Mémoires (Saint-Simon)/Tome 4/10

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CHAPITRE X.


Desmarets enfin présenté au roi. — Voyage de Fontainebleau. — Desmarets directeur des finances, et Rouillé conseiller d’État surnuméraire. — Cour de Saint-Germain à Fontainebleau. — Mort du duc de Lesdiguières ; son caractère. — Canaples duc de Lesdiguières. — Mort de Saint-Évremond ; sa disgrâce, sa cause. — Barbezières relâché. — L’archiduc déclaré roi d’Espagne, sous le nom de Charles III, par l’empereur. — Prince Eugène président du conseil de guerre de l’empereur. — Ragotzi. — Bataille d’Hochstedt gagnée sur les Impériaux. — Grand Seigneur déposé. — Rupture avec le duc de Savoie ; ses troupes auxiliaires arrêtées et désarmées. — Traitement des ambassadeurs à Turin et en France. — Usage de les faire garder par un gentilhomme ordinaire. — Phélypeaux. — Tessé en Dauphiné. — Siège de Landau. — Villars ouvertement brouillé avec l’électeur de Bavière. — Origine de l’intimité de Chamillart avec les Matignon. — Famille des Matignon. — Coigny ; son nom, sa fortune. — Coigny refuse de passer en Bavière et [perd] par là, sans le savoir, le bâton de maréchal. — Marsin passe en Bavière malgré lui, et est fait maréchal de France. — Retour en France de Villars bien muni. — Augsbourg pris par l’électeur. — Armées du Danube et de Flandre en quartiers d’hiver. — Maréchal de Villeroy reste à Bruxelles. — Retour de Fontainebleau par Villeroy et Sceaux. — Mme de Mailly se fait préférer pour le carrosse aux dames titrées, comme dame d’atours. — Disgrâce, retour, faveur et élévation de la marquise de Senecey. — Duchesses ôtaient le service de la chemise et de la sale à la dame d’honneur de la reine, et la préférence du carrosse. — Surintendante ; invention et occasion de cette charge.


Le mercredi 19 septembre, le roi alla coucher à Sceaux, et le lendemain à Fontainebleau. Il y avoit longtemps que les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers cherchoient à tirer Desmarets du triste état où il languissoit depuis la mort de M. Colbert, frère de sa mère. Si on se souvient de ce que j’ai dit de lui (t. II, p. 406 et suiv.), on trouvera que je n’ai pas besoin d’en rien répéter ici ni ailleurs. Dès lors Chamillart avoit eu permission de se servir de ses lumières à ressasser les financiers, mais rien au delà. La surcharge des ministères de la guerre et des finances avoit forcé Chamillart, comme on l’a vu en son temps, à se faire soulager par l’érection de deux directeurs des finances par-dessus les intendants. Desmarets, porté par ses deux cousins, continuoit à aider le contrôleur général, mais sourdement et obscurément, et comme à l’insu du roi, encore qu’il l’eût permis, mais à cette condition. Cet état déplaisoit fort aux deux ducs et à Torcy, qui ne l’avoient procuré que comme un chausse-pied, pour pouvoir reparaître et rentrer enfin en grâce, et en quelque place dans les finances, Chamillart, ami intime de MM. de Chevreuse et de Beauvilliers, et d’ailleurs le meilleur homme du monde et le plus compatissant au malheur d’autrui, tenta enfin que ce que faisoit Desmarets sous lui se fît publiquement et par un ordre connu du roi. Il fut rabroué, mais à force de ne se pas rebuter et de représenter à Mme de Maintenon la nécessité des affaires, il l’obtint.

Ce pas fait, il fut question d’un autre. On voulut que Desmarets fût présenté au roi. Après quelque intervalle, Chamillart se hasarda de le demander. Ce fut bien pis que l’autre fois. Le roi se fâcha, dit que c’étoit un voleur, de l’aveu de Colbert mourant, son propre oncle, qu’il avoit chassé sur son témoignage même avec éclat, et que c’étoit encore trop qu’il eût permis de s’en servir dans un emploi, où, si on lui laissoit le moindre crédit, il ne se déferoit pas d’un vice si utile. Chamillart n’eut qu’à se taire. Néanmoins, encouragé par le dernier succès, et pressé de temps en temps par les deux ducs, il eut encore recours à Mme de Maintenon, à qui il représenta l’indécence de se servir publiquement d’un homme en disgrâce, que le roi ne vouloit point voir, le dégoût extrême que cette situation répandoit sur le travail de Desmarets, et le discrédit qui en étoit la suite, qui portoit directement sur les affaires qu’il lui renvoyoit. Il vanta sa capacité, le soulagement qu’il en recevoit, l’utilité qui en revenoit aux finances, et sut si bien faire auprès d’elle que le roi consentit enfin, mais comme à regret, qu’il lui fût présenté. Chamillart le fit donc entrer dans le cabinet du roi, à l’issue d’un conseil tenu l’après-dînée du jour que Sa Majesté partit pour aller coucher à Sceaux, et de là à Fontainebleau. On ne put rien de plus froid que la réception que lui fit le roi ; il y avoit vingt ans qu’il ne l’avoit vu. Chamillart, embarrassé d’un éloignement si marqué contre la manière toute gracieuse dont le roi recevoit toujours ceux qu’il vouloit bien revoir après les disgrâces, n’osa passer plus loin. Desmarets demeura sans titre, mais travailla avec plus de considération, et fut employé en plus d’affaires qui allèrent sans milieu du contrôleur général à lui, et de lui au contrôleur général. Mais on vit bientôt qu’il n’est que de revenir, et que ce grand pas fait, tout vient ensuite et bientôt.

