Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans/T1-02

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Auguste Brancart (I et IIp. 13-28).

Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre

CHAPITRE II.

LA FEUILLE À L’ENVERS.





L es hommes sortirent pendant qu’on préparait le repas. Le chanoine, grondeur, emmena sa nièce ; l’impérieuse loi de la nécessité appela la vieille dame hors de la salle ; Lucile, par un premier mouvement, voulut suivre sa grand’mère, mais un second mouvement la retint. Elle eut la curiosité de savoir comment Alexandre pourrait excuser sa longue promenade du matin. Le jeune officier, en homme consommé, lorgnant du coin de l’œil la pauvre ingénue, restait devant la glace occupé à rétablir dans sa parure un ordre qui n’y était plus. Il n’était pas d’ailleurs indifférent au plaisir de s’examiner dans son joli habit de sous-lieutenant.

Alexandre avait dans la physionomie je ne sais quoi de fier et de gracieux qui charmait au premier abord. Il était franc par de là toute expression, excepté avec les femmes. Que d’hommes lui ressemblent de ce côté ! Son œil était vif, expressif, ses dents belles, la jambe bien tournée, sa taille haute et dégagée, peu de cheveux, de beau sourcils, une bouche bien meublée. Incapable de trahir son honneur, il lui eût sacrifié sa vie ; d’une gaîté aimable, point de hauteur dans le caractère, ayant au contraire trop de penchant à la familiarité ; mais bon, mais sensible, et adoré de tous ceux qui l’entouraient : tel était Alexandre d’Oransai.

Pendant que je fais son portrait j’oublie Lucile qui, debout, appuyée contre une fenêtre, faisait semblant de regarder la grande route, tandis qu’elle ne s’occupait que du bel officier. Alexandre cependant mettant fin à sa toilette, s’approcha de la fenêtre, et voulut causer avec Lucile ; celle-ci croyant ne lui lancer qu’une épigramme lorsque dans le fait elle lui découvrait ses sentiments, lui dit avec intention : „À quoi vous amusez-vous, monsieur ? allez trouver madame d’Hecmon : vous avez sans doute à lui dire des choses dont vous n’avez pas eu le temps de lui parler durant les deux heures que vous avez passées ensemble !” J’interromps ici ma narration pour donner un conseil aux femmes : Ne dites jamais à celui à qui vous n’avez point découvert votre amour, allez vers une telle, car c’est lui dire, j’en suis jalouse et je ne veux pas que vous me quittiez : soit dit en passant, je reprends mon discours.

ALEXANDRE, affectant un air d’ingénuité bien propre
à tromper un jeune cœur.

Ô ! mon Dieu ! qu’aurais-je à lui dire ? c’est une femme si bavarde qu’elle ne vous laisse pas le temps de lui parler.

LUCILE.

Votre conversation a cependant été bien longue ?

ALEXANDRE.

C’est qu’elle a voulu me donner une leçon de botanique.

LUCILE.

Voyez ! Je ne l’eusse point crue aussi savante. Mais comment a-t-elle pu faire pour se salir le dos ?

ALEXANDRE.

Dans la chaleur de la démonstration, elle a voulu faire une nouvelle expérience en regardant les feuilles à l’envers, et voilà d’où vient que la verdure l’a tachée.

LUCILE.

Les feuilles à l’envers ! Je ne les ai jamais vues ; cela doit être bien curieux ?

ALEXANDRE.

Si j’en trouve l’occasion, je me charge de vous procurer ce plaisir ; mais changeons de conversation. Vous avez dit dans la voiture, tantôt, que vous voudriez vous voir mariée ?

LUCILE.

Hélas ! oui, j’en aurais bien bonne envie.

ALEXANDRE.

Avez-vous par hasard déjà fait un choix ?

LUCILE rougissant.

Hier encore j’aimais bien mon petit cousin ; mais il me semble qu’aujourd’hui j’aimerais mieux un officier.

ALEXANDRE, à part, faisant semblant de ne pas
s’apercevoir de ce que ces paroles ont de flatteur pour lui.

Ah ! il y a un petit cousin ; ils se fourrent partout. (À Lucile.) Et ce petit cousin est-il bien joli ?

