Mémoires (Cardinal de Retz)/Livre quatrième/Section 4

La bibliothèque libre.
◄  Section 3
Section 5  ►

Voilà ce que j’écrivis sur la table du cabinet des livres en moins de deux heures. Je le lus à Monsieur en présence de M. le président de Bellièvre, qui l’approuva, et l’appuya avec bien plus de force que je n’avois fait moi-même. La contestation s’échauffa, Monsieur soutenant que sans un fracas de cette nature (c’est ainsi qu’il l’appela) il empêcheroit bien que le parlement ne se déclarât contre la marche des troupes de M. de Nemours, qui étoit ce qu’il appréhendoit plus que toutes choses, parce qu’il y alloit joindre les siennes. Vous verrez qu’il ne se trompa pas dans cette vue. Il est vrai encore que je ne fus pas moins trompé sur un autre chef : car je soutins toujours à Monsieur avec le président de Bellièvre, qui étoit de mon avis qu’il ne seroit pas en son pouvoir d’empêcher que le parlement ne procédât à l’exécution de la déclaration contre M. le prince, quoiqu’il eût donné arrêt par lequel il s’engageoit de ne le pas faire, jusqu’à ce que le cardinal fût hors du royaume : car la cour trouva si peu de jour à cette exécution du côté du parlement, qu’elle n’osa même la lui proposer.

Ces succès contribuèrent beaucoup à sa perte : car ils l’endormirent, et ils ne le sauvèrent pas. J’entrerai dans la suite de ce détail, après que je vous aurai rendu compte de ce qui se passa, dans cette conversation, touchant ma promotion au cardinalat, de cette promotion qui se fit justement en ce temps-là.

Monsieur, qui étoit l’homme du monde le plus éloigné de croire que l’on fût capable de parler sans intérêt, me dit, dans la chaleur de la dispute, qu’il ne concevoit pas celui que je pouvois m’imaginer dans un parti qui, en rompant toutes mesures avec la cour, feroit assurément révoquer ma nomination. Je lui répondis que j’étois à l’heure qu’il étoit cardinal, ou que je ne le serois de long-temps ; mais que je le suppliois d’être persuadé que quand ma promotion dépendroit de ce moment, je ne changerois en rien mes sentimens, parce que je les lui disois pour son service, et nullement pour mes intérêts. « Et vous n’avez, monsieur, ajoutai-je, pour vous bien persuader de cette vérité qu’à vous ressouvenir, s’il vous plaît, que le propre jour que la Reine m’a nommé, je lui ai déclaré à elle-même que je ne quitterois jamais votre service, en vous donnant le conseil que je croirois le plus conforme à votre gloire. Je crois que je lui tiens aujourd’hui fidèlement ma parole : et pour vous le faire voir, je supplie très-humblement Votre Altesse Royale de lui envoyer le mémoire que je viens d’écrire. »

Monsieur eut honte de ce qu’il m’avoit dit. Il me fit mille honnêtetés. Il jeta le mémoire dans le feu, et il sortit du cabinet tout aussi aheurté (me dit à l’oreille le président de Bellievre) qu’il y étoit entré.

Je viens de vous dire que j’avois répondu à Monsieur, que j’étois cardinal à l’heure où je lui parlois, ou que je ne le serois de long-temps. Je ne m’étois trompé que de peu : car je le fus effectivement cinq ou six jours après. J’en reçus la nouvelle le dernier de ce mois de février, par un courrier que le grand duc me dépêcha. Je vous dirai comme la chose se passa à Rome, après que je vous aurai fait des excuses de vous avoir sans doute autant ennuyée que j’ai fait, et par la longueur de ce dernier mémoire, et par celle du discours de Monsieur à M. de Damville, qui sont remplies de mille circonstances que vous aurez déjà trouvées comme semées dans les différens endroits de cet ouvrage. Mais comme la plupart de ces circonstances sont celles qui ont formé ce corps monstrueux et presque incompréhensible, même dans le genre du merveilleux historique, dans lequel il semble que tous les membres n’aient pu avoir aucuns mouvemens qui leur fussent naturels, et même qui ne fussent contraires les uns aux autres, j’ai cru qu’il étoit même heureux de rencontrer, dans le cours de cette narration, une matière qui m’obligeât de les ramasser toutes ensemble, afin que vous puissiez, avec plus de facilité, découvrir d’un coup d’œil ce qui, n’étant que répandu dans les lieux différens, offusque la vérité de l’histoire par des contradictions que rien ne peut jamais bien démêler, que l’assemblage des raisonnemens et des faits. Je reviens à ma promotion.

Vous avez vu, dans le second volume de cette histoire, que j’avois envoyé à Rome l’abbé Charrier, qui trouva la face de cette cour tout-à-fait changée, par la retraite plutôt que par la disgrâce de la signora Olympia[1], belle-sœur du pape Innocent[2], s’étoit laissé toucher à des manières de réprimande que l’Empereur, à l’instigation des jésuites, lui avoit fait faire par son nonce à Vienne. Il ne voyoit plus la signora ; et il soulageoit le cruel ennui que l’on a toujours cru qu’il en avoit, par des conversations assez fréquentes avec la princesse de Rossane[3], femme de son neveu, qui, quoique très-spirituelle, n’approchoit pas du génie de la signora, mais qui, en récompense, étoit beaucoup plus jeune et beaucoup plus belle. Elle s’acquit effectivement du pouvoir sur son esprit, et au point que la signora Olympia en eut une cruelle jalousie, qui, en donnant encore de nouvelles lumières à son esprit, déjà extrêmement éclairé et habile par lui-même, lui fit enfin trouver le moyen de ruiner sa belle-fille auprès du Pape, et de rentrer dans sa première faveur. Ma nomination tomba justement dans ce temps où celle de madame la princesse de Rossane étoit la plus forte ; et il parut en cette occasion que la fortune voulût réparer la perte que j’avois faite en la personne de Pancirolle. C’est le seul endroit de ma vie où je l’aie trouvée favorable. Je vous ai dit ailleurs les raisons pour lesquelles j’avois lieu de croire que madame la princesse de Rossane me le pouvoit être, et sans comparaison davantage que la signora Olympia, qui ne faisoit rien qu’à force d’argent ; et vous croyez aisément qu’il n’eût pas été aisé de me résoudre à en donner pour un chapeau. L’abbé Charrier trouva à Rome tout ce que j’y avois espéré de madame de Rossane ; et le premier avis qu’elle lui donna fut de se défier au dernier point de l’ambassadeur, qui joignoit, aux ordres secrets que la cour lui avoit donnés contre moi, la passion effrénée qu’il avoit lui-même pour la pourpre. L’abbé Charrier profita très-habilement de cet avis : car il joua toujours l’ambassadeur en lui témoignant une confiance abandonnée, et en lui faisant voir en même temps la promotion très-éloignée. La haine que le Pape avoit conservée depuis long-temps pour la personne de M. le cardinal Mazarin contribua à ce jeu ; et l’intérêt de monsignor Chigi, secrétaire d’État, qui a été depuis Alexandre VII, y concourut aussi avec beaucoup d’effet. Il étoit assuré du chapeau pour la première promotion, et il n’oublia rien de ce qui la pouvoit avancer. Monsignor Azolini, qui étoit secrétaire des brefs, et qui avoit été attaché à Pancirolle, avoit hérité de son mépris pour le cardinal, et de sa bonne volonté pour moi. Ainsi M. le bailli de Valancey fut amusé ; et il ne fut même averti de la promotion qu’après qu’elle fut faite. Le pape Innocent m’a dit qu’il savoit de science certaine qu’il avoit dans sa poche la lettre du Roi pour la révocation de ma nomination, avec ordre toutefois de ne la pas rendre que dans la dernière nécessité, et à l’entrée du consistoire, où les cardinaux seroient déclarés ; et l’abbé Charrier m’avoit dépêché deux courriers pour me donner le même avis. Ce qui est constant, et que j’ai su depuis par Champfleury, capitaine des gardes de M. le cardinal, c’est qu’aussitôt qu’il eut reçu la nouvelle de ma promotion, qu’il apprit à Saumur, il lui commanda à lui Champfleury d’aller chez la Reine en diligence, et de la conjurer de sa part de se contraindre, et d’en faire paroître de la joie.

Je ne puis m’empêcher dans cet endroit, de rendre honneur à la vérité, et de faire justice à mon imprudence, qui faillit à me faire perdre le chapeau. Je m’imaginai, et très-mal à propos, qu’il n’étoit pas de la dignité du poste où j’étois de l’attendre ; et que ce petit délai de trois ou quatre mois, que Rome fut obligée de prendre pour régler une promotion de seize sujets, n’étoit pas conforme aux paroles qu’elle m’avoit données, ni aux recherches qu’elle m’avoit faites. Je me fâchai, et j’écrivis une lettre offensive à l’abbé Charrier, sur un ton qui n’étoit assurément ni du bon sens ni de la bienséance. C’est la pièce la plus passable, pour le style, de toutes celles que j’aie jamais faites : je l’ai cherchée pour l’insérer ici, et je ne l’ai pu trouver. La sagesse de l’abbé Charrier, qui la supprima à Rome, fit qu’elle me donna de l’honneur par l’événement, parce que tout ce qui est haut et audacieux est toujours justifié et même consacré par le succès. Il ne m’empêcha pas d’en avoir une véritable honte : je la conserve encore, et il me semble que je répare en quelque façon ma faute en la publiant. Je reprends le fil de ma narration.

