Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/04/Mémorandum des petites et grandes manœuvres contre la manifestation de la vérité

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MÉMORANDUM
DES PETITES ET DES GRANDES MANŒUVRES
contre la manifestation de la vérité


À qui proclame la vérité, contradiction toujours. La lumière est si gênante pour plusieurs !…

À première vue, il semble que mes révélations ne doivent susciter aucunes colères : elles portent sur les faits ; je me refuse à soulever la question des personnes, en règle générale, et je ne fais exception qu’au sujet de quelques personnalités déjà démasquées par d’autres et jouant un important rôle. Avec ce programme j’aurai la paix, se sont dit nombre de mes amis. — Eh bien, non.

Qu’on réfléchisse : alors, on comprendra qu’en ceci s’agitent, non pas de vulgaires intérêts humains, mais que Satan lui-même et ses légions se sentent atteints. Satan voudrait briser l’instrument de la miséricorde divine.

Maudit, ils sont vains, tes efforts.

Lumière, lumière, toujours tu viens à bout des ténèbres dont le Maudit veut t’envelopper ! Et il est un bon moyen de faire discerner la vérité du mensonge : c’est de montrer le mensonge sous toutes ses faces ; car la vérité se distingue par son unité, tandis que le mensonge revêt, pour tromper, les formes les plus dissemblables les unes des autres.

Le mensonge a recours à toutes les manœuvres, petites et grandes ; il dit blanc ici, et noir là ; aujourd’hui il concède tel point pour mieux jeter le doute sur tel autre, le lendemain il nie tout brutalement.

J’ai promis de ne pas polémiquer, de ne pas entrer dans des discussions qui n’offriraient aucun intérêt. Mais, en un rapide mémorandum, j’ai le droit de dresser le tableau des attaques déjà produites, et de le tenir à jour, si besoin est. Quand mon œuvre sera terminée, on pourra mettre ainsi en parallèle mes révélations et les variées manœuvres, risibles ou cruelles, de l’ennemi.

Jusqu’à ce jour, une seule m’a déchiré le coeur : la cinquième de celles que j’enregistre ici. Ah ! cette dernière est horrible ; les autres ne m’inspirent que mépris ou pitié.


I


Le journal parisien, auquel a collaboré la Sophia, — si tant est qu’elle n’y collabore plus, — me consacre deux colonnes pour tenter de me faire passer pour folle. Tel est le début ; dans son premier mouvement vis-à-vis du public, la secte veut ne livrer à la risée de l’opinion, au moment même où elle armait le bras de ses assassins contre un de mes alliés.


II


Un savant orientaliste, bien connu, vient à la rescousse. Selon lui, je suis en état d’hallucination depuis le 8 avril 1889 ; il le croit, et il l’imprime ! Catholique, celui-ci, j’en suis convaincue. Mais, sortis de leur science spéciale, que de savant sont peu de jugement ! Notre orientaliste s’est laissé insinuer jusqu’à l’opinion que ma conversion pourrait bien être une comédie organisée par les chefs de la haute-maçonnerie et dans laquelle je jouerais le rôle de bouc émissaire. Je l’excuse : cet homme n’est pas responsable.


III


Une feuille de chou maçonnique publie un article de Moïse Lid-Nazareth, dans lequel ma personnalité est confisquée. Je ne suis plus moi, je suis une autre ; et cette autre forme, avec onze autres personnes, six ecclésiastiques, dont trois princes de l’Église, et cinq laïcs, le haut comité des lucifériens satanisants. Le but de l’article est de rassurer les maçons imparfaits initiés, à qui la découverte d’un rite suprême secret fait pousser de hurlantes réclamations dans les Loges ; on leur affirme donc qu’il n’y a de palladisme que chez les cléricaux, et, pour dorer cette pilule aux FF∴ gogos, on ose baver sur un cardinal et deux évêques. C’est honteux, c’est bien digne de Moïse Lid-Nazareth ; mais laissons, car c’est aussi de la farce.


