Mémoires d’un cambrioleur retiré des affaires/Partie 2/Chapitre XXV
XXV
où j’éprouve une dernière surprise
Édith et moi nous habitâmes une huitaine la petite mansarde de la rue Girardon… C’était charmant… Édith était gaie comme un oiseau, et moi, je me sentais revivre. Quelquefois, quand venait la nuit, nous nous accoudions sur l’appui de la fenêtre, et regardions Paris qui, dans la brume, avec ses lumières, ressemblait à un lac immense dans lequel se refléteraient les étoiles. Autrefois, il nous avait fait horreur, ce grand et beau Paris, mais à présent, nous l’aimions, car c’était là qu’avait enfin commencé notre bonheur…
Un soir que nous venions d’ébaucher des projets d’avenir, comme Édith s’étonnait que je fusse devenu riche tout d’un coup, je lui dis, en lui prenant les mains :
— La malchance finit toujours par abandonner sa proie, Édith, et l’homme qui a beaucoup souffert trouve ici-bas sa récompense… Je ne sais si, dans l’autre monde, on nous demandera compte de nos actes, mais ce qu’il y a de certain, c’est que, sur cette terre, il y a déjà une justice…
— Edgar, me dit ma maîtresse, vous vous exprimez en ce moment comme un pasteur… et j’aime à vous entendre parler ainsi.
— Plût au ciel que j’eusse été un pasteur… au lieu d’être ce que j’ai été… un cambrioleur !
— Mais, en ce cas, Edgar, vous ne m’auriez pas connue…
Qui sait ?… Il y a des êtres qui sont nés pour se rencontrer… Je vous disais donc qu’il arrive toujours un moment où nos maux doivent prendre fin… et ce moment est arrivé… après l’affreux malheur qui m’a frappé si cruellement et m’a, pendant de longs mois, retranché du nombre des vivants… Quand je vous ai retrouvée à Londres, dans ce music-hall de Pennington, j’avais décidé de m’embarquer pour l’Amérique du Sud… Mais le hasard qui est notre grand maître — appelons-le la Providence, si vous préférez, — n’a point permis que je quittasse l’Europe… Le bateau qui devait m’emmener en Amérique, a eu subitement une avarie, et, comme je voulais fuir Londres le plus vite possible, je me suis fait engager sur le premier bâtiment venu… et savez-vous où il allait ce bâtiment ?… Vous ne devineriez jamais, Édith… Il allait en Hollande… Peut-être comprenez-vous déjà…
— Oui… oui, s’écria ma maîtresse… je comprends… en Hollande, vous avez retrouvé votre oncle… et…
— Non, je ne l’ai pas retrouvé… Le pauvre homme était mort quand je suis arrivé, mais il avait laissé un testament en bonne et due forme…
— Et vous avez hérité ?
— De toute sa fortune… oui, Édith.
— Alors, vous avez pu prouver que vous étiez réellement Edgar Pipe…
— Oui… j’ai pu le prouver… La vieille gouvernante de mon cher oncle, que j’ai d’ailleurs récompensée largement, a témoigné en ma faveur devant les officiers ministériels et les banquiers chez lesquels la fortune du de cujus était déposée…
— Du de cujus, dites-vous, je croyais que votre oncle s’appelait Chaff ?
— Oui… Édith, il s’appelait Chaff… de cujus est un terme de droit qui sert à désigner le défunt dont on hérite… Bref, j’ai hérité… J’ai aujourd’hui une fortune qui nous permettra de mener la grande vie…
— C’est bien vrai, tout ce que vous me racontez là ?… Vous pouvez tout m’avouer, Edgar, vous savez bien que je ne vous trahirai pas… Vous avez vendu votre diamant, n’est-ce pas ?
Pour toute réponse, je tirai le Régent de ma poche et le montrai à ma maîtresse, en disant :
— Vous faut-il une preuve ?
Édith, toute confuse, se jeta dans mes bras :
— Oh ! pardonnez-moi, Edgar… Je n’aurais pas dû vous parler ainsi… Je suis folle… Mais voulez-vous me permettre de vous poser encore une question ?…
— Parlez…
— Ce diamant ?… Comment est-il tombé entre vos mains ?…
— Je l’ai volé, Édith.