J’en étois demeuré, ce me semble au 16 février de l’année 1652. Il y eut, le lendemain 17, une assemblée des chambres, dans laquelle vous verrez, à mon avis, plus que suffisamment, comme dans un tableau raccourci, ce qui se passa dans toutes celles qui furent même assez fréquentes depuis ce jour jusqu’au premier avril. Monsieur y prit d’abord la parole, pour représenter à la compagnie que la lettre du Roi qui y avoit été lue le 15, et qui le taxoit de donner la main à l’entrée des ennemis dans le royaume, ne pouvoit être que l’effet des calomnies dont on le noircissoit dans l’esprit de la Reine ; que les gens de guerre que M. de Nemours amenoit étoient des Allemands auxquels on ne pouvoit pas donner ce nom. Voilà ce qui occupa proprement toutes les assemblées dont je viens de vous parler : le président Le Bailleul, qui présidoit, les commençant presque toutes par l’exagération de la nécessité de délibérer sur la lettre de Sa Majesté ; les gens du Roi concluant toujours à commander aux communes de courre sus aux troupes de M. de Nemours ; et Monsieur ne se lassant point de soutenir qu’elles n’étoient point espagnoles, et qu’après la déclaration qu’il faisoit, qu’aussitôt que le cardinal seroit hors du royaume elles se mettroient à la solde du Roi, il étoit fort superflu d’opiner sur leur sujet. Cette contestation recommençoit presque tous les jours, même à différentes reprises ; et il est vrai, comme je viens de vous le dire, que Monsieur en éluda toujours la délibération. Mais il est vrai aussi que ce faux avantage l’amusa, et qu’il fut si aise d’avoir ce qu’on lui avoit soutenu qu’il n’auroit pas, qu’il ne voulut pas seulement examiner si ce qu’il avoit lui suffisoit : c’est-à-dire qu’il ne distingua pas assez entre la connivence et la déclaration du parlement. Le président de Bellièvre lui dit très-sagement, douze ou quinze jours après la conversation dont je viens de vous parler, que lorsque l’on a à combattre l’autorité royale……… peut-être très-pernicieuse par l’événement. Il lui expliqua ce dictum très-sensément. Vous en voyez la substance d’un coup d’œil. Hors la contestation dont je viens de vous rendre compte, dans laquelle il y eut toujours quelque grain de ce contradictoire que je vous ai tant de fois expliqué, il n’y eut rien dans toutes ces assemblées des chambres qui soit digne, à mon sens, de votre curiosité. On lut, en quelques-unes, les réponses que la plupart des parlemens de France firent en ce temps-là à celui de Paris, toutes conformes à ses intentions, en ce qu’ils lui donnoient part des arrêts qu’ils avoient rendus contre le cardinal. On employa les autres à pourvoir à la conservation des fonds destinés au paiement des rentes de l’hôtel-de-ville et des gages des officiers. On résolut, dans celle du 13 de mars, de faire sur ce sujet une assemblée des cours souveraines dans la chambre de Saint-Louis. Je ne me trouvai à aucunes de celles qui furent faites depuis le premier de mars, et parce que le cérémonial romain ne permet pas aux cardinaux de se trouver en aucunes cérémonies publiques jusqu’à ce qu’ils aient reçu le bonnet, et parce que cette dignité ne donnant aucun rang au parlement que lorsqu’on y suit le Roi, la place que je n’y pouvois avoir en son absence que comme coadjuteur, qui est au dessous de celle des ducs et pairs, ne se fût pas bien accordée avec la prééminence de la pourpre.

Je vous avoue que j’eus une joie sensible d’avoir un prétexte et même une raison de ne me plus trouver à ces assemblées, qui, dans la vérité, étoient devenues des cohues, non pas seulement ennuyeuses, mais insupportables. Je vous ferai voir que dans la suite elles n’eurent pas beaucoup plus d’agrément, après que j’aurai touché, le plus légèrement qu’il me sera possible, un petit détail qui concerne Paris, et quelque chose en général qui regarde la Guienne.

Vous vous pouvez ressouvenir que je vous ai parlé de M. de Chavigny dans le second volume de cet ouvrage, et que je vous ai dit qu’il se retira en Touraine un peu après que le Roi eut été déclaré majeur. Il ne trouva pas le secret de s’y savoir ennuyer, mais il s’y ennuya beaucoup en récompense, et au point qu’il revint à Paris aussitôt qu’il en eut un prétexte ; et ce prétexte fut la nécessité qu’il trouva dans les avis que M. de Gaucourt lui donna, de remédier aux cabales que je faisois auprès de Monsieur contre les intérêts de M. le prince. Ce M. de Gaucourt étoit homme de grande naissance car il étoit de la maison de ces puissans et anciens comtes de Clermont en Beauvoisis, si fameux dans nos histoires. Il avoit de l’esprit et du savoir-faire, mais il s’étoit trop érigé en négociateur ce qui n’est pas toujours la meilleure qualité pour la négociation. Il étoit attaché à M. le prince, il avoit à Paris sa principale correspondance ; et son principal soin fut, au moins à ce qui m’en parut, de me ruiner dans l’esprit de Monsieur. Comme il n’y trouvoit pas de facilité, il eut recours à M. de Chavigny, qui revint à Paris en diligence, ou par cette raison, ou sous ce prétexte. M. de Rohan qui y arriva dans ce temps-là, très-satisfait de la défense d’Angers, quoiqu’elle eût été très-médiocre, se joignit à eux pour ce même effet. Ils m’attaquèrent en forme, comme fauteur couvert du Mazarin ; et pendant que leurs émissaires gagnoient ceux de la lie du peuple qu’ils pouvoient corrompre par argent, ils n’oublièrent rien pour ébranler Monsieur par leurs calomnies, qui étoient appuyées de toute l’intrigue du cabinet, dans laquelle Ravay, Belloy et Goulas, partisans de M. le prince, n’étoient point ignorans. J’éprouvai en cette rencontre que les plus habiles courtisans peuvent être de fort grosses dupes, quand ils se fondent trop sur leurs conjectures. Celles que ces messieurs tirèrent de ma promotion au cardinalat furent que je n’avois obtenu le chapeau que par le moyen des engagemens que j’avois pris avec la cour. Ils agirent sur ce principe : ils me déchirèrent auprès de Monsieur sur ce titre. Comme il en savoit la vérité, il s’en moqua. Ils m’établirent dans son esprit au lieu de m’y perdre, parce qu’en fait de calomnie tout ce qui ne nuit pas sert à celui qui est attaqué ; et vous allez voir le piège que les attaquans se tendirent à eux-mêmes à cette occasion. Je disois un jour à Monsieur que je ne concevois pas comme il ne se lassoit pas de toutes les sottises qu’on lui disoit tous les jours contre moi sur le même ton ; et il me répondit : « Ne comptez-vous pour rien le plaisir que l’on a à connoître tous les matins la méchanceté des gens couverte du nom de zèle, et tous les soirs leurs sottises déguisées en pénétrations ? » Je dis à Monsieur que je recevois cette parole avec grand respect, et comme une grande et belle leçon pour tous ceux qui avoient l’honneur d’approcher des grands princes.

Ce que les serviteurs de M. le prince faisoient contre moi parmi le peuple faillit à me coûter plus cher. Ils avoient des criailleurs à gages, qui m’étoient plus incommodes en ce temps-là qu’ils ne l’avoient été auparavant, parce qu’ils n’osoient paroître devant la nombreuse suite de gentilshommes et de livrées qui m’accompagnoient. Comme je n’avois pas encore reçu le bonnet, que les cardinaux français ne prennent que de la main du Roi, à qui le courrier du Pape est dépêché à cet effet, je ne pouvois plus marcher qu’incognito, selon les règles du cérémonial ; et ainsi, lorsque j’allois au Luxembourg, c’étoit toujours dans un carrosse gris et sans livrées ; et je montois même dans le cabinet des livres par le petit degré qui répond dans la galerie, afin d’éviter le grand escalier et le grand appartement. Un jour que j’y étois avec Monsieur, Bruneau y entra tout effaré, pour m’avertir qu’il y avoit dans la cour une assemblée de deux ou trois cents de ces criailleurs, qui disoient que je trahissois Monsieur, et qu’ils me tueroient.

