables à celle dont parle M. de Voltaire qui, très disposée, d’ailleurs, à se brûler, ne voulut plus y consentir, dès qu’on lui fit entendre qu’elle alloit joindre son mari. Il faut bien que quelque autre motif les engage à ce sacrifice. Aussi Messieurs les brames ont-ils soin d’étudier le caractère de la femme, ses inclinations ; l’honneur de la famille intéressé à ce que cette femme se brûle, porte les parens à ne rien cacher aux brames. On n’a garde de lui parler de son mari, ou si on lui en parle, c’est pour lui faire espérer qu’elle le retrouvera tel qu’elle pourroit le souhaitter, tant par la figure que pour le caractère, qu’elle jouira d’un bonheur éternel, dont on explique les détails de la manière à l’enchanter. On lui représente l’honneur de sa famille, le sien, la disgrâce, l’infamie dans laquelle elle doit passer ses jours si elle ne se brûle pas, les malheurs qui l’attendent ; de sorte que cette pauvre créature n’est bientôt plus à elle même, son imagination est enflamée par tout ce qu’elle entend ; l’amour quelquefois, mais plus souvent l’honneur, la crainte, l’espérance, tous ces motifs puissants, assaisonés de quelques prises d’opium qu’on a soin de lui faire prendre, la font passer par cette épreuve terrible avec un courage qui paroit au dessus de l’humanité.

Dans quelques parties de l’Inde, lorsque le raja vient à mourir, non seulement ses femmes se brûlent, mais son médecin même est obligé d’en passer par là ; aussi lorsque le raja commence à vieillir, on le laisse souvent se soigner lui même.

Ce n’est pas dans les femmes seules qu’on remarque ce courage à affronter la mort ; les hommes en donnent quelquefois des exemples. On verra un brame, ou même un homme fort au dessous qui se croira deshonnoré, et obligé de perdre sa caste, on le verra s’ouvrir le ventre d’un coup de couteau, et mourir à la porte de celui qui l’a maltraité. On a vu souvent des pères et mères, dans l’impuissance de se venger, avaler du poison et se punir eux mêmes de l’affront fait à leur famille par la violence des Mahométans. C’est un double crime, disent-ils, qu’ils rejettent sur le coupable, et que la divinité ne laisse jamais impuni. Les punitions corporelles ne font rien à un gentil pourvu qu’elles n’attaquent point son honneur établi sur les principes de sa religion. Les gouverneurs maures savent bien tirer parti de cette façon de penser, lorsqu’ils veulent tirer de l’argent d’un gentil ; il souffrira mille coups de fouet, plutôt que de découvrir son trésor, mais si sa pureté religieuse est en danger, il cède souvent et donne ce qu’on lui demande ; s’il n’en a pas le moyen, souvent il trouvera parmi ses confrères de quoi y supléer. Le courage se fait appercevoir dans tous, à ces sortes d’occasions quelques lâches qu’ils puissent être d’ailleurs.

« Les Indiens sont assez charitables. Les brames qui, à d’autres égards ont perverti la doctrine du législateur ont eu, néanmoins, grand soin d’entretenir l’amour du prochain dans les esprits, en leur faisant comprendre combien une transmigration heureuse ou malheureuse dépend de l’exercice ou du défaut de cette vertu. Ils y ont même attaché une sorte de vanité qui, pour le bonheur du pays, étend partout ses effets. Rien ne flatte plus leur ambition que d’avoir un temple, une chauderie, un étang qui porte leur nom ; ce sont des monumens publics qui font plus honneur aux enfans que toutes les richesses que leurs parens auroient pu leur laisser. »

Les mœurs d’un Indien sont douces. Il fait consister son bonheur dans les plaisirs d’une vie privée. Ses amusemens sont d’aller à la pagode, d’assister à toutes les fêtes de religion qui sont fréquentes, et dont quelques unes sont très gayes. Il fait son étude et son plaisir de remplir avec la plus grande précision une variété de cérémonies que le brame lui prescrit en toute occasion, car un indien offense continuellement ses dieux ; il est toujours en faute par les idées singulières qu’il s’est formées sur l’impureté. Il faut donc qu’il soit sans cesse occupé à réparer le mal ; mais il n’y peut réussir qu’en satisfaisant à tout ce qu’exige le prêtre. Sa religion lui défend de voyager sur mer, aussi, n’a-t-il besoin de rien du dehors ; la terre qu’il occupe lui fournit abondamment et sans peine toutes les nécessités, toutes les commodités de la vie. Cette deffense ne s’étend pas, cependant, sur les soldats, ou du moins y a-t-il une tolérance en leur faveur.

Lorsque les Indiens voyagent sur les rivières, et surtout sur le Gange, ils ne peuvent faire cuire leur nourriture tant qu’ils sont sur le batteau ; ils se soutiennent toute la journée en mangeant du béthel, quelques fruits secs, du ris et d’autres grains passés au feu la veille. Sur le soir le batteau vient à terre ; pour lors ils font leur cuisine, mais avec autant de précautions que les brames. C’est ce que j’ai eu occasion de voir plusieurs fois en parcourant le Gange avec des flottes considérables. Quelque fois j’avois avec moi plus de mille rameurs, dont les trois quarts étoient Gentils. À l’attérage, les Maures qui s’étoient bien nourris chemin faisant ne songeoient plus qu’à dormir, pendant que les pauvres gentils, quoique aussi fatigués, étoient obligés de travailler à leur cuisine. Ils se mettent cinq ou six ensemble, parmi lesquels on prend le plus entendu qui fait nettoyer et laver un petit espace de 8 ou 10 pieds de diamètre, et dont la circonférence doit être bien marquée ; après quoi il fait faire de petits fournaux, et se met à travailler pendant que les autres lui apportent du bois, de l’eau et autres choses dont il peut avoir besoin. Si quelqu’étranger passe, ils ont soin de crier de ne pas approcher. Si malheureusement, un homme d’une religion différente vient à toucher ce qui contient leurs vivres, c’est autant de perdu pour eux ; il faut qu’ils recommencent à nouveaux frais. Le cas est arrivé souvent. J’ai vu quelquefois des soldats Européens pris de boisson, et par pure malice attendre le moment que tout fût prêt pour porter le trouble parmi nos rameurs ; il falloit entendre alors les cris et les plaintes de ces pauvres gens ; si on ne leur rend pas justice, il y a de quoi les faire tous déserter. On punit le soldat et le commandant est obligé de donner aux brames de quoi acheter de nouvelles provisions.

« De tout ce que je viens de dire[17] on a lieu de conclure que les Gentils sont un peuple doux, superstitieux et charitable, caractère formé par leur tempérance, leurs coutumes et leur religion. Ils connoissent peu ces différentes passions qui, parmi nous, forment les plaisirs et les peines de la vie. En se mariant aussi jeunes, et n’ayant, d’ailleurs, aucune idée de ce que nous nommons société de femmes, ils sont moins sujets à l’amour, c’est à dire à ses violents effets. L’ambition se trouve bornée autant qu’elle peut l’être par les obstacles insurmontables que la religion a posés en limitant la sphère de chaque individu. À l’égard de toutes ces folies que la débauche occasionne, elles ne peuvent avoir lieu, puisqu’ils s’abstiennent de toutes liqueurs enivrantes ; mais aussi de tout cela, il résulte qu’ils n’ont pas cette force d’esprit ni toutes les vertus entées, pour ainsi dire sur ces passions qui rendent nos sentimens beaucoup plus vifs ; ils préfèrent une apathie fainéante et répètent souvent ce passage d’un de leurs livres, il vaut mieux s’asseoir que de marcher, se coucher que d’être assis, dormir que de veiller, et la mort vaut mieux que tout. Leur tempérance jointe à la chaleur accablante du climat éteint toutes leurs passions, et ne leur laisse que l’avarice, passion favorite des âmes foibles. Ce penchant à l’avarice est d’ailleurs fortifié par l’oppression du gouvernement qui ne permet pas a un sujet de s’élever au dessus de la médiocrité. L’autorité a toujours été jalouse de l’influence des richesses. Les gouverneurs mahométans voient d’un œil impatient l’accroissement de la fortune des particuliers, et l’enlèvent au moment qu’ils s’y attendent le moins pour prévenir ce malheur. Un gentil a coutume d’enterrer son argent si secrètement que ses propres enfans n’en ont aucune connoissance. Le gouvernement fait saisir sa personne, mais vous seriez étonné de ce que ce gentil souffrira plutôt que de découvrir son trésor. Lorsque les traitemens les plus rudes ont été sans effet, on le menace de le souiller, de lui faire manger de la vache, par exemple, ce qui lui feroit perdre sa caste ; mais cela même quelquefois est inutile. Le désespoir faisant oublier au gentil tout ce qui peut l’attacher à la vie, il s’ouvre le ventre, ou avale du poison, et porte son secret au tombeau. Il se perd de cette façon des sommes considérables ; c’est même la meilleure raison qu’on puisse donner de ce qu’on ne voit pas l’argent devenir plus commun dans l’Inde, quoiqu’il n’en sorte pas[18], et malgré la quantité qu’on y transporte tous les ans.

