Mémoires (Cardinal de Retz)/Livre quatrième/Section 1

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La Reine, outrée de la continuation de la conduite de M. le prince, qui marchoit dans Paris avec une suite plus grande et plus magnifique que celle du Roi et celle de Monsieur, en qui elle trouvoit un changement continuel ; la Reine, dis-je, presque au désespoir, résolut de jouer à quitte ou à double. M. de Châteauneuf flatta en cela son inclination : elle y fut confirmée par une dépêche de Brulh, laquelle jetoit feu et flammes. Elle dit clairement à Monsieur qu’elle ne pouvoit plus demeurer dans l’état où elle étoit ; qu’elle lui demandoit une déclaration positive, ou pour ou contre elle. Elle me somma en sa présence de lui tenir la parole que je lui avois donnée de ne point balancer à éclater contre M. le prince, s’il continuoit à agir comme il avoit commencé. Monsieur voyant que je n’hésitois pas à prendre ce parti auquel il avoit trouvé bon lui-même que je me fusse engagé, s’en fit honneur auprès de la Reine ; et il crut la payer par ce moyen de ce qu’il ne la payoit pas de sa personne, qu’il n’aimoit pas naturellement à exposer. Il lui donna une douzaine de raisons, pour lui faire agréer qu’il ne se trouvât plus au parlement ; et il lui insinua que ma présence, qui entraînoit la meilleure partie de sa maison, feroit assez connoître à la compagnie et au public sa pente et ses intentions. La Reine se consola assez aisément de son absence, quoiqu’elle fit semblant d’en être fâchée. Elle connut en cette occasion, sans en pouvoir douter, que j’agissois sincèrement pour son service ; elle vit clairement que je ne balançois point à tenir ce que je lui avois promis. Ce fut en cet endroit où elle eut la bonté de me parler de la manière qu’il me semble que je vous ai tantôt touchée : elle s’abaissa, mais sans feinte et de bon cœur, jusqu’à me faire des excuses des défiances qu’elle avoit eues de ma conduite, et de l’injustice qu’elle m’avoit faite (ce fut son terme). Elle voulut que je conférasse avec M. de Châteauneuf de la proposition qu’elle lui avoit faite de ne demeurer pas toujours sur la défensive, comme elle avoit fait jusque là, et d’attaquer M. le prince dans le parlement. Je vous rendrai compte de la suite de cette proposition, après que je vous aurai expliqué la raison qui porta la Reine à prendre en moi plus de confiance qu’elle n’y en avoit pris jusque là. Les incertitudes de Monsieur l’avoient si fort effarouchée, qu’elle ne savoit quelquefois à qui s’en prendre ; et les sous-ministres qui entretenoient toujours un grand commerce avec elle, à la réserve de Lyonne qu’elle haïssoit mortellement, n’oublioient rien pour lui mettre dans l’esprit que Monsieur ne faisoit, dans le fond, quoi que ce soit que par mes mouvemens. Elle en remarqua quelques-uns de si irréguliers, et même si opposés à mes maximes, qu’elle ne put me les attribuer ; et je sais qu’elle écrivit un jour à Servien à ce propos : « Je ne suis pas la dupe du coadjuteur ; mais je serois la vôtre, si je croyois ce que vous m’en mandez aujourd’hui. » Bertet m’a dit qu’il étoit présent lorsqu’elle écrivit ce billet ; il ne se ressouvenoit pas précisément sur quel sujet. Quand sa patience fut à bout, et qu’elle se fut résolue, et par les conseils de M. de Châteauneuf, et par la permission qu’elle en reçut de Brulh, de pousser M. le prince, elle fut ravie d’avoir lieu de se pouvoir fier à moi pour l’y servir. Elle chercha ce lieu avec plus d’application qu’elle n’avoit fait ; et en voici une marque. Elle mena Madame avec elle aux Carmélites, un jour de quelque solennité de leur ordre, la prit au sortir de la communion ; elle lui fit faire serment de lui dire la vérité de ce qu’elle lui demanderoit ; et ce qu’elle lui demanda fut si je la servois fidèlement auprès de Monsieur. Madame lui répondit sans aucun scrupule qu’en tout ce qui ne regardoit pas le retour du cardinal je la servois non-seulement avec fidélité mais avec ardeur. La Reine, qui aimoit et qui estimoit la véritable piété de Madame, ajouta foi à son témoignage, et à un témoignage rendu dans cette circonstance. Il se trouva par bonheur que dès le lendemain j’eus occasion de m’expliquer à la Reine devant Monsieur : ce que je fis sans balancer, et d’une manière qui lui plut ; et ce qui la toucha encore plus que tout cela fut que Monsieur, qui n’avoit pas paru jusqu’à ce moment bien ferme à tenir ce qu’il avoit promis en de certaines occasions à la Reine, ne lui manqua point en celle-ci, au moins si pleinement que les autres fois. Il ne fut pas au pouvoir de M. le prince de le mener au Palais, quoiqu’il y employât tous ses efforts ; et la Reine attribua à mon industrie ce que je croyois dès ce temps-là, et que j’ai toujours cru depuis, n’avoir été que l’effet de l’appréhension qu’il eut de se trouver dans une mêlée qu’il avoit sujet de croire pouvoir être proche, et par l’emportement où il voyoit la Reine, et par le nouvel engagement que je venois de prendre avec elle. Je reviens à la conférence que j’eus avec M. de Châteauneuf par le commandement de la Reine.

Je l’allai trouver à Montrouge avec M. le président de Bellièvre, qui avoit écrit sous lui le mémoire qu’il avoit proposé à la Reine d’envoyer au parlement, et dont il est vrai que les caractères paroissoient avoir moins d’encre que de fiel. M. de Châteauneuf, qui n’avoit plus que quelques semaines à attendre pour se voir à la tête du conseil, comme je vous l’ai déjà dit ci-dessus, joignoit en cette rencontre, à sa bile et à son humeur très-violente, une grande frayeur que M. le prince ne se raccommodât avec la cour, et ne troublât son nouvel emploi. Je crois que cette considération avoit encore aigri son style. Je lui en dis ma pensée avec liberté. Le président de Bellièvre m’appuya : il en adoucit quelques termes, il y laissa toute la substance. Je le rapportai à la Reine, qui le trouva trop doux. Elle l’envoya par moi à Monsieur, qui le trouva trop fort. M. le premier président, à qui il le communiqua par le canal de M. de Brienne, y trouva trop de vinaigre, mais y mit du sel (ce fut l’expression dont il se servit en le rendant à M. de Brienne, après l’avoir gardé un demi-jour). Voici le précis de ce qu’il contenoit : Le reproche de toutes les grâces que la maison de Condé avoit reçues de la cour ; la plainte de la manière dont M. le prince s’étoit servi et conduit depuis sa liberté ; la spécification de cette manière ; ses cabales dans les provinces ; le renfort des garnisons qui étoient dans les places ; la retraite de madame de Longueville à Montrond ; les Espagnols dans Stenay ; les intelligences avec l’archiduc ; la séparation de ses troupes d’avec celles du Roi. Le commencement de cet écrit était orné d’une protestation solennelle de ne jamais rappeler le cardinal Mazarin, et la fin d’une exhortation aux compagnies souveraines, et à l’hôtel-de-ville de Paris, de se maintenir dans la fidélité.