Monsieur me parut consterné à cette nouvelle. Je le remarquai et l’exemple du maréchal de Clermont[4] assommé entre les bras du Dauphin, qui tout au plus ne pouvoit pas avoir eu plus de peur que j’en voyois à Monsieur, me revenant dans l’esprit, je pris le parti que je crus le plus sûr, quoiqu’il parût plus hasardeux ; parce que je ne doutai point que la moindre apparence que Son Altesse Royale laisseroit échapper à sa frayeur ne me fît assassiner ; et parce que je doutai encore moins que l’appréhension de déplaire à ceux qui crioient contre le Mazarin, dont il redoutoit le murmure jusqu’au ridicule, joint à son naturel qui craignoit tout, ne lui en fît donner beaucoup plus qu’il n’en falloit pour me perdre. Je lui dis que je le suppliois de me laisser faire, et qu’il verroit dans peu quel mépris l’on devoit faire de ces canailles achetées à prix d’argent. Il m’offrit ses gardes, mais d’une manière à me faire juger que je lui faisois fort bien ma cour de ne les pas accepter. Je descendis, quoique M. le maréchal d’Etampes se fût jeté à genoux devant moi pour m’en empêcher ; je descendis, dis-je, avec Château-Renaud et d’Hacqueville, qui étoient seuls avec moi, et j’allai droit à ces séditieux, en leur demandant qui étoit leur chef ? Un gueux d’entre eux, qui avoit une vieille plume jaune à son chapeau, me répondit insolemment : « C’est moi. » Je me tournai du côté de la rue de Tournon, en disant : « Gardes de la porte, que l’on me pende ce coquin à ces grilles. Il me fit une profonde révérence ; il me dit qu’il n’avoit pas cru manquer au respect qu’il me devoit ; qu’il étoit venu seulement avec ses camarades pour me dire que le bruit couroit que je voulois mener Monsieur à la cour, et le raccommoder avec le Mazarin ; qu’ils ne le croyoient pas ; qu’ils étoient mes serviteurs, et prêts à mourir pour mon service, pourvu que je leur promisse d’être toujours bon frondeur. Ils m’offrirent de m’accompagner ; mais je n’avois pas besoin de cette escorte pour le voyage que j’avois résolu, comme vous l’allez voir. Il n’étoit pas au moins fort long : car madame de La Vergne, mère de madame de La Fayette, et qui avoit épousé en secondes noces le chevalier de Sévigné, logeoit où loge présentement madame sa fille. Cette madame de La Vergne étoit honnête femme dans le fond, mais intéressée au dernier point, et plus susceptible de vanité pour toutes sortes d’intrigues sans exception, que femme que j’aie jamais connue. Celle dans laquelle je lui proposai ce jour-là de me rendre de bons offices étoit d’une nature à effaroucher d’abord une prude. J’assaisonnai mon discours de tant de protestations, de bonnes intentions et d’honnêtetés, qu’il ne fut pas rebuté ; mais aussi ne fut-il reçu que sous les promesses solennelles que je fis de ne prétendre jamais qu’elle étendît les services que je lui demandois au delà de ceux que l’on peut rendre en conscience pour procurer une bonne, chaste, pure et sainte amitié. Je m’engageai à tout ce qu’on voulut. On prit mes paroles pour bonnes, et l’on se sut même très-bon gré d’avoir trouvé une occasion toute propre à rompre dans la suite le commerce que j’avois avec madame de Pommereux, que l’on ne croyoit pas si innocent. Celui dans lequel je demandai que l’on me servît ne devoit être que tout spirituel et tout angélique ; car c’étoit celui de mademoiselle de La Loupe[5], que vous avez vue depuis sous le nom de madame d’Olonne. Elle m’avoit fort plu quelques jours auparavant, dans une petite assemblée qui s’étoit faite dans le cabinet de Madame ; elle étoit jolie, précieuse par son air et par sa modestie. Elle logeoit tout proche de madame de La Vergne ; elle étoit amie intime de mademoiselle sa fille ; elle avoit même percé une porte par laquelle elles se voyoient sans sortir du logis. L’attachement que M. le chevalier de Sévigné avoit pour moi, l’habitude que j’avois dans sa maison, et ce que je savois de sa femme contribuèrent beaucoup à mes espérances. Elles se trouvèrent vaines par l’événement : car bien que l’on ne m’arrachât pas les yeux ; bien que l’on ne m’étouffât pas à force de m’interdire les soupirs ; bien que je m’aperçusse à de certains airs que l’on n’étoit pas fâché de voir la pourpre soumise, tout armée et tout éclatante qu’elle étoit, on se tint toujours sur un pied de sévérité ou plutôt de modestie qui me lia la langue, quoiqu’elle fut assez libertine : ce qui doit étonner ceux qui n’ont point connu mademoiselle de La Loupe, et qui n’ont ouï parler que de madame d’Olonne. Cette historiette n’est pas trop, comme vous voyez, à l’honneur de ma galanterie. Je passe pour un moment aux affaires de Guienne.

Comme je fais profession de ne vous rendre compte précisément que de ce que j’ai vu moi-même, je ne toucherai ce qui se passa en ce pays-là que fort légèrement et simplement autant qu’il est nécessaire de le faire pour vous faire mieux entendre ce qui y a eu du rapport du côté de Paris. Je ne puis pas même vous assurer si je serai bien juste dans le peu que je vous en dirai, parce que je n’en parlerai que sur des mémoires qui peuvent ne l’être pas eux-mêmes. J’ai fait tout ce qui a été en moi pour tirer de M. le prince le détail de ses actions de guerre, dont les plus petites ont toujours été plus grandes que les plus héroïques des autres hommes ; et ce seroit avec une joie sensible que j’en releverois et j’en honorerois cet ouvrage. Il m’avoit promis de m’en donner un extrait ; et il l’auroit fait, à mon sens si l’inclination et si la facilité qu’il a à faire des merveilles n’étoient égalées par l’aversion et par la peine qu’il a à les raconter.

Je vous ai dit que M. le comte d’Harcourt, commandoit les armées du Roi en Guienne, et qu’il y avoit les troupes de l’Europe les plus aguerries. Toutes celles de M. le prince étoient de nouvelles levées, à la réserve de ce que M. de Marsin avoit amené de Catalogne, qui ne faisoit pas un corps assez considérable pour pouvoir s’opposer à celles du Roi. M. le prince, à le bien prendre, soutint les affaires par sa seule personne. Vous avez vu ci-dessus qu’il s’étoit saisi de Saintes. Il laissa pour y commander M. le prince de Tarente[6]. Il retourna en Guienne, et se campa auprès de Bourg. Le comte d’Harcourt l’y suivit, et détacha le chevalier d’Aubeterre pour le reconnoître. Ce chevalier fut repoussé par le régiment de Balthazar, qui donna le temps à M. le prince de se poster sur une hauteur, où il fit paroître son corps si grand, quoiqu’il fût très-petit, que le comte d’Harcourt ne l’y osa attaquer. Il se retira à Libourne après cette action, qui fut d’un très-grand capitaine. Il y laissa quelque infanterie, et il alla à Bergerac, place fameuse par les guerres de religion, et il fit travailler à en relever les fortifications. M. de Saint-Luc[7], lieutenant de Roi en Guienne crut qu’il pourroit surprendre M. le prince de Conti, qui étoit logé avec de nouvelles troupes à Caude-Coste près d’Agen ; et il s’avança de ce côté-là avec deux mille hommes de pied et sept cents chevaux, des meilleurs qui fussent dans l’armée du Roi. Il fut surpris lui-même par M. le prince, qui fut, averti de son dessein, et qui fut au milieu de ses quartiers avant qu’il eût eu la première nouvelle de sa démarche. Il ne s’ébranla pas néanmoins : il se posta sur une hauteur, sur laquelle on ne pouvoit aller que par un défilé. On passa presque tout le jour à escarmoucher, pendant que M. le prince attendoit trois canons qu’il avoit mandés d’Agen. Il en avoit un pressant besoin : car il n’avoit en tout avec lui, en comptant les troupes de M. le prince de Conti, que cinq cents hommes de pied et deux mille chevaux, tous gens de nouvelle levée. La foiblesse ne donne pas, pour l’ordinaire, la hardiesse : celle de M. le prince fit plus en cette occasion, car elle lui donna de la vanité ; et c’est, je crois la seule fois de sa vie qu’il en a eu. Il se ressouvint que la frayeur que sa présence pourroit inspirer aux ennemis les pourroit ébranler. Il leur renvoya quelques prisonniers, qui leur rapportèrent qu’il étoit là en personne. Il les chargea en même temps : ils plièrent d’abord ; et on peut dire qu’il les renversa moins par le choc de ses armes que par le bruit de son nom. La plupart de l’infanterie se jeta dans Miradoux, où elle fut assiégée incontinent. Les régimens de Champagne et de Lorraine, que M. le prince ne vouloit recevoir qu’à discrétion, défendirent cette méchante place avec une valeur incroyable, et ils donnèrent le temps à M. le comte d’Harcourt de la secourir. M. le prince envoya son artillerie et ses bagages à Agen ; il mit des garnisons dans quelques petites places qui pouvoient incommoder les ennemis ; et ensuite sur le soir il se rendit lui-même à Agen, ayant avec lui messieurs de La Rochefoucauld, de Marsin et de Montespan, pour observer les desseins de M. le comte d’Harcourt, qui laissa de son côté quelques troupes au siége de Staffort, ce me semble, et de La Plume ; et qui, avec les autres, fit attaquer quelques fortifications que l’on avoit commencées à l’un des faubourgs d’Agen, par messieurs de Lillebonne, le chevalier de Créqui, et Coudray-Montpensier. Ils se signalèrent à cette attaque, qui fut faite en présence de M. le prince ; mais ils furent repoussés avec une vigueur extraordinaire, et le comte d’Harcourt alla se consoler de sa perte par la prise de ces deux ou trois petites places dont je vous ai parlé ci-dessus.

M. le prince, qui avoit fait le dessein de revenir à Paris pour les raisons que je vais vous dire, se résolut de laisser pour commander en Guienne M. le prince de Conti, et M. de Marsin en qualité de lieutenant général sous son frère ; mais il crut qu’il seroit à propos, avant qu’il partît, de s’assurer tout-à-fait d’Agen, qui s’étoit à la vérité déclaré pour lui mais qui, n’ayant point de garnison, pouvoit à tout moment changer de parti. Il gagna les jurats, qui consentirent qu’il fît entrer dans la ville le régiment de Conti. Le peuple qui ne fut pas du sentiment de ces magistrats, se souleva, et il fit des barricades. M. le prince dit qu’il courut plus de fortune en cette occasion qu’il n’en auroit couru dans une bataille. Je ne me ressouviens pas du détail ; et ce que je m’en puis remettre est que messieurs de La Rochefoucauld, de Marsillac et de Montespan haranguèrent dans l’hôtel-de-ville, et qu’ils calmèrent la sédition à la satisfaction de M. le prince. Je reviens à son voyage.

Messieurs de Rohan, de Chavigny et de Gaucourt le pressoient par tous les courriers de ne pas s’abandonner si absolument aux affaires des provinces qu’il ne songeât à celles de la capitale, qui étoit en tout sens la capitale. M. de Rohan se servit de ce mot dans une de ses lettres que je surpris. Ces messieurs étoient persuadés que je rompois toutes leurs mesures auprès de Monsieur, qui, à la vérité, rejetoit tout ce qu’il ne vouloit pas faire pour les intérêts de M. le prince ; sur les ménagemens que le poste où j’étois à Paris l’obligeoit d’avoir pour moi. Il m’a confessé quelquefois, parlant à moi-même, qu’il se servoit de ce prétexte en certaines occasions et il y en eut même où il me força, à force de me persécuter, à donner des apparences qui pussent confirmer ce qu’il leur vouloit persuader. Je lui représentai plusieurs fois qu’il feroit tant par ses journées, qu’il obligeroit M. le prince de venir à Paris, qui étoit de toutes les choses du monde celle qu’il craignoit le plus. Mais comme le présent touche toujours sans comparaison davantage les âmes foibles que l’avenir même le plus proche, il aimoit mieux s’empêcher de croire que M. le prince pût faire ce voyage dans quelque temps, que de se priver du soulagement qu’il trouvoit dans le moment même à rejeter sur moi les murmures et les plaintes que ses ministres lui faisoient sur mille choses à tous les instans. Ces ministres, qui se trouvèrent bien plus fatigués que satisfaits de ses méchantes défaites, pressèrent M. le prince au dernier point d’accourir lui-même au besoin pressant ; et leurs instances furent puissamment fortifiées par les nouvelles qu’il reçut en même temps de M. de Nemours, et qu’il est bon de traiter un peu en détail.