« Les Gentils dans les provinces du sud sont assez grands, mais minces, foibles, et très souples. Leur manière de se nourrir n’est pas propre à faire des hommes robustes. C’est à la souplesse dont est partagée toute la forme d’un corps indien, et qu’on remarque encore mieux dans la configuration de sa main, que nous sommes redevables de la perfection à laquelle ils ont porté leurs manufactures de toiles. Le même instrument dont se sert un Indien pour faire une belle pièce de mousseline produiroit à peine une pièce de canavas sous les doigts inflexibles d’un Européen. Les Indiens paroissent d’une assez bonne santé, et malgré cela on les voit rarement parvenir à un grand âge, mais aussi ils sont hommes lorsque nous ne sommes encore qu’enfans. Rien de plus commun que de voir un enfant dans les bras d’une mère d’onze a douze ans, et dont le père n’en a pas plus de treize à quatorze. Les femmes stériles sont très rares, mais elles ont peu d’enfans. À 18 ans, leur beauté est sur le déclin, et à 25 elles paroissent vieilles. Les hommes se soutiennent mieux ; trente ans est leur tropique, passé cela, ils tombent à vue d’œil. Ainsi l’on peut dire que le printems de la vie est très court chez eux ; leurs organes sont usés avant que les facultés de l’âme ayent pu parvenir à aucune perfection[19]. »

Il ne faut pas comprendre dans le caractère général de l’Indien ceux qui habitent les bois et les montagnes, cela fait un peuple tout différent. Ils sont la plupart comme des sauvages, voleurs déterminés et bravant la mort pour le plus petit intérêt. Dans la presqu’isle on les nomme Taliars, Kalers. Ils ont des chefs puissans nommés Paléagars que les gouverneurs de province sont souvent obligés de déménager. Dans le Bengale et dépendances, il y a beaucoup de ces sortes de créatures qui habitent le long des montagnes de Rajemolle, et la province de Bodjepour en est remplie.

Toutes les armées dans l’Inde ont avec elles certain nombre de voleurs qu’on nomme Loutchas dont les chefs sont au service des commandants à qui ils payent, d’ailleurs, plus ou moins pour avoir la permission d’exécuter leurs beaux exploits. Ces compagnies de Loutchas n’étoient autrefois composés que de ces sauvages dont je viens de parler, mais aujourdhui quantité de gens maures ou gentils qui n’ont ni feu, ni lieu, se mêlent de faire le même métier. Leur nombre dans une petite armée surpasse quelquefois celui des soldats. Ce sont eux qui répandent partout l’allarme, qui brûlent et saccagent à droite et à gauche, mais aussi ce sont eux qui entretiennent souvent l’abondance dans une armée par les découvertes qu’ils font de provisions et autres choses nécessaires. Ils sont à pied, ils n’ont qu’un sabre ou un bâton ; voleurs aussi adroits et déterminés qu’il en fut jamais, ils se glissent dans le camp ennemi sous toutes sortes de formes pour enlever les chevaux, et en viennent à bout avec une dextérité surprenante. Il se fait même quelquefois de commandant à commandant des paris très considérables à leur sujet. Voici ce qu’on m’a raconté :

Un chef dont on menaçoit de faire prendre le meilleur cheval, le faisoit mettre par précaution dans sa tente une heure avant la nuit, s’en réservant la garde à lui même, et posoit en dehors plus de cent personnes pour empêcher qui que ce soit d’entrer sans ordre. Chaque cheval de prix dans l’Inde, outre son palefrenier, a un homme ou deux pour lui fournir de l’herbe ; mais de plus, il y a autour des camps quantités de gens qui vont et viennent avec de gros paquets d’herbes pour vendre. Un soir, comme le chef étoit apparemment à poser ses sentinelles, il aperçut trois ou quatre de ces fourageurs ; le marché fait, ceux ci portèrent dans la tente les paquets d’herbes qu’ils étendirent devant le cheval en présence du maître ; après quoi ils se retirèrent. Le chef après avoir bien soupé se mit sur son lit, ayant soin de passer à son bras une corde qu’il avoit attachée au licou de son cheval. Sur le minuit, l’animal, malgré l’obscurité, apercevant quelque chose remuer devant lui, prend l’épouvante, recule et par ses mouvemens de tête, arrache ses piquets, et réveille son maître. Un jeune homme extrêmement petit, mince et souple avoit été introduit, caché dans un des paquets d’herbes, et les autres avoient été jettés sur lui. Ce voleur, étendu comme un crapaud sous l’herbe, avoit voulu défaire un des piquets, mais entendant la voix du maître, il resta tranquile dans la même position. On apporte de la lumière ; le chef regarde partout, et ne voit rien. Il fait remettre les piquets en terre, et dans cette opération cloue la main du voleur qui eut le courage de souffrir sans faire le moindre mouvement. Chacun s’étant retiré, le maître se remit au lit ; une, ou deux heures après, le voleur qui avoit apperçu la corde passée au bras du maître vint à bout de la couper, tout cloué qu’il étoit. Il se détache ensuite, coupe les cordes qui retenoient le cheval, saute dessus, et décampe en passant sur le ventre à ceux qui étoient en sentinelles. On crie, on veut courir après, tout fut inutile ; le voleur bien monté et qui connoissoit la carte, se mit bientôt hors de danger[20].

Voici encore un fait qui paroit prouvé, et sur lequel on peut juger du caractère de ces gens. Du nombre des callers employés par les Anglois pour voler les chevaux de leurs ennemies, deux frères furent pris et convaincus d’avoir volé en différents tems tous les chevaux du major Laurence et du capitaine Clive, le même qui a fait tant de bruit dans le Bengale. Les prisonniers avouèrent le fait, mais ayant su qu’ils alloient être pendus, l’un d’eux s’offrit d’aller chercher les chevaux pendant que son compagnon resteroit en prison, et de les ramener sous deux jours, mais à condition qu’ils auroient leur pardon. La proposition acceptée, l’un d’eux fut mis en liberté. Ne reparoissant pas au tems marqué, le major Laurence fit venir celui qui étoit détenu, et lui demanda pourquoi son frère n’étoit pas revenu, ajoutant qu’il n’avoit qu’à se préparer à mourir, si les chevaux n’étoient pas rendus avant le lendemain soir. Le caller sans se déconcerter, repondit qu’il étoit surpris de ce que les Anglois fussent assez simples pour s’imaginer que son frère et lui eussent pu être dans l’intention de restituer un butin aussi considérable, capable seul de faire la fortune de toute la famille, et cela pendant qu’il ne tenoit qu’à eux de le garder au prix d’une vie qu’il avoit exposée maintes fois pour attraper un peu de ris. Il ajouta qu’étant déterminés l’un et l’autre à périr s’il le falloit, plutôt que de rendre les chevaux, on ne pouvoit pas trouver mauvais qu’ils eussent cherché un moyen de sauver l’un des deux. Cet homme prononça cette appologie singulière d’un air si indifférent sur le sort qui le menaçoit que toute l’assemblée se mit à rire. On eut pitié de lui. M. Clive ayant parlé pour lui au Major, on se contenta de le chasser.

J’avois toujours entendu dire que les habitans des bois étoient plus barbares que les sauvages de quelque partie du monde que ce fût, et cela fondé sur une coutume qu’on prétendoit établie parmi eux, qui est que lorsque deux hommes ou femmes de la même nation ont querelle ensemble, chacun est obligé de souffrir, ou d’exercer les tourmens ou cruautés que l’autre juge à propos d’exercer sur lui même ou sur sa propre famille. La fureur de la vengeance les transporte tellement, disoit on, qu’on a vu quelquefois un homme pour un petit affront, massacre[r] sa femme et ses enfans, seulement pour avoir la satisfaction détestable d’obliger son adversaire à commettre les mêmes cruautés sur sa famille ; mais l’auteur anglois[21] assure que pour l’honneur de l’humanité aucun des officiers anglois n’a apperçu la moindre chose qui ait raport à des pratiques aussi diaboliques, et je ne sache pas qu’aucun des officiers françois ait jamais été témoin de pareilles horreurs.

Mœurs et coutumes des Maures.