LUCILE.

Oh ! oui.

ALEXANDRE.

Et qu’est-ce qu’il vous dit ?

LUCILE.

Il me répète toujours qu’il m’aime.

ALEXANDRE.

Et puis ?

LUCILE.

Il me serre la main, mais pas si fort comme vous le faites.

ALEXANDRE.

Ensuite ?

LUCILE.

Nous nous promenons ensemble.

ALEXANDRE.

Quoi ! il ne vous embrasse pas ainsi que je le fais ?

LUCILE.

Non.

ALEXANDRE.

Sa main ne va pas ici et puis là ? (et la main d’Alexandre, prenant goût aux voyages, allait partout).

LUCILE, palpitant.

Assurément non. Vous êtes bien plus aimable.

Elle disait, et la conversation s’animait. Déjà les yeux de l’ingénue brillaient d’un feu qui ne leur était pas ordinaire ; déjà Alexandre, en habile officier, visitait les environs de la place avant d’attaquer la citadelle. Déjà le canon s’avançait, déjà… lorsqu’on entendit du bruit. „Ah ! mon Dieu, s’écria Lucile, qui vit Alexandre faire sa retraite, on ne peut point être tranquille ! Vous verrez que vous n’aurez pas le temps de m’apprendre comme on aime, et que je ne pourrai l’enseigner à mon petit cousin.”

„Malepeste, disait tout bas Alexandre, les heureuses dispositions ! Puis s’adressant à Lucile : ce soir, quand tout le monde sera couché, si vous vouliez m’ouvrir la porte de votre chambre, nous pourrions causer ensemble sans faire du bruit ?” — „Rien ne nous sera plus facile, répliqua la chercheuse d’esprit ; car ma grand’mère, outre qu’elle est sourde, dort profondément comme une marmotte.” — À ce soir donc,” dit Alexandre en donnant à sa jeune victime le baiser le plus significatif et le plus incendiaire !…

C’était la grand’mère qui rentrait. Assurément la chaste dame ne s’imaginait pas que son sommeil dût favoriser des projets auxquels elle eût applaudi dans son jeune âge, et qu’aujourd’hui elle n’envisage plus qu’avec une sainte horreur.

Le chanoine revint aussi accompagné de sa nièce, qui avait changé de linge ; à l’aspect de l’abbé un nouveau cri s’élève. L’imprudent ! il avait, sans doute pour de bonnes causes, retroussé sa soutane avec deux épingles ; et par une étourderie impardonnable, sa culotte ayant le pont-levis abaissé, laissait apercevoir… Miséricorde ! s’écria la bonne dame, est-ce satan que je vois ? et le chanoine de s’enfuir, et les assistants de rire ; et Alexandre de ressentir des mouvement de colère ; et madame d’Hecmon, avec un imperturbable sang-froid, de lui dire, à ce soir ; et les indifférents de se mettre à table, et tout le monde de manger attendu le besoin, et de jurer contre les plats ; et l’hôte de se faire payer trois fois la valeur des mets qu’il a servis, et les voyageurs de remonter en voiture, et celle-ci de rouler. Pendant que dans son sein on dormait, digérait, pensait et espérait, les pieds d’Alexandre et de Lucile, les yeux de madame d’Hecmon et d’Alexandre étaient dans une continuelle agitation. La jeunesse est imprudente. Lucile, en voulant agir de ses deux pieds, heurta deux ou trois fois ceux du sénéchal ; attendu qu’un sénéchal peut avoir de l’amour-propre, il crut que l’on s’adressait à lui, et le voilà poussant des soupirs, tandis que d’une botte forte il presse légèrement, à ce qu’il croit, le gros orteil du gentilhomme campagnard qu’il pense être Lucile. Comme le gentilhomme avait des cors, tout à coup il fait un bond, pousse un cri affreux, réveille les dormeurs, et fait envoler la troupe tremblante des légers amours. Le sénéchal stupéfait se rapetisse ; le gentilhomme moins pressé s’apaise, et sans de nouveaux accidents on arriva à Angers, où l’on devait coucher. De la cour où l’on descendit, on entra dans la cuisine ; à droite était le salon à manger servant de salle des voyageurs ; à gauche, par une petite galerie, on se rendait dans les diverses chambres à coucher. Chacun pressa le souper, les uns ayant envie de dormir, les autres de veiller. Pendant qu’on mangeait, les moins assoupis bâillaient à se démonter la mâchoire. Le dessert n’était point entamé, que chacun se saluant d’un leste bonsoir se retire dans sa chambre. No, monsieur le sous-lieutenant Alexandre, vicomte d’Oransai ; no 10, le gentilhomme et le négociant ; no 11, le chanoine de la cathédrale de Saint-Pierre, et sa candide nièce ; no 12, la vieille dame et Lucile ; no 13, le sénéchal qui avait voulu coucher seul, et pour cause.

