Mémoires de John Tanner/19

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Traduction par Ernest de Blosseville.
Arthus Bertrand (1p. 255-276).



CHAPITRE XIX.


Prophète muskegoe. — le jébi. — l’a-bush-shah, le chicaneur. — Lois de la guerre violées. — Lutte oratoire. — Désertion contagieuse. — Expédition manquée. — Mœurs du porc-épic. — Le daim rouge. — Vendetta indienne. — Présent dangereux. — Singulière coutume d’échange. — Ourse blanche. — Chasse aux ours. — Le lac de la Bosse du bison.


A-gus-ko-gaut, le chef muskegoe que nous accompagnions alors, se proclamait lui-même prophète du Grand Esprit, comme celui qui parut chez les Shawanees quelques années plus tard. Il avait, peu de temps auparavant, perdu son fils, et il portait un jébi qu’il voulait laisser sur un champ de bataille ; cette résolution donnait une nouvelle force à son désir d’atteindre les ennemis.

Un renfort de vingt hommes ne tarda pas à nous rejoindre, sous la conduite de Ta-bush-shah (le chicaneur). C’était un Ojibbeway d’un esprit inquiet et ambitieux, ne pouvant supporter qu’un autre que lui dirigeât une expédition contre les Sioux. Il passait pour craindre, par dessus toute chose, de voir ses actions d’éclat éclipsées par les prouesses d’un peuple aussi méprisé que les Muskegoes. Cependant il ne parut nullement opposé à notre entreprise, et il dit qu’il venait apporter aide à ses frères les Muskegoes. A-gus-ko-gaut ne pouvait pas ignorer les sentimens et les procédés de Ta-bush-shah ; toutefois il le reçut avec les plus grandes apparences de plaisir et de cordialité.

Après plusieurs jours de marche, comme nous traversions de vastes prairies, notre soif devint telle, qu’il fallut violer quelques unes des lois de la guerre. Les principaux Indiens connaissaient le pays, et savaient qu’il devait y avoir de l’eau à peu de milles de distance ; mais la plupart des vieux guerriers, marchant à pied, étaient épuisés de chaud et de fatigue. Dans cette extrémité, il fallut que les guerriers à cheval allassent au hasard à la découverte de l’eau. Nous étions de ce nombre, Wa-me-gon-a-biew et moi. On convint de signaux, pour indiquer à notre petit corps d’armée la direction à suivre quand l’eau serait découverte. Je fus l’un des premiers à rencontrer un endroit où l’on pouvait se désaltérer ; mais avant que tous y fussent parvenus, les souffrances de plusieurs étaient devenues excessives. Ceux qui étaient arrivés à la source tirèrent des coups de fusil pendant toute la nuit, et les traîneurs arrivèrent enfin par diverses directions. Quelques uns vomissaient du sang, d’autres étaient dans un véritable délire.

Auprès de cette source, un vieillard, nommé Ah-tek-oons (le petit caribou), fit un ko-zau-bun-zichegun, ou divination, et annonça ensuite que, dans une certaine direction, était une bande nombreuse de guerriers sioux marchant droit à nous ; que si nous voulions tourner à droite ou à gauche, nous atteindrions leur pays sans être inquiétés, et pourrions surprendre les femmes dans les villages ; mais que si nous les laissions arriver à nous et nous attaquer, ils nous massacreraient jusqu’au dernier. Ta-bush-shah parut ajouter foi sans réserve à cette prédiction ; mais le chef muskegoe et la plupart de ses guerriers ne voulurent pas y croire.

Cependant, quelques murmures se répandirent ; plusieurs Indiens parlèrent tout haut d’abandonner A-gus-ko-gaut et de retourner dans leur pays ; mais plusieurs jours se passèrent sans autre événement que la découverte, par nos éclaireurs, d’un Indien isolé, qui se mit à fuir dès qu’on l’aperçut ; l’on conjectura que ce devait être un gUerrier siou. Un matin, nous approchâmes d’un troupeau de bisons, et, comme les vivres nous manquaient entièrement, plusieurs jeunes chasseurs se dispersèrent à leur poursuite. Depuis la rencontre de l’Indien, nous ne marchions plus que la nuit, et restions cachés pendant tout le jour ; mais, dans cette circonstance, les Muskegoes laissèrent leurs jeunes guerriers poursuivre les bisons en plein jour et sans précaution. Bien des coups de fusil furent tirés.

L’abondance régnait dans notre camp, et tout respirait un air de fête. Les guerriers s’étaient réunis pour manger en commun. Le repas achevé, Ta-bush-shah se leva et dit à haute voix : « Muskegoes, vous n’êtes pas des guerriers, vous êtes venus bien loin de votre pays pour attaquer les Sioux. Des centaines de vos ennemis sont tout près de nous, et vous ne saurez pas même en rencontrer un, à moins qu’ils ne viennent tomber sur vous et vous tuer. » Après ce début, il annonça la résolution d’abandonner un parti si mal conduit, et de retourner dans son pays avec ses vingt hommes. Il est probable que le seul but de son voyage avait été de saisir une occasion de désorganiser la bande d’A-gus-ko-gaut.