Comme vous avez déjà lu probablement ce que j’ai écrit sur le gouvernement des Maures, vous devez savoir à peu près ce que je pense à leur sujet ; ainsi il me reste à dire peu de chose, et ce peu sera tiré, du moins en partie, de l’ouvrage anglois ; mais avant que d’aller plus loin, je veux vous demander pourquoi nous nommons Maures ces mahométans de l’Inde, qui sont encore plus étonnés que moi de ce que nous leur donnons un nom qu’ils ne portent pas. En effet, ce nom est impropre, et ne convient, je crois, qu’aux habitans de la Mauritanie. La cause de cette erreur vient sans doute de quelque ressemblance que nous avons trouvée entre les Mahométans de l’Inde et ceux qui autrefois possédoient l’Espagne sous le nom de Maures ; d’ailleurs, il falloit une dénomination générale pour tous ces Mahométans de différens pays qui n’en ont pas entre eux. Il y a des Arabes, des Persans, des Patanes ou Afghans, et des Mogols ; mais il y a encore des Mahométans à qui les noms ci-dessus ne peuvent convenir. Il n’y avoit autrefois dans les Indes que des gentils ou idolâtres. La religion mahométane, portée par les Arabes, et tels autres peuples que vous voudrez, s’y étant établie par le fer et le feu, beaucoup d’Indiens l’embrassèrent plutôt que de périr. D’ailleurs, quoique les famille mahométanes venues dans l’Inde soient très jalouses de conserver le nom de leur origine, il n’est pas possible que dans le commun, il n’y ait beaucoup de ces Arabes, Persans, Patanes et Mogols établis depuis tant d’années qui ont perdu par le croisement des races, non seulement entre elles, mais aussi avec les familles d’Indiens convertis le nom primitif qui pouvoit les distinguer. On les nomme Indous Mouzoulmans (indiens vrais croyans) par distinction du gentil qu’on nomme simplement Indou. Le mot Indoustan dont nous pourrions nous servir les distingueroit assez des Gentils et de la grande quantité des Persans, Patanes et Mogols nouvellement établis, ou qui conservent encore le nom de leur origine ; mais ce nom seroit encore impropre, ne convenant qu’à ceux qui sont dans le pays dit Indoustan. Le Bengale n’en fait pas partie ; la presqu’isle n’en est pas non plus, et cependant il y a dans ces deux endroits beaucoup de Mahométans qui ne sont ni Persans, ni Patanes, ni Mogols ; quel nom faudroit-il leur donner ? On s’est tiré d’embarras en confondant tous les Mahométans sous le nom de Maures. Nous ferions mieux de distinguer les habitans de l’Inde en les nommant Indiens, Gentils, et Indiens Mahométans.

« Si nous voulons connoitre le vrai caractère des Maures, il faut le chercher dans la manière dont ils sont élevés. Les enfans de famille, les garçons sont abandonnés aux soins des eunuques et des femmes jusqu’à l’âge de cinq ou six ans. Mais dès lors, par le trop de ménagement qu’on a pour eux, ils se trouvent avoir contracté une délicatesse de complexion, beaucoup de timidité, et un penchant prématuré pour les plaisirs du sérail[22]. À six ans on leur donne des maîtres pour apprendre les langues Persane et Arabe ; on les fait paroitre en compagnie, ou on leur apprend à se tenir avec beaucoup de gravité et de circonspection, à réprimer les mouvemens d’impatience. On leur enseigne toutes les façons, les cérémonies usitées dans les cours orientales, dont le fonds n’est que dissimulation. On leur apprend à dire leurs prières en public, et tout l’extérieur de la dévotion. Vous seriez enchanté de voir l’aisance, la décence et la politesse avec lesquelles un enfant de huit à neuf ans se comporte dans une assemblée. Ils apprennent aussi à monter à cheval, à faire des armes. On leur donne un bouclier, un sabre et un petit poignard qu’on leur met à la ceinture et qu’on nomme Katary. Les Maures ne sortent jamais sans cet instrument dont ils savent trop bien faire usage dans l’occasion. Lorsque les heures d’étude et de compagnie sont passées, ils retournent au sérail, et les parens ne se font pas le moindre scrupule de les admettre à leurs jeux et à leurs divertissemens, où très souvent des farceurs représentent tout ce qu’on peut imaginer de plus infâme et de plus contraire à la nature, et cela non à dessein d’exciter l’horreur, mais comme un amusement. Rien n’est si choquant que de voir l’insensibilité avec laquelle les parens exposent de pareilles scènes à l’imagination encore tendre de leurs enfans. Les esclaves, les femmes du sérail guettent avec impatience les premières apparences du désir pour les débaucher à l’insçu des pères et mères. C’est ainsi que leur éducation est continuée jusqu’à 13 ou 14 ans. Pour lors, on les marie ; ils ont leur maison à part ; l’entrée du sérail du père est défendue ; il ne leur est permis que de voir de tems en tems leur mère, et le père même n’a pas la permission de voir sa bru. Dès lors cette dissimulation que les enfans ont si bien retenue des leçons et des exemples de leurs parens, se pratique entre le père et le fils. La jalousie se met entre eux, et l’histoire nous montre qu’elle finit par des scènes sanglantes. Telle est l’éducation des grands, il y a peu d’exceptions. Dans le peuple, la pauvreté seule sauve d’une pareille éducation ; car, dès qu’un maure a trouvé de l’argent, il se met de niveau avec ses supérieurs, et les imite en tout. Vous voyez donc dans tout ceci les semences de cette perfidie, de cet attachement aux plaisirs des sens, qui sont les qualités distinctives d’un maure indien, qualités qui auroient infailliblement causé leur destruction si ce n’étoit les recrues qu’ils reçoivent continuellement des pays dont ils sont originaires. »

« Les Tartares Usbecks, Calmouks et autres, tous confondus sous le nom de Mogols, sont en arrivant dans l’Inde, ainsi que les Patanes, des gens hardis, entrepreneurs, qui ne respirent que la guerre. Les anciens dans le pays sont des petits maîtres auprès de ces nouveaux venus, et ne manquent pas de tourner en ridicule la grossièreté de leurs manières. Chaque mogol ou Patane ayant ordinairement avec lui un bon cheval, est sûr d’être aussitôt mis au service, parce qu’en effet ils sont plus fidèles que les autres Mahométans. Ils commencent par être simples cavaliers, advancent petit à petit, et parviennent souvent au commandement. Ils ont d’abord en horreur cette sensualité, cette mollesse qui caractérisent leurs maîtres ; mais avec le tems leurs mœurs originaires disparoissent pour faire place à celles qu’ils avoient méprisées. Ils se marient dans le pays, et leurs enfans, ou du moins leurs petits enfans, n’ont absolument rien de leur origine tartare.

« Les Persans sont en petit nombre. À quelque cour de l’Inde qu’ils paroissent, ils sont bien reçus ; on est jaloux même de les avoir et de s’allier avec eux, à cause de leur politesse, de leur éducation qui a quelque chose de plus noble, et parce que, d’ailleurs, ils sont plus blancs que les autres Mahométans.

« Quant aux domestiques et esclaves, gentils d’origine, mais élevés dans la religion mahométane, on peut dire que c’est la race la plus maudite qui soit sur la terre. Ils n’ont aucune des bonnes qualités des gentils, et prennent des Maures ce qu’il y a de plus mauvais. »

L’hospitalité est, je crois, la seule vertu à laquelle les Maures puissent prétendre. C’est un refuge pour eux contre l’oppression du gouvernement, et beaucoup d’entre eux se feroient scrupule de manquer de parole à quelqu’un qu’ils auroient logé dans leur maison. Ne croyez pas pour cela que l’amitié soit regardée comme un nœud sacré. Il est vrai que ce mot est toujours dans leur bouche, mais le cœur n’y a aucune part. Ils ne s’en servent que pour mieux tromper. L’amitié chez eux, ainsi que la dévotion, n’est que parade. Ils boiront entre chaque prière un verre de liqueur forte, quoique cela leur soit défendu, et le chapelet à la main, ils poignarderont la personne même qu’ils embrassent. De là vient, dit-on, la coutume que les Maures de dictinction n’embrassent jamais que de la main droite, afin que la personne qu’ils embrassent faisant le même mouvement, ne puisse porter sa main droite à leur Katarye sur lequel ils ont le poignet gauche appuyé. Lorsqu’on voit deux Maures s’embrasser tous les bras ouverts, on peut dire qu’il y a de la bonne foi, mais c’est rare. Partout ailleurs, « les Mahométans sont enthousiasmés de leur religion, mais ici les sectateurs d’Omar et d’Aly ne disputent jamais entre eux pour savoir quel étoit le vrai successeur au Kalifat. Il y a peu de mosquées, encore moins de moullas, et les grands, quoiqu’ils soient assez exacts à faire leurs dévotions particulières, ne vont presque jamais aux mosquées. » Par la loi, chaque maure devroit une fois en sa vie, faire le voyage de la Meque ; il y en a très peu qui y vont. Lorsqu’ils sont de retour, on joint à leur nom l’épithète Agy [Hadji], qui veut dire sanctifié.