Le jeudi 17 d’août 1651, sur les dix heures du matin, cet écrit fut lu, en présence du Roi et de la Reine, et de tous les grands qui étoient à la cour, à messieurs du parlement, qui avoient été mandés par députés au Palais-Royal. L’après-dînée, la même cérémonie se fit au même lieu à l’égard de la chambre des comptes, de la cour des aides et du prévôt des marchands.

Le vendredi 18, M. le prince, fort accompagné, se trouva à l’assemblée des chambres, qui se faisoit pour la réception d’un conseiller. Il dit à la compagnie qu’il la supplioit de lui faire justice sur les impostures dont on l’avoit noirci dans l’esprit de la Reine ; que s’il étoit coupable, il se soumettoit être puni ; que s’il étoit innocent, il demandoit le châtiment de ses calomniateurs ; que comme il avoit impatience de se justifier, il prioit la compagnie de députer sans délai vers M. le duc d’Orléans, pour l’inviter à venir prendre sa place. M. le prince crut que Monsieur ne pourroit pas tenir contre une semonce du parlement : il se trompa ; et Menardeau et Doujat, que l’on y envoya sur l’heure, rapportèrent pour toute réponse qu’il avoit été saigné, et qu’il ne savoit pas même quand sa santé lui permettroit d’assister à la délibération. M. le prince alla chez lui au sortir de la délibération. Il lui parla avec une hauteur respectueuse qui ne laissa pas de faire peur à Monsieur, qui n’appréhendoit rien tant au monde que d’être compris dans les éclats de M. le prince, comme fauteur couvert du Mazarin. Il laissa espérer à M. le prince qu’il pourroit se trouver le lendemain à l’assemblée des chambres. Je m’en doutai à midi, sur une parole que Monsieur laissa échapper. Je l’obligeai à changer de résolution, en lui faisant voir qu’il ne falloit plus après cela de ménagement avec la Reine, et encore plus en lui insinuant sans affectation le péril de la commise et du choc, qui dans la conjoncture étoit inévitable. Cette idée lui saisit si fort son imagination que M. le prince et M. de Chavigny, qui se relayèrent tout le soir, ne purent l’obliger à se rendre aux instances qu’ils lui firent de se trouver le lendemain au Palais. Il est vrai que sur les onze heures Goulas à force de le tourmenter, lui fit signer un billet par lequel Monsieur déclaroit qu’il n’avoit point approuvé l’écrit que la Reine avoit fait lire aux compagnies souveraines contre M. le prince, particulièrement en ce qu’il l’accusoit d’intelligence avec l’Espagne. Ce même billet justifioit en quelque façon M. le prince de ce que les Espagnols étoient encore dans Stenay, et de ce que les troupes de M. le prince n’avoient pas joint celles du Roi. Monsieur le signa, en se persuadant en lui-même qu’il ne signoit rien ; et il dit le lendemain à la Reine qu’il falloit bien contenter d’une bagatelle M. le prince, dans une action où il étoit même de son service qu’il ne rompît pas tout-à-fait avec lui, pour se tenir en état de travailler à l’accommodement lorsqu’elle croiroit en avoir besoin. La Reine, qui étoit très-satisfaite, de ce qui s’étoit passé le matin du jour dont Monsieur lui fit ce discours l’après-dînée, le voulut bien prendre pour bon. Il me parut effectivement le soir que cet écrit de Monsieur ne l’avoit point touchée. Je n’ai pourtant point vu d’occasion où elle en eût, ce me semble, plus de sujet. Mais ce ne fut pas la première fois de ma vie que je remarquai qu’on a une grande pente à ne se point aigrir dans les bons événemens. Voici celui que l’assemblée des chambres du samedi 19 produisit.

M. le premier président ayant fait la relation de ce qui s’étoit passé au Palais-Royal le 17, et fait faire la lecture de l’écrit que la Reine avoit donné aux députés, M. le prince prit la parole, en disant qu’il étoit porteur d’un billet de M. le duc d’Orléans qui contenoit sa justification. Il ajouta quelques paroles tendantes au même effet, et en confluant qu’il seroit très-obligé à la compagnie si elle vouloit supplier la Reine de nommer ses accusateurs. Il mit sur le bureau le billet de Monsieur, et un autre écrit beaucoup plus ample, signé de lui-même. Cet écrit étoit une réponse fort belle à celui de la Reine : il marquoit sagement et modestement les services de feu M. le prince et les siens il faisoit voir que ses établissemens n’étoient pas à comparer à ceux du cardinal : il parloit de son instance contre les sous-ministres, comme d’une suite très-naturelle et très-nécessaire de l’éloignement de M. le cardinal. Il répondit à ce qu’on lui avoit objecté de la retraite de madame sa femme et de madame de Longueville sa sœur en Berri ; que la seconde étoit dans les Carmélites de Bourges, et que la première demeuroit en celle de ses maisons qui lui avoit été ordonnée pour séjour dans le temps de sa prison. Il soutenoit qu’il n’avoit tenu qu’à la Reine que les Espagnols fussent sortis de Stenay, et que les troupes qui étoient sous son nom eussent joint l’armée du Roi ; et il allégua pour témoin de cette vérité M. le duc d’Orléans. Il demanda justice contre ses calomniateurs. Et sur ce que la Reine lui avoit reproché qu’il l’avoit comme forcée au changement du conseil qui avoit paru aussitôt après sa liberté, il répondit qu’il n’avoit eu aucune part à cette mutation que l’obstacle qu’il avoit apporté à la proposition que M. le coadjuteur et M. de Montrésor avoient faite de faire prendre les armes au peuple, et d’ôter de force les sceaux à M. le premier président.