IV


Un évêque américain, qui voyage, passant en Angleterre, se fait interviewer. Il nie que le diable soit l’objet d’un culte dans le magnifique temple maçonnique de Charleston. Il dit qu’il est dans les meilleurs termes avec grand nombre de francs-maçons des États-Unis, qu’il connaît les principaux chefs et qu’il professe pour eux la plus vive estime. À Charleston, assure-t-il, il a été reçu dans le Masonic-Hall, dont les FF∴ haut-gradés lui ont fait les honneurs, et ses yeux, en ce vaste immeuble, en ce temple célèbre, n’ont pas vu de salle affectée au culte de Lucifer.

En tenant pareil langage, cet évêque n’a porté tort qu’à lui-même.

Le moindre pour lui sera que beaucoup penseront qu’il ne saurait se prétendre assez habile homme pour n’avoir pu se laisser tromper.

Mais voici plus grave : il oblige à rappeler l’étrange attitude de plusieurs évêques des États-Unis, qui, il y a peu de temps, firent tant de difficultés pour publier dans leur diocèse l’excommunication romaine portée contre les Odd-Fellows, les Chevaliers de Pythias et autres sociétés semblables, nées de la franc-maçonnerie ; il fallut que le nonce du Saint-Siège fît lui-même la publication.

Les relations amicales de certains membres du haut clergé américain avec les chefs de la secte, relations souvent intimes et non en vue de la conversion de ces excommuniés, ah ! elles sont, malheureusement, trop sues là-bas ; combien d’humbles bons prêtres en souffrent et en gémissent ! En France, tous s’indignent contre le successeur de Cauchon, nommé sur la présentation des FF∴ Desmons et de Hérédia au F∴ Dumay. Aux États-Unis, on ne peut que déplorer ; les fatales mœurs du pays permettent ces accointances plus que suspectes ; tel évêque catholique fraye publiquement avec les pasteurs hérétiques, avec les évêques protestants, et tel autre n’avait pas de plus grand plaisir que de venir s’asseoir à la table d’Albert Pike.

C’est, pourtant, Albert Pike qui a écrit et signé ces lignes :


« La Papauté a réorganisé partout ses milices, ressuscité et reconstitué la Compagnie de Jésus, et, pour peu que le tempérament de l’humanité le tolère, elle ressuscitera le Saint-Office, avec sa puissance maudite et ses infâmes procédés.

« Partout où existe un gouvernement républicain, la Papauté trame des complots et ourdit des conspirations contre lui, mine et sape son autorité, et, toujours traitre et sans scrupules, encourage toutes les révoltes et fomente tous les troubles.

« La main de la Papauté est partout, vouée partout à des œuvres de trahison et de mystère. Elle ne fait pas une guerre ouverte à la Franc-Maçonnerie ; mais continuellement elle met en œuvre contre elle ses influences les plus hostiles, avec une activité que rien ne lasse.

« Rien n’égale au monde le pouvoir universel, si illimité, si absolu, du Pontife Romain. Absolument irresponsable, se plaçant au-dessus de toutes les lois humaines, ne connaissant aucun frein venant ni de l’homme, ni de la bonne foi, ni de la conscience, ni de la bonté, le Souverain Pontife Romain hait d’une haine profonde, toute vigilante, toute agissante, toute haineuse, la Franc-Maçonnerie.

« En présence de ce serpent à sonnettes spirituel, en présence de cet ennemi mortel, assassin et traître, l’Unité et le triomphe de la Franc-Maçonnerie s’imposent, et devant cette nécessité absolue toute autre considération, quelle qu’elle soit, disparaît immédiatement. » (Bulletin officiel du Suprême Conseil de Charleston, volume VIII, pages 174 et 175.)


Voilà des lignes qui ont été imprimées. Vous ne pouvez les effacer, Monseigneur, vous qui déclarez tenir en grande estime les principaux chefs de la haute-maçonnerie charlestonienne. Et vous ne pouvez être à la fois pour Albert Pike et pour le Pape.