Il était sensé que chacun dormait, lorsque le bouillant Alexandre, vêtu de sa chemise, et comptant les portes soigneusement inscrites dans sa mémoire, arrive au no 12. On l’attendait. Il est reçu en entrant par le plus doux baiser, auquel il répond par un plus doux encore. La grand’mère reposait, rêvant à la gloire éternelle ; Alexandre, prétendant qu’il meurt de froid, inspire de la pitié à Lucile. Celle-ci touchée de l’entendre grelotter, quoiqu’on fût dans la canicule, l’assura qu’il pouvait sans la déranger prendre place dans son lit, et que dans cette position ils causeront avec plus de liberté. L’étourdi ne se le fait pas redire, il entre dans la couche virginale ; dès lors il ne tremble plus ; Lucile elle-même sent une chaleur extrême qui la dévore ; Alexandre s’approche d’elle, il presse un sein qui bondit sous sa main caressante ; bientôt leurs bras s’enlacent, leurs bouches se pressent, leurs corps se rapprochent, la jeunesse s’unit à la jeunesse, la beauté à la vigueur, et sous mille baisers s’étouffe le premier cri du plaisir, que le savant Montaigne assure être le dernier de la sagesse.

Ah ! s’écriait Lucile dans ce moment de bonheur : combien mon petit cousin est loin du bel Alexandre ! et la curieuse ne se lassait point de parcourir, de tâter ; et ses attouchements allumaient de nouvelles flammes dans les sens de son heureux vainqueur ; et Alexandre, véritablement transporté se disait : Lorsqu’il fait nuit l’esprit est bien inutile. Néanmoins, comme chaque chose a son terme, et que le flambeau de l’amour est sujet à s’éteindre comme la moindre bougie, Alexandre cherchant à prendre un peu de repos, qui pût lui rendre ce qu’un violent et rapide exercice venait de lui enlever, se couche sur le sein qui le presse, et dans un repos rempli de charmes, ces amants retrouvent de nouveaux désirs et de nouveaux aliments.

Ah ! qu’ils sont beaux ces instants dont la jeunesse devrait seule jouir ! C’est à seize ans, à dix-huit ans, que les jeux de l’amour sont doux : tout est neuf, tout est brillant ; l’impétuosité de cet âge, des attraits qui ne font que de naître, des sens que rien n’a encore émoussés, une pudeur naturelle qui se mêle aux emportements de la passion ; tout s’unit pour nous prouver que les fleurs du printemps ont une fraîcheur que doivent faner les ardeurs de l’été. Lucile qui brûlait d’acquérir une instruction entière, recommençait ses leçons avec Alexandre, lorsqu’un bruit affreux parvient jusqu’à eux. Le lecteur n’a point sans doute oublié que madame d’Hecmon avait, à la dînée, fait un appel à d’Oransai ; elle s’attendait à le trouver dans sa chambre ; et tranquille dans son lit, elle invoquait le sommeil pour qu’il vînt fermer les yeux du chanoine. D’abord, au moment de se coucher, elle lui avait fait une scène ; il avait riposté, et tous deux, contre l’usage, firent lit à part. Le temps s’écoulait, et le fâcheux ne s’endormait pas. Madame d’Hecmon enrageait ! elle tremblait de ne pouvoir rejoindre son jeune ami, qui par ses belles manières de la matinée l’avait fortement intéressée. Enfin un long ronflement, pareil à ceux que se permettait le chanoine quand il disait son office, vient lui apprendre que le moment est propice, et qu’elle peut en profiter. Elle ne perd point des instants précieux ; soudain elle sort de sa chambre, et se glisse vers celle de notre officier ; mais elle se trompe, une porte ouverte l’égare ; elle entre, trouve un lit, étend la main, touche la poignée d’une épée, ne doute plus qu’elle ne soit auprès d’Alexandre ; elle le pousse doucement, et par ses caresses cherche à le réveiller.