Aussitôt que l’on eut achevé la lecture de ces deux écrits, M. le prince dit qu’il ne doutoit pas que je ne fusse l’auteur de celui qui avoit été écrit contre lui, et que c’étoit l’ouvrage digne d’un homme qui avoit donné un conseil aussi violent que celui d’armer Paris, et d’arracher de force les sceaux à celui à qui la Reine les avoit confiés. Je répondis à M. le prince que je croirois manquer au respect que je devois à Monsieur, si je disois seulement un mot pour me justifier d’une action qui s’étoit passée en sa présence. M. le prince repartit que messieurs de Beaufort et de La Rochefoucauld, qui étoient présens, pouvoient rendre témoignage de la vérité qu’il avançoit. Je lui dis que je le suppliois très-humblement de me permettre, pour la raison que je venois d’alléguer, de ne reconnoître personne pour témoin que Monsieur, et pour juge de ma conduite ; mais qu’en attendant je pouvois assurer la compagnie que je n’avois rien fait ni rien dit dans cette rencontre qui ne fût d’un homme de bien : et que surtout personne ne me pouvoit ôter ni l’honneur, ni la satisfaction de n’avoir jamais été accusé d’avoir manqué à ma parole. Ces derniers mots ne furent rien moins que sages : ils sont, à mon sens, une des grandes imprudences que j’aie jamais faites. M. le prince, quoique animé par M. le prince de Conti qui le poussa (ce qui fut remarqué de tout le monde) comme pour le presser de s’en ressentir, ne s’emporta point ce qui ne put être en lui qu’un effet de la grandeur de son courage et de son ame. Quoique je fusse ce jour-là fort accompagné, il étoit sans comparaison beaucoup plus fort que moi ; et il est constant que si on eût tiré l’épée dans ce moment il eût eu incontestablement tout l’avantage. Il eut la modération de ne le pas faire ; je n’eus pas celle de lui en avoir obligation. Comme je payai de bonne mine, et que tous mes amis payèrent d’une grande audace, je ne remerciai du succès que ceux qui m’y avoient assisté, et je ne songeai qu’à me trouver le lendemain au Palais en meilleur état. La Reine fut transportée de joie que M. le prince eût trouvé des gens qui lui eussent disputé le pavé. Elle sentit jusqu’à la tendresse l’injustice qu’elle m’avoit faite, quand elle m’avoit soupçonné d’être de concert avec lui. Elle me dit tout ce que la colère pouvoit inspirer contre son parti, et de plus tendre pour un homme qui faisoit au moins ce qu’il pouvoit pour lui en rompre les mesures. Elle ordonna au maréchal d’Albert[1] de commander trente gendarmes pour se poster où je souhaiterois. M. le maréchal de Schomberg[2] eut le même ordre pour autant de chevau-légers. Pradelle m’envoya le chevalier Ravaz, capitaine aux Gardes, qui étoit mon ami particulier, avec quarante hommes choisis entre les sergens et les plus braves soldats du régiment. Anneri, avec la noblesse du Vexin ne fut pas oublié. Messieurs de Noirmoutier, de Fosseuse, de Château-Renault, de Montauban, de Saint-Auban, de Laigues, de Montaigu d’Argenteuil, de Lameth et de Sévigné, se partagèrent et les hommes et les postes. Guerin, Brigallier et L’Epinai, officiers dans les compagnies de la ville, donnèrent des rendez-vous à un très-grand nombre de bons bourgeois, qui avoient tous des pistolets et des poignards sous leurs manteaux. Comme j’avois habitude chez les buvetiers, je fis couler le soir, dans les buvettes, quantité de gens à moi, par lesquels la salle du Palais se trouvoit ainsi, même sans qu’on s’en aperçût, investie de toutes parts. Comme j’avois résolu de poster le gros de mes amis à la main gauche de la salle, en y entrant des Consignations par les grands degrés, j’avois mis dans une chambre trente des gentilshommes du Vexin qui devoient, en cas de combat, prendre en flanc et par derrière le parti de M. le prince. Les armoires de la buvette de la quatrième, qui répondoient dans la grand’salle étoient pleines de grenades. Enfin il est vrai que toutes mes mesures étoient si bien prises, et pour le dedans du Palais et pour le dehors, où le pont Notre-Dame et le pont Saint-Michel, qui étoient passionnés pour moi, ne faisoient qu’attendre le signal, que, suivant toutes les apparences du monde, je ne devois pas être battu. Monsieur, qui trembloit de frayeur quoiqu’il fût fort à couvert dans sa maison, voulut, selon sa louable coutume, se ménager à tout événement des deux côtés. Il agréa que Ravaz, Belloy et Valois, qui étoient à lui, suivissent M. le prince ; et que le vicomte d’Autel, le marquis de La Sablonnière et celui de Genlis, qui étoient aussi ses domestiques, vinssent avec moi. On eut tout le dimanche, de part et d’autre, pour se préparer.

Le lundi 21 août, tous les serviteurs de M. le prince se trouvèrent à sept heures du matin chez lui et mes amis se trouvèrent chez moi entre cinq et six. Il arriva, comme je montois en carrosse, une bagatelle qui ne mérite de vous être rapportée que parce qu’il est bon d’égayer quelquefois le sérieux par le ridicule. Le marquis de Rouillac, fameux par son extravagance, qui étoit accompagnée de beaucoup de valeur, se vint offrir à moi. Le marquis de Canillac, homme de même caractère, y vint dans le même moment. Dès qu’il eut vu Rouillac, il me fit une grande révérence mais en arrière, et en me disant : « Je venois, monsieur, pour vous assurer de mes services : mais il n’est pas juste que les deux plus grands fous du royaume soient du même parti. Je m’en vais à l’hôtel de Condé. » Et vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’il y alla. J’arrivai au Palais un quart-d’heure avant M. le prince, qui y vint extrêmement accompagné. Je crois toutefois qu’il n’avoit pas tant de gens que moi ; mais il avoit, sans comparaison, plus de gens de qualité, comme il étoit et naturel et juste. Je n’avois pas voulu que ceux qui étoient attachés à la cour, et qui fussent venus de bon cœur avec moi pour l’affaire de la Reine, s’y trouvassent, de peur qu’ils ne me donnassent quelque teinture ou plutôt quelque apparence de mazarinisme : de sorte qu’à la réserve de trois ou quatre qui, quoique attachés à la Reine, passoient pour mes amis en particulier, je n’avois auprès de moi que la noblesse frondeuse, qui n’approchoit pas en nombre de celle qui suivoit M. le prince. Ce désavantage étoit, à mon sens, plus que suffisamment récompensé, et par le pouvoir que j’avois assurément beaucoup plus grand parmi le peuple, et par les postes dont je m’étois assuré. Chateaubriand, qui étoit demeuré dans les rues pour observer la marche de M. le prince, m’étant venu dire, en présence de beaucoup de gens, que M. le prince seroit dans un demi-quart d’heure au Palais ; qu’il avoit, pour le moins, autant de monde que nous, mais que nous avions pris nos postes (ce qui nous étoit d’un grand avantage), je lui répondis : « Il n’y a certainement que la salle du Palais où nous les sussions mieux prendre que M. le prince. » Je sentis dans moi-même, en disant cette parole, qu’elle provenoit d’un mouvement de honte que j’avois de souffrir une comparaison d’un prince avec moi. Ma réflexion ne démentit point mon mouvement : j’eusse fait plus sagement si je l’eusse conservé plus long-temps, comme vous l’allez voir. Comme M. le prince eut pris sa place, il dit à la compagnie qu’il ne pouvoit assez s’étonner de l’état où il trouvoit le Palais ; qu’il paroissoit plutôt un camp qu’un temple de justice ; qu’il y avoit des postes pris, des gens commandés, des mots de ralliement ; et qu’il ne convenoit pas qu’il se pût trouver dans le royaume des gens assez insolens pour prétendre lui disputer le pavé. Il répéta deux fois cette dernière parole. Je lui fis une profonde révérence, et je dis que je suppliois très-humblement Son Altesse de me pardonner si je lui disois que je ne croyois pas qu’il y eût personne dans le royaume qui fût assez insolent pour lui disputer le haut du pavé : mais que j’étois persuadé qu’il y en avoi tqui ne pouvoient et ne devoient, par leur dignité, quitter le pavé qu’au Roi. M. le prince me répondit qu’il me le feroit bien quitter. Je lui repartis qu’il ne seroit pas aisé. La cohue s’éleva à cet instant. Les jeunes conseillers de l’un et l’autre parti s’intéressèrent dans ce commencement de contestation, qui commençoit, comme vous voyez, assez aigrement. Les présidens se jetèrent entre M. le prince et moi ; ils le conjurèrent d’avoir égard au temple de la justice, et à la conservation de la ville ; ils le supplièrent d’agréer que l’on fît sortir de la salle tout ce qu’il y avoit de noblesse et de gens armés. Il le trouva bon, et il pria M. de La Rochefoucauld de l’aller dire de sa part à ses amis. Ce fut le terme dont il se servit il fut beau et modeste dans sa bouche il n’y eut que l’événement qui empêcha qu’il ne fût ridicule dans la mienne ; il ne l’en est pas moins dans ma pensée, et j’ai encore regret de ce qu’il dépara la première réponse que j’avois faite à M. le prince touchant le pavé qui étoit juste et raisonnable. Comme il eut prié M. de La Rochefoucauld de faire sortir ses amis, je me levai en disant imprudemment : « Je vais prier les miens de se retirer. » Le jeune d’Avaux, que vous voyez présentement le président de Mesmes, et qui étoit dans ce temps-là dans les intérêts de M. le prince, me dit « Vous êtes donc armés ? — Qui en doute ? lui répondis-je. » Voilà une seconde sottise en un demi quart-d’heure. Il n’est jamais permis à un inférieur de s’égaler en paroles à celui à qui il doit du respect, quoiqu’il s’y égale dans l’action et il l’est aussi peu à un ecclésiastique de confesser qu’il est armé, même quand il l’est. Il y a des matières sur lesquelles il est constant que le monde veut être trompé. Les actions justifient assez souvent, à l’égard de la réputation publique, les hommes de ce qu’ils font contre leurs professions : je n’en ai jamais vu qui les justifient de ce qu’ils disent, qui y soit contraire.