Un mois après, Beauvilliers, Chevreuse et Chamillart unis firent si bien, que Rouillé fut fait conseiller d’État surnuméraire, en attendant la première place qui vaqueroit, et remit à Desmarets sa place de directeur des finances en lui remboursant les huit cent mille livres qu’il avoit financées pour cette charge, dont les appointements étoient de quatre-vingt mille livres de rente, sans ce qu’il s’y pouvoit gagner d’ailleurs. Armenonville, qui étoit l’autre, ne revit pas reparaître sans peine ce nouvel astre sur l’horizon soutenu des grâces de la nouveauté de Chamillart et des deux ducs. Il sentit ce qui en pouvoir arriver, mais il fut sage et courtisan. Il étoit de mes amis et Desmarets très anciennement, comme je l’ai dit ailleurs. La jalousie, quoique discrète, fit naître dans leurs fonctions plus d’une difficulté entre eux. Ils savoient la portée où j’étois avec Chamillart leur commun maître ; ils venoient à moi me conter leurs douleurs, et je les remettois souvent bien ensemble, quelquefois même sans aller jusqu’à Chamillart. La fortune se joua bien ensuite de tous trois, et ne s’est guère plus moquée des hommes que parce qu’elle a fait enfin du fils de Desmarets un chevalier de l’ordre, un maréchal de France.

La cour de Saint-Germain vint, le 3 octobre, à Fontainebleau et s’en retourna le 16. Le roi y donna à Lavienne la survivance de sa charge de premier valet de chambre à Chancenay son fils. J’ai fait connoître Lavienne ailleurs. On y apprit la mort du duc de Lesdiguières, gendre du maréchal de Duras, sans enfants. Une assez courte maladie l’emporta à Modène. Il s’étoit extrêmement distingué et fait aimer et estimer en Italie. Le roi le regretta fort. Il étoit brigadier, et pour aller rapidement à tout par sa valeur et son application. Ce fut une véritable perte pour sa famille et pour celle où il était entré. C’étoit un homme doux, modeste, gai, mais qui se sentoit fort et qui n’avoit pas plus d’esprit qu’il n’en falloit pour plaire et réussir à notre cour.

Fort honnête homme et fort magnifique, il vivoit très bien avec sa femme, qui en fut fort affligée. Le vieux Canaples se sut bon gré alors de n’avoir jamais voulu renoncer à cette succession qui le fit duc de Lesdiguières.

On sut aussi, presque en même temps, la mort de Saint-Évremond, si connu par son esprit, par ses ouvrages et par son constant amour pour Mme Mazarin, qui acheva de le fixer en Angleterre jusqu’à l’extrême vieillesse dans laquelle il y finit ses jours. Sa disgrâce, moins connue que lui, est une curiosité qui peut trouver place ici. La sienne l’avoit conduit aux Pyrénées. Il étoit ami particulier du maréchal de Créqui ; il lui en écrivit une lettre de détails qui lui développa les replis du cœur du cardinal Mazarin, et qui ne fit pas une comparaison avantageuse de la conduite et de la capacité de ce premier ministre avec celles du premier ministre espagnol. L’esprit et les grâces qui sont répandus dans cette lettre en rendent encore les raisonnements plus forts et plus piquants. Don Louis de Haro lui en eût fait sa fortune, mais les deux premiers ministres l’ignorèrent jusqu’à leur mort. Le maréchal de Créqui et Mme du Plessis-Bellière, les deux plus intimes amis de M. Fouquet, furent arrêtés en même temps que lui et leurs papiers saisis. Le maréchal, qui ne l’étoit pas encore, en fut quitte pour un court exil, que le besoin qu’on eut de lui pour commander une armée accourcit, et lui valut le bâton de maréchal de France. Mme du Plessis-Bellière n’en fut pas quitte à si bon marché. Parmi ses papiers, on en trouva du maréchal de Créqui, et parmi ceux-là cette lettre qu’il n’avoit pu se résoudre à brûler, et qui a été depuis imprimée avec les ouvrages de Saint-Évremond. Les ministres à qui elle fut portée craignirent un si judicieux censeur. M. Colbert se para de reconnoissance pour son ancien maître, M. Le Tellier le seconda. Ils piquèrent le roi sur sa jalousie du gouvernement, et sur ses sentiments d’estime et d’amitié pour la mémoire encore récente de son premier ministre. Il entra en colère et fit chercher Saint-Évremond partout, qui, averti à temps par ses amis, se cacha si bien qu’on ne put le trouver. Las enfin d’errer de lieu en lieu et de ne trouver de sûreté nulle part, il se sauva en Angleterre où il fut bientôt recherché par tout ce qu’il y avoit de plus considérable en esprit, en naissance et en places. Il employa longtemps tous ses amis pour obtenir son pardon ; la permission de revenir en France lui fut constamment refusée. Elle lui fut offerte vingt ou vingt-cinq ans après, lorsqu’il n’y songeoit plus. Il avoit eu le temps de se naturaliser à Londres ; il étoit fou de Mme Mazarin, il ne se soucioit plus de sa patrie ; il ne jugea pas à propos de changer de vie, de société, de climat, à soixante-douze ans. Il y vécut encore une vingtaine d’années en philosophe et y mourut de même avec sa tête entière et une grande santé, et recherché jusqu’à la fin comme il l’avoit été toute sa vie.

