Mémoires de Cora Pearl/10

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Jules Lévy (p. 59-62).


X

À BADE. — ON M’INTERDIT LE SALON. — J’Y FAIS LE SOIR MÊME MON ENTRÉE AU BRAS DE MORAY


J’étais arrivée à… Bon ! voilà le nom qui m’échappe ! C’est un fait exprès !… Enfin c’est un endroit où l’on allait pour la montre, et d’où l’on revenait souvent… sans la sienne. — J’avais un train étourdissant ; un wagon de bagages, six chevaux, un personnel monstre. On m’avait prise d’abord pour la princesse Gargamelle ! Pas flattée !…

Je me présente pour aller au salon. Un commissaire m’interdit l’entrée. Il paraît que j’étais l’objet d’une mesure d’exception. Je demande le motif qui me fait exclure aussi impitoyablement, et m’empêche de perdre mon argent tout comme une humble marquise.

— C’est, me dit-on, par ordre de la Reine.

On est sévère, dans ce pays-là, sur le chapitre des bonnes mœurs. Tous les hommes y sont sobres, toutes les femmes, même les moins belles, y sont chastes. On ne permet aux jeunes filles, en fait de romans français, que les Aventures de Télémaque : encore Eucharis y est-elle devenue un « associé » du gentilhomme grec.

Pour me consoler je me rends aux Courses. Je rencontre là Dufour et Tangis, et leur raconte ma mésaventure.

Ils ne voulaient pas me croire.

— Venez avec moi, leur dis-je, pour être témoins d’un nouvel affront et rire un peu.

Tandis-que nous causions, un domestique me remet une carte.

« Dépêche-toi de finir ton dîner, je t’offre le bras pour rentrer dans le salon… — Moray. »

— Voyez ! dis-je aux amis.

— Jolie revanche, et digne de la courtoisie d’un grand seigneur.

— Oui, répondis-je, très émue, très fière, très heureuse, un vrai Français !

J’avais, comme durant tout le temps de mon séjour à cet endroit-là, une quinzaine de personnes à table. — Le repas ne fut pas de longue durée.

Je fis mon entrée au salon au bras de Moray, au milieu d’une haie de curieux.

Il était allé trouver la Reine.