Comme je sortois de la grand’chambre, je rencontrai dans le parquet des huissiers M. de La Rochefoucauld qui rentroit. Je n’y fis point de réflexion, et j’allai dans la salle pour prier mes amis de se retirer. Je revins, après le leur avoir dit ; et comme je mis le pied sur la porte du parquet, j’entendis une fort grande rumeur de gens dans la salle, qui crioient aux armes. Je me voulus retourner pour voir ce que c’étoit je n’en eus pas le temps. Je me sentis le cou pris entre les deux battans de la porte, que M. de La Rochefoucauld avoit fermée sur moi, en criant à messieurs de Coligny et de Ricousse de me tuer[3]. Le premier se contenta de ne le pas croire ; le second dit qu’il n’en avoit point d’ordre de M. le prince. Montrésor, qui étoit dans le parquet des huissiers avec un garçon de Paris nommé Noblet, qui m’étoit affectionné, soutenoit un peu un des battans qui ne laissoit pas de me presser extrêmement. M. de Champlâtreux, qui étoit accouru au bruit qui se faisoit dans la salle, me voyant en cette extrémité, poussa avec vigueur M. de La Rochefoucauld. Il lui dit que c’étoit une honte et une horreur qu’un assassinat de cette nature. Il ouvrit la porte, et il me fit entrer. Ce péril ne fut pas le plus grand que je courus en cette occasion, comme vous l’allez voir après que je vous aurai dit ce qui la fit naître et cesser.

Deux ou trois criailleurs de la lie du peuple du parti de M. le prince, qui n’étoient arrivés dans la salle que comme j’en sortois, s’avisèrent de crier, en me voyant de loin : Au mazarin ! Beaucoup de gens du menu peuple, et Chavignac entre autres, m’ayant fait civilité lorsque je passois, et m’ayant témoigné de la joie de l’adoucissement qui commerçoit de paroître, deux gardes de M. le prince qui étoient aussi fort éloignés s’avisèrent de mettre l’épée à la main. Ceux qui étoient, les plus proches de ces deux crièrent aux armes. Chacun les prit : mes amis mirent l’épée et le poignard à la main ; et, par une merveille qui n’a peut-être jamais eu d’exemple, ces épées, ces poignards, ces pistolets demeurèrent un moment sans action ; et dans ce moment Crenan[4], qui commandoit la compagnie des gendarmes de M. le prince de Conti, mais qui étoit aussi de mes anciens amis, et qui se trouva par bonheur en présence avec M. de Laigues avec lequel il avoit logé dix ans durant, lui dit « Que faisons-nous ? nous allons faire égorger M. le prince et M. le coadjuteur. Schelme qui ne remettra l’épée dans son fourreau ! » Cette parole proférée par un des hommes du monde dont la réputation pour la valeur étoit la mieux établie, fit que tout le monde sans exception suivit son exemple. Cet événement est peut-être un des plus extraordinaires qui soit arrivé dans notre siècle. La présence d’esprit et de cœur d’Argenteuil ne l’est guère moins. Il se trouva par hasard fort près de moi quand je fus pris par le cou dans la porte, et il eut assez de sang-froid pour remarquer que Pesche, un fameux séditieux du parti de M. le prince, me cherchoit des yeux le poignard à la main, disant : « Où est le coadjuteur ? » Argenteuil, qui se trouva par bonheur près de moi, parce qu’il s’étoit avancé pour parler à quelqu’un qu’il connoissoit du parti de M. le prince, jugea qu’au lieu de revenir à son gros et de tirer l’épée (ce que tout homme médiocrement vaillant eût fait en cette occasion), il feroit mieux d’observer et d’amuser Pesche, qui n’avoit qu’à faire un demi tour à gauche pour me donner du poignard dans les reins. Il exécuta si adroitement cette pensée, qu’en raisonnant avec lui, et en me couvrant de son long manteau, il me sauva la vie, qui étoit d’autant plus en péril que mes amis, qui me croyoient rentré dans la grand’chambre, ne songeoient qu’à pousser ceux qui étoient devant eux. Vous vous étonnerez peut-être de ce qu’ayant si bien pris mes précautions partout ailleurs, je n’avois pas garni de mes amis et le parquet des huissiers et les lanternes ; mais votre étonnement cessera quand je vous aurai dit que j’y avois fait toute la réflexion nécessaire, et que j’avois bien prévu les inconvéniens de ce manquement : mais je n’y avois point trouvé de remède, parce que le seul que j’y pouvois apporter, qui étoit de les remplir de gens affidés, étoit impraticable, ou du moins n’étoit praticable qu’en s’attirant d’autres inconvéniens encore plus grands. Presque tout ce que j’avois de gens de qualité auprès de moi avoit son emploi, et son emploi nécessaire dans les différens postes qu’il étoit important d’occuper. Il n’y eût eu rien de si odieux que de mettre des gens ou du peuple ou de bas étage dans ces sortes de lieux, où l’on ne laisse entrer dans l’ordre que des gens de condition. Si on les eût vus occupés par des gens de moindre étoffe, au préjudice d’une infinité de gens illustres que M. le prince avoit avec lui, les indifférens du parlement se fussent prévenus infailliblement contre un spectacle de cette nature. Il m’étoit important de laisser à ma conduite tout l’air de défensive ; et je préférai cet avantage à celui d’une plus grande sûreté. Il faillit à m’en coûter cher : car, outre l’aventure de la porte, de laquelle je viens de vous entretenir, M. le prince, avec lequel j’ai parlé depuis fort souvent de cette journée, m’a dit qu’il avoit fait son compte sur cette circonstance et que si le bruit de la salle eût duré encore un moment, il me sautoit à la gorge pour me rendre responsable de tout le reste. Il le pouvoit, ayant assurément dans les lanternes beaucoup plus de gens que moi ; mais je suis persuadé que la suite eût été funeste aux deux partis, et qu’il eût eu lui-même grande peine de s’en tirer. Je reprends la suite de mon récit.