On apprit aussi à Fontainebleau qu’enfin Barbezières avoit été mis en liberté et qu’il alloit être conduit, de Gratz où il étoit, à l’armée du comte de Staremberg, pour de là passer en celle de M. de Vendôme.

Des nouvelles plus importantes furent : l’archiduc déclaré roi d’Espagne par l’empereur, qui ne fit plus mystère de l’envoyer incessamment attaquer l’Espagne par le Portugal. Il avoit fait depuis quelque temps un grand changement à sa cour. Le comte de Mansfeld, dont la cour de Vienne s’étoit servie pendant son ambassade en Espagne pour empoisonner la reine, première femme de Charles II, par le ministère de la comtesse de Soissons, en avoit été récompensé, à son retour, de la présidence du conseil de guerre.

Je ne sais ce qu’il commit dans cette grande place, mais il fut disgracié et relégué, et sa présidence donnée au prince Eugène, qui la joignit au commandement des armées de l’empereur et de l’empire, et se trouva ainsi au comble de tout ce qu’il pouvoit prétendre. Cela arriva à la fin de juillet.

Eugène a voit été retenu à Vienne plus tard qu’il n’auroit voulu, par l’inquiétude qu’on y prenoit des mouvements de Hongrie, où le prince Ragotzi s’étoit déclaré le chef des mécontents. Son grand-père et son bisaïeul avoient été princes de Transylvanie. Sa mère avoit épousé en secondes noces le fameux comte Tekeli. Elle étoit fille du comte Serini, qui eut la tête coupée avec Frangipani et Nadasti en 1671 à Neustadt, pour avoir voulu se saisir de la personne de l’empereur Léopold, et s’être mis à la tête d’une grande révolte en Hongrie. F. Léopold, prince Ragotzi, son fils, soupçonné de vouloir remuer, avoit été arrêté et mis en prison à Neustadt, en avril 1701, d’où il trouva le moyen de se sauver déguisé en dragon, en novembre suivant, ayant gagné le capitaine de sa garde et fait enivrer les soldats. Il se retira en Pologne, d’où il vint joindre le comte Berzini, l’un des chefs des mécontents en Hongrie. Tous lui déférèrent la qualité de chef ; ses troupes grossirent, prirent ou s’emparèrent de force châteaux et petites villes, et causoient un grand trouble dont Vienne commençoit fort à s’alarmer.

En ce même temps, le 28 septembre, on eut nouvelle par un courrier d’Usson, d’une bataille gagnée près d’Hochstedt sur les Impériaux commandés par le comte de Stirum, qui avoit soixante-quatre escadrons et quatorze mille hommes de pied. D’Usson commandoit un corps séparé de vingt-huit escadrons, et de seize bataillons dans des retranchements ; il eut ordre d’en sortir, le 19 au soir, pour être en état d’attaquer le 20 au matin les Impériaux par un côté, tandis que l’électeur de Bavière les attaqueroit par un autre. Ce prince devoit avertir de son arrivée par trois coups de canon, et d’Usson lui répondre de même. Mais ce dernier, arrivé trop tôt, joint par Cheyladet avec quelques troupes, fut aperçu des Impériaux, qui, le croyant seul, vinrent sur lui et poussèrent la brigade de Vivans jusque dans le village d’Hochstedt.