Excité par le démon de la chair, comme par une aveugle espérance, le sénéchal s’était mis en chemin sans trop savoir où il irait. Comptant sur un hasard favorable, il avançait en chemise, à pas de loup, quand un corps, une tête plus dure que du marbre, vient heurter la sienne. L’individu heurtant, et l’individu heurté se retirent avec précipitation, mais leur retraite est si malheureuse, que le sénéchal rencontre les marches de l’escalier, tombe de son haut sur un chien qu’il réveille, et qui se sentant attaqué mord rudement l’agresseur à la fesse, et lui fait pousser des cris de Mélusine. D’une autre part, le chanoine (car c’était lui qui, ayant entendu sortir sa nièce, s’était levé pour la suivre et savoir quel était le but de sa promenade nocturne), le chanoine, dis-je, se reculant toujours, enfonce la porte des latrines et se renverse sur une personne qui, tombant avec lui, entraîne des vases qui se brisent avec un fracas épouvantable. Le chanoine se sentant mouillé croit que son sang se répand par une dangereuse blessure ; le voilà qui hurle en criant au secours. Le marchand dont il avait occasionné la chute, et qui était sorti pour satisfaire à ses besoins, entendant le vacarme, ne sachant quel est celui qui est tombé avec lui, craignant d’être attaqué par des voleurs, distribue de nombreux coups de poings au chanoine en criant aussi à l’assassin. L’hôte, sa femme, ses servantes, les palefreniers se lèvent ; les chats miaulent, les chiens aboient ; les femmes pleurent : on appelle la garde. L’hôte, pour montrer sa bravoure, tire en l’air un pistolet chargé à poudre. À cette explosion la terreur est à son comble, on crie, on hurle de plus belle.

Pendant tout ce vacarme, Alexandre, abandonnant Lucile, s’était retiré dans sa chambre. Madame d’Hecmon, à demi morte de peur, n’osait faire un mouvement. Enfin on apporte des lumières ; le chanoine court à la chambre du gentilhomme, qu’il croit être celle d’Alexandre ; et de quel étonnement n’est-il point frappé, lorsqu’il voit sa nièce serrant le gentilhomme dans ses bras et celui-ci sensible à sa bonne fortune, ne s’apercevant pas du fracas qui se faisait autour de lui ! À la vue de son oncle, et plus encore à la vue de celui qu’elle prit pour Alexandre, madame d’Hecmon heurtant le domestique qui portait la lumière, trébuche sur lui, le chanoine sur elle, le gentilhomme sur le chanoine. À ce nouveau bruit, les servantes tombent sur les palefreniers ; l’hôte qui montait l’escalier est renversé sur sa femme, celle-ci abat le marchand, les clameurs recommencent. Un trompette qui logeait dans l’auberge, éveillé en sursaut, et croyant les ennemis dans la ville, prend sa trompette et sonne l’alarme. Tous les voyageurs à demi endormis tirent leurs sonnettes à la fois, le cuisinier se pend à la cloche du dîner ; les voisins crient au feu ; en un instant la ville est sur pied : on va, on vient, on court, on s’informe, et tout finit par rire.