Aussitôt que je fus rentré dans la grand’chambre je dis à M. le premier président que je devois la vie à monsieur son fils, qui fit effectivement, en cette occasion, tout ce que la générosité la plus haute peut produire. Il étoit, en tout ce qui n’étoit pas contraire à la conduite et aux maximes de monsieur son père, attaché à M. le prince jusqu’à la passion. Il étoit persuadé, quoiqu’à tort, que j’avois eu part dans les séditions qui s’étoient vingt fois faites contre monsieur son père dans le cours du siège de Paris ; rien ne l’obligeoit de prendre davantage de part au péril où j’étois que la plupart de messieurs du parlement, qui demeuroient fort paisiblement dans leurs places. Il s’intéressa dans ma conservation jusqu’au point de s’être commis lui-même avec le parti, qui, au moins en cet endroit, étoit le plus fort. Il y a peu d’actions plus belles, et j’en conserverai avec tendresse la mémoire jusqu’au tombeau. J’en témoignai publiquement ma reconnoissance à M. le premier président en rentrant dans la grand’chambre, et j’ajoutai que M. de La Rochefoucauld avoit fait tout ce qui étoit en lui pour me faire assassiner. Il me répondit ces propres paroles[5] : « Traître, je me soucie peu de ce que tu deviennes. » Je lui repartis ces propres mots : « Tout beau, La Franchise, mon ami (nous lui avions donné ce quolibet dans notre parti), vous êtes un poltron (je mentois, car il est assurément fort brave), et je suis un prêtre ; le duel nous est défendu. » M. de Brissac, qui étoit immédiatement au dessus de lui, le menaça de coups de bâton : il menaça M. de Brissac de coups d’éperon. Messieurs les présidens, qui crurent avec raison que ces dits et redits étoient un commencement de querelle qui alloit passer au-delà des paroles, se jetèrent entre nous. M. le premier président, qui avoit mandé un peu auparavant les gens du Roi, se joignit à eux pour conjurer pathétiquement M. le prince, par le sang de saint Louis, de ne point souffrir que le temple qu’il avoit donné à la conservation de la paix et à la protection de la justice fût ensanglanté ; et pour m’exhorter, par mon sacré caractère, à ne point contribuer au massacre du peuple que Dieu m’avoit commis. M. le prince agréa que deux de ces messieurs allassent dans la grand’salle faire sortir ses serviteurs par le degré de la Sainte-Chapelle : deux autres firent la même chose à l’égard de mes amis, par le grand escalier qui est à la main gauche en sortant de la salle. Dix heures sonnèrent ; la compagnie se leva et ainsi finit cette matinée, qui faillit à abîmer Paris.

Il me semble que vous me demandez quel personnage jouoit M. de Beaufort dans cette dernière scène ; et qu’après le rôle que vous lui avez vu dans les premières, vous vous étonnez du silence dans lequel il paroît comme enseveli depuis quelque temps. Vous verrez dans ma réponse la confirmation de ce que j’ai remarqué déjà plus d’une fois dans cet ouvrage, que l’on ne contente jamais personne quand on prétend contenter tout le monde. M. de Beaufort se mit dans l’esprit (ou plutôt madame de Montbazon le lui mit), après qu’il eut rompu avec moi, qu’il se devoit et pouvoit ménager entre M. le pririce et la Reine ; et il affecta même si fort l’apparence de ce ménagement, qu’il affecta de se trouver tout seul, et sans être suivi de qui que ce soit, dans ces deux assemblées du parlement, desquelles je viens de vous entretenir. Il dit même tout haut à la dernière, d’un ton de Caton qui ne lui convenoit pas « Pour moi, je ne suis qu’un particulier qui ne me mêle de rien. Je me tournai à M. de Brissac, et lui dis : « Il faut avouer que M. d’Angoulême et M. de Beaufort ont une bonne conduite ! » Ce que je ne proférai pas si bas que M. le prince ne l’entendît, et ne s’en prît à rire. Vous observerez, s’il vous plaît, que M. d’Angoulême avoit plus de quatre-vingt-dix ans[6], et qu’il ne bougeoit plus de son lit. Je ne vous marque cette bagatelle que parce qu’elle signifie que tout homme que la fortune seule a fait homme public devient presque toujours, avec un peu de temps, un particulier ridicule. On ne revient plus de cet état : et la bravoure de M. de Beaufort, qu’il signala encore en plus d’une occasion depuis le retour de M. le cardinal contre lequel il se déclara sans balancer, ne le put relever de sa chute. Mais il est temps de rentrer dans le fil de ma narration.

Vous comprenez aisément l’émotion de Paris dans le cours de la matinée que je viens de vous décrire. La plupart des artisans avoient leurs mousquets auprès d’eux, en travaillant dans leurs boutiques. Les femmes étoient en prières dans les églises ; mais ce qui est encore vrai, c’est que Paris fut plus touché l’après-dînée de la crainte de retomber dans le péril, qu’il ne l’avoit été le matin de s’y voir. La tristesse parut universelle sur les visages de tous ceux qui n’étoient pas tout-à-fait engagés à l’un ou à l’autre des partis. La réflexion, qui n’étoit plus divertie par les mouvement, trouva sa place dans les esprits de ceux même qui y avoient le plus de part. M. le prince dit au comte de Fiesque, au moins à ce que celui-ci raconta le soir publiquement « Paris a failli aujourd’hui à être brûlé ; quel feu de joie pour le Mazarin ! Et ce sont ses deux plus capitaux ennemis qui ont été sur le point de l’allumer. » Je concevois de mon côté que j’étois sur la pente du plus fâcheux et du plus dangereux précipice où un particulier se fût jamais trouvé. Le mieux qui me[7] pouvoit arriver étoit d’avoir l’avantage sur M. le prince ; et ce mieux se fût terminé, s’il eût péri, à passer pour assassin du premier prince du sang, à être immanquablement désavoué par la Reine, et à donner tout le fruit de mes peines et de mes périls au cardinal par l’événement, qui ne manque jamais de tourner en faveur de l’autorité royale tous les désordres qui passent jusqu’au dernier excès. Voilà ce que mes amis, au moins les sages, me représentoient ; voilà ce que je me représentois à moi-même. Mais quel moyen, quel remède, quel expédient pour se tirer d’un embarras où l’on a eu raison de se jeter, et où l’engagement en fait une seconde, qui est pour le moins aussi forte que la première ? Il plut à la Providence d’y donner ordre. Monsieur, accablé des cris de Paris qui courut d’effroi au palais d’Orléans, mais plus pressé encore par sa frayeur, qui lui fit croire qu’un mouvement aussi général que celui qui avoit failli d’arriver ne s’arrêteroit pas au Palais ; Monsieur, dis-je, fit promettre à M. le prince qu’il n’iroit le lendemain que lui sixième au Palais, pourvu que je m’engageasse à n’y aller qu’avec un pareil nombre de gens. Je suppliai Monsieur de me pardonner si je ne recevois pas ce parti, et parce que je manquerois, si je l’acceptois, au respect que je devois à M. le prince, avec lequel je savois que je ne devois faire aucune comparaison, et parce que je n’y trouvois aucune sûreté pour moi : ce nombre de séditieux qui criailloient contre moi n’ayant point de règles, et ne reconnoissant point de chef ; que ce n’étoit que contre ces sortes de gens que j’étois armé ; que je savois le respect que je devois à M. le prince ; qu’il y avoit si peu de compétence d’un gentilhomme à lui, que cinq cents hommes étoient moins à lui qu’un laquais à moi. Monsieur, qui vit que je ne donnois pas dans sa proposition, et à qui madame de Chevreuse, à laquelle il avoit envoyé Ornano pour la persuader, manda que j’avois raison ; Monsieur, dis-je, alla trouver la Reine pour lui remontrer les grands inconvéniens que la continuation de cette conduite produiroit infailliblement. Comme de son naturel elle ne craignoit rien et prévoyoit peu, elle ne fit aucun cas des remontrances de Monsieur ; et d’autant moins qu’elle eût été ravie, dans le fond, des extrémités qu’elle s’imaginoit et possibles et proches. Quand M. le chancelier qui lui parla fortement, et les Bertet et les Brachet, qui étoient accablés de tristesse et cachés dans les greniers du Palais-Royal, et qui appréhendoient d’être égorgés dans une émotion générale, lui eurent fait connoître que la perte de M. le prince et la mienne, arrivées dans une conjoncture pareille, jetteroient les choses dans une confusion que le seul nom de Mazarin pouvoit même rendre fatale à la maison royale, elle se laissa fléchir plutôt aux larmes qu’aux raisons du genre humain ; et elle consentit de donner aux uns et aux autres un ordre du Roi, par lequel il leur seroit défendu d’aller au Palais. M. le premier président, qui ne doutoit pas que M. le prince n’accepteroit point ce parti, que l’on ne pouvoit dans la vérité lui imposer avec justice, parce que sa présence y étoit nécessaire, alla chez la Reine avec le président de Nesmond. Il lui fit connoître qu’il seroit contre toute sorte d’équité de défendre à M. le prince d’assister à un lieu où il ne se trouvoit que pour demander à se justifier du crime qu’on lui imposoit. Il lui marqua la différence quelle devoit mettre entre un premier prince du sang, dont la présence étoit de nécessité dans cette conjoncture, et un coadjuteur de Paris, qui n’y avoit jamais séance que par une grâce assez ordinaire que le parlement lui avoit faite. Il ajouta que la Reine devoit faire réflexion que rien ne le pouvoit obliger à parler ainsi que la force de son devoir ; parce qu’il lui avouoit ingénument que la manière dont j’avois reçu le petit service que son fils avoit essayé de me rendre le matin (ce fut son terme) l’avoit touché si sensiblement, qu’il se faisoit une contrainte extrême à soi-même, en la priant sur un sujet qui peut-être ne me seroit pas fort agréable. La Reine se rendit à ses raisons, et aux instances de toutes les dames de la cour, qui, l’une par une raison et l’autre par une autre, appréhendoient le fracas presque inévitable du lendemain. Elle m’envoya M. de Charost, capitaine des gardes en quartier, pour me défendre au nom du Roi d’aller le lendemain au Palais. M. le premier président, que j’avois été voir et remercier le matin au lever du parlement, me vint rendre ma visite comme M. de Charost sortoit de chez moi. Il me conta fort sincèrement le détail de ce qu’il venoit de dire à la Reine. Je l’en estimai, parce qu’il avoit raison ; et je lui témoignai de plus que j’en étois très-aise, parce qu’il me tiroit avec honneur d’un très-méchant pas. « Il est très-sage, me répondit-il, de le penser, et il est encore plus honnête de le dire. » Il m’embrassa tendrement en disant cette dernière parole. Nous nous jurâmes amitié ; je la tiendrai toute ma vie à sa famille avec tendresse et reconnoissance.