Peny la soutint avec la brigade de Bourbonnois, et ils s’y défendirent avec grande valeur. D’Usson qui avoit vu les ennemis couler cependant vers ses retranchements, s’y porta assez à temps pour les obliger à se retirer, et entendant en même temps redoubler très considérablement le feu du côté d’Hochstedt, il se douta que c’étoit l’électeur et le maréchal de Villars qui arrivoient, et y porta diligemment ses troupes. Il ne se trompoit pas ; il joignit la tête de leurs troupes qui, avec ce renfort, défirent les ennemis qui se retirèrent fort précipitamment. L’électeur les poursuivit deux lieues durant, et son infanterie, qui pénétra dans un bois où ils s’étoient retirés, sur le chemin de Nordlingen, en fit un grand carnage. Quatre mille hommes des leurs demeurèrent sur la place, on leur en prit autant, beaucoup d’étendards, de drapeaux et de timbales, trente-trois pièces de canon, leurs bateaux et leurs pontons, et tous leurs équipages. Enfin une victoire complète qui ne coûta guère que mille hommes. Villars envoya le chevalier de Tresmane qui arriva vingt-quatre heures après le courrier d’Usson, qui plus en détail rapporta à peu près les mêmes choses. Il assura qu’on ne croyoit pas que l’armée battue pût se rassembler du reste de la campagne, et que l’électeur alloit marcher au prince Louis de Bade qui étoit sous Augsbourg avec vingt mille hommes.

Le changement qui arriva en Turquie ne soulagea pas l’empereur. Les janissaires, d’accord avec les spahis, entrèrent tumultueusement dans le sérail à Andrinople, où étoit leur empereur Mustapha, le déposèrent, mirent sur le trône son frère Achmet, âgé de sept ans, chassèrent le grand vizir, et en firent un autre qui aimoit fort la guerre, que ces séditieux vouloient absolument, tuèrent le mufti fuyant vers l’Asie, et, ce qui est incroyable d’un tel particulier, mais qui fut mandé par notre ambassadeur comme une chose certaine, on lui trouva quarante millions. Ce mouvement qui tendoit à une rupture de la Porte avec l’empereur et les autres puissances chrétiennes, donna du courage aux mécontents de Hongrie, et réchauffa beaucoup le parti de Ragotzi, contre lequel il fallut augmenter de troupes, à la tête desquelles le prince Eugène se mit, au lieu de retourner en Italie comme il l’avoit jusque-là espéré de jour en jour.

Après s’être longtemps endormi sur les mauvais desseins du duc de Savoie, malgré tous les avis de Phélypeaux, ambassadeur du roi à Turin, on ouvrit enfin les yeux, et on ne put douter qu’il n’eût des ministres de l’empereur cachés dans sa cour, avec lesquels il traitoit. Le roi témoigna par deux fois à l’ambassadeur de Savoie ses justes soupçons. Soit que ce ministre fût de concert avec son maître, ou qu’il agît de bonne foi, il répondit toutes les deux fois sur sa tête de la fidélité du duc à ses traités avec les deux couronnes.

L’éloignement de M. de Vendôme et de ce qu’il avoit mené à Trente retarda les résolutions à prendre. Vaudemont, qui sentoit qu’incontinent nous serions prévenus, ou nous préviendrions M. de Savoie, avoit quitté San-Benedetto et l’armée qu’il commandoit, sans attendre quelques jours de plus M. de Vendôme, qui arrivoit et s’en étoit allé aux eaux, comme je crois l’avoir déjà marqué. Vendôme de retour avec ses troupes, fort harassées par la vigilance de l’ennemi dans toute cette longue traversée, il fut question de prendre des mesures contre les perfides intentions d’un allié qui s’étoit laissé débaucher.

On fut quelque temps à les résoudre, puis à les arranger, et elles le furent avec tant de secret et de justesse, qu’en un même instant toutes les troupes auxiliaires de Savoie furent désarmées et arrêtées par notre armée. Il devoit y avoir cinq mille hommes, mais il en avoit peu à peu fait déserter la moitié, et on s’assura de même de ce qu’il y en avoit dans les hôpitaux.

Le courrier qui apporta la nouvelle de cette expédition arriva le 5 octobre à Fontainebleau. Torcy fut l’après-dînée chez l’ambassadeur de Savoie. On peut juger de l’éclat de cette action par toute l’Europe, qu’on ne rendit publique à la cour que deux jours après. Le lendemain, l’ambassadeur, de qui Torcy avoit pris la parole qu’il ne sortiroit point du royaume, par rapport à la sûreté de Phélypeaux, reçut un courrier de son maître, qui lui mandoit qu’il alloit assembler son conseil sur la nouvelle qu’il recevoit de l’arrêt de ses troupes. Il fit prendre en même temps à Chambéry deux mille cinq cents fusils, qu’on envoyoit à l’armée d’Italie, et arrêter tous les courriers de France, et tous les François qui se trouvèrent partout dans ses États. En même temps Vaudemont, qui ne vouloit qu’éviter l’embarras du spectacle de quelque part qu’il vînt, ne fut que peu de jours aux eaux, où apprenant la bombé crevée et de notre part, dépêcha un courrier au roi, pour lui mander qu’à cette nouvelle il quittoit tout, et s’en alloit trouver Vendôme à Pavie, et retourner de là à son armée, qui étoit sur la Secchia. On en fut encore la dupe, et ce double artifice lui réussit fort bien malgré toutes les assurances qu’il n’avoit cessé de donner de la fidélité certaine du duc de Savoie. Bientôt après il en renvoya un autre pour témoigner son zèle, par lequel il manda que M. de Savoie faisoit toutes les démarches d’un prince qui se prépare à la guerre. On le savoit bien sans lui. Cependant Montendre apporta la défaite par M. de Vendôme, le 28 octobre, de deux mille chevaux que Staremberg envoyoit à M. de Savoie, où il n’y eut que vingt hommes de tués de notre parti. Sur l’avis que Phélypeaux et l’ambassadeur d’Espagne à Turin étoient fort resserrés, sans aucune communication entre eux ni avec personne, et un corps de garde posé devant leurs maisons, du Libois, gentilhomme ordinaire, eut ordre de se rendre chez l’ambassadeur de Savoie, d’y loger et de l’accompagner partout. Cet usage en cas de rupture est ordinaire, même à l’égard des nonces. Ce sont d’honnêtes espions et à découvert, à qui la chambre de l’ambassadeur ne peut être fermée pour voir et rendre compte de tout ce qu’il fait et se passe chez lui, mangeant avec lui, et ne le quittant presque point de vue. Quelque incommode, pour ne pas dire insupportable, que soit une telle compagnie, Phélypeaux n’en fut pas quitte à si bon marché. C’étoit un homme d’infiniment d’esprit et de lecture, éloquent naturellement et avec grâce, la parole fort à la main ; extrêmement haut et piquant, qui essuya des barbaries étranges, qui souffrit toutes sortes de manquements et d’extrémités jusque dans sa nourriture, et qui fut menacé plus d’une fois du cachot et de la tête.