« On peut donc reconnoitre deux caractères dans les Maures, et les diviser en deux classes ; la première ceux qui aspirent au pouvoir ou à la fortune, et la seconde ceux qui y sont parvenus. Les premiers sont braves, actifs, vigilans, entrepreneurs, et assez fidèles à leurs engagemens ; mais une fois parvenus à leur but, on diroit qu’ils n’ont tant recherché les biens que pour en abuser. Les charmes du sérail les désarment ; ils s’abandonnent aux plaisirs et semblent ne s’engraisser que pour servir de victimes à de nouveaux venus qui auront les mêmes qualités qu’ils avoient eux mêmes, mais qu’ils ont perdues. »

Ce que je viens de dire, tant sur les gentils que sur les maures, regarde toute l’Inde en général, mais plus particulièrement les habitans de la presqu’isle et ceux du Bengale. Du reste, on peut dire que la bravoure est une qualité assez naturelle à presque tous les maures et même à quantité de gentils. Y a-t-il rien de plus brave que les Rajepoutes, les Djates, les Talingas, et quantité d’autres ? Les Maures et les Gentils qui ont été quelque tems au service des Européens en qualité de sipayes prouvent bien ce que je dis. Dans combien d’occasions ne se sont-ils pas distingués ? Cependant ce sont des gens qui, avant d’entrer au service ne paroissoient pas valoir mieux que les autres. Je nomme courage une élévation de sentimens que fait naître la vue du danger accompagnée de l’espérance de le surmonter quelque grand qu’il soit ; c’est, dit M. de Montesquieu, le sentiment de nos propres forces. Je n’appelle pas courage le motif par lequel on se précipite aveuglement dans un danger, dont on est certain de ne pas revenir. Je n’ai jamais éprouvé ce qu’on sent en cette occasion, ainsi je ne puis dire ce que c’est. J’avoue que plus on aproche de la certitude de périr, plus le courage est grand, mais encore ne faut-il pas y atteindre. Je regarde comme furieux un homme qui se sacrifie. Il y aura dans lui, si l’on veut, quelque chose de divin, fort au dessus du courage, car je m’imagine déjà entendre citer les Decius et tant d’autres. Si l’on s’entête à nommer cela courage, je le veux bien encore, pourvu qu’on m’accorde que les femmes dans l’Inde ont plus de courage que les Européens, car pour une victime de la patrie, telle que Decius, on citera dans l’Inde vingt mille victimes de l’amour conjugal. Ce que je dis est pour revenir aux troupes de l’Inde.

À voir mille Européens chasser dix mille Indiens comme un troupeau de moutons, on est assurément tenté de croire qu’ils sont tous des lâches, mais il faut se mettre à leur place ; qu’on mette devant mille Indiens bien armés, bien disciplinés dix mille Européens sans autre arme que le sabre ou la lance, aussi mal disciplinés que les Indiens, chaque cheval appartenant à son cavalier qui n’a que cela pour tout bien dans le monde ; il faut aussi les suposer persuadés qu’à chaque pas qu’ils feront, ils recevront deux coups de canon et mille coups de fusil ; enfin qu’il leur est impossible de forcer le corps de mille Indiens, à la manœuvre desquels ils ne peuvent rien comprendre ; car telle est la façon de penser en général des Indiens. J’en ai vu un qui n’osoit m’approcher s’imaginant que chaque bouton que j’avois à mon habit, étoit autant d’armes à feu. Je demande si ces dix mille Européens fonceroient sur les mille Indiens. Cela arriveroit quelque fois, comme cela arrive quelque fois chez les Indiens. Leurs défaites multipliées ne prouvent donc pas, selon moi, une lâcheté personnelle, mais bien l’indiscipline, leur défaut d’armes, et plus encore le manque d’un motif puissant tel qu’est chez les Européens, l’honneur de la nation, l’amour de la patrie. Ils ont de la bravoure ; les Européens ont déjà eu quelques occasions de s’en apercevoir, et peut-être viendra-t-il un tems qu’ils ne s’en appercevront que trop. Il ne faut souvent qu’un homme pour changer l’esprit d’une nation, et lui faire connoitre sa propre force.

Différences par raport aux habitans des provinces du Nord.

Voici quelques différences dont j’ai cru m’appercevoir sur les caractères et coutumes dans les parties de l’Inde que j’ai parcourues. Plus on monte dans le nord, plus on remarque de fierté et de résolution. L’habitant du Bengale est naturellement timide ; celui de la province de Béhar ou Patna l’est bien moins, et ceux des provinces plus éloignées sont généralement reconnus pour braves. Les corps sont plus robustes, l’éducation plus mâle, la raison de cette différence doit être attribuée au climat, qui est plus tempéré, à la nourriture qui est plus forte[23], et sans doute aussi à cette quantité de Mogols et Patanes, tous gens de guerre, répandus dans les provinces du nord et qui sont plus rares dans celles du sud. Ces peuples y conservent plus longtems l’esprit de leur origine par les recrues qui viennent tous les ans, et la force de l’exemple peut bien influer sur le caractère des anciens habitans.

La religion des gentils est la plus étendue, mais avec moins de superstition, et même avec une sorte d’indifférence, tant de la part des Maures que des Gentils, dont on est fort éloigné dans le Bengale. Je parle seulement des provinces soumises au gouvernement maure, car pour celles où il n’y a que des gentils, la superstition domine tout autant que dans la presqu’isle ou le Bengale. À Bénarès, autrement dit Cashy, ville privilégiée, ville sacrée des gentils, où se tient, dit-on, l’université des brames, on vit une belle mosquée bâtie par le fameux Aurengzeib[24], fréquentée par les Maures et les Gentils indifféremment. On y adore Vishnu dans un coin, et dans un autre on invoque Mahomet. Cela est de fondation, Aurengzeib ayant voulu suivre du moins un des avis que lui avoit donnés son père Chadjehan qu’il détenoit prisonnier. J’ai déjà dit dans quelqu’endroit, que le premier étoit d’épargner la vie de ses frères ; le second, de ne point penser à la conquête du Dekan ; et le troisième de ne se point mêler des disputes des religions. Vous savez qu’il n’a eu aucun égard pour les deux premiers. Peut-être croyoit-il suivre le troisième en réunissant les deux cultes sous un même toit. Cela n’empêche pas que la religion mahométane ne soit la dominante, puisque c’est celle du gouvernement ; aussi voit-on dans toutes ces provinces d’assez belles mosquées, et beaucoup de dergas. Ce sont les tombeaux de ceux qu’ils nomment Pyr. On les croit remplis de l’esprit du prophète, et après leur mort ils sont honorés comme saints. On ne voit pas dans le nord de pagodes remarquables, comme celles de Chalembrom, de Seringham, et tant d’autres qui sont dans le Dekan.

Les seigneurs dans l’Inde, tant chez les Maures que chez les Gentils, aiment à paroitre avec éclat. Ils sont serrés dans leur intérieur et d’une petite dépense, mais ils veulent être grands dans tout ce qui a raport au public. Tel qui se contente d’un seul plat à son dîner, ne voudroit pas pour toutes choses, traverser une rue sans être porté et sans une suite nombreuse. On parle beaucoup en France du luxe indien, et comme d’une chose dont nous ne tirons pas tous les avantages que nous pourrions. Je regarde comme luxe, non tout ce qui est au delà du nécessaire, cela iroit trop loin, mais tout ce qui n’est pas d’un usage commun : tout pays a le sien, et j’avoue que celui de l’Inde est porté assez haut, sans être, cependant, aussi étendu qu’en Europe, parce qu’il n’y a que peu de personnes dans l’Inde qui osent paroitre riches. Mais ce qui est objet de luxe dans un pays peut bien ne pas l’être dans un autre. D’ailleurs, ce qui rend le luxe d’une nation utile aux étrangers, c’est moins le raport qu’il peut y avoir entre les objets de luxe, que l’impossibilité de trouver en elle-même, de quoi fournir au sien. Pour vous mettre en état de juger jusqu’où nous pourrions profiter de celui de l’Inde, je vais vous dire en quoi il consiste.