Le lendemain, qui fut le mardi 22 août, le parlement s’assembla. On fit garder à tout hasard le Palais par deux compagnies de bourgeois, à cause du reste d’émotion qui paroissoit encore dans la ville. M. le prince demeura dans la quatrième des enquêtes parce qu’il n’étoit pas de la forme qu’il assistât à une délibération dans laquelle il demandoit, ou qu’on le justifiât, ou qu’on lui fît son procès. On ouvrit beaucoup de différens avis. Il passa à celui de M. le premier président, qui fut que tous les écrits tant ceux de la Reine et de M. le duc d’Orléans que de M. le prince, seroient portés au Roi et à la Reine par les députés, et que très-humbles remontrances leur seroient faites sur l’importance de ces écrits ; que la Reine seroit suppliée de faire étouffer cette affaire ; et que M. le duc d’Orléans seroit prié de s’entremettre pour l’accommodement.

Comme M. le prince sortoit de cette assemblée suivi d’une foule de peuple de ceux qui étoient à lui, je me trouvai tête pour tête devant son carrosse, assez près des Cordeliers, avec la grande procession de la grande confrérie que je conduisois. Comme elle est composée de trente ou quarante curés de Paris, et qu’elle est toujours suivie de beaucoup de peuple j’avois cru que je n’y avois pas besoin de mon escorte ordinaire ; et j’avois même affecté de n’avoir auprès de moi que cinq ou six gentilshommes, qui étoient messieurs de Fosseuse, de Lameth, de Querieux, de Châteaubriand, et les chevaliers d’Humières et de Sévigné. Trois ou quatre de la populace qui suivoient M. le prince crièrent au mazarin ! dès qu’ils me virent. M. le prince, qui avoit, ce me semble, dans son carrosse messieurs de La Rochefoucauld, de Rehan et de Goncourt, en descendit aussitôt qu’il m’eut aperçu. Il fit taire ceux de sa suite qui avoient commencé à crier : il se mit à genoux pour recevoir ma bénédiction. Je la lui donnai le bonnet en tête ; je l’ôtai aussitôt, et je lui fis une profonde révérence. Cette aventure est, comme vous voyez, assez plaisante. En voici une autre qui ne le fut pas tant par l’événement ; et c’est, à mon sens, ce qui m’a coûté ma fortune, et qui a failli plusieurs fois à me coûter la vie.

La Reine fut si transportée de joie des obstacles que M. le prince rencontroit dans ses desseins, et elle fut si satisfaite de l’honnêteté de mon procédé, que je puis dire avec vérité que je fus pendant quelques jours en faveur. Elle ne pouvoit assez témoigner à son gré, à ceux qui l’approchoient, la satisfaction qu’elle avoit de moi. Madame la palatine étoit persuadée qu’elle parloit de cœur. Madame de Lesdiguières me dit que madame de Beauvais, qui étoit assez de ses amies, l’avoit assurée que je faisois chemin dans son esprit. Ce qui me le persuada plus que tout le reste fut que la Reine, qui ne pouvoit souffrir que l’on donnât la moindre atteinte au cardinal Mazarin entra en raillerie ; et de bonne foi, d’un mot que j’avois dit de lui. Bertet (je ne me souviens pas à propos de quoi) m’avoit dit quelques jours auparavant que le pauvre cardinal étoit quelquefois bien empêché ; et je lui avois répondu « Donnez-moi le Roi de mon côté deux jours durant, et vous verrez si je le serai. » Il avoit trouvé cette sottise assez plaisante ; et comme il étoit lui-même fort badin, il n’avoit pu s’empêcher de la dire à la Reine. Elle ne s’en fâcha pas, elle en rit de bon cœur ; et cette circonstance sur laquelle madame de Chevreuse, qui connoissoit parfaitement la Reine, fit beaucoup de réflexion jointe à une parole qui lui fut rapportée par madame de Lesdiguières, lui fit naître une pensée que vous allez voir après que je vous aurai rendu compte de cette parole.