— Oh !… et vous êtes sûr qu’il est vrai ?
— Regardez-le, plutôt.
Et, m’approchant de la petite lampe qui brûlait au fond de la pièce, je fis miroiter le Régent aux yeux de ma maîtresse… La pauvre alouette était éblouie, fascinée…
— Qu’il est joli ! s’écria-t-elle, en se rapprochant doucement de moi.
— Je vous crois, Édith… Ce diamant est unique au monde… Songez donc, il a appartenu à la Couronne de France… Avec le Ko-I-Noor que les Anglais ont trouvé jadis, en pillant les trésors des Rajahs de Lahore, c’est un des plus beaux que l’on connaisse.
— Et vous allez le vendre ?
— Y songez-vous, Édith ?… Vous oubliez que je suis maintenant un honnête homme…
— C’est vrai… Alors, vous allez le rendre.
— Oui…
— C’est dommage !… Vous pourriez le faire scier… c’est facile, je crois… et vous obtiendriez ainsi quatre ou cinq éclats que l’on pourrait monter en boucles d’oreilles, en bagues et en pendentifs.
— Et qui porterait ces boucles d’oreilles, ces bagues et ces pendentifs ?
— Mais… moi, Edgar… Vous savez bien que j’ai toujours aimé les diamants.
Je regardai ma maîtresse avec sévérité, puis, laissai d’un ton grave tomber ces mots :
— C’est vous, Édith, qui osez dire une chose pareille ?…
Il y eut un silence… Je jouais merveilleusement mon rôle d’honnête homme outragé… Édith baissait la tête, et je voyais sa poitrine se soulever, à petits coups saccadés. Elle pleurait.
— Allons ! lui dis-je en l’embrassant, oublions tout cela… Vous en aurez des bijoux… mais je ne les aurai pas volés… Il y a des diamants qui portent malheur, et le Régent est de ceux-là… Je ne serai vraiment tranquille que lorsque je l’aurai reporté au Louvre…
— Et si l’on vous arrêtait, fit Édith, en me regardant de ses grands yeux humides ?
— Non… je n’ai rien à craindre… j’ai tout prévu.
J’avais tout prévu, en effet, mais l’objection d’Édith venait cependant de me troubler… Toute la nuit, je réfléchis, et pesai, comme on dit, « le pour et le contre »…
M’arrêter le pouvait-on ?
Je ne serais pas assez stupide pour avouer que j’étais le voleur du Régent, et que n’ayant pu le vendre, je venais le restituer à son propriétaire, c’est-à-dire à l’État… J’inventerais une histoire quelconque je ne suis jamais en peine pour inventer et ma démarche me vaudrait certainement les félicitations de l’administration du Musée… Qui sait même si l’on ne m’offrirait pas une récompense… que je refuserais, bien entendu, car lorsque l’on se met à devenir honnête, il faut le demeurer jusqu’au bout…
Le matin, quand je me levai, j’avais préparé le petit discours que je tiendrais au haut fonctionnaire qui voudrait bien me recevoir… J’avais prévu toutes les questions que l’on pourrait me poser et j’étais sûr d’y répondre sans embarras.
J’embrassai tendrement Édith, en lui donnant rendez-vous pour midi et demi à la station des omnibus du Pont des Saints-Pères, et j’allai chez moi faire toilette. Je revêtis mon plus beau complet, me pomponnai, me bichonnai, puis, après m’être longuement regardé dans la glace je pris mon chapeau et mes gants et descendis.
Une fois dans la rue, je hélai un taxi :
— Au musée du Louvre ! dis-je au chauffeur.
— D’quel côté ? demanda l’homme.