Un seigneur de l’Inde extraordinairement logé dans une grande maison, très mal meublée, veut avoir beaucoup de domestiques, des fusiliers, beaucoup de chevaux de main, des éléphants, des chameaux, des habillemens magnifiques, des bijoux, parce que tout cela paroit quand il sort. Si c’est de nuit, il aura devant lui deux cent Machals (flambeaux), non de cire, cela couteroit trop, ce sont de vieux haillons entortillés, dont on fait un rouleau de la longueur de deux pieds ; on le met dans un manche de cuivre, et d’un flacon de même métal, on verse dessus de l’huile de tems en tems. Il y en a de plus petits qu’on met au bout de plusieurs fourches de fer qui ont quantité de branches ; cela forme des demi soleils dans l’air. Tous ces feux attirent l’attention du public. Il fera beaucoup de dépenses pour un mariage, pour une pompe funèbre, pour certaines fêtes ; c’est en quoi une bonne partie des Indiens épuisent leurs bourses ; il ne dépense peut-être pas la valeur d’un écu pour son dîner ordinaire, mais s’il donne à manger, il sera prodigue. Il y aura une profusion de mets servi mal proprement dans des plats d’étain, ou de cuivre étamé, quelquefois dans de la porcelaine ; on ne sait ce que c’est dans l’Inde que de la vaisselle d’or et d’argent. On ne conçoit pas comment on peut employer à cet usage une si grande quantité de ces précieux métaux, et lorsqu’un maure se trouve à une table européenne, sa première idée est que tout ce qu’il voit n’est que du cuivre blanc. On voit quelquefois dans un repas une ou deux cuillers d’argent en forme de cuillers à pot, et autant de tasses[25]. Une betheliere, un eaurosier, une boëte à épiceries, un hœqua, deux bâtons des chobdars, des ornemens d’éléphants, de chevaux, de palanquins : voilà tout ce qui compose l’argenterie d’une maison distinguée. À en juger sur certains tableaux, enfans de l’imagination, on a cru que tous les orientaux donnoient dans un luxe effroyable en statues, en vases précieux de toute espèce. Je puis vous assurer qu’on ne voit rien de tout cela dans l’Inde. Il peut y avoir à la cour de Dehly quelques vases d’argent, quelques plats pour l’usage ordinaire ; et je m’imagine bien qu’avant l’invasion de Nadercha, il y en avoit beaucoup plus ; mais ces meubles sont travaillés dans le pays ; il s’en faut de beaucoup que l’art surpasse la matière. J’ose assurer de plus, que bien des particuliers à Paris ont plus de vaisselle d’or et d’argent chez eux que le grand Mogol d’aujourd’hui n’en a dans toute sa maison. En quoi donc consiste le luxe indien, me direz vous ? car vous ne trouverez peut-être rien de bien extraordinaire dans la dépense que fait ce seigneur dont je viens de parler ; aussi c’est le plus grand nombre que j’ai eu en vue. Il y en d’autres qui portent le luxe bien au delà ; il y en a même qui s’y ruinent, mais dans une ville comme Dehly, la capitale de l’Empire, vous en trouverez peut-être dix. Jugez du peu que vous trouverez dans les autres. Ces seigneurs que je supose curieux, et disposés à faire toute la dépense nécessaire pour se satisfaire, s’occuperont à faire bâtir des maisons à la ville, à la campagne, qu’ils orneront de peintures et dorures à la mode du pays, à faire des jardins ; ils auront les plus belles glaces qu’apportent les Européens, des lustres, pendules, quelques vases de porcelaine de Chine ou du Japon, des montres, tabatières, étuys, enfin tout ce qu’il y a de plus curieux dans les établissements européens. À certaines fêtes ils dépenseront la valeur d’un million en feux d’artifices, illuminations repas publics. Parmi les gentils, un homme riche doit pour son honneur régaler sa caste de tems en tems. Ces seigneurs dépenseront un argent immense en danseurs, danseuses et musiciens. On en voit quelques fois, qui, enthousiasmés de ce qu’ils voyent et entendent, à l’aide de quelques pastilles qu’ils ont pris, se mettent à pleurer et se dépouillent de leurs ornements les plus riches, pour les donner à ces sortes de gens. Vous êtes surpris de les voir pleurer ; rien n’est plus vrai. Il y a telle danse, tels airs, qui, joints aux paroles, font sur eux le même effet que fera une bonne tragédie parmi nous. J’en ai été témoin ; j’ai vu jetter à une danseuse des châles, des bagues, des médailles, des colliers de pierres précieuses, mais je ne pus rester jusqu’à la dépouille entière. En voyant que tout le monde pleuroit, l’envie de rire me prit si fort que je fus obligé de me retirer. C’est là en quoi consiste le grand luxe. J’ajouterai encore que les seigneurs dans l’Inde se dégoûtent aisément de ce qu’ils ont et n’en ont aucun soin. Ils sont curieux de tout ce qui est nouveau, mais lorsqu’ils en sont en possession, leur plaisir est bientôt passé, ils jettent à l’écart les choses qu’ils ont le plus désirées. Cela est assez dans le caractère de l’homme en général, mais cette façon de penser est plus remarquable dans l’Inde. Alaverdikhan, ancien soubahdar du Bengale, avoit partout des espions pour s’informer de ce que les vaisseaux apportoient de curieux, et devenoit importun à l’excès pour l’avoir ; jusques là que je l’ai vu au moment de faire investir nos Établissemens pour un misérable chat de Perse. Il eût été moins empressé s’il avoit fallu payer tout ce qu’on lui apportoit, mais tout alloit chez lui à titre de présents de la part, soit des Européens, soit de quantité de gens de tous les rangs, qui pour obtenir ses bonnes grâces étoient obligés de lui en faire, et qui pour cet effet, venoient prendre dans les magazins européens tout ce qui pouvoit leur convenir. Il avoit des effets précieux de toutes espèces en quantité. Cependant, on ne voyoit rien dans son palais, tout étoit entassé avec la plus grande négligence dans quelques magazins. Ce qu’on lui donnoit l’amusoit trois ou quatre jours, après quoi il n’y pensoit plus. Si on lui apportoit quelque pendule curieuse, il en paroissoit enchanté, surtout lorsqu’elle étoit à carillon où à orgue, mais il étoit continuellement après, si bien qu’en peu de tems, elle n’alloit plus. Vous me direz qu’il devoit résulter de tout cela un grand avantage pour le débit de ces sortes d’effets ; cela est vrai. Mais dans tout le Bengale il n’y avoit peut-être pas dix personnes de la trempe d’Alaverdikam ; aussi le débit ne pouvoit jamais être bien étendu.

Vous pouvez voir de ce que je viens de dire quels sont les effets qui peuvent servir au luxe dans l’Inde. Les Maures et Gentils ont déjà chez eux les principaux articles : chevaux, éléphants, chameaux, toutes sortes d’étoffes de soyes, brodées, brochées en or ou argent, beaucoup plus estimées que les nôtres pour l’usage ordinaire, parce qu’elles sont plus légères et coûtent bien moins. Ils ont les plus belles toiles, les pierres précieuses et quantité d’autres articles, de sorte que l’accroissement du lustre que peuvent produire les effets qu’ils tirent d’Europe, ne peut faire l’objet d’un commerce bien considérable, et cet objet se réduira à peu de chose pour nous, si vous considérez que les étrangers, les Anglois surtout, ont le secret de faire passer toutes ces choses de luxe à bien meilleur marché que nous. Je ne prétends pas pour cela, cependant, que cet article soit à négliger ; mais il faut remarquer que ce n’est pas le plus souvent la beauté de l’ouvrage ou sa difficulté qu’on examine dans l’Inde. J’ai bien vu des fois préférer une tabatière d’or coulée à une autre qui auroit été cizelée. Portez dans l’Inde les plus beaux vases qu’il y ait en France, en or, en argent, ou cristal les mieux travaillés ; portez-y toutes ces curiosités en porcelaine qui sortent de nos manufactures, vous n’y trouverez jamais leur prix. Si vous en portez une très petite quantité vous pourriez vous en défaire ; mais ce ne sera que parce que le nabab ou d’autres gens d’autorité vous forceront de leur en faire présent, ou forceront quelque autre de vous les acheter. Du moins, les choses alloient ainsi il y a 8 ans, dans le Bengale. Vous aurez même bien de la peine à trouver seulement le poids de vos vases d’or, qui passeront pour’tombak dans l’Inde. C’est chez eux une composition d’or, d’argent et de cuivre. Il n’y a presque point d’alliage dans leurs ouvrages d’or ou d’argent. Un Indien aimera mieux porter sur lui, poids pour poids, une petite plaque ronde d’or pur, toute unie, que la plus belle médaille d’or que vous pourriez lui faire voir. Cependant cela seroit différent, je crois, si cette médaille représentoit quelque chose qui eût raport à leur religion.