M. de Nemours entra en ce temps-là sans aucune résistance dans le royaume, toutes les troupes du Roi étant divisées ; et quoique M. d’Elbœuf et messieurs d’Aumont, Digby et de Vaubecour[8] en eussent à droite et à gauche, il pénétra jusqu’à Mantes, et il y passa la Seine sur le pont qui lui fut livré par M. le duc de Lude, gouverneur de la ville et mécontent de la cour parce que l’on avoit ôté les sceaux à son beau-père. Il campa à Hoûdan et il vint à Paris avec M. de Tavannes, qui commandoit ce qu’il avoit conservé de troupes de M. le prince ; et Clinchamp[9], qui étoit officier général dans les étrangers.

Voilà le premier faux pas que cette armée fit : car si elle eût marché sans s’arrêter, et que M. de Beaufort l’eût jointe avec les troupes de Monsieur comme il la joignit depuis, elle eût passé la Loire sans difficulté, et eût fort embarrassé la marche du Roi. Tout contribua à ce retardement : l’incertitude de Monsieur, qui ne pouvoit se déterminer pour l’action même dans les choses les plus résolues ; l’amour de madame de Mambazon, qui amusoit à Paris M. de Beaufort ; la puérilité de M. de Nemours, qui étoit bien aise de montrer son bâton de général à madame de Châtillon ; et la fausse politique de Chavigny, qui croyoit qu’il seroit beaucoup plus maître de l’esprit de Monsieur quand il lui éblouiroit les yeux par ce grand nombre d’écharpes de couleurs toutes différentes (ce fut le terme dont il se servit en parlant à Croissy, qui fut assez imprudent pour me le redire, quoiqu’il fût beaucoup plus dans les intérêts de M. le prince que dans les miens). Je ne tins pas le cas secret à Monsieur, qui en fut fort piqué. Je pris ce temps pour le supplier de trouver bon que je fisse voir en sa présence à ces messieurs qu’ils n’étoient point en état d’éblouir des yeux sans comparaison moins forts en tous sens que les siens. Comme il me vouloit faire expliquer, on vint lui dire que messieurs de Beaufort et de Nemours étoient dans sa chambre. Je l’y suivis, quoique ce ne fût pas ma coutume, parce que je n’avois pas encore le bonnet ; et comme on entra en conversation publique (car il y avoit du monde jusqu’à faire foule), je mis mon chapeau sur ma tête aussitôt qu’il eut mis le sien. Il le remarqua, et à cause de ce que je venois de lui dire, et à cause que je ne l’avois jamais voulu faire, quoiqu’il me le commandât toujours. Il en fut très-aise, et il affecta d’entretenir la conversation plus d’une grosse heure, après laquelle il me prit en particulier, et me ramena dans la galerie. Vous jugez bien qu’il falloit qu’il fût en colère : car je crois qu’il y avoit dans sa chambre plus de cinquante écharpes rouges, sans les isabelles. Cette colère dura tout le soir : car il me dit le lendemain que Goulas, secrétaire de ses commandemens, et intime de M. de Chavigny, étant venu lui dire avec un grand empressement que tous les officiers étrangers prenoient de grands ombrages des longues conversations que j’avois avec lui, il l’avoit rebuté avec une fort grande aigreur, en lui disant : « Allez au diable, vous et vos officiers étrangers ! s’ils étoient aussi bons frondeurs que le cardinal de Retz, ils seroient à leurs postes, et ils ne s’amuseroient pas à ivrogner dans les cabarets de Paris. » Ils partirent enfin, et en vérité plus par mes instances que par celles de Chavigny, qui croyoit toujours que je n’oubliois rien pour les retarder : car Monsieur répara bientôt, même avec soin, ce qu’il avoit laissé échapper dans la colère, parce qu’il lui convenoit (au moins se l’imaginoit-il ainsi) de me faire servir de prétexte quelquefois à ce qu’il faisoit, et presque toujours à ce qu’il ne faisoit point. Vous verrez quelle marche prirent ces troupes, après que je vous aurai rendu compte de ce qui se passa à Orléans dans ce même temps.

Il ne se pouvoit pas que cette importante ville ne fût très-dépendante de Monsieur, étant son apanage et de plus ayant été quelque temps son plus ordinaire séjour. D’ailleurs M. le marquis de Sourdis[10], qui en étoit gouverneur, étoit dans ses intérêts. Monsieur avoit envoyé outre cela M. le comte de Fiesque pour s’opposer aux efforts que M. Legras, maître des requêtes, faisoit pour persuader aux habitans d’ouvrir leurs portes au Roi, à qui, dans la vérité, elles eussent été d’une très-grande utilité. Messieurs de Beaufort et de Nemours, qui en voyoient encore de plus près la conséquence parce qu’ils avoient pris leurs, marches de ce côté-la, écrivirent à Monsieur qu’il y avoit dans la ville une faction très-puissante pour la cour, et que sa présence y étoit très-nécessaire. Vous croyez facilement qu’elle l’étoit encore beaucoup plus à Paris. Monsieur ne balança pas un moment, et tout le monde, sans exception fut de même avis sur ce point. Mademoiselle s’offrit d’y aller : ce que Monsieur ne lui accorda qu’avec beaucoup de peine, par la raison de la bienséance, et encore plus par celle du peu de confiance qu’il avoit à sa conduite. Je me souviens qu’il me dit, le jour qu’elle prit congé de lui : « Cette chevalerie seroit bien ridicule si le bon sens de mesdames de Fiesque et de Frontenac ne la soutenoit. » Ces deux dames allèrent effectivement avec elle, aussi bien que M. de Rohan et messieurs de Croissy et de Bermont, conseillers du parlement. Patru disoit un peu trop librement que comme les murailles de Jéricho étoient tombées au son des trompettes, celles d’Orléans s’ouvriroient au son des violons. M. de Rohan passoit pour les animer un peu trop violemment. Enfin tout ce ridicule réussit par la vigueur de Mademoiselle, qui fut à la vérité très-grande : car quoique le Roi fût très-proche avec des troupes et que M. Molé garde des sceaux et premier président, fût à la porte, qui demandoit à entrer de sa part, elle passa la rivière dans un petit bateau ; elle obligea les bateliers, qui sont toujours en grand nombre sur le port, de démurer une petite poterne[11] qui étoit demeurée fermée depuis très-long-temps et elle marcha, avec le concours et l’acclamation du peuple, droit à l’hôtel-de-ville, où les magistrats étoient assemblés pour délibérer si l’on recevroit M. le garde des sceaux. Vous pouvez croire qu’elle décida. Messieurs de Beaufort et de Nemours la vinrent joindre aussitôt, et ils résolurent avec elle de se saisir ou de Lorris ou de Gien, qui sont de petites villes, mais qui ont des ponts toutes deux sur la rivière de Loire. Celui de Gien fut vivement attaqué par M. de Beaufort ; mais il fut encore mieux défendu par M. de Turenne, qui venoit de prendre le commandement de l’armée du Roi, qu’il partageoit toutefois avec M. le maréchal d’Hocquincourt. Celle de Monsieur fut obligée de quitter cette entreprise, après y avoir perdu le baron de Sirot, homme de réputation et qui y servoit de lieutenant général. Il se vantoit (et je crois avec vérité) qu’il avoit fait le coup de pistolet avec le grand Gustave, roi de Suède, et le brave Christian, roi de Danemarck.

M. de Nemours, qui avoit naturellement et aversion et mépris pour M. de Beaufort, quoique son beau-frère, se plaignit de sa conduite à Mademoiselle, comme s’il avoit été cause que le dessein sur Gien n’eut pas réussi. Ils eurent sur cela des paroles dans l’antichambre de Mademoiselle[12]. Un prétendu démenti que M. de Beaufort voulut assez légèrement, au moins à ce que l’on disoit dans ce temps-là avoir reçu, produisit un prétendu soufflet que M. de Nemours ne reçut aussi, à ce que j’ai ouï dire à des gens qui y étoient présens qu’en imagination. C’étoit au moins un de ces soufflets problématiques dont il a été parlé dans les petites lettres du Port-Royal. Mademoiselle accommoda, au moins en apparence, cette querelle et après une grande contestation qui n’avoit pas servi à en adoucir les commencemens, il fut résolu que l’on iroit à Montargis, poste important dans la conjoncture, parce que de là l’armée des princes, qui seroit ainsi entre Paris et le Roi, pourroit donner la main à tout. M. de Nemours, qui souhaitoit avec passion de pouvoir secourir Montrond opina qu’il seroit mieux d’aller passer la rivière de Loire à Blois, pour prendre par les derrières l’armée du Roi, qui, par la crainte d’abandonner trop pleinement les provinces de delà à celles de Monsieur, auroit encore plus de difficulté à se résoudre d’avancer vers Paris, qu’elle n’y en trouvoit par l’obstacle que Montargis lui pouvoit mettre. L’autre avis l’emporta dans le conseil de guerre, et par le nombre, et par l’autorité de Mademoiselle ; et j’ai ouï dire même aux gens du métier qu’il le devoit emporter par la raison, parce qu’il eût été ridicule d’abandonner tout ce qui auroit été proche de Paris aux forces du Roi, dont l’on voyoit clairement que l’unique dessein étoit de s’en approcher, ou pour gagner la capitale, ou pour l’ébranler. Chavigny en parla à Monsieur en ces propres termes en présence de Madame, qui me le rendit le lendemain ; et je ne comprends pas sur quoi se sont pu fonder ceux qui ont voulu s’imaginer qy’il y eut de la contestation sur cet article au Luxembourg. Monsieur n’eût pas manqué, si cela eût été, de me faire valoir qu’il n’eût pas déféré au conseil des serviteurs de M. le prince. Ils furent tous du même sentiment ; et Goulas pestoit même hautement contre la conduite de M. de Nemours, qui veut, disoit-il, sauver Montrond et perdre Paris. Je reviens au voyage de M. le prince.