— Côté du quai…
— Bon…
Durant tout le trajet, je repassai dans ma tête le petit speech que j’allais débiter, mais au fur et à mesure que j’approchais du but, je me sentais de plus en plus inquiet…
Si tout de même ?…
Mais non, je me forgeais des idées stupides… Depuis quand arrête-t-on un homme qui vient restituer un objet volé ?… Et puis… et puis !… Ah ! décidément, je devenais bien timoré depuis que j’étais entré dans la peau d’un honnête homme… Je perdais tous mes moyens… je ne me reconnaissais plus…
Quand je descendis de taxi devant le Louvre, j’avais retrouvé tout mon aplomb. Je réglai le chauffeur et m’engageai dans la cour du Carrousel… L’idée m’était venue tout d’abord, de ne rendre directement au cabinet du Conservateur, mais il n’était que dix heures et demie, et je savais qu’à Paris, comme à Londres, les fonctionnaires de l’État viennent très tard à leur bureau… quand ils y viennent.
Je résolus donc d’entrer au musée, en attendant onze heures… et j’éprouvai, je l’avoue, une petite émotion en pénétrant dans ces salles que j’avais parcourues trois ans et demi auparavant, la veille de Noël, avec, dans ma poche, un diamant qui ne ressemblait en rien à celui dont j’allais m’emparer…
Je montai au premier étage, longeai la galerie française du XVIIIe siècle, la salle des Primitifs, et arrivai au Salon Carré… Mon émoi grandissait. Je m’arrêtai un instant devant le Repas chez Simon le Pharisien, par Paul Véronèse, puis allai me planter devant la Mona Lisa, de Léonard de Vinci… Les visiteurs étaient assez rares, car depuis qu’il faut payer pour entrer dans les musées, nombre de gens s’abstiennent d’y venir… Il y avait là quelques Anglais, en complets gris ou beiges, et une dizaine d’Anglaises avec des chapeaux ridicules.
De temps à autre, on voyait des hommes, jeunes pour la plupart, coiffés de grands feutres mous, qui traversaient la salle, en habitués de la maison, et se répandaient dans la grande galerie des écoles étrangères… Des femmes d’âge mûr, le nez chevauché de lunettes, arrivèrent bientôt, munies, comme les hommes, de boîtes de couleurs. Tous ces gens s’installaient le long de la grande galerie et dressaient leurs chevalets. Les gardiens, empressés, sortaient des placards ménagés dans les plinthes des toiles où s’étalaient des ébauches plus ou moins avancées, les unes fort réussies, les autres hideuses ou ridicules.
Soudain, une bande d’étrangers, conduits par un interprète d’agence, fit irruption dans le Salon Carré. Les tableaux ne semblaient guère les intéresser, sauf les « Noces de Cana » qui, par leur dimension, étonnent toujours les profanes (songez donc, une toile de 6 m. 66 de haut sur 9 m. 90 de large). Je me mêlai aux groupes, qui bientôt arrivaient dans la salle où sont exposés les diamants de la Couronne.
Au centre de la galerie, la vitrine que je connaissais bien, hélas ! ne manqua pas d’attirer leur attention. Mes touristes s’arrêtaient devant ces merveilles et les contemplaient avec des yeux de convoitise… Les femmes surtout étaient éblouies… Et les cris d’admiration se croisaient à la vue des solitaires reposant sur leurs écrins de peluche blanche, tandis que l’interprète psalmodiait, d’une voix de pasteur :
— Voici les diamants de la Couronne… Le Régent, le plus beau diamant connu… il pèse cent trente-six carats, c’est-à-dire environ vingt-huit grammes, et est estimé de douze à quinze millions…
Je ne pus m’empêcher de sourire, en voyant tous ces badauds s’extasier devant une pierre fausse, car l’administration du Louvre avait, comme je m’en doutais, remplacé par un fac-similé le diamant que j’avais dans ma poche. Je dus reconnaître cependant que l’imitation était parfaite, et faisait le plus grand honneur au talent de l’artiste qui avait taillé ce « strass ».
— Cette épée est celle de Charles X, continuait l’interprète, la garde et la poignée sont en or ciselé. Remarquez, messieurs et dames, que tous les dessins que vous voyez sur la garde et la coquille sont faits de pierres enchâssées…
Des murmures approbateurs soulignaient la diction du guide, et couvraient par instants sa voix.