Les seigneurs maures sont très polis et d’autant moins sincères. Les complimens ne leur coûtent rien. Ils ont, ainsi que presque tous les gentils, la plus grande facilité d’expression qu’on puisse imaginer. Cela provient, je crois, de leur manière de vivre, ou plutôt de passer le tems. Peu occupés de tout ce qui s’appelle sciences ou reflexions abstraites, la conversation fait leur amusement et leur unique étude, c’est à qui employera les expressions les plus recherchées. Grands amateurs de poësies, il y en a qui ne parlent pour ainsi dire, qu’en vers, et qui savent admirablement appliquer au sujet les plus beaux passages des poètes Arabes et Persans. C’est dans le dorbar, surtout, qu’ils brillent. Ce mot revient à ce que nous nommons audience. Le prince, les nababs, les ministres ont leur dorbar qui se tient tous les jours de la semaine, excepté le vendredi, et quelquefois matin et soir ; il dure trois ou quatre heures. C’est là qu’on se rend régulièrement pour faire sa Cour, et j’avoue que je ne connois pas d’assemblée qui ait l’air plus respectable. Si c’est chez le prince, tout le monde est debout arrangé en ligne ; partout ailleurs on est assis ; on forme un grand cercle, ou plusieurs, selon l’affluence. Tous les bras sont croisés, les yeux fixés sur celui qui préside ; la gravité, la décence avec lesquelles tout se passe inspire un respect qu’exigeroit, malgré vous, le seul coup d’œil de toutes les physionomies dont la noblesse naturelle tire un nouvel éclat de l’habillement, surtout dans les dorbars du nord, où l’on ne voit presque que des Mogols, Persans, ou Patanes qui sont blancs, et qui ont tous la barbe noire et longue. Un nouveau présenté ne peut paroître les mains vuides. Il faut qu’il donne le Nazer qui consiste en quelques roupies d’or ou d’argent, suivant ses moyens. Dans certains jours de cérémonie, tout le monde donne le nazer, et le seigneur à qui on l’offre, ne le refuse jamais. S’il le refusoit, surtout d’un homme qui seroit particulièrement à son service, ce seroit une marque de mécontentement, qui tourneroit au préjudice de cet homme, parce qu’il seroit censé, dès lors, disgracié. Si on refuse le nazer d’un étranger, c’est lui dire : je ne veux pas de vous. C’est dans le dorbar qu’on reçoit les placets, qu’on traite souvent les affaires les plus importantes, et l’éloquence y brille quelque fois autant que dans notre palais. Si l’affaire demande à être traitée en secret, on congédie l’assemblée, et le dorbar se change en divan, ou bien le seigneur passe dans l’appartement du conseil qu’on nomme divan kana. Lorsque le tems du dorbar est passé, le maître se retire dans son sérail, ou bien quelques favoris restent pour lui tenir compagnie. Il y invite aussi ceux qu’il juge à propos. Pour lors, il permet aux plus distingués de faire apporter leurs hokkas. Il donnera quelquefois le sien à fumer, et prendra celui d’un autre. C’est la plus grande marque de faveur qu’on puisse donner. Il fera venir des musiciens, des danseurs, danseuses, et pendant tout le spectacle, auquel il n’est pas du bel air de donner beaucoup d’attention lorsqu’on est devant son supérieur, la compagnie s’entretient de nouvelles, de mille choses assez indifférentes par elles-mêmes, mais qui donnent à l’esprit occasion de briller et de faire des complimens qu’on a grand soin de n’adresser qu’au maître. Si on est entre égaux, on s’en fait réciproquement. L’encens est si fort qu’il y auroit de quoi tourner la tête à un Européen, mais comme les Maures y sont accoutumés, il n’a aucun effet sur eux. Chacun prend ce qu’on lui donne pour sa véritable valeur, c’est à dire pour de grands mots, des expressions outrées, où il y a moins de sincérité que de bon sens.

J’ai vu aussi quelques rajas tenir le dorbar avec beaucoup d’ordre et de grandeur, mais ordinairement, chez les gentils, il y a moins de cérémonies ; leur dorbar est même quelque chose de comique. Ils sont tous presque nuds, ou du moins n’ayant qu’un morceau de toile autour des reins. Ils s’assoyent dans le premier endroit qu’ils se trouvent, toujours le plus près qu’il est possible de celui qui préside, de sorte qu’ils sont entassés les uns sur les autres. D’ailleurs, ils parlent tous en même tems ; on ne peut quelquefois s’entendre. C’est ce que j’ai vu au dorbar d’Hitebrao, général marate, et chez quelques rajas. On dit que les singes ont aussi leurs assemblées. Je crois qu’au premier coup d’œil, on trouveroit le dorbar des gentils assez semblables. Vous serez peut-être surpris de ce que les gentils ont tout le haut du corps nud jusqu’à la ceinture. Les brames, les rajas sont ainsi les jours de cérémonies, mais ce n’est qu’entre eux. Ce que nous nommerions un déshabillé est leur véritable habillement. Ils se frottent de bouze de vache la tête et une partie du corps, ils y ajoutent d’autres drogues de diverses couleurs ; ils se mettent au front et au nez les signes superstitieux qu’ordonne leur religion ; après quoi ils se passent au col et au bras des chapelets et tous les ornemens les plus riches en colliers et bracelets d’or, d’argent, garnis de perles, diamants et autres pierres précieuses. Tel est l’habillement d’un gentil distingué, d’un raja. En cet état il peut paroitre devant ses dieux, et non pas ayant le corps couvert, outre le morceau de toile ou de soye qui entoure ses reins et qu’il arrange de façon que cela forme une espèce de culotte longue. Il a encore un morceau de deux aulnes et demie de long avec lequel il peut couvrir sa tête et ses épaules s’il a froid. Il y a tels rajas qui n’étant pas dans le cas de voir beaucoup de Maures n’ont peut-être pas deux cabayes dans toute leur garde-robe. Probablement les gentils ne connoissoient pas cet ajustement avant la conquête des Indes par les Mahométans ; mais ceux qui, par leur situation ou pour leurs intérêts particuliers, sont obligés d’être souvent avec les seigneurs maures, ont soin d’être toujours en cabaye lorsqu’ils paroissent en public.

Productions des pays de Soudjaotdola.

Les trois soubahs de Soudjaotdola produisent des grains en abondance, blés, ris, orge, poids, lentilles, et quantité d’autres sortes inconnues en Europe. Le ris n’y est pas à beaucoup près si commun que dans le Bengale ou dans le Dékan. Il n’y a que les personnes aisées qui en mangent tous les jours. Le pauvre peuple se nourrit de froment, de blés de Turquie et autres grains dont on fait des gâteaux minses qu’on nomme Tchapaty. On les cuit sur des charbons ou sur une plaque de fer échauffée ; c’est tout d’un coup fait. Deux fois la semaine il se régalera avec du gros ris ; c’est une fête pour toute la famille. La boisson ordinaire c’est de l’eau, mais comme il n’y a pas d’endroit dans le monde ou il n’y ait quelque liqueur enyvrante, on fait ici une racque [araque] extrêmement forte avec des grains fermentés, une espèce de Jagre qui est un sucre noir tiré de certaines cannes beaucoup plus minces que celles dont on tire le sucre blanc, et qu’on fait bouillir avec d’autres ingrédiens. Les Maures et Gentils, les militaires surtout boivent de la M.nt..gue pour s’engraisser et se fortifier. C’est le beurre commun bouilli avec de l’huile ; on y mêle aussi de la graisse. Le tout fait une espèce de bouillie jaune, épaisse, dont on fait sa provision dans toutes les maisons. Cette drogue entre dans tous les ragoûts et fait une bonne frîture. Lorsqu’on veut en boire, on en chauffe une petite quantité dans une tasse ; on y mêle du poivre, du gingembre et autres épiceries. Cela fait une boisson qui, je crois, n’est pas bien agréable, mais elle fortifie et engraisse. Comme ils ont l’idée dans l’Inde qu’on ne peut être bon guerrier si on n’a un certain embonpoint, tous les militaires en boivent une ou deux tasses par jour. J’ai vu des Maures qui en étoient aussi yvres que s’ils avoient bu une chopine d’eau de vie.

Les fruits dans les provinces de Soujaotdola sont les mêmes que dans le Bengale ; le Kerbousa ou melon y est meilleur, mais la mangue n’y est ni si bonne, ni en si grande quantité. On trouve beaucoup de tabac, et d’excellent, surtout auprès de Bénarès ; les cotoniers y viennent bien, le lin, les cannes à sucre en quantité. Les raffineries sont aussi parfaites que chez nous ; on ne voit ni cocotiers, ni bambous ; on y suplée avec des branches d’arbres qu’on coupe dans les bois ou sur les montagnes ; aussi les maisons de petit peuple n’ont pas en dedans cette symétrie à laquelle on parvient plus facilement en se servant du cocotier et bambous. On fait du salpêtre aux environs des villes de Laknaor et d’Aoud ; on pourroit faire aussi l’ophium, mais tous ces articles qui sont dans le Bengale et à Patna des objets d’un grand commerce sont réduits ici à la simple consommation. J’en excepte cependant le sucre qu’on transporte dans le Nord.

La mer est l’âme du commerce ; plus on s’en éloigne, moins il est florissant. C’est ce qu’il est aisé d’appercevoir dans toutes les parties du monde. Le Gange traverse tout le pays de Soudjaotdola qui, d’ailleurs, est entrecoupé de plusieurs belles rivières qui se jettent dans le Gange, et qu’on remonteroit facilement, soit à la cordelle, soit à la voile dans le tems des vents d’est et du sud-est qui règnent une grande partie de l’année, et par là, on entretiendroit communication avec Agra, Dehly et quantité d’autres places très considérables, répandues de tous côtés. Ces avantages dont les Européens savent si bien profiter sont inutiles ici. À peine sorti des dépendances du Bengale, on voit le Gange, pour ainsi dire, nud ; on ne voit ni bazaras, ni batteaux, excepté ceux qui servent à traverser d’un bord à l’autre. Les productions du pays de Soudjaotdola sortent en petite quantité, et le transport d’un endroit à l’autre se fait sur des charettes ou sur des bœufs.