Je vous ai déjà dit que ceux qui agissoient pour ses intérêts auprès de Monsieur le pressoient de revenir à Paris, et que leurs instances furent fortement appuyées par la nécessité qu’il crut à soutenir ou plutôt à réparer, par sa présence, ce que l’incapacité et la mésintelligence de messieurs de Beaufort et de Nemours diminuoient du poids que la valeur et l’expérience des troupes qu’ils commandoient devoient donner à leur parti. Comme M. le prince avoit à traverser presque tout le royaume, il lui fut nécessaire de tenir sa marche extrêmement couverte. Il ne prit avec lui que messieurs de La Rochefoucauld, de Marsillac, le marquis de Levy, Guitaut, Chavagnac, Gourville, et un autre du nom duquel je ne me souviens pas. Il passa, avec une extrême diligence, le Périgord, le Limosin, l’Auvergne et le Bourbonnois. Il fut manqué de peu, auprès de Châtillon-sur-Loire, par Sainte-Maure, pensionnaire du cardinal, qui le suivit avec deux cents chevaux, sur un avis que quelqu’un qui avoit reconnu Guitant en donna à la cour. Il trouva dans la forêt d’Orléans quelques officiers de ses troupes qui étoient en garnison à Lorris, et il fut reçu de toute l’armée avec toute la joie que vous vous pouvez imaginer. Il dépêcha Gourville à Monsieur pour lui rendre compte de sa marche, et pour l’assurer qu’il seroit à lui dans trois jours. Les instances de toute l’armée, fatiguée jusqu’à la dernière extrémité par l’ignorance de ses généraux, l’y retinrent davantage ; et de plus il n’a jamais eu peine de demeurer dans les lieux où il a pu faire de grandes actions. Vous en allez voir une des plus belles de sa vie.

Il parut, au premier pas que M. le prince fit dès qu’il eut joint l’armée, que l’avis de M. de Nemours, duquel je vous ai parlé ci-dessus, n’étoit pas le bon : car il marcha droit à Montargis, qu’il prit sans coup férir, Maudreville, qui s’étoit jeté dans le château avec huit ou dix gentilshommes et deux cents hommes de pied, l’ayant rendu d’abord. Il y laissa garnison ; et il marcha, sans perdre un moment, droit aux ennemis, qui étoient dans des quartiers séparés. Le Roi étoit à Gien, M. de Turenne avoit son quartier général à Briare, et celui de M. d’Hocquincourt étoit à Bleneau.

Comme M. le prince sut que les troupes du dernier étoient dispersées dans les villages, il s’avança vers Château-Renault, et il tomba comme un foudre au milieu de tous ces quartiers. Il tailla en pièces tout ce qui étoit de cavalerie de Maine, de Roque-Epine, de Beaujeu, de Bourlemont et de Moret, qui tâchoient de gagner le logement des dragons comme il leur avoit été ordonné, mais trop tard. Il força même, l’épée à la main, les quartiers des dragons, pendant que Tavannes traitoit de même celui des Cravates. Il poussa les fuyards jusqu’à Bleneau, où il trouva le maréchal d’Hocquincourt en bataille avec sept cents chevaux, qui chargea avec vigueur les gens de M. le prince, qui, dans l’obscurité de la nuit, s’étoient engagés et divisés, et qui de plus, malgré les efforts de leur commandant, s’amusoient à piller un village. M. le prince les rallia et les remit en bataille à la vue des ennemis, quoiqu’ils fussent bien plus forts que lui, et quoiqu’il fût obligé, par la grande résistance qu’il trouva, de tenir bride en main à la première charge, dans laquelle il eut un cheval tué sous lui. Il les chargea avec tant de vigueur à la seconde qu’il les renversa pleinement, et au point qu’il ne fut plus au pouvoir de M. d’Hocquincourt de les rallier. M. de Nemours fut fort blessé en cette occasion, et messieurs de Beaufort, de La Rochefoucauld et de Tavannes s’y signalèrent. M. de Turenne, qui avoit averti dès le matin M. d’Hocquincourt que ses quartiers étoient trop séparés et trop exposés et que M. le prince venoit à lui ; M. de Turenne, dis-je, sortit de Briare, il se mit en bataille auprès d’un village qu’on appelle, ce me semble Oucoi. Il jeta cinquante chevaux dans un bois qui se trouvoit entre lui et les ennemis et par lequel on ne pouvoit passer sans défiler. Il les en retira aussitôt pour obliger M. le prince à s’engager dans ce défilé, par l’opinion qu’il auroit que la retraite de ces cinquante maîtres eût été un signe d’effroi. Son stratagème lui réussit : car M. le prince jeta effectivement dans le bois trois ou quatre cents chevaux qui, à la sortie, furent renversés par M. de Turenne, et qui eussent eu peine à se retirer si M. le prince n’eût fait avancer de l’infanterie, qui arrêta sur eux ceux qui les suivoient. M. de Turenne se posta sur une hauteur derrière le bois : il y mit son artillerie, qui tua beaucoup de gens de l’armée des princes, et entre autres Maré, frère du maréchal de Grancé, domestique de Monsieur, et qui servoit de lieutenant général dans ses troupes. On demeura tout le reste du jour en présence, et sur le soir chacun se retira dans son camp. Il est difficile de juger qui eut plus de gloire en cette journée, ou de M. le prince, ou de M. de Turenne. On peut dire en général qu’ils y firent tous deux ce que les deux plus grands capitaines du monde y pouvoient faire. M. de Turenne y sauva la cour, qui, à la nouvelle de la défaite de M. d’Hocquincourt, fit charger son bagage, sans savoir précisément où il pourroit être reçu ; et M. de Senneterre m’a dit depuis, plusieurs fois, que c’est le seul endroit où il ait vu la Reine abattue et affligée. Il est constant que si M. de Turenne n’eût soutenu l’affaire par sa grande capacité, et que si son armée eût eu le sort de celle de M. d’Hocquincourt, il n’y eût pas eu une ville qui n’eût fermé les portes à la cour. Le même M. de Senneterre ajoutoit que la Reine le lui avoit dit ce jour-là en pleurant.

L’avantage de M. le prince sur le maréchal d’Hocquincourt ne fut pas à beaucoup près d’une si grande utilité dans son parti, parce qu’il ne le poussa pas dans les suites jusqu’où sa présence l’eût vraisemblablement porté s’il fût demeuré à l’armée. Vous verrez ce qui s’y passa en son absence, après que je vous aurai rendu compte, et du premier effet du voyage de M. le prince à Paris, et d’un petit détail qui me regarde en mon particulier.

Vous avez vu ci-dessus que M. le prince avoit envoyé Gourville à Monsieur aussitôt qu’il eut joint l’armée, pour lui dire qu’il seroit dans trois jours à Paris. Cette nouvelle fut un coup de foudre pour Monsieur. Il m’envoya querir aussitôt, et il s’écria en me voyant : « Vous me l’aviez bien dit : quel embarras ! quel malheur ! nous voilà pis que jamais. » J’essayai de le remettre, mais il me fut impossible ; et tout ce que j’en pus tirer fut qu’il feroit bonne mine, et qu’il cacheroit son sentiment à tout le monde avec le même soin avec lequel il l’avoit déguisé à Gourville. Il s’acquitta très-exactement de sa parole : car il sortit du cabinet de Madame avec le visage du monde le plus gai. Il publia la nouvelle avec de grandes démonstrations de joie, et il ne laissa pas de me commander un quart-d’heure après de ne rien oublier pour troubler la fête, c’est-à-dire pour essayer de mettre les choses en état d’obliger M. le prince à ne faire que fort peu de séjour à Paris. Je le suppliai de ne me point donner cette commission, « laquelle, monsieur, lui dis-je, n’est pas de votre service pour deux raisons. La première est que je ne la puis exécuter qu’en donnant au cardinal un avantage qui ne vous convient pas et l’autre, que vous ne la soutiendrez jamais, de l’humeur dont il a plu à Dieu de vous faire. » Cette parole, dite à un fils de France vous paroîtra sans doute peu respectueuse ; mais je vous prie de considérer que Saint-Rémi lieutenant de ses gardes, la lui avoit dite à propos d’une bagatelle deux ou trois jours devant ; que Monsieur avoit trouvé l’expression plaisante, et qu’il la redisoit depuis ce jour-là à toute occasion. Dans la vérité elle n’étoit pas impropre pour celle dont il s’agissoit, comme vous le verrez par la suite. La contestation fut assez forte, je résistai long-temps. Je fus obligé de me rendre, et d’obéir. J’eus même plus de temps pour travailler à ce qu’il m’ordonnoit que je n’avois cru : car M. le prince, au devant duquel Monsieur alla même jusqu’à Juvisy le premier d’avril, dans la croyance qu’il arriveroit ce jour-là à Paris, n’y fut que le 11 ; de sorte que j’eus tout le loisir nécessaire pour ménager M. Le Fèvre, prévôt des marchands, qui me devoit sa charge, et qui étoit mon ami particulier. Il n’eut pas beaucoup de peine à persuader M. le maréchal de L’Hôpital, gouverneur de Paris, qui étoit très-bien intentionné pour la cour. Ils firent une assemblée dans l’hôtel-de-ville, dans laquelle ils firent résoudre que M. le gouverneur iroit trouver Son Altesse Royale, pour lui dire qu’il paroissoit à la compagnie qu’il étoit contre l’ordre qu’on reçût M. le prince dans la ville, avant qu’il se fût justifié de la déclaration du Roi qui avoit été vérifiée au parlement contre lui.