J’éprouvais une joie secrète à suivre cette foule de curieux qui bayaient d’admiration en contemplant un diamant faux… Mais il n’y avait donc pas un connaisseur parmi tous ces gens-là !…
Onze heures sonnèrent à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et le timbre vibrant de cette cloche, qui me rappelait ma triste nuit de Noël, me rappela aussi que j’avais une démarche à accomplir…
Je m’approchai d’un gardien et lui demandai où se trouvait le cabinet du directeur.
— Oh ! monsieur, répondit l’homme, le Directeur vient bien rarement, mais si vous voulez voir le Conservateur de service… il est peut-être là… Est-ce pour une affaire personnelle ?
— Oui…
— Veuillez me suivre, je vais vous conduire.
Tout en emboîtant le pas au gardien, je pensais à part moi : « C’était peut-être celui-là qui était de garde dans la salle des Antiquités Égyptiennes, la nuit où j’ai volé le Régent… »
Nous suivîmes une galerie, puis une autre, et arrivâmes enfin dans un couloir où s’ouvraient plusieurs portes capitonnées. Un gardien en manches de chemise était en train de brosser sa redingote devant une fenêtre.
— Heurtebize, dit mon guide, voici un monsieur qui voudrait parler au Conservateur pour une affaire personnelle.
Le nommé Heurtebize endossa vivement sa redingote, et s’avançant vers moi :
— Si monsieur veut bien me donner sa carte…
Je fouillai dans mon portefeuille, mais je n’y trouvai point de carte, bien entendu, car j’avais oublié — on ne pense pas à tout — de faire graver une centaine de bristols au nom de James Bruce…
Le brave fonctionnaire voyant mon embarras me conduisit vers une petite table sur laquelle je trouvai des formules imprimées… J’inscrivis mon nom sur une de ces feuilles…
— Veuillez attendre, monsieur, dit le gardien.
Dix minutes après, j’étais devant M. le Conservateur, un petit vieillard très affable, qui était assis devant un grand bureau de chêne encombré de revues et de journaux. Il se souleva à demi sur son fauteuil et m’invita à m’asseoir.
— Monsieur, lui dis-je, je viens ici accomplir un devoir…
Il me regarda d’un air étonné.
— Oui… repris-je… un devoir… Il y a trois ans et demi, un misérable s’est rendu coupable d’un vol… À son lit de mort, il a tout avoué… et m’a prié de rapporter au Musée du Louvre l’objet qu’il avait dérobé…
— Et quel est cet objet ? demanda le Conservateur dont les yeux s’étaient allumés.
— Voici, dis-je, en présentant le Régent à mon interlocuteur.
Celui-ci le prit, le posa sur sa table sans même l’examiner, puis me dit en souriant :
— Je vous remercie, monsieur… La démarche que vous venez de faire auprès de moi vous honore… mais permettez-moi de vous dire que ce diamant n’est pas le Régent…
— Pourtant ! Monsieur…
— Non… ce n’est pas le Régent… Le Régent n’est jamais sorti du Louvre…
— Cependant… ce diamant ?
— Est faux, monsieur… c’est un vulgaire strass, merveilleusement travaillé, il faut le reconnaître, mais qui ne vaut pas plus de cinq à six cents francs… Je le connais bien, car c’est moi-même qui l’ai commandé à un tailleur de pierres fines de Paris… Il y a trois ans… ou plutôt non, trois ans et demi, la châsse dans laquelle sont enfermés les diamants de la Couronne, et qui, comme vous le savez peut-être, descend chaque soir dans les sous-sols, cette châsse ne fonctionnait plus… Comme la réparation pouvait durer plusieurs semaines, l’administration du Louvre, par prudence, a cru devoir, en secret, remplacer le Régent par un diamant faux… et elle a sagement agi, vous en conviendrez, puisque, sans cette précaution, le Régent eût disparu… Je ne vous en remercie pas moins, monsieur, votre démarche est celle d’un galant homme.