Il ne se déconcerta jamais, et désola M. de Savoie par sa fermeté, son égalité et la hauteur de ses réponses, de ses mépris, de ses railleries. Ce qu’il a écrit en forme de relation de cette espèce de prison est un morceau également curieux, instructif et amusant. Tessé partit de Fontainebleau pour aller commander en Dauphiné, entrer en Savoie, et commencer ce surcroît de guerre.

Cependant Tallard avoit formé le siège de Landau. L’armée du comte de Stirum étoit détruite par la bataille d’Hochstedt. Celle du prince Louis, mal payée et délabrée, observoit de loin l’électeur, et il n’y avoit rien au deçà du Rhin qui pût mettre obstacle à l’entreprise. Marsin, fit l’investiture, et la tranchée fut ouverte le 18 octobre. Il eût été heureux que la mésintelligence n’eût pas troublé tout ce qu’il se pouvoit faire sur le Danube, et au delà, où il n’y avoit plus d’armées en état de s’opposer à rien de ce que l’électeur eût voulu entreprendre. Il étoit en état de porter la guerre dans les pays héréditaires et de profiter du dénuement de l’empereur, qui de Vienne, voyoit le fer et les feux que Ragotzi portoit dans son voisinage. Mais une guerre intestine tourmentoit plus l’électeur que ses prospérités ne lui donnoient de joie. Villars, continuant à suivre ses projets pour sa fortune particulière, ne cessoit de traverser ce prince en tout, de lui refuser ses secours pour toutes entreprises qui ne cadroient pas avec les siennes pour s’enrichir, et de le rendre suspect au roi d’abandonner ses intérêts. Les choses en vinrent au point que Villars cessa d’aller chez l’électeur, hors pour des raisons très rares et indispensables, et d’en user avec lui par ses défiances affectées et ses hauteurs à ne pouvoir plus être supporté. En cette situation, l’électeur assembla chez lui les principaux officiers de l’armée, et en leur présence interpella Villars de lui déclarer s’il agissoit avec lui comme il faisoit par ordre du roi ou de soi-même ; le maréchal n’eut pas le mot à répondre, et cette démarche, qui mit les choses au net, acheva aussi de le rendre fort odieux. Il l’étoit déjà par ses incroyables rapines et par toute sa conduite avec les troupes, tandis que l’électeur étoit adoré de tous. De part et d’autre les courriers marchèrent. Villars, ses coffres remplis et sa femme absente, ne désiroit rien plus que de sortir d’une si triste situation ; et l’électeur demandoit formellement d’être délivré d’un homme qui lui manquoit à tout avec audace, qui barroit ses projets les plus certains, et qui tête levée ne sembloit être venu en son pays que pour le mettre à la plus forte contribution à son profit particulier. Le roi enfin, voyant combien il y avoit peu d’apparence de laisser plus longtemps ces deux hommes ensemble, se détermina à leur donner satisfaction en les séparant, et à faire maréchal de France celui qu’il enverroit à la place de Villars, aucun de ceux qui l’étoient déjà n’y paraissant propre. C’en étoit moins la raison que le prétexte.