Madame de Carignan disoit un jour devant la Reine que j’étois fort laid ; et c’étoit peut-être l’unique fois de sa vie où elle n’avoit point menti. La Reine lui répondit : « Il a les dents fort belles, et un homme n’est jamais laid avec cela. » Madame de Chevreuse ayant su ce discours par madame de Lesdiguières, à qui madame de Niel l’avoit rapporté, se ressouvint de ce qu’elle avoit ouï dire à la Reine en beaucoup d’occasions, que la seule beauté des hommes étoit les dents parce que c’étoit l’unique qui fût d’usage. « Essayons, me dit-elle un soir que je me promenois avec elle dans le jardin de l’hôtel de Chevreuse. Si vous voulez bien jouer votre personnage, je ne désespère de rien. Faites seulement le rêveur quand vous êtes auprès de la Reine ; regardez continuellement ses mains ; pestez contre le cardinal. Laissez-moi faire du reste. » Nous concertâmes le détail, et nous le jouâmes juste comme nous l’avions concerté. Je demandai trois ou quatre audiences de suite à la Reine, à propos de rien. Je ne fournis à la conversation, dans ces audiences, que ce qui étoit bon pour l’obliger à chercher le sujet pour lequel je les lui avois demandées. Je suivis de point en point les avis de madame de Chevreuse ; je poussai l’inquiétude et l’emportement contre le cardinal jusqu’à l’extravagance. La Reine, qui étoit naturellement très-coquette, entendit ces airs ; elle en parla à madame de Chevreuse, qui fit la surprise et l’étonnée ; mais qui ne la fit qu’autant qu’il fallut pour mieux jouer son jeu, en faisant semblant de revenir de loin, et de faire, à cause de ce que la Reine lui en disoit, des réflexions auxquelles elle n’auroit jamais pensé sans cela, sur ce qu’elle avoit remarqué, en arrivant à Paris, de mes emportemens contre le cardinal. « Il est vrai, madame, disoit-elle à la Reine que Votre Majesté me fait ressouvenir de certaines circonstances qui se rapportent assez à ce que vous dites. Le coadjuteur me parloit des journées entières de toute la vie passée de Votre Majesté avec une curiosité qui me surprenoit, parce qu’il entroit même dans le détail de mille choses qui n’avoient aucun rapport au temps présent. Ces conversations étoient les plus douces du monde, tant qu’il ne s’agissoit que de vous. Il n’étoit plus le même homme s’il arrivoit par hasard que l’on nommât M: le cardinal ; il disoit même des rages de Votre Majesté ; et puis tout d’un coup il se radoucissoit, mais jamais pour M. le cardinal. Mais, à propos, il faut que je rappelle dans ma mémoire la manie qui lui monta un jour dans la tête contre Buckingham : je ne m’en ressouviens pas précisément. Il ne pouvoit souffrir que je disse qu’il étoit fort honnête homme. Ce qui m’a toujours empêché de faire réflexion sur mille et mille choses de cette nature que je vois d’une vue est l’attachement qu’il a pour ma fille. Ce n’est pas dans le fond que cet attachement soit si grand qu’on le croit : je voudrois bien que la pauvre créature n’en eût pas plus pour lui qu’il en a pour elle. Sur le tout je ne puis m’imaginer, madame, que le coadjuteur soit assez fou pour se mettre cette vision dans la fantaisie. »

Voilà une des conversations de madame de Chevreuse avec la Reine. Il y en eut vingt ou trente de cette nature, dans lesquelles il se trouva à la fin que la Reine persuada à madame de Chevreuse que j’étois assez fou pour me mettre cette vision dans l’esprit, et dans lesquelles pareillement madame de Chevreuse persuada à la Reine que je l’y avois effectivement beaucoup plus fortement qu’elle ne l’avoit cru elle-même. Je ne m’oubliai pas de ma part ; je jouai bien : je passai dans les conversations de la rêverie à l’égarement ; et je ne revins de celui-ci que par des reprises qui, en marquant un profond respect pour elle, marquoient toujours du chagrin et quelquefois de l’emportement contre le cardinal. Je n’aperçus pas que je me brouillois à la cour par cette conduite : mais mademoiselle de Chevreuse, à laquelle sa mère avoit jugé de la faire agréer pour la raison que vous verrez ci-après, prit en gré de la brouiller au bout de deux mois, par la plus grande et la plus signalée de toutes les imprudences. Je vous rendrai compte de ce détail après que je me serai satisfait moi-même sur une omission qu’il y a déjà assez long-temps que je me reproche dans cet ouvrage.

Presque tout ce qui y est contenu n’est qu’un enchaînement de l’attachement que la Reine avoit pour M. le cardinal Mazarin ; et il me semble par cette raison que je devois même beaucoup plus tôt vous en expliquer la nature, de laquelle je crois que vous pouvez juger plus sûrement, si je vous expose, au préalable quelques événemens de ses premières années, que je considère comme aussi clairs et aussi certains que ceux que j’ai vus moi-même, parce que je les tiens de madame de Chevreuse, qui a été la seule et véritable confidente de sa jeunesse. Elle m’a dit plusieurs fois que la Reine n’étoit Espagnole ni d’esprit ni de corps ; qu’elle n’avoit ni le tempérament ni la vivacité de sa nation ; qu’elle n’en tenoit que la coquetterie, mais qu’elle l’avoit au souverain degré ; que M. de Bellegarde[8], vieux mais poli et galant à la mode de la cour de Henri III, lui avoit plu ; mais qu’elle s’en étoit dégoûtée, parce qu’en prenant un jour congé d’elle lorsqu’il alla commander l’armée à La Rochelle, et lui ayant demandé en général la permission d’espérer une grâce avant son départ, il s’étoit réduit à la supplier de vouloir bien mettre la main à la garde de son épée ; qu’elle avoit trouvé cette manière si sotte qu’elle n’en avoit jamais pu revenir ; qu’elle avoit agréé la galanterie de M. de Montmorency beaucoup plus qu’elle n’avoit aimé sa personne ; que l’aversion qu’elle avoit pour les manières de M. le cardinal de Richelieu, qui étoit aussi pédant en amour qu’il étoit honnête homme pour les autres choses, avoit fait qu’elle n’avoit jamais pu souffrir là sienne[9]. Qu’elle lui avoit vu dès l’entrée de la régence une grande pente pour M. le cardinal, mais qu’elle n’avoit pu démêler jusqu’où cette pente l’avoit portée ; qu’il étoit vrai qu’elle avoit été chassée de la cour sitôt après ; qu’elle n’avoit pas eu le temps d’y voir clair, quand même il y auroit eu quelque chose ; qu’à son retour en France, après le siège de Paris, la Reine dans les commencemens s’étoit tenue si couverte avec elle, qu’elle n’avoit pu y rien pénétrer ; que depuis qu’elle s’y étoit raccoutumée, elle lui avoit vu dans des momens de certains airs qui avaient beaucoup de ceux qu’elle avoit eus autrefois avec Buckingham ; qu’en d’autres elle avoit remarqué des circonstances qui lui faisoient juger qu’il n’y avoit entre eux qu’une liaison intime d’esprit ; que l’une des plus considérables étoit la manière dont le cardinal vivoit avec elle, peu galante et même rude ce qui toutefois, ajouta madame de Chevreuse, a deux faces, de l’humeur dont je connois la Reine. Buckingham me disoit autrefois qu’il avoit aimé trois reines, et qu’il avoit été obligé de les gourmer toutes trois. C’est pourquoi je ne sais qu’en juger. Voilà comme madame de Chevreuse me parloit[10]. Je reviens à ma narration.