Monsieur, qui fut transporté de joie de ce discours, répondit que M. le prince ne venoit que pour conférer avec lui de quelques affaires particulières, et qu’il ne séjourneroit que vingt-quatre heures à Paris. Il me dit, aussitôt que le maréchal fut sorti de sa chambre : « Vous êtes un galant homme, avete fatto polito. Chavigny sera bien attrapé. » Je lui répondis, sans balancer : « Je ne vous ai jamais, monsieur, si mal servi ; souvenez-vous, s’il vous plaît, de ce que je vous dis aujourd’hui. » M. de Chavigny, qui apprit en même temps le mouvement de l’hôtel-de-ville et la réponse de Monsieur, lui en fit des réprimandes et des bravades qui passèrent jusqu’à l’insolence et à la fureur. Il déclara à Monsieur que M. le prince étoit en état de demeurer sur le pavé tant qu’il lui plairoit, sans être obligé de demander congé à personne. Il fit par le moyen de Pesch, fameux séditieux, une troupe de cent ou cent vingt gueux, sur le Pont-Neuf, qui faillirent à piller la maison de M. Du Plessis-Guénégaud ; et il effraya si fort Monsieur, qu’il l’obligea à faire une réprimande publique, et au maréchal de L’Hôpital, et au prévôt des marchands, parce qu’ils avoient enregistré dans le greffe de la ville la réponse que Son Altesse Royale leur dit ne leur avoir faite qu’en particulier et en confidence. Comme je voulus insinuer à Monsieur que j’avois eu raison de ne lui pas conseiller ce qui s’étoit fait, il m’interrompit brusquement, en me disant ces paroles : « Il ne faut pas juger par l’événement. J’avois raison hier, vous l’avez aujourd’hui : que faire avec tous ces gens-ci ? » Il devoit ajouter : « Et avec moi ? » Je le lui ajoutai de moi-même. Car comme je vis que, malgré toutes ces expériences, il continuoit dans la même conduite qu’il avoit mille fois condamnée en me parlant à moi-même depuis que M. le prince fut allé en Guienne, je me le tins pour dit, et je me résolus de demeurer tout le plus qu’il me seroit possible dans l’inaction, qui n’est à la vérité jamais bien sûre avec de certaines gens, dans les temps qui sont fort troublés ; mais que je me croyois nécessaire, et par les manières de Monsieur, que je ne pouvois redresser, et par la considération de l’état où je me troûvois dans le moment, que je vous supplie de me permettre que je vous explique un peu plus au long.

La vérité me force de vous dire qu’aussitôt que je fus cardinal, je fus touché des inconvéniens de la pourpre, parce que j’avois fait plus de mille fois réflexion en ma vie que je l’avois trop été de l’éclat de la coadjutorerie. Une des sources de l’abus que les hommes font presque toujours de leurs dignités est qu’ils s’en éblouissent d’abord qu’ils en sont revêtus ; et l’éblouissement est cause qu’ils tombent dans les premières fautes, qui sont les plus dangereuses par une infinité de raisons. La hauteur que j’avois affectée dès que je fus coadjuteur me réussit, parce qu’il parut que la bassesse de mon oncle l’avoit rendue nécessaire. Mais je connus clairement que sans cette considération, et même sans les autres assaisonnemens que la qualité des temps, plutôt que mon adresse, me donna lieu d’y mettre ; je connus, dis-je, clairement qu’elle n’eût pas été d’un bon sens, ou au moins qu’elle ne lui eût pas été attribuée. Les réflexions que j’avois eu le temps de faire sur cela m’obligèrent d’avoir une attention particulière à l’égard du chapeau, dont la couleur de feu et éclatante fait tourner la tête à la plupart de ceux qui en sont honorés. La plus sensible, à mon opinion, et la plus palpable de ces illusions, est la prétention de précéder les princes du sang, qui peuvent devenir nos maîtres à tous les instans, et qui en attendant le sont presque toujours, par leurs considérations, de tous nos proches. J’ai de la reconnoissance pour les cardinaux de ma maison, qui m’ont fait sucer avec le lait cette leçon par leur exemple ; et je trouvai une occasion assez heureuse de la débiter, le propre jour que je reçus la nouvelle de ma promotion. Châteaubriant, dont vous avez déjà vu le nom ci-devant, me dit, en présence d’une infinité de gens qui étoient dans ma chambre : « Nous ne saluerons plus les premiers présentement. » Ce qu’il disoit, parce que bien que je fusse très-mal avec M. le prince, et que je marchasse presque toujours fort accompagné, je le saluois, comme vous pouvez croire, partout où je le rencontrois, avec tout le respect qui lui étoit dû par tant de titres. Je lui répondis : « Pardonnez-moi, monsieur, nous saluerons toujours les premiers, et plus bas que jamais. À Dieu ne plaise que le bonnet rouge me fasse tourner la tête au point de disputer le rang aux princes du sang ! Il suffit à un gentilhomme d’avoir l’honneur d’être à leur côté. » Cette parole, qui a depuis, à mon sens, comme vous le verrez dans la suite, conservé en France le rang au chapeau, par l’honnêteté de M. le prince et par son amitié pour moi ; cette parole, dis-je, fit un fort bon effet, et elle commença à diminuer l’envie : ce qui est le plus grand de tous les secrets.

Je me servis encore pour cet effet d’un autre moyen. Messieurs les cardinaux de Richelieu et Mazarin, qui avoient confondu le ministériat dans la pourpre, avoient attaché à celle-ci de certaines hauteurs qui ne conviennent à l’autre que quand elles sont jointes ensemble. Il eût été difficile de les séparer en ma personne, au poste où j’étois à Paris. Je le fis de moi-même, en y mettant des circonstances qui firent qu’on ne le pouvoit attribuer qu’à ma modération ; et je déclarai ouvertement que je ne recevrois publiquement que les honneurs qui avoient toujours été rendus aux cardinaux de mon nom. Il n’y a que manière à la plupart des choses du monde. Je ne donnai la main à personne sans exception ; je n’accompagnai les maréchaux de France, les ducs et pairs, le chancelier, les princes étrangers, les princes bâtards, que jusqu’au haut de mon degré ; tout le monde fut très-content.

Le troisième expédient auquel je pensai fut de ne rien oublier de tout ce que la bienséance me pourroit permettre, pour rappeler tous ceux qui s’étoient éloignés de moi dans les différentes partialités. Il ne se pouvoit qu’ils ne fussent en bon nombre, parce que ma fortune avoit été si variable et si agitée, qu’une partie des gens avoit appréhendé d’y être enveloppée en de certains temps, et qu’une partie s’étoit opposée à mes intérêts en quelques autres. Ajoutez à ceux-là ceux qui avoient cru qu’ils pourraient faire leur cour à mes dépens. Je vous ennuierois si j’entrois dans ce détail, et je me contenterai de vous dire que M. de Bercy vint chez moi à minuit ; que je vis M. de Novion chez le père don Caronge, chartreux ; que je vis aux Célestins M. le président Le Coigneux. Tout le monde fut ravi de se raccommoder avec moi, dans un moment où la mître de Paris recevoit un aussi grand éclat de la splendeur du bonnet. Je fus ravi de me raccommoder avec tout le monde, en un instant où mes avances ne se pouvoient attribuer qu’à générosité. Je m’en trouvai très-bien ; et la reconnoissance de quelques-uns de ceux auxquels j’avois épargné le dégoût du premier pas m’a payé plus que suffisamment de l’ingratitude de quelques autres. Je maintiens qu’il est autant de la politique que de l’honnêteté de ceux qui sont les plus puissans de soulager la honte des moins considérables et de leur tendre la main quand ils n’osent eux-mêmes la présenter.

La conduite que je suivis avec application sur ces différens chefs que je viens de vous marquer convenoit en plus d’une manière à la résolution que j’avois faite de rentrer, autant qu’il seroit en mon pouvoir, dans le repos que les grandes dignités que la fortune avoit assemblées dans ma personne pouvoient, ce me sembloit, même assez naturellement me procurer.

Je vous ai déjà dit que l’incorrigibilité, si j’ose ainsi parler, de Monsieur m’avoit rebuté à un point que je ne pouvois plus seulement m’imaginer qu’il y eût le moindre fondement du monde à faire sur lui. Voici un incident qui vous fera connoître que j’eusse été bien aveuglé, si j’eusse été capable de compter sur la Reine.

Vous vous pouvez souvenir de ce que je vous ai dit d’une imprudence de mademoiselle de Chevreuse, à propos du personnage que je jouois de concert avec madame sa mère à l’égard de la Reine. Elle en mit de part sa fille contre mon sentiment, laquelle d’abord entendit très-bien la raillerie ; et je me souviens même qu’elle prenoit plaisir à me faire répéter la comédie de la Suissesse : c’est ainsi qu’elle appeloit la Reine. Il arriva un soir qu’y ayant beaucoup de monde chez elle, la plupart des gens se prirent rire ; et je ne sais à la vérité pourquoi je ne fis pas comme les autres. Mademoiselle de Chevreuse, qui étoit la personne du monde la plus capricieuse, le remarqua, et elle me dit qu’elle ne s’en étonnoit pas, après ce qu’elle avoit remarqué depuis quelque temps ; et ce qu’elle avoit remarqué, s’imaginoit-elle, étoit que j’avois beaucoup de refroidissement pour elle, et que j’avois même un commerce avec la cour dont je ne lui disois rien. Je crus d’abord qu’elle se moquoit, parce qu’il n’y avoit pas seulement ombre d’apparence à ce qu’elle me disoit ; et je ne connus qu’elle parloit tout de bon qu’après qu’elle m’eut dit qu’elle n’ignoroit rien de ce qu’un tel valet de pied de la Reine m’apportoit tous les jours. Il est vrai qu’il y avoit un valet de pied de la Reine qui, depuis quelque temps, venoit très-souvent chez moi : mais il est vrai aussi qu’il ne m’apportoit rien, et qu’il n’y venoit que parce qu’il étoit parent d’un de mes gens. Je ne sais par quel hasard elle sut cette fréquentation : je sais encore moins ce qui la put obliger à en tirer des conséquences. Enfin elle les tira ; elle ne put s’empêcher de murmurer et de menacer. Elle dit en présence de Seguin, qui avoit été valet de chambre de madame sa mère, et qui avoit quelques charges chez le Roi ou chez la Reine, que je lui avois avoué mille fois que je ne concevois pas comment l’on eût pu être amoureux de cette Suissesse. Enfin elle fit si bien par ses journées que la Reine eut vent que je l’avois traitée de Suissesse, en parlant à mademoiselle de Chevreuse. Elle ne me l’a jamais pardonné, comme vous le verrez dans la suite ; et j’appris que ce mot obligeant avoit été jusqu’à elle, justement trois ou quatre jours avant que M. le prince arrivât à Paris. Vous concevez aisément que cette circonstance, qui ne marquoit pas que j’eusse lieu d’espérer qu’il pût y avoir à l’avenir beaucoup de douceur pour moi à la cour, n’affoiblissoit pas les pensées que j’avois déjà de sortir d’affaire. Le lieu de la retraite n’étoit pas trop affreux : l’ombre des tours de Notre-Dame y pouvoit donner du rafraîchissement, et le chapeau de cardinal la défendoit encore du mauvais vent. J’en concevois les avantages, et je vous avoue qu’il ne tint pas à moi de les prendre : il ne plut pas à la fortune. Je reviens à ma narration.