Chamillart, avant sa dernière grande fortune, l’avoit commencée par l’intendance de Rouen que son père avoit aussi eue. Ils y étoient devenus amis intimes des Matignon, au point que le comte de Matignon, père, longues années depuis, du duc de Valentinois, lui quitta pour rien la mouvance d’une terre qu’il avoit relevant de Thorigny, ce qui enrichit depuis Matignon sous son ministère, fit son frère maréchal de France et son fils duc et pair et gendre de M. de Monaco dans les suites. Les Matignon avoient marié leurs sœurs comme ils avoient pu. Ils étoient cinq frères et force filles, dont ils cloîtrèrent la plupart, et firent deux frères d’Église : l’un évêque de Lisieux après son oncle paternel ; l’autre de Condom, fort homme de bien, mais rien au delà. L’aîné n’eut que deux filles dont il donna l’aînée à son frère, l’autre à Seignelay, qui se remaria au comte de Marsan, et le dernier frère, qu’on appeloit Gacé, nous le verrons maréchal de France. Les deux sœurs, l’une jolie et bien faite, épousa un du Breuil, gentilhomme breton, qui portoit le nom de Nevet, dont elle ne laissa point d’enfants ; l’autre Coigny, père du maréchal d’aujourd’hui.

Coigny étoit fils d’un de ces petits juges de basse Normandie, qui s’appeloit Guillot, et qui, fils d’un manant, avoit pris une de ces petites charges pour se délivrer de la taille après s’être fort enrichi. L’épée avoit achevé de le décrasser. Il regarda comme sa fortune d’épouser la sœur des Matignon pour rien, et avec de belles terres, le gouvernement et le bailliage de Caen qu’il acheta, se fit tout un autre homme. Il se trouva bon officier et devint lieutenant général. Son union avec ses beaux-frères étoit intime, il les regardoit avec grand respect, et eux l’aimoient fort et leur sœur qui logeoit chez eux et qui étoit une femme de mérite. Coigny, fatigué de son nom de Guillot, et qui avoit acheté en basse Normandie la belle terre de Franquetot, vit par hasard éteindre toute cette maison, ancienne, riche et bien alliée. Cela lui donna envie d’en prendre le nom, et la facilité de l’obtenir, personne n’en étant plus en droit de s’y opposer. Il obtint donc des lettres patentes pour changer son nom de Guillot en celui de Franquetot qu’il fit enregistrer au parlement de Rouen, et consacra ainsi ce changement à la postérité la plus reculée. Mais on craint moins les fureteurs de registres que le gros du monde qui se met à rire de Guillot, tandis qu’il prend les Franquetot pour bons ; parce que les véritables l’étoient, et qu’il ignore si on s’est enté dessus avec du parchemin et de la cire. Coigny donc, devenu Franquetot et dans les premiers grades militaires, partagea avec les Matignon, ses beaux-frères, la faveur de Chamillart. Il étoit lors en Flandre, où le ministre de la guerre lui procuroit de petits corps séparés. C’étoit lui qu’il vouloit glisser en la place de Villars, et par là le faire maréchal de France. Il lui manda donc sa destination, et comme le bâton ne devoit être déclaré qu’en Bavière, même à celui qui lui étoit destiné, Chamillart n’osa lui en révéler le secret ; mais, à ce que m’a dit lui-même ce ministre dans l’amertume de son cœur, il lui mit tellement le doigt sur la lettre, que, hors lui déclarer la chose, il ne pouvoit s’en expliquer avec lui plus clairement. Coigny, qui étoit fort court, n’entendit rien à ce langage. Il se trouvoit bien où il était. D’aller en Bavière lui parut la Chine ; il refusa absolument, et mit son protecteur au désespoir, et lui-même peu après, quand il sut ce qui lui étoit destiné.

On se tourna à Marsin, auquel arriva un courrier devant Landau, chargé d’un paquet pour lui, qui en enfermoit un autre. Par celui qu’il ouvrit, il lui était ordonné de quitter le siège tout aussitôt, et de prendre le chemin qui lui était marqué pour se rendre en Bavière, où seulement et non plus tôt il devoit ouvrir l’autre paquet. En le tâtant il reconnut qu’il y avoit un sceau, et comprit que c’étoit le bâton de maréchal de France. La merveille fut que cela ne le tenta point. Il se sentit blessé de ne l’obtenir que par besoin de lui après la promotion des autres, et fut effrayé du poids dont on vouloit le charger. Il renvoya donc le courrier avec des excuses et le paquet, qu’il ne devoit ouvrir qu’en Bavière, tel qu’on le lui avoit envoyé. Le roi persista et lui redépêcha aussitôt les mêmes ordres avec le même paquet, pour ne l’ouvrir qu’en Bavière. Il fallut obéir. Il partit et rencontra Villars en Suisse, chargé de l’argent de ses contributions personnelles et de l’exécration publique.