Je n’étois pas assez chatouillé de la figure que je faisois contre M. le prince, quoique je m’en tinsse très-honoré, pour ne pas concevoir dans toute leur étendue les précipices du poste où j’étois. « Où allons-nous, disois-je à M. de Bellièvre, qui me paroissoit trop aise de ce que M. le prince ne m’avoit pas dévoré ? pour qui travaillons-nous ? Je sais que nous sommes obligés de faire ce que nous faisons ; je sais que nous ne pouvons mieux faire ; mais nous devons nous réjouir d’une nécessité qui nous porte un mieux, duquel il n’est pas possible que nous ne retombions bientôt dans le pis. — Je vous entends, répondit le président de Bellièvre et je vous arrête en même temps pour vous dire ce que j’ai appris de Cromwell (M. de Bellièvre l’avoit vu et connu en Angleterre). Il me disoit un jour que l’on ne montoit jamais si haut que quand on ne sait où l’on va. — Vous savez, dis-je à de Bellièvre, que j’ai horreur pour Cromwell ; mais, quelque grand homme qu’on nous le prône, j’y ajoute le mépris s’il est de ce sentiment ; il est d’un fou. » Je ne vous rapporte ce dialogue, qui n’est rien en soi, que pour vous faire voir l’importance qu’il y a à ne parler jamais des gens qui sont dans les grands postes. M. le président de Bellièvre, en rentrant dans son cabinet où il y avoit force gens, dit cette parole comme une marque de l’injustice que l’on me faisoit quand on disoit que mon ambition étoit sans mesure et sans bornes. Elle fut rapportée au Protecteur, qui s’en souvint avec aigreur dans une occasion dont je vous parlerai dans la suite, et qui dit à, M. de Bordeaux, ambassadeur de France en Angleterre « Je ne connois qu’un homme au monde qui me méprise, qui est le cardinal de Retz. » Cette opinion faillit à me coûter cher. Je reprends le fil de ma narration.

Monsieur, qui étoit très-aise de s’être tiré à si bon marché des embarras que vous avez vus ci-dessus, ne songea qu’à les éviter pour l’avenir et s’en alla le 26 à Limours, pour faire voir, dit-il à la Reine, qu’il n’entroit en rien de tout ce que M. le prince faisoit.

Le lundi 28, et le lendemain, M. le prince fit tous ses efforts au parlement pour obliger la compagnie à presser la Reine, ou à le justifier, ou à donner des preuves de l’écrit qu’elle avoit envoyé contre lui. Mais M. le premier président demeura ferme à ne souffrir aucune délibération jusqu’à ce que M. le duc, d’Orléans fût revenu ; et comme il étoit persuadé qu’il ne reviendroit pas sitôt, il consentit qu’il fût prié par la compagnie de venir prendre sa place. M. le prince y alla lui-même l’après-dînée du 29, accompagné de M. de Beaufort, pour l’en presser. Il n’y gagna rien ; et Jouy vint à minuit de la part de Monsieur, pour me dire ce qui s’étoit passé dans leur conversation, et pour me commander d’en rendre compte à la Reine dès le lendemain.

Le lendemain, qui fut le 30, M. le prince vint au Palais, et il eut le plaisir de voir jouer à M. de Vendôme l’un des plus ridicules personnages que l’on se puisse imaginer. Il demanda acte de la déclaration qu’il faisoit, qu’il n’avoit pas ouï parler, depuis l’année 1648, de la recherche de mademoiselle de Mancini ; et vous pouvez croire qu’il ne persuada personne. M. le prince ayant demandé ensuite au premier président si la Reine avoit répondu aux remontrances que la compagnie lui avoit faites sur ce qui le regardoit, on envoya querir les gens du Roi. Ils dirent qu’elle avoit remis à répondre au retour de M. le duc d’Orléans, qui étoit à Limours. M. le prince se plaignit de ce délai comme d’un déni de justice. Beaucoup de voix s’élevèrent ; et M. le premier président fut obligé après beaucoup de résistance, à faire la relation de ce qui s’étoit passé au Palais-Royal le samedi précédent qui étoit le jour auquel il y avoit fait la remontrance. Il l’avoit portée avec une grande force, et il n’y avoit rien oublié de tout ce qui pouvoit faire voir et sentir à la Reine l’utilité et même la nécessité de la réunion de la maison royale. Il finit par le rapport qu’il en fit au parlement, en disant que la Reine l’avoit remis, aussi bien que les gens du Roi, au retour de M. le duc d’Orléans.

M. le président de Mesmes, qui étoit allé à Limours de la part de la compagnie pour l’inviter à venir prendre sa place, n’avoit rapporté qu’une réponse fort ambiguë ; et ce qui marquoit encore davantage qu’il n’y viendroit pas fut que M. de Beaufort, qui avoit accompagné la veille M. le prince à Limours, dit que Monsieur lui avoit commandé de prier la compagnie de sa part de ne le point attendre, ainsi qu’il avoit été résolu, pour consommer ce qui concernoit la déclaration contre M. le cardinal.

  1. César-Phébus d’Albret, mort en 1676. (A. E.)
  2. Charles de Schomberg, duc d’Halluin, etc. ; mort en 1656. (A. E.)
  3. De me tuer : Le duc de La Rochefoucauld raconte cet événement d’une toute autre manière. On auroit pu croire dit-il, que cette occasion tenteroit le duc de La Rochefoucauld après tout ce qui s’étoit ce passé entre eux, et que les raisons générales et particulières le pousseroient à perdre son plus cruel ennemi. Outre la satisfaction de ̃s’en venger en vengeant M. le prince des paroles audacieuses qu’il venoit de dire contre lui, on pouvoit croire encore qu’il étoit juste que la vie du coadjuteur répondît de l’événement du désordre qu’il avait ému, et duquel le succès pouvoit apparemment être terrible, mais le duc de La Rochefoucauld, considérant qu’on ne se battoit point dans la salle, et que, de ceux qui étoient amis du coadjuteur dans le parquet des huissiers, pas un ne mettoit l’épée à la main pont le défendre, il crut n’avoir pas le même prétexte de se venger de lui qu’il auroit eu si le combat eût été commencé en quelque endroit. Les gens même de M. le prince, qui étoient près du duc de La Rochefoucauld, ne sentoient pas de quel poids étoit le service qu’ils pouvoient rendre a leur maître en cette rencontre, et enfin l’un pour ne vouloir pas faire une action qui eût paru cruelle et les autres pour être irrésolus dans une si grande affaire, donnèrent le temps à Champlâtreux fils du premier président, de dégager le coadjuteur. Ce récit semble porter le caractère de la vérité : on voit que si La Rochefoucauld ne fut pas assez généreux pour porter secours au coadjuteur, du moins il ne provoqua personne à l’assassiner.
  4. Le marquis de Crenan, capitaine des gardes du prince de Conti.
  5. Ces propres paroles : La Rochefoucauld dit dans ses Mémoires qu’il répondit au coadjuteur qu’il falloit que la peur lui eût été la liberté de juger.
  6. Avoit plus de quatre-vingt-dix ans : Charles de Valois, comte d’Auvergne, et depuis duc d’Angoulême, fils naturel de Charles IX étoit mort l’année précédente à soixante-dix-sept ans. On peut être étonné
  7. de cette méprise du cardinal de Retz. Les Mémoires du duc d’Angoulême font partie de la première série (tome 44)
  8. Roger de Saint-Lary et de Bellegarde, pair et grand écuyer de France, favori du roi Henri III. Il mourut en 1646, âgé de quatre-vingt-trois ans et sept mois. (A. E.)
  9. Il manque ici une demi-page. (A. E.)
  10. Voilà comme madame de Chevreuse me parloit : Il n’est pas nécessaire de prouver que les détails qui précèdent ne méritent aucune foi. Si Anne d’Autriche montra un peu de légèreté dans sa première jeunesse, tous les contemporains s’accordent dire que depuis la régence sa conduite fut grave et irréprochable. La haute idée qu’elle avoit des talens de Mazarin fut l’unique cause de sa fermeté à le soutenir dans le ministère.