Je ne trouvais rien à dire tant j’étais stupéfait… Pour une surprise, c’en était une, et une belle !…
Le Conservateur continuait :
— Le voleur, qui, à son lit de mort, vous a confié ce faux diamant, avait sans doute essayé de le vendre ?…
— Peut-être… mais il n’en a pas soufflé mot. Il m’a dit simplement qu’il voulait, avant de mourir, libérer sa conscience…
— Voilà un vol audacieux qui n’aura guère rapporté à son auteur… Quel était cet homme ?
— Un Anglais, du nom de Spring, qui était détenu à la prison de Pentonville… Il faut vous dire, monsieur, que je suis inspecteur des prisons, et que, comme tel, je puis m’entretenir avec les détenus… Maintenant, ce Spring a sans doute été arrêté, avant d’avoir pu proposer le diamant à quelque lapidaire… S’il avait su qu’il était faux, il me l’eût certainement avoué… Je ne suppose pas qu’un homme près de quitter la vie s’amuse à jouer les Mark Twain…
— Je ne le suppose pas non plus…
Il y eut un silence.
Le Conservateur reprit :
— Maintenant, nous avons deux faux Régent, car j’en avais fait tailler un autre… toujours par précaution… S’il vous était agréable, monsieur, de conserver celui que vous venez de me rapporter, je me ferais un plaisir de vous l’offrir.
— Merci… Qu’en ferais-je ?…
— Je n’insiste pas…
L’entrevue prit fin sur ces mots. Je sortis complètement ahuri…
Ainsi, ce diamant qui avait, c’est le cas de le dire, empoisonné ma vie… ce diamant était faux !!! Si je n’avais pas eu la chance de rencontrer Richard Stone, je serais aujourd’hui plus misérable que devant !
Avouez tout de même que l’administration du Louvre est vraiment par trop facétieuse. Elle expose des richesses aux yeux des badauds… excite les convoitises, et qu’offre-t-elle aux audacieux qui risquent le plus hardi des cambriolages : un diamant faux !…
Mes compatriotes ont la réputation d’être des humoristes, mais je crois que les Français ne le sont pas moins… Je me suis aperçu aussi qu’ils n’étaient pas très connaisseurs, puisque le bijoutier de Rouen à qui s’était adressé le vieil escroc rencontré dans le train, avait paru s’extasier sur la beauté d’une pierre fausse. Manzana, lui aussi, s’y était laissé prendre…
Cette aventure m’a complètement désillusionné… et j’en suis arrivé à croire que les diamants en toc font autant d’effet que les vrais.
À quoi bon tenir tant à ces maudits cailloux qui font commettre les pires folies !…
— Tout dans la vie n’est qu’illusion, hors l’amour… et les bank-notes… et encore, l’amour !… Je tiens les bank-notes… et je les tiens bien… Quant à l’amour, nous verrons… S’il me trahissait un jour, aurais encore pour me consoler de jolis petits papiers soyeux, aussi doux à caresser qu’une chevelure de femme…
Je sais que certains vont se gausser de moi, mais je ne m’en formalise pas, puisque je suis le premier à rire aujourd’hui de ma déconvenue.
Bien que les mémoires, si l’on s’en tient à la formule classique, ne comportent point d’épilogue, je crois cependant devoir ajouter quelques lignes à ce long récit de ma vie…
Edgar Pipe n’existe plus… James Bruce non plus… J’ai foi, comme le grand Balzac, en l’influence heureuse ou néfaste de certains noms… J’ai donc pris un pseudonyme… un pseudonyme ronflant, car le millionnaire qui se respecte ne peut afficher un nom vulgaire. Ce nom, vous le connaissez tous, et le voyez souvent dans les chroniques mondaines des journaux, mais je me garderai bien de le dévoiler ici… on comprendra pourquoi.
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère…
Qu’il suffise de savoir que je cherche à racheter par une existence exemplaire les fautes de jadis… Je suis devenu ce que l’on peut vraiment appeler un gentleman, et ma chère Édith est la plus fidèle et la plus adorable des épouses — car nous sommes mariés maintenant.
Je vis au milieu du luxe, mais comme je me rappelle mes tristes débuts, je sais être charitable au besoin.
Ah ! C’est tout de même bon d’être un honnête homme ! Il est vrai que c’est si facile d’être honnête quand on est riche !…