Le chanoine se fait laver le derrière ; le sénéchal applique un emplâtre sur sa fesse mordue ; madame d’Hecmon assure son oncle qu’elle était sortie pour une affaire indispensable, mais qu’ayant entendu crier au voleur elle avait, dans sa frayeur, oublié la porte de sa chambre, et que toute éperdue elle avait couru au hasard se réfugier dans le premier lit trouvé. Si le chanoine l’eût surprise avec Alexandre, il n’eût pas cru un mot de ce récit ; mais comme c’était le lit du vieux gentilhomme que madame d’Hecmon avait partagé, il fut plus facile à se laisser surprendre. Pendant cette scène nocturne, le Jeune d’Oransai se tenait à quatre pour ne point éclater de rire ; de son côté Lucile soupirait après l’interruption de ses plaisirs, et la vieille dame ne se réveilla point, malgré le bruit occasionné par ce tapage infernal.

Il était cependant jour, on se préparait à partir. Quand il fallut monter dans la voiture, chacun se regarda avec un peu de confusion ; la paix n’était point solidement établie entre le chanoine et le sénéchal, celui-ci ne lui pardonnait point d’avoir été la cause qu’il avait été mordu par un chien, accident qui le contraignait à s’asseoir sur un côté. Pour Lucile, les yeux battus et humides, la bouche amoureusement entr’ouverte, et mille petits détails qu’une femme usagée remarque, prouvèrent à madame d’Hecmon qu’Alexandre avait été infidèle, et que cette nuit avait ajouté aux connaissances de Lucile. On se tint ainsi sur la défensive. Alexandre, avec une extrême adresse, évita si bien sa première conquête, qu’elle ne put lui adresser une parole. Le marchand riait in petto ; le gentilhomme prenait un air demi conquérant ; enfin madame d’Hecmon, lasse d’une pareille manière d’être, proposa de jouer à des petits jeux ; chacun accepta : on choisit le fameux pigeon vole, qui depuis des siècles est en possession de s’offrir le premier, et de plaire quelquefois. Après qu’on eut joué pendant quelque temps, il fallut distribuer les gages ; parmi les pénitences qui furent infligées, madame d’Hecmon donna des mots qu’Alexandre remplit en bouts-rimés. Le sénéchal récita son épithalame que je ne rapporterai point, car nos ouvrages périodiques ne nous laissent rien à désirer sur des poésies de cette force, mais je puis assurer qu’on en voit rarement de pareils.

Les bouts-rimés, les vers amusèrent la compagnie : on se rapprocha. Le dîner vint sceller cette nouvelle union, et à la couchée on était de la meilleure intelligence.

Madame d’Hecmon espérant de retrouver Alexandre à Paris, où ils se rendaient tous deux, voulant d’ailleurs apaiser son oncle de route, fut tranquille, et laissa pendant tout le reste du voyage les deux jeunes gens se livrer à leurs brûlantes caresses. Chaque nuit Alexandre allait causer avec Lucile ; chaque nuit Lucile s’instruisait davantage ; et lorsqu’elle arriva dans la capitale de la France, on ne l’aurait point prise pour une niaise provinciale, tant l’esprit vient aux filles avec facilité. Elle promit, en se séparant, d’aimer toujours Alexandre ; mais comme elle ne devait plus le revoir, ce serment fut oublié avec la même facilité. Quant à d’Oransai, il ne promit rien en débarquant à l’hôtel des Messageries. Les divers voyageurs, après avoir renouvelé leurs assurances de souvenir, et s’être fait de réciproques civilités, se séparèrent.

Le gentilhomme prit le chemin du Marais ; le négociant, celui du boulevard des Italiens ; le chanoine fut loger dans la Cité, rue Saint-Louis, no 9, ainsi que le portait l’adresse que sa nièce glissa dans la main d’Alexandre ; la vieille dame et Lucile furent s’établir place Dauphine ; et le jeune d’Oransai, dans l’hôtel de Bretagne, rue Saint-Honoré.

Il tressaillait au plaisir de parcourir Paris, de revoir Lucile ; mais sa joie fut de courte durée : le domestique qui lui servait d’escorte, lui remit une lettre de son père, par laquelle le comte ordonnait à son fils de partir le lendemain pour sa garnison. Alexandre, respectueux et soumis, soupira, mais ne résista pas. Quand le jour eut paru, sans embrasser ses deux bonnes amies, il continua sa route, et après une semaine de marche, il arriva au lieu de sa destination.


Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, vignette fin de chapitre
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