Benarès est du département du soubah d’Aoud. Elle est gouvernée par un raja qui tient cette petite province comme à ferme, et paye une certaine somme tous les ans à Soudjaotdola. Cette ville est, sans contredit, la plus belle de l’Inde après Dehly et Agra. Rivale autrefois de Eyderabad dans le Dekan, elle est devenue aujourd’hui bien supérieure, surtout depuis les troubles du Bengale, d’où sont sortis des richesses immenses. C’est la ville des Saokars ou Banquiers. Il n’y a personne tant soit peu riche, soit dans le Bengale, soit à Dehly, Agra et même dans le Dekan qui n’y ait son correspondant. Cette ville est à présent, on peut dire, le trésor de l’Inde. Comme elle est privilégiée, tant du côté des Maures que des Gentils, et qu’elle a toujours joui d’une parfaite tranquilité, chacun y met son argent en dépôt. Il n’y a point d’exemple que les habitans de cette ville ayent été forcés par le Soubahdar à aucune contribution ; cependant elle est toute ouverte. Le raja fait souvent difficulté de payer ce qu’il doit, et Soudjaotdola, suivant les circonstances, est bien aise quelquefois de tirer de lui quelque chose d’extraordinaire. Un simple ordre ne suffit jamais ; il faut que le soubahdar se mette en marche, et le raja aussitôt fuit sur les montagnes. Le soubahdar entre dans la province, mais sans commettre la moindre hostilité ; il a soin même de se tenir à une certaine distance de la ville ; tout y est tranquile. Alors le raja entre en composition ; l’affaire est d’autant plutôt terminée qu’il n’ignore pas que le soubahdar, poussé à bout, pourroit nommer un autre gouverneur, et que le soubahdar de son côté sait bien qu’un changement est toujours suivi de mille inconvéniens. Avec tous ces avantages, Benarès n’est point une ville aussi commerçante qu’elle pourroit l’être, si l’on excepte le commerce des lettres de change, quelques manufactures d’étoffes brochées ; tout l’argent qu’elle enferme est un argent mort. C’est dans cette ville qu’on fait les plus riches voiles pour les femmes ; on en transporte dans toutes les parties de l’Indoustan. Après les sucres, c’est la chose qui sort du pays avec le plus d’avantage[26].

En général, on pourroit dire que le commerce qui se fait dans le pays de Soudjaotdola est plus nuisible que avantageux, puisqu’il doit faire sortir plus d’argent qu’il n’en entre, car je ne regarde pas les trésors que renferme Bénarès comme appartenant au pays, il ne circule pas ; c’est un argent déposé dont les propriétaires sont répandus dans tous les états du Mogol, et qui peut en sortir au premier ordre ; il en sort d’ailleurs beaucoup pour les marchandises qui y entrent, tant pour la consommation que pour les manufactures, comme soye écrue, soyeries, cottons, toile de toute espèce, drap, serge, pour le sel, les épiceries, quincailleries, et mille autres articles qu’on y transporte du Bengale et de plusieurs autres endroits. Il en sort encore beaucoup plus qu’on ne pense pour la cour de Dehly dont la proximité occasionne nécessairement bien des dépenses à ceux qui gouvernent dans les provinces dont je parle, de sorte qu’en peu de tems le pays se trouveroit sans espèce, s’il n’y avoit pas quelque chose pour réparer le défaut. C’est ce que font, en effet, ces voyageurs de tous états qui sont obligés de passer par les terres de Soudjaotdola, ces caravanes de marchands qui, outre les droits qu’ils payent, répandent encore leur argent partout où ils passent, et qu’on arrête souvent des mois entiers dans certains endroits pour donner lieu à une plus forte consommation.

J’ai dit que le commerce du pays de Soudjaotdola lui est plus nuisible qu’avantageux. Mais si on regarde l’eau du Gange comme une marchandise, il faudra me rétracter. Vous savez que c’est l’eau bénite des gentils, eau qui peut laver tous leurs péchés, mais ce n’est pas de tous les endroits du Gange indifféremment qu’on doit la prendre. Pour qu’elle ait sa vertu, il faut qu’elle soit prise à certains jours et dans certains endroits affectés à la cérémonie des purifications, comme sont les pointes que forment les confluents des rivières. Pourquoi cela me direz-vous ? Il y a une raison que vous me dispenserez de raporter. Je me contenterai de vous dire qu’ils ne peuvent se puriffier qu’en se prêtant aux idées les plus obscènes. La contradiction est assez singulière, mais c’est assez le foible de l’esprit humain de n’être jamais d’accord avec lui même. Nous en avons des exemples parmi nous. Il y a beaucoup de ces endroits dans le Bengale et dépendances ; il y en a trois renommés dans l’étendue du Gange qui apartient à Soudjaotdola ; tels sont les confluents du Gemna, du Gomty et du Cayra avec le Gange. Des milliers de pèlerins s’y rendent à certains tems de l’année, de toutes les parties de l’Inde. Chacun paye quelque chose pour avoir la permission de se baigner et emporter de l’eau ; c’est selon la grosseur ou la quantité de flacons de verre qu’on achete dans le pays même. Cela, joint à la consommation journalière de tant d’étrangers, répand un argent immense. Les rajas y viennent eux mêmes par dévotion, chacun avec une suite de deux ou trois mille hommes.

Observations sur le Thibet.

Je ne vous ai dit, Monsieur, jusqu’à présent que ce que j’ai eu occasion de voir, mais puisque nous sommes sur le chapitre des Mœurs et Coutumes des Gentils, je vais, pour un moment, avec votre permission, sortir de l’Inde, et vous entretenir du Thibet. Ce que j’ai à vous dire est tiré de quelques observations manuscrites qui m’ont été remises, il y a quelques années par une personne digne de foi, et qui avoit été longtems dans le pays.

Le Thibet est très froid, et entouré de montagnes dont le sommet est couvert de neige toute l’année. Il n’y a point de bois dans le pays, seulement quelques broussailles. La raison est que les montagnes sont remplies de mines d’or, de cuivre et de plusieurs autres minéraux. Comme le Thibet dépend de la Chine, il est défendu très rigoureusement de faire passer de l’or, ailleurs qu’en Chine. Tous les habitans de ce pays portent des bottes à la tartare à cause du froid, et cela n’empêche pas que les ongles des pieds ne leur tombent presqu’à tous une fois l’année.

Il n’y a jamais qu’une femme dans chaque famille pour tous les garçons ou fils de la maison. Lorsqu’elle a couché dix à 12 jours avec l’aîné, le second en prend possession et la garde autant, ainsi successivement jusqu’au dernier. Ensuite le premier recommence ; c’est le père qui règle cette police. Le pays est si pauvre en aliments que les habitans ont de la peine à subsister. On craint que le pays ne se peuple trop, et pour prévenir ce malheur on a établi des communautés d’hommes et femmes où le vœu de chasteté est observé à toute rigueur. Si quelqu’un est convaincu d’avoir manqué à son vœu, on l’attache à la porte du couvent ; il reste dans cette situation un jour exposé au public ; ensuite on le chasse comme un malheureux.

Les femmes Thibetines font un très grand usage de perles dans leurs ajustemens. Il n’y en a point qui, pour peu qu’elle soit à son aise, ne porte un petit bonnet en forme de calotte tout garni de perles.

Les faquirs gentils, ou religieux mandiants de toute l’Asie, sont les seuls qui puissent faire le commerce de l’or impunément. Il n’y a qu’eux qui puissent le faire sortir, parcequ’étant regardés comme des saints, ils passent toutes les douanes sans être fouillés. D’ailleurs, ils vont par troupes, quelquefois de deux ou trois mille ; il n’est pas sur de les insulter. Ils portent cet or à Surate, Golconde, à Patna, dans le Bengale, et dans tous les ports de mer. Ils le changent contre des perles, des diamants et autres pierreries qu’ils portent au Thibet, où ils les vendent très cher aux habitans.

Les moutons du Thibet sont très grands ; leur chair est esquise ; la laine en est très longue et très fine. Ils ont la queue fort grosse. C’est avec cette laine que sont faites le plupart des châles. Les marchands de Cachemire qui fabriquent ces étoffes, viennent tous les ans enlever les laines. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’on ne tond pas les moutons dans le pays pour filer la laine, on la file sur le corps de l’animal[27] ; elle est d’une grande beauté, et de 7 à 8 pouces de long.

Il y a beaucoup d’aigles dans le pays ; il y a de petits chevaux sauvages dont la peau est si belle qu’on croiroit qu’ils sont peints ; on ne peut guères les attraper.

Il y a aussi des montagnes de sel. Les montagnards le ramassent et en chargent des troupeaux de moutons qu’ils conduisent dans les principales villes, comme à Lassa, sans les décharger. Là, ils vendent le mouton avec sa charge, et remportent en échange des étoffes du lin.

Les Thibetins sont sujets aux incursions des Tartares, leurs voisins, qui pillent le pays et emmènent avec eux les femmes et les filles[28].

Le Grand Lama est le chef de la religion du Thibet, de la grande Tartarie, et d’une partie de la Chine. Il est regardé de tous ces peuples comme un Dieu. Ils ont une si grande vénération pour ce lamas qu’ils ramassent avec soin ses ordures pour en faire présent aux Rois, aux princes et au peuple, et n’en a pas qui veut. Ils mêlent ces ordures avec un peu de musc, et ce mélange est chez eux la médecine universelle. En avalant un peu de cette drogue, ils se croyent guérir. On en transporte dans tous les pays de sa domination, où elle est regardée, non seulement comme médecine, mais encore comme une relique précieuse.