L’électeur dit à qui le voulut entendre qu’il emportoit deux millions comptant de son pays, sans ce qu’il avoit tiré du pays ennemi, à quoi avoit tendu tout son projet militaire qui lui avoit énormément rendu. Les troupes et les officiers généraux ne l’en dédirent point. Il offrit de l’argent avant partir à qui en voudroit emprunter, pour s’en décharger d’autant ; mais la haine prévalut, qui que ce soit n’en voulut prendre pour la malice de lui laisser ses coffres pleins, qu’il amena à bon port en France. L’escorte qui l’avoit amené ramena Marsin chargé de cent mille pistoles pour l’électeur ; il passa avec lui beaucoup d’argent pour la paye et les besoins de nos officiers et de nos troupes, et beaucoup d’autres choses nécessaires pour lesquelles on profita de l’occasion. En joignant l’électeur, il lui rendit le repos, et la joie à toute l’armée. Il ouvrit son paquet et y trouva ses ordres, ses instructions et son bâton, comme il s’en étoit douté. Le roi le déclara maréchal de France, quand il le crut arrivé. Il fut parfaitement d’accord en tout avec l’électeur, et au gré des troupes et des officiers généraux, et très éloigné de brigandages. Peu après son arrivée, ils firent le siège d’Augsbourg qu’ils prirent en peu de jours, et mirent après les troupes dans les quartiers, qui avoient grand besoin de repos. Le maréchal de Villeroy, à qui les ennemis avoient pris Limbourg, sépara aussi la sienne. Il prit la place du maréchal de Boufflers à Bruxelles, pour commander tout l’hiver sur toutes ces frontières, et Boufflers revint à la cour.

Elle partit de Fontainebleau le 25 octobre, retournant à Versailles par Villeroy et par Sceaux. Le roi avoit dans son carrosse Mme la duchesse de Bourgogne, Madame, Mme la duchesse d’Orléans, la duchesse du Lude et Mme de Mailly, qui l’emporta sur la maréchale de Cœuvres, grande d’Espagne. Pour expliquer comment se passa cette préférence, il faut reprendre les choses d’un peu loin. La place de dame d’honneur a presque toujours été remplie dans tous les temps par de grandes dames, quelquefois par des femmes de princes du sang, comme on le voit dans Brantôme. La dernière connétable de Montmorency la fut aussi, et elle étoit aussi duchesse de Montmorency.

Depuis Mme de Senecey et la comtesse de Fleix, sa fille, en survivance, qui furent dames d’honneur de la dernière reine mère, qu’elles survécurent toutes deux, on n’a plus vu de dames d’honneur de reine que duchesses. Ces deux-là le devinrent, quoique veuves en 1663[1]. Randan fut érigé pour elles deux conjointement et pour M. de Foix, fils aîné de la comtesse de Fleix, à qui, par mort sans enfant, le dernier duc de Foix succéda comme ayant été appelé par les lettres, en qui cette illustre et heureuse maison de Grailly, dite de Foix, s’éteignit avec son duché-pairie.

La marquise de Senecey, dame d’honneur de la reine mère et intimement dans sa confidence, fut chassée lors de l’éclat du Val-de-Grâce, où le chancelier Séguier eut ordre d’aller fouiller la reine jusque dans sa gorge, et dont, en homme d’esprit et adroit, il s’acquitta sans reproches du roi, ni rien perdre dans les bonnes grâces du cardinal de Richelieu, mais de manière qu’il en mérita celles de la reine, qui de sa vie n’oublia ce service. Il étoit question d’intelligence fort criminelle avec l’Espagne. Il se trouva d’ailleurs assez de choses pour que la fameuse duchesse de Chevreuse se sauvât hors du royaume, et que Beringhen, premier valet de chambre du roi, s’enfuît à Bruxelles, ce qui fit depuis son incroyable fortune. De cette affaire, Mme de Senecey fut exilée à Randan, et pas un d’eux ne revint qu’à la mort de Louis XIII. Aussitôt après, la reine, devenue régente, les rappela, chassa Mme de Brassac, tante paternelle de M. de Montausier, duc et pair si longtemps après, rendit à Mme de Senecey sa charge de dame d’honneur, que Mme de Brassac avoit eue, et en donna en même temps la survivance à la comtesse de Fleix pour l’exercer conjointement avec la marquise de Senecey, sa mère, qui rentrèrent dès ce moment dans la plus grande faveur et la plus haute considération, qui a toujours duré égale jusqu’à la mort de la reine. Lorsque le rang des Bouillon se fut établi et que celui de Rohan commença à poindre, ces deux dames obtinrent un tabouret de grâce. Une assemblée de noblesse protégée par Gaston, lieutenant général de l’État, fit ôter ces rangs sans titres et ces tabourets de grâce, qui furent rendus après les troubles de la régence ; et lors de cette monstrueuse promotion de quatorze érections de duchés-pairies en 1663, celle de Randan en fut une, comme je viens de le dire, en faveur de la mère, de la fille et du petit-fils.