Le 11 avril, M. le prince arriva à Paris, et Monsieur fut au devant de lui à une lieue de la ville.

Le 12, ils allèrent ensemble au parlement. Monsieur prit la parole d’abord qu’il fut entré, pour dire à la compagnie qu’il amenoit monsieur son cousin pour l’assurer qu’il n’avoit ni n’auroit jamais d’autre intention que celle de servir le Roi et l’État ; qu’il suivroit toujours les sentimens de la compagnie ; et qu’il offroit de poser les armes aussitôt que les arrêts qui ont été rendus par elle contre le cardinal Mazarin auroient été exécutés. M. le prince parla ensuite sur ce même ton ; et il demanda même que la déclaration publique qu’il en faisoit fût mise sur les registres.

M. le président Bailleul lui répondit que la compagnie recevoit toujours à honneur de le voir dans sa place ; mais qu’elle ne lui pouvoit dissimuler la sensible douleur qu’elle avoit de lui voir les mains teintes du sang des gens du Roi qui avoient été tués à Bleneau. Un vent s’éleva à ce mot du côté des bancs des enquêtes, qui faillit à étouffer par ses impétuosités le pauvre président Bailleul. Cinquante ou soixante voix le désavouèrent d’une volée ; et je crois qu’elles eussent été suivies de beaucoup d’autres, si M. le président de Nesmond n’eût interrompu et apaisé la cohue par la relation qu’il fit des remontrances qu’il avoit portées par écrit au Roi à Sully, avec les autres députés de la compagnie. Elles furent très-fortes et très-vigoureuses contre la personne et contre la conduite du cardinal. Le Roi leur fit répondre, par M. le garde des Sceaux, qu’il les considéreroit après que la compagnie lui auroit envoyé les informations sur lesquelles il vouloit juger lui-même. Les gens du Roi entrèrent dans ce moment, et ils présentèrent une déclaration et une lettre de cachet qui portoit cet ordre au parlement, avec celui d’enregistrer sans délai la déclaration par laquelle il étoit sursis à celle du 6 septembre, et aux arrêts donnés contre M. le cardinal. Les gens du Roi, qui furent appelés aussitôt, conclurent, après une fort grande invective contre le cardinal, à de nouvelles remontrances pour représenter au Roi l’impossibilité où la compagnie se trouvoit d’enregistrer cette déclaration, qui, contre toute sorte de règles et de formes, soumettoit à de nouvelles procédures judiciaires, susceptibles de mille contredits, la déclaration du monde la plus authentique et la plus revêtue de toutes les marques de l’autorité royale, et qui par conséquent ne pouvoit être révoquée que par une autre déclaration qui fût aussi solennelle, et qui eût les mêmes caractères. Ils ajoutèrent qu’il falloit que les députés se plaignissent à Sa Majesté de ce qu’on avoit refusé de lire les remontrances en sa présence ; qu’ils insistassent sur ce point, aussi bien que sur celui de ne point envoyer les informations que la cour demandoit ; et que l’on fît registre de tout ce qui s’étoit passé ce jour-là au parlement, dont la copie seroit envoyée à M. le garde des Sceaux. Voilà les conclusions que M. Talon donna avec une force et avec une éloquence merveilleuse. On commença ensuite la délibération, laquelle, faute de temps, fut remise au 13. L’arrêt suivit, sans aucune contestation, les conclusions : et il y ajouta que la déclaration qui avoit été faite par M. le duc d’Orléans et par M. le prince seroit portée au Roi par les députés ; que les remontrances et le registre seroient envoyés à toutes les compagnies souveraines de Paris, et à tous les parlemens du royaume, pour les convier de députer aussi de leur part ; et qu’assemblée générale seroit faite incessamment à l’hôtel-de-ville, à laquelle M. le duc d’Orléans et M. le prince seroient conviés de se trouver, et de faire les mêmes déclarations qu’ils avoient faites au parlement ; et que cependant la déclaration du Roi contre le cardinal Mazarin, et tous les arrêts rendus contre lui, seroient exécutés.

Les assemblées des chambres des 15, 17 et 18 ne furent presque employées qu’à discuter les difficultés qui se présentèrent pour le règlement de cette assemblée générale de l’hôtel-de-ville : par exemple, si Monsieur et M. le prince seroient présens à la délibération de l’hôtel-de-ville, ou s’ils se retireroient après avoir fait leurs déclarations ; si le parlement pouvoit ordonner l’assemblée de l’hôtel-de-ville, ou s’il devoit simplement convier le prevôt des marchands et les autres officiers de la ville, et quelques principaux bourgeois de chaque quartier, de s’assembler.

Le 19, cette assemblée se fit, à laquelle les seize députés du parlement se trouvèrent. Monsieur et M. le prince y firent leurs déclarations toutes pareilles à celles qu’ils avoient faites au parlement ; et après qu’ils se furent retirés, et que le procureur du Roi de la ville eut conclu à faire de très-humbles remontrances au Roi de vive voix et par écrit, contre le cardinal Mazarin, M. Aubry, président aux comptes, et le plus ancien conseiller de la ville, prit la parole pour dire qu’il étoit tard de commencer à délibérer, et qu’il étoit nécessaire de remettre l’assemblée au lendemain. Il avoit raison en toutes manières car sept heures étoient sonnées, et il avoit intelligence avec la cour.

Le 20, Monsieur et M. le prince allèrent au parlement, et Monsieur dit à la compagnie qu’il savoit que M. le maréchal de L’Hôpital, gouverneur de Paris, et M. le prévôt des marchands, avoient reçu une lettre de cachet qui leur défendoit de continuer l’assemblée ; que cette lettre n’étoit qu’une paperasse du Mazarin ; et qu’il prioit la compagnie d’envoyer chercher, sur l’heure, le prévôt des marchands et les échevins, et de leur enjoindre de n’y avoir aucun égard. On n’eut pas la peine de les mander : ils vinrent d’eux-mêmes à la grand’chambre pour y donner part de cette lettre de cachet, et pour dire en même temps qu’ils avoient indiqué une assemblée du conseil de la ville pour aviser à ce qu’il y auroit à faire. On opina, après les avoir fait sortir ; et on les fit rentrer aussitôt, pour leur dire que la compagnie ne désapprouvoit pas cette assemblée du conseil de ville, parce qu’elle étoit dans l’ordre et selon la coutume ; mais qu’elle les avertissoit qu’une assemblée générale, et faite pour des affaires de cette importance, ne devoit ni ne pouvoit être arrêtée par une simple lettre de cachet. On lut ensuite la lettre qui devoit être envoyée à tous les parlemens du royaume ; elle étoit courte, mais décisive et pressante. L’après-dînée du même jour, l’assemblée de l’hôtel-de-ville se fit, ainsi qu’elle avoit été résolue le matin par le conseil. Le président Aubry ouvrit celui des conclusions. Desnots, apothicaire, qui parla fort bien, ajouta qu’il falloit écrire à toutes les villes de France où il y avoit des parlemens ou évêchés, ou présidiaux, pour les inviter à faire une pareille assemblée et de pareilles remontrances contre le cardinal. Cet avis, qui fut supérieur de beaucoup ce jour-là, ayant été embrassé de plus de sept voix, fut le moindre en nombre dans l’assemblée suivante, qui fut celle du 22. Quelques-uns ayant dit que cette union des villes étoit une espèce de ligue contre le Roi, la pluralité revint à celui de M. le président Aubry, qui étoit de se contenter de faire des remontrances au Roi pour lui demander l’éloignement de M. le cardinal Mazarin, et le retour de Sa Majesté à Paris. Ce même jour messieurs les princes allèrent à la chambre des comptes, et ils firent enregistrer les mêmes protestations qu’ils avoient faites au parlement et à la ville. On y résolut aussi les remontrances contre le cardinal.

Le 23, Monsieur dit au parlement que l’armée du Mazarin s’étant saisie, sous prétexte de l’approche du Roi, de Melun et de Corbeil, contre la parole que le maréchal de L’Hôpital avoit donnée que les troupes ne s’avanceroient pas, du côté de Paris, plus près que de douze lieues, il étoit obligé de faire approcher les siennes. Il alla ensuite, accompagné de M. le prince, à la cour des aides, où les choses se passèrent comme dans les autres compagnies.