La tradition est que le grand lamas ne meurt jamais, ou plutôt c’est un phœnix qui renait de sa cendre. En effet, lorsqu’il est mort, on le brûle avec des bois aromatiques, comme sandal, canel, bois d’aloës, etc. On ramasse ses cendres pour être mises dans une urne enrichie d’or et de pierreries que l’on expose à la vénération des grands et des petits qui viennent se prosterner devant cette relique, et lui rendre leurs devoirs. Pendant ce tems, les quatre premiers lamas, qui sont les seuls initiés aux mystères, font parroitre un enfant qu’ils ont endoctriné. Cet enfant est produit en public. Les lamas lui font quelques questions auxquelles il répond ce qu’on lui a appris ; et aussitôt ces lamas se prosternent à ses pieds, assurant que c’est le véritable Grand Lamas qui a été reproduit des cendres du défunt. On ouvre l’urne ; on n’y trouve rien. Notez que cet enfant cite quelques particularités qu’il a apprises par cœur, de la vie du défunt et que le public sait, sur quoi le peuple s’empresse à le reconnoitre pour grand lamas. Après la mort de celui ci, on lui substitue pareillement un autre enfant, et par cette pieuse fraude des principaux lamas, ils jouissent d’un droit despotique sur toutes les consciences. Les lamas inférieurs sont aussi en grande vénération, c’est à eux qu’on s’adresse dans la maladie. On leur porte une tasse qui contient de la farine, ou quelque autre chose, sur quoi ils crachent et se mouchent avec les doigts, le tout est bien mêlé, et compose un remède qui doit opérer la guérison du malade à moins que le destin n’en ait autrement ordonné.

La plupart des castes se font brûler après leur mort. Il y en a une qui enterre les morts. On fait une fosse profonde ; on y met le mort, et la femme vivante par dessus, si elle veut suivre son mari ; on rejette promptement la terre dans la fosse, de sorte que la femme est bientôt étouffée. Il y a un autre caste qu’on peut appeller les charitables. Ceux-ci ne se contentent pas d’avoir été charitables envers les animaux pendant leur vie, ils veulent encore l’être après leur mort. Ils se font porter dans un endroit particulier, où l’on paye des gens pour les couper par petits morceaux. On leur ouvre d’abord tout le corps pour en tirer le cœur, les poumons, les intestins, etc. qu’on brule ; après quoi ces gens, ayant coupé les chairs par morceaux, font un cri particulier pour appeller les chiens qui ne manquent point de venir, au nombre de deux cent quelquefois, pour faire la curée. Les os étant bien décharnés par ces chiens, on les prend et on les réduit en une poudre grossière en les broyant sur de grosses pierres avec des outils propre à cela. On mêle ensuite cette poudre avec de la farine d’orge dont on fait une pâte. On appelle de nouveau les chiens qui mangent le tout.

Il est défendu chez les Thibetins de tuer aucun oiseau et de faire la pêche. Leur religion fondée sur la métempsycose force ainsi une partie des habitans à renoncer à la société, en se jettant dans des couvents pour arrêter la population, et trouver du moins de quoi vivre dans le peu de sortes d’alimens dont elle permet l’usage.


  1. Ces citations sont empruntées aux Réflexions sur le gouvernement de l’Indoustan, de Luke Scrafton, publiées pour la première fois en 1763. La première citation commence à la page 1 des Réflexions. (Note de S. Hill.)
  2. Le vrai mot est Bvedang, ou Bhedang. Voyez le mot Benares à la table.
  3. Mr Scrafton s’est trompé ici. Ce que nous nommons le Vedam qui n’est qu’un commentaire des quatre Bvedas connu dans le Bengale et à Benares sous le nom de Tcharta Bvade n’est suivi que dans le Dekan, aux Côtes Coromandel et Malabar et dans l’isle de Ceylon. Tout l’Indoustan et le Bengale suivent un autre Shaster ou Commentaire du Tcharta Bvade.
  4. Ce paragraphe est emprunté à un autre livre ou à une autre édition. (Note de M. Hill.)
  5. Scrafton’s Reflections, p. 5.
  6. Scrafton’s Reflections, p. 6.
  7. Les 4 principales castes d’où dérivent toutes les autres, sont :

    1ere Les Brames qui viennent de la tête de Bramah (Sagesse de Dieu).

    2de Les Kettry ou Kaytry, ou Sitry (Militaires, Potentats viennent du cœur de Bramah).

    3e Les Beyses ou Byses (laboureurs, négociants, marchands, banquiers, viennent du ventre de Bramah).

    4e Soudder, Choutres, ou Caetes viennent du pied de Bramah ; ce sont les artisans, ouvriers, domestiques, serviteurs.

  8. Beaucoup de Brames savans que j’ai vus à Bénares, m’ont dit la même chose.
  9. Au département des manuscrits de l’India Office, il y a un manuscrit des « cartes générale et particulière du Bengale », de James Rennell. Dans l’une des notes, il écrit que Claude Boudier, jésuite, a établi la longitude de Bénarès. C’est la seule fois où, à ma connaissance, il soit question de lui. La date est de 1772 environ. (Note de M. S. C. Hill.)
  10. Nadasingue, raja de Jeypour dans l’ouest d’Agra.
  11. Scrafton’s Réflections, p. 7-14.
  12. C’est à dire une cinquième formée par ce qu’on nomme les halalkores ou Parias.
  13. Scrafton’s Reflections, p, 7.
  14. On les nomme Parias à la Côte Coromandel.
  15. Les blanchisseurs sont bien censés de la dernière caste (Parias ou halalkores), cependant comme l’idée de malpropreté ne tombe que sur ce qu’ils prennent et que tout ce qu’ils présentent, ou raportent est propre ; que, d’ailleurs, on est obligé de se couvrir le corps de ce qui sort de leurs mains, on peut dire qu’ils ne sont que demi parias ; on fait une distinction en leur faveur.
  16. Scrafton’s Reflections, p. 10.
  17. Scraftons Reflections, p. 15.
  18. Ceci a été écrit en 1763.
  19. Il ne faut raporter tout cela qu’aux parties méridionales de l’Inde : dans le nord les hommes et les femmes sont plus robustes, se soutiennent mieux. J’ai vu des Gentils et des Mahométans qui avoient plus de cent ans. Il n’y a chez les Indiens, Mahométans ou Gentils, aucun registre public contenant la naissance des individus, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir exactement l’âge d’une personne ; la tradition y suplée les naissances ; les morts sont constatées par un à peu près sur tel règne, tel commandant, tel juge, tel événement. On parvient plutôt à savoir l’âge, la généalogie d’un cheval de prix, surtout si c’est de race arabe, que l’âge ou la généalogie de son maître.
  20. Cette histoire est apparemment empruntée à l’histoire d’Orme. (Vol. V, p. 381-382 ; réimpression de 1861). Note de M. Hill.
  21. V. Orme’s History, vol 5, p. 382. — M. Orme attribue cette histoire au père jésuite Martin. (Note de M. Hill.)
  22. Nous donnons le nom sérail à la demeure des femmes mahométanes. C’est à tort, le vrai nom usité dans l’Inde est harem. Il y en a d’autres. Sérail veut dire proprement palais, grand logement, caravansérail, logement de caravane.
  23. Le peuple s’y nourrit de blés.
  24. Aurengzeib affectoit, surtout les premières années, le plus grand zèle pour sa religion, mais ce n’étoit qu’hypocrisie ; il faisoit tout servir à sa politique. Dans le vrai, il ne tenoit à aucune religion pas plus que son grand-père Djehanguir qui, dit l’histoire, se plaisoit aux disputes de controverses qu’il excitoit en sa présence entre les missionnaires chrétiens, les Brames et les moullahs. Il ne paroissoit jamais plus content que lorsqu’il voyoit les moullahs ne savoir que dire, ce qui arrivoit souvent. Ce fut lui qui dans une de ces disputes parut convenir que N. S. J. Ch. étoit fort au dessus de Mahomet, puisque dans l’alcoran même N. S. J. Ch. est dit être l’Esprit de Dieu, et que Mahomet n’y est nommé que l’Envoyé de Dieu. La Mosquée-Pagode ne fut bâtie que vers les dernières années du règne d’Aurengzeib.
  25. On ne voit ni cuillers ni fourchettes chez les Indiens, gentils ou mahométans, les morceaux sont servis coupés ; ils ne se servent que des doigts de la main droit pour porter le manger à la bouche ; l’autre main a ses fonctions particulières. S’il y a vingt convives, chacun aura devant lui la même quantité de plats plus ou moins grands, contenant la même espèce de nourriture.
  26. Voyez le mot Bénarès au cahier d’explications.
  27. Je m’imagine qu’il y a un tems pour cela (voyez le mot à la table).
  28. C’est peut-être la seule et vraie raison pour laquelle il n’y a qu’une femme pour plusieurs hommes.