Jusqu’au retour de Mme de Senecey, aucune dame d’honneur de la reine n’avoit disputé la préférence du carrosse à aucune duchesse, ni même l’honneur de donner la chemise à la reine et de lui présenter la sale, qui était déféré sans difficulté à la plus ancienne duchesse qui se trouvoit présente quand il n’y avoit point de princesse du sang. La sale est une espèce de soucoupe de vermeil sur laquelle les boites, étuis, montres et l’éventail de la reine lui étoient présentés couverts d’un taffetas brodé, qui se lève en la lui présentant. Il y a toute apparence que Mmes de Senecey et de Fleix se prévalurent, à leur retour, et de la faveur de la reine et de celle de la comtesse d’Harcourt et de la duchesse de Chevreuse auprès d’elle, qui la tournèrent entièrement pour la maison de Lorraine contre les ducs, pour se mettre en possession de présenter toujours la sale et donner la chemise, sous prétexte de ne donner point de préférence aux duchesses ni aux princesses lorraines, qui pourtant ne faisoient que commencer à le disputer par la faveur des deux que je viens de nommer. Pour le carrosse, Mmes de Senecey et de Fleix n’y entreprirent rien, parce qu’apparemment que, ne s’agissant pas là de fonctions, elles n’y purent trouver de prétexte. Il vint depuis au mariage du roi. La maréchale de Guébriant, nommée dame d’honneur et point duchesse, mourut en allant trouver la cour en Guyenne, et ne vit jamais la reine. Mme de Navailles, dont le mari étoit duc à brevet, qui avoit tellement été attaché au cardinal Mazarin, dont il commandoit les chevau-légers, qu’il avoit été son correspondant intime et son homme de la plus grande confiance pendant ses deux absences hors du royaume, fut nommée à la place de la maréchale de Guébriant. Elle étoit en Gascogne dans les terres de son mari, qui ne songeoit à rien moins, et qui n’eut que le temps d’arriver pour le mariage. Le cardinal Mazarin, qui fit tout pour que le comte de Soissons ne se trouvât pas mal marié à sa nièce, venoit d’inventer pour elle la charge jusqu’alors inconnue de surintendante de la maison de la reine, et pour conserver toute préférence à la reine mère avec laquelle il avoit toujours été si uni, à qui il devoit tout, et que le roi respectoit si fort, il fit en même temps la princesse de Conti, son autre nièce, surintendante de sa maison. Cette dernière, étant princesse du sang, emportoit beaucoup de choses par ce rang ; mais sa piété, l’extrême délicatesse de sa santé, son attachement à M. le prince de Conti, presque toujours dans son gouvernement de Languedoc, ne lui permettoient guère d’exercer cette charge. Elle étoit tout aux dépens de celle de dame d’honneur prise sur le modèle du grand chambellan, avant qu’il fût dépouillé par les premiers gentilshommes de la chambre.

La comtesse de Soissons, toujours à la cour, où elle donnoit le ton par sa faveur auprès du roi qui dans ces temps-là ne bougeoit de chez elle, faisoit sa charge, et Mme de Navailles n’avoit garde de se commettre avec elle à cause du roi et du cardinal, son oncle, dont le mari étoit la créature. La reine ne connoissoit personne dans ces commencements ; à peine s’expliquoit-elle en françois. La comtesse de Soissons montoit dans son carrosse, et lui nommoit les dames à appeler, et les appeloit pour la reine. Cet usage introduit fut suivi par la duchesse de Navailles, lorsque la comtesse de Soissons ne s’y trouvoit pas. Mme de Montausier, duchesse à brevet, lui succéda et en usa de même, et cet établissement a toujours continué, depuis lequel il a valu la préférence aux dames d’honneur dans le carrosse sur tout ce qui n’est point princesse du sang. Pour les dames d’atours jamais pas une n’y avoit songé, non pas même la comtesse de Béthune, si longtemps dame d’atours de la reine, si fort et toujours sa favorite, et si considérée par elle-même, par son beau-père et par son mari, illustres par leurs charges et leurs négociations, et par le comte, depuis duc de Saint-Aignan son frère, si bien alors avec le roi, en si grande privance et premier gentilhomme de sa chambre. Jusqu’à Mme de Mailly, il n’avoit donc pas été question de nulle prétention des dames d’atours. Celle-ci, fort glorieuse, nièce de Mme de Maintenon, mariée de sa main, et parfaitement bien alors avec elle, imagina cette préférence, la tortilla longtemps, bouda, et, trouvant enfin sa belle contre un enfant comme la maréchale de Cœuvres, dont le roi s’amusoit comme telle (lequel n’aimoit pas les rangs, et Mme de Maintenon beaucoup moins qui avoit bien ses raisons pour cela), l’emporta, non par une décision que Mme de Mailly ne put obtenir, mais par silence sur son entreprise, qui en fut une approbation tacite dont elle sut se prévaloir. Cela ne laissa pas de faire du bruit et de paroître étrange ; elle dit qu’elle n’imaginoit pas disputer aux titrées, ni avoir jamais que la dernière place ; mais qu’elle étoit nécessaire dans le carrosse, pour y porter et y donner à Mme la duchesse de Bourgogne des coiffes et d’autres hardes légères à mettre par-dessus tout, à cause des fluxions, à quoi elle étoit sujette. En effet elle n’eut jamais que la dernière place, mais elle se conserva dans la préférence que sa faveur lui fit embler.




  1. Voy. t. I, p. 449, la réception des ducs et pairs à la séance du 15 décembre 1663.