Or, combien est faible la citation que je viens de reproduire, si on la rapproche des œuvres liturgiques du premier chef suprême de la secte, même en ne parlant que des œuvres liturgiques avouées !

L’évêque catholique américain, qui s’est fait interviewer à Liverpool, s’associe-t-il, par exemple, aux éloges qu’ont décernés les ministres protestants au livre Dogme et Morale, monument d’anticatholique impiété ?… Quand on entreprend de se mettre en travers de la guerre défensive qui s’organise contre l’Église de Satan, il faut aller jusqu’au bout. Il ne suffit pas de déclarer qu’on a été reçu au Masonic-Hall de Charleston et qu’on n’y a rien vu d’attestant un culte rendu à Lucifer. Oh ! Monseigneur !… Vous avez vos entrées là ?… Je ne l’ignorais point ; mais jamais je ne me serais attendue à ce que vous vinssiez de vous-même le dire.

Dites tout. Votre vicaire-général, monsignor Q…, lui aussi, est reçu au Temple Maçonnique, construit sous le pontificat d’Albert Pike ; lui aussi, il est lié avec les plus éminents maçons des États-Unis. Qu’il nous fasse l’éloge du F ▽ Frederick Webber, de Washington, et du F ▽ Nathan Lewin, de Charleston, tous deux trente-troisièmes et grands initiateurs des hauts-grades sans l’anneau ; il les connaît bien, n’est-ce pas ?

Hélas ! il n’est pas le seul qui sera, sans doute, invité à élever la voix contre moi. Ah ! pitié, pitié, ô mon Dieu ! — Et vous, amis lecteurs : prières !

V

La grande manœuvre, l’infâme, l’horrible Lemmi et son compère Crispi n’ont pas, autour d’eux, dans leur Conseil de l’Ordre, au Grand Orient d’Italie, uniquement des amis dévoués et admirateurs quand même ; plusieurs subissent le joug, mais en secret appellent de tous leurs vœux le mouvement maçonnique qui renverserait le grand-maître et son compère.

Ainsi, entre autres, le comte Luigi Ferrari, de Rimini. Je ne l’ai connu qu’au cours de mon avant-dernier voyage en Italie, et lui, il n’a pas su qui j’étais. Voici pourquoi :

Luigi Ferrari n’était pas palladiste, bien qu’il fût un des membres les plus actifs de la maçonnerie italienne. Il était inscrit à la Loge de sa ville natale, la L∴ Giovanni Venerucci, qui ne fonctionne plus, je crois, depuis quelque temps ; il faisait partie du Conseil de l’Ordre.

Lorsque le Palladium Indépendant fut constitué à Londres, et quand son organe-lien fut publié à Paris, Luigi Ferrari, à qui son ardent anti-cléricalisme n’avait pas enlevé une grande probité, et qui en sa conscience méprisait Lemmi et Crispi, se mit secrètement en relations avec le Comité Central de l’opposition palladique à l’élu du 20 septembre 1893. Il ne nous demanda pas d’être affilié aux Triangles : il s’offrit à être un de nos auxiliaires dans la Maçonnerie officielle avouée, pour préparer la chute du fripon du palais Borghèse et de son compère.

Son concours nous parut précieux. Accompagnée du F ▽ Sc., je me rendis en Italie, empruntant le nom d’une Sœur écossaise, palladiste indépendante, qui m’y avait autorisée ; à aucun prix, il ne fallait que la présence de Diana Vaughan dans la péninsule pût être soupçonnée, car il y avait déjà longtemps que j’avais été condamnée à mort par Lemmi. Je traitai avec Ferrari sous ce nom d’emprunt. Nous nous entendîmes sans peine : Luigi Ferrari était un homme entièrement désintéressé ; il se ralliait à nous par le seul motif de son dégoût relatif au chevalier de Marseille.

