Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans/T2-02

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Auguste Brancart (I et IIp. 27-32).

Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE II.

LA V…




LETTRE I.

émilien à paul.



F rère et ami, vive la république ! et mort aux royalistes ! Tu as été un de leurs plus chauds ennemis : jusqu’à l’instant où leur parti nous a vaincus, il a fallu que tu cherchasses une retraite qui pût te soustraire à leur poursuite, et le soin de ta sûreté l’a emporté sur le désir de vengeance, dont ton cœur est toujours dévoré. Je le partage avec toi ; oui, d’Oransai ne peut pas nous échapper toujours. Le peu de succès de l’entreprise que tu as été tenter en Angleterre, doit nécessairement t’animer davantage ; mais agissons avec une circonspecte prudence. Un terrible adversaire s’élève contre nous, tu reconnais à cette épithète le formidable Léopold ; je ne sais, depuis quelque temps, d’où a pu naître son redoublement de colère contre toi ; mais tu es perdu s’il te retrouve. Je crains que l’asile qui te cache, que le voile qui te couvre ne soient assez obscurs ou épais. Le pouvoir de Léopold s’étend loin ; je crois qu’en moins de vingt-quatre minutes il communique avec la Russie et le Portugal : tout est singulier, tout est inconcevable dans cet homme mystérieux : sous l’apparence de la jeunesse, il cache une âme éprouvée par une longue expérience. Qu’est-il ? D’où vient-il ? Que fait-il ? On l’ignore, et l’on frémit devant lui. Assurément son secours est bien nécessaire au présomptueux Philippe. Sans Léopold, depuis long-temps il dormirait auprès de ses pères, dont, par une fatalité sans exemple, les ossements n’ont point été dispersés, et reposent encore dans leurs tombes à M.... C’est au cimetière de cette ville qu’ils ont été enterrés dans la chapelle seigneuriale.

Trois pièges sont tendus à Philippe : le premier est dans les bras d’Adeline, qui lui communiquera… tu m’entends… Le second doit le brouiller à jamais avec Clotilde Derfeil et son trépas inévitable partira de cette querelle ; le troisième est une manière de coup de poignard qu’il doit recevoir à une sortie du grand bal.

Il sera bien heureux s’il échappe à tout, et si son égide tutélaire (Léopold, je veux dire) l’accompagne partout. Ah ! que ne peut-il lui-même tomber sous nos coups, ce Léopold redoutable ! Mais puis-je concevoir une telle pensée, lorsque je suis sous son glaive ? Un signe de lui ferait tomber ma tête. Quel dommage qu’il ne soit pas un frère et ami ! avec lui la machine eût été loin. Tant de bonheur ne nous était pas réservé. Il faut nous contenter des moyens qui nous restent, nous passer de lui et éviter ses coups, si la chose est possible. Adieu, Paul ; vive la Constitution de 93 ! et meure d’Oransai !


Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, vignette fin de chapitre
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Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
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LETTRE II.



Philippe d’Oransai à Maxime de Verseuil.


E milien vient de me faire une terrible confidence : le même sort me menace, je suis perdu ; et, plus à plaindre que lui, j’ai la douleur d’avoir empoisonné Célénie, Louise, etc. Que les huit jours qui vont s’écouler me paraîtront épouvantablement longs ! C’en est fait, je renonce à l’insipide Célie, à la détestable Adeline, à ma charmante Célénie. Misérable que je suis ! dans quel guêpier me suis-je fourré ! Ris à mes dépens, Maxime ; sermonne-moi, tu le peux, tu en as le droit ; je suis un imbécile, un sot, un fat ; Émilien a reçu le plus odieux présent d’Adeline, la chose est sûre, et sans doute le même sort m’attend. Que la foudre m’écrase si je ne punis pas cette mégère !


Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
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LETTRE III.



Émilien à Paul.


I l l’a échappé !! Par une fausse confidence, j’avais appelé la frayeur dans son âme, je lui avais communiqué la nouvelle de mes douloureuses conquêtes, pour qu’il ne pût me soupçonner de trahison ; il tremblait de tous ses membres, mais la pureté de son sang, la bonté de sa constitution, le diable qui le protège, tout a combattu pour lui ; et ce que je croyais être un coup de parti, a tourné contre moi. Si je ne l’eusse pas alarmé, il eût pu se perdre, quand le voilà pour jamais sur ses gardes. Heureusement que j’ai plus d’une corde à mon arc, je ne tarderai point à faire jouer les deux autres ressorts ; ils seront plus sûrs, ceux-là. Adieu ; vive la Constitution de 93 ! meure d’Oransai !


Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
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LETTRE IV.



Philippe d’Oransai à Maxime de Verseuil.


E h l’on l’en la la dari donda. Je chante, donc je n’ai plus d’inquiétude ; l’alarme était fausse ; mais que Lucifer m’épouse avant que je m’expose de nouveau. Adieu, mesdames les actrices ! adieu pour toujours ; toi seule, Célénie, tu feras une exception à la règle.

Tu ne saurais croire, Maxime, de quel poids m’a délivré la huitième journée : je tremblais, je jurais, je m’emportais. Assurément, pour peu que mon sang eût été corrompu, l’agitation dans laquelle je me suis mis devait achever de détruire ma santé.

Après-demain je pars avec Léopold pour aller au château qu’il m’a dit posséder à quelques lieues d’ici.