Quoique je vous puisse répondre de la vérité de tous les faits que je viens de poser à l’égard des assemblées qui se firent en ce temps-là, c’est-à-dire depuis le premier de mars jusqu’au 23 avril, parce qu’il n’y en a aucun que je n’aie vérifié moi-même sur les registres du parlement ou sur ceux de l’hôtel de-ville ; je n’ai pas cru qu’il fût de la sincérité de l’histoire que je m’y arrêtasse avec autant d’attention ou plutôt avec autant de réflexion que je l’ai fait, à propos des assemblées des chambres, auxquelles j’avois assisté en personne. Il y a autant de différence entre un récit que l’on fait sur des mémoires, quoique bons, et une narration de faits que l’on a vus soi-même, qu’il y en a entre un portrait auquel on ne travaille que sur des ouï-dire, et une copie que l’on tire sur les originaux : ce que j’ai trouvé dans ces registres ne peut tout au plus être que le corps. Il est au moins constant que l’on ne sauroit reconnoître l’esprit des délibérations, qui se discerne assez souvent beaucoup davantage par un coup d’œil, par un mouvement, par un air qui est même quelquefois presque imperceptible, que par la substance des choses qui paroissent les plus importantes, et qui sont toutefois les seules dont les registres nous doivent tenir compte. Je vous supplie de recevoir cette observation comme une marque de l’exactitude que j’ai et que j’aurai toute ma vie à ne manquer à rien de ce que je dois à l’éclaircissement d’une matière sur laquelle vous m’avez commandé de travailler. Le compte que je vais vous rendre de ce que je remarquois en ce temps-là du mouvement intérieur de toutes les machines est plus de mon fait, et j’espère que je serai assez juste.

Il n’est pas possible qu’après avoir ville consentement uniforme de tous les corps conjurés à la ruine de M. le cardinal Mazarin, vous ne soyez très-persuadée qu’il est sur le bord du précipice, et qu’il faut un miracle pour le sauver. Monsieur le fut au sortir de l’hôtel-de-ville, et il me fit la guerre, en présence du maréchal d’Etampes et du vicomte d’Autel, de ce que j’avois toujours cru que le parlement et la ville leur manqueroient. Je confesse encore, comme je lui confessois à lui-même ce jour-là, que je m’étois trompé sur ce point, et que je fus surpris, au delà de tout ce que vous pouvez vous en imaginer, du pas que le parlement avoit fait. Ce n’est pas que la cour n’y eût contribué autant qu’il étoit en elle ; et l’imprudence du cardinal, qui y précipita cette compagnie malgré elle, fut certainement plus que suffisante pour m’épargner ou du moins pour me diminuer la honte que je pouvois avoir de n’avoir pas eu bonne vue. Il s’avisa de faire commander au nom du Roi, au parlement, de révoquer et d’annuler, à proprement parler, tout ce qu’il avoit fait contre le Mazarin, justement au moment que M. le prince arrivoit à Paris ; et l’homme du monde qui gardoit le moins de mesure et le moins de bienséance à l’égard des illusions, et qui les aimoit le mieux là où elles n’étoient pas nécessaires, affecta de ne s’en point servir dans une occasion où je crois qu’un fort homme de bien eût pu les employer sans scrupule.

Il est certain que rien n’étoit plus odieux en soi-même que l’entrée de M. le prince dans le parlement, quatre jours après qu’il eut taillé en pièces quatre quartiers de l’armée du Roi ; et je suis convaincu que si la cour ne se fût point pressée et qu’elle fût demeurée dans l’inaction, à cet instant tous les corps de la ville, qui dans la vérité commençoient à se lasser de la guerre civile, auroient été fatigués dès le suivant d’un spectacle qui les engagoient même ouvertement. Cette conduite eût été sage : la cour prit la contraire ; elle ne manqua pas aussi de faire un contraire effet : car, en désespérant le public, elle l’accoutuma en un quart-d’heure à M. le prince. Ce ne fut plus celui qui venoit de défaire les troupes du Roi : ce fut celui qui venoit à Paris pour s’opposer au retour du cardinal. Ces espèces se confondirent même dans l’imagination de ceux qui eussent juré qu’elles ne s’y confondoient pas. Elles ne se démêlent, dans les temps où tous les esprits sont prévenus, que dans les spéculations de philosophes qui sont peu en nombre, et qui de plus y sont toujours comptés pour rien, parce qu’ils ne mettent jamais en main la hallebarde. Tous ceux qui crient dans les rues, tous ceux qui haranguent dans les compagnies, se saisissent de ces idées. Voilà justement ce qui arriva par l’imprudence du Mazarin ; et je me souviens que Bachaumont, que vous connoissez, me disoit, le propre jour que les gens du Roi présentèrent au. parlement la dernière lettre de cachet dont je vous ai parlé, que le cardinal avoit trouvé le secret de faire Boislève frondeur. C’étoit tout dire : car ce Boislève étoit le plus décrié de tous les mazarins.

Vous croyez sans doute que Monsieur et M. le prince ne manquèrent, pas cette occasion de profiter de l’imprudence de la cour. Nullement. Ils n’en manquèrent aucune de corrompre, pour ainsi parler, celle-là ; et c’est particulièrement en cet endroit où il faut reconnoître qu’il y a des fautes qui ne sont pas tout-à-fait humaines. Vous ne serez pas surprise de celles de Monsieur ; mais je le suis encore de celles de M. le prince, qui étoit dès ce temps-là l’homme du monde naturellement le moins propre à les commettre. Sa jeunesse, son élévation, son courage, lui pouvoient faire faire de faux pas d’une autre nature, desquels on n’eût pas eu sujet de s’étonner. Ceux que je vais marquer ne pouvoient avoir aucun de ces principes; on leur en peut encore moins trouver dans les qualités opposées, desquelles homme qui vive ne l’a jamais pu soupçonner. Et c’est ce qui me fait conclure que l’aveuglement dont l’Écriture nous parle si souvent est même humainement sensible et palpable quelquefois dans les actions des hommes. Y avoit-il rien de plus naturel à M. le prince, ni plus selon son inclination, que de pousser sa victoire et d’en prendre les avantages qu’il eût pu apparemment tirer, s’il eût continué à faire agir en personne son armée ? Il l’abandonna, au lieu de prendre son parti, à la conduite de deux novices ; et les inquiétudes de M. de Chavigny, qui les rappelle à Paris sur un prétexte ou sur une raison qui au fond n’avoit point de réalité, l’emportent dans son esprit sur son inclination toute guerrière, et sur l’intérêt solide qui l’eût dû attacher à ses troupes. Y avoit-il rien de plus nécessaire à Monsieur et à M. le prince que de fixer, pour ainsi dire, le moment heureux dans lequel l’imprudence du cardinal venoit de livrer à leur disposition le premier parlement du royaume, qui avoit balancé à se déclarer jusque là, et qui avoit fait de temps en temps des démarches, non pas seulement mais ambiguës ? Au lieu de se servir de cet instant, en achevant d’engager tout-à-fait le parlement, ils lui font de ces sortes de peurs qui ne manquent jamais de dégoûter dans les commencemens et d’effaroucher dans les suites les compagnies ; et ils lui laissent de ces sortes de libertés qui les accoutument d’abord à la résistance, et qui la produisent infailliblement à la fin. Je m’explique : aussitôt que l’on eut la nouvelle de l’approche de M. le prince, il y eut des placards affichés, et une grande émeute sur le Pont-Neuf. Il n’y eut point de part, il n’y en put même avoir car il n’étoit point encore arrivé à Paris lorsqu’elle arriva ; ce qui fut le 2 de mars 1652. Il est vrai qu’elle fut commandée par Monsieur, comme je vous l’ai dit dans un autre lieu.

  1. Dona Olympia Maldachini, femme du seigneur Pamfilio, frère du pape Innocent x, qu’elle gouverna durant son pontificat. Les plaintes et les railleries qu’on fit du Pape à cette occasion l’obligèrent à éloigner cette dame. Dona Olympia mourut de la peste à Orviette en 1656. (A. E.)
  2. Jean-Baptiste Pamfilio, élu pape en 1643, à la place d’Urbain VIII, et mort en janvier 1655. (A. E.)
  3. Femme du prince Camillo, neveu du Pape. (A, E.)
  4. L’exemple du maréchal de Clermont : En 1358 pendant la captivité du roi Jean, Étienne Marcel, prévôt des marchands, souleva le peuple de Paris contre le Dauphin ; depuis Charles V, chargé de la régence. Les révoltés, ayant à leur tête le prévôt, pénétrèrent dans l’appartement du Dauphin, et massacrèrent en sa présence Robert de Clermont, maréchal de Normandie ; et Jean de Conflans, maréchal de Champagne.
  5. Catherine-Henriette d’Angennes, fille aînée de Charles d’Angennes, baron de La Loupe. Elle devint fameuse par ses galanteries, et c’est l’une des héroïnes de l’Histoire amoureuse des Gaules. (A. E.)
  6. M. le prince de Tarente : Henri-Charles de La Trémouille, mort en 1672.
  7. François d’Epinay, marquis de Saint-Luc, lieutenant de roi en Guienne, gouverneur de Périgord ; mort en 1670. (A. E.)
  8. De Nettancourt de Vaubecour. (A. E.)
  9. Le marquis de Clinchamp. (A. E.)
  10. Charles d’Escoubleau, marquis de Sourdis, gouverneur de l’Orléanais ; mort en 1666, âgé de soixante-dix-huit ans. (A. E.)
  11. On fit la chanson suivante sur l’entrée de Mademoiselle dans Orléans
    Or, écoutez, peuples de France,
    Comme en la ville d’Orléans
    Mademoiselle, en assurance,
    A dit « Je suis maître céans. »
    On lui voulut fermer la porte ;
    Mais elle passa par un trou,
    S’écriant souvent de la sorte.
    « Il ne m’importe pas par où. »
    Deux jeunes et belles comtesses,
    Ses deux maréchales de camp,
    Suivirent Sa Royale Altesse :
    Dont on faisoit un grand cancan.
    Fiesque, cette bonne comtesse,
    Alloit baisant les bateliers,
    Et Frontenac (quelle détresse !)
    Y perdit un de ses souliers.
    (A. E.)
  12. Dans l’antichambre de Mademoiselle : Ce ne fut pas dans l’antichambre de la princesse que ce démêlé eut lieu, mais dans un cabaret du faubourg d’Orléans, où elle étoit allée présider un conseil de guerre.