Me prenant pour une autre, il me pria de transmettre ses félicitations à Diana Vaughan au sujet de sa lutte ouverte contre Simon ; il regrettait de ne pouvoir en faire autant. Sa situation politique dépendait de sa présence au Conseil de l’Ordre, et il ne se sentait pas l’abnégation nécessaire pour la mettre sous pieds ; il en était fier pour sa famille.

Aux dernières élections législatives, il eut à soutenir le combat à Rimini, où les socialistes-révolutionnaires furent très violents contre ses partisans et contre lui-même. Cependant, Luigi Ferrari, qui était d’une grande bonté, avait toujours aidé et appuyé quiconque, parmi les anticléricaux de toute espèce, s’était adressé à lui. On sait qu’il fut élu.

Lorsque des FF∴ milanais et des FF∴ génois répudièrent Lemmi et Crispi (seconde quinzaine de mai), Luigi Ferrari nous tint au courant, par des lettres secrètes au Comité Indépendant de Londres : il se montra notre très fidèle allié, tout en gardant, aux yeux du public, certains ménagements politiques pour nos communs adversaires.

En ce même temps, il s’occupait de réaliser une promesse qu’il m’avait faite « pour Diana Vaughan », lors de notre entrevue. J’avais besoin de certains renseignements documentés, devant compléter mon dossier sur Crispi ; alors, il les réunissait ; il en avait déjà de forts intéressants, à en juger par le premier qu’il me fit parvenir.

Luigi Ferrari a-t-il commis en cela quelque imprudence ? Lemmi et Crispi ont-ils découvert qu’il était en réalité mon allié contre eux ?… C’est ce que je crois, en raison de sa tragique fin.

Par un messager sûr, et sans laisser aucune trace, j’avais fait tenir à Luigi Ferrari l’adresse d’une personne à Rome, à qui il pourrait remettre les papiers qu’il me destinait et qui, les révisant au besoin, m’en transmettrait copie et lui rendrait la sienne. Le procédé de son premier envoi m’avait paru défectueux.

Or, Luigi Ferrari été assassiné quelques heures avant son départ de Rimini pour Rome ; il y a des témoins, à qui il avait dit, ce soir-là, qu’il partirait le lendemain matin pour Rome, et je sais qu’il avait ses papiers prêts pour moi, renfermés dans un grand portefeuille.

Des agents de Lemmi excitèrent habilement un groupe d’ouvriers socialistes contre Luigi Ferrari ; il fut assailli par des hommes de bas peuple, deux cordonniers, trois chauffeurs, deux charretiers et autres ; au préalable, ces gens avaient été largement abreuvés au cabaret, et l’homme en habit qui, dit-on, a payé la boisson, a disparu. Celui-ci, la magistrature de M. Crispi n’a pas su le retrouver. Elle tient Salvatore Gattei, l’ouvrier cordonnier qui a donné le coup mortel au député franc-maçon, et neuf autres ouvriers socialistes-révolutionnaires ; mais les excitateurs, l’autorité judiciaire n’a aucun souci de les connaître. Pourtant, il est un fait bien su, c’est que, pendant que Gattei et ses co-accusés se ruaient sur Luigi Ferrarri, celui-ci a été dépouillé de son portefeuille de documents ; ceci est avéré, acquis ; et ce portefeuille n’a été retrouvé chez aucun des coupables, qui ont été arrêtés.

Le crime a été commis à l’époque même de ma rupture définitive avec la Maçonnerie. Les accusés seront jugés par la cour d’assises de Forli ; on dit, dans le courant. C’est une comédie judiciaire qui va se jouer, puisque le forfait est transformé en crime politique des socialistes.

Mais j’appelle sur ceci : — S’il en était réellement ainsi, n’y aurait-il pas eu grand tapage dans la presse crispinienne ? Or, à peine quelques regrets plus ou moins académiques ont été formulés par journaux du parti maçonnique au pouvoir ; puis, silence complet, absolu, plus un mot au sujet de l’odieux crime ; un mot d’ordre a cir