Quand il eut parlé, Pe-zhew-o-ste-gwon (la tête de chat sauvag ), orateur du chef muskegoe, lui répliqua : « Nous voyons bien maintenant pourquoi nos frères, les Ojibbeways et les Crees, ne voulaient point partir avec nous de la rivière Rouge. Vous êtes près de votre pays, et il vous importe peu de rencontrer les Sioux maintenant ou à la chute des feuilles ; mais nous venons de très loin, nous portons avec nous et nous avons long-temps porté ceux qui furent nos amis et nos enfans ; nous ne pouvons les déposer que dans le camp de nos ennemis. Vous savez bien que, dans un corps tel que le nôtre, et nombreux comme il l’est aujourd’hui, si un seul guerrier retourne sur ses pas, les autres le suivent un à un jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne ; c’est pour cela que vous êtes venus vous joindre à nous. Vous allez entraîner nos jeunes guerriers pour nous forcer à retourner sans avoir combattu. » A peine avait-il cessé de parler, que, sans répondre un seul mot, Ta-bush-shah se leva, et, tournant la tête vers son pays, se mit en marcha avec ses vingt hommes.

Cette défection parut indigner les jeunes Muskegoes, et plusieurs d’entre eux firent feu sur les Ojibbeways qui s’éloignaient ; ceux-ci voulurent riposter, mais leur chef, toujours prudent, sut arrêter ce premier mouvement, et son apparence de générosité produit beaucoup d’effet parmi des hommes qui allaient devenir de dangereux ennemis. A-gus-ko-gaut et les principaux Muskegoes restaient assis en silence, et les jeunes guerriers se mirent, les uns après les autres, à suivre les traces des Ojibbeways. Wa-me-gon-a-biew suivit le torrent, et, au moment de son départ, je m’assis à quelques pas du chef. Pendant la plus grande partie du jour, A-gus-ko-gaut et ses plus fidèles guerriers se tinrent sans mouvement à la place où ils avaient entendu le discours de Ta-bush-shah ; mais enfin le vieux chef, voyant sa troupe réduite de soixante hommes à cinq, ne put retenir ses larmes.

À ce spectacle, je me rapprochai de lui, et je lui dis que, s’il voulait continuer sa marche, je l’accompagnerais, dussé-je rester son compagnon. Les trois autres guerriers, comme ses amis particuliers, étaient tout prêts à le suivre ; mais il me dit qu’il craignait de ne pas faire grand’chose avec si peu de forces, et que, si les Sioux venaient à nous découvrir, nous serions infailliblement massacrés. Ainsi l’expédition fut abandonnée, et chacun se mit à retourner par la voie la plus facile et la plus prompte, sans songer désormais à rien autre chose que sa sûreté et sa convenance. Je ne tardai pas à rejoindre Wa-me-gon-a-biew, et avec trois autres hommes nous formâmes un parti pour retourner ensemble ; nous choisîmes une direction différente de celle de la plupart de nos compagnons. Le gibier abondait, et la faim ne se fit pas sentir.

Un matin, de bonne heure, enveloppé dans ma couverture, j’étais couché sur un profond sentier de bisons, conduisant à travers une prairie à une petite crique près de laquelle nous campions. La chute de feuilles était fort avancée, et les herbes des prairies, depuis long-temps atteintes par la gelée, étaient devenues parfaitement sèches ; pour ne pas brûler le gazon, nous avions allumé notre petit feu au milieu du sentier, à l’endroit où il traversait le coin de la banque ; les autres Jndiens, déjà debout, se tenaient a la droite ou à la gauche du sentier, préparant notre déjeuner, lorsque notre attention fut éveillée par un son inaccoutumé, et nous vîmes un porc-épic (80) venir à nous avec lenteur et gaucherie.

J’avais maintes fois entendu parler de l’imbécillité de cet animal sans en avoir jamais été le témoin. Il s’avança sans faire aucune attention aux objets qui l’environnaient, jusqu’à ce que son nez fût dans le brasier ; alors, s’appuyant avec roideur sur ses pattes de devant, il se tint si près de la flamme poussée vers lui par le vent, qu’elle lui flambait les poils de la tête, et il resta ainsi quelques minutes, ouvrant et fermant les yeux d’un air stupide. Enfin, un Indien, ennuyé de le voir, le frappa sur la tête avec un morceau de moose qu’il avait embroché sur une petite branche pour le faire rôtir ; un autre le tua d’un coup de tomahawk, et nous mangeâmes une partie de sa chair qui était fort bonne. Les Indiens me racontèrent alors, et j’ai vu moi-même depuis, qu’un porc-épic, broutant la nuit le long d’une rivière, ne s’aperçoit pas de la présence de l’homme, lors même qu’on lui met sous le nez, au bout d’une pagaie, un peu de la nourriture qu’il cherche ; il la reçoit et la mange tranquillement. Quand il est pris, il ne mord et n’égratigne point ; toute sa défense est dans ses piquans barbelés et dangereux. Les chiens ne se décident que bien rarement à attaquer les porcs-épics, et, quand ils le font, il en résulte pour eux sinon la mort, au moins de graves blessures et de cruelles souffrances.

En quatre jours de marche, nous arrivâmes à la rivière du Grand-Bois, qui prend sa source dans une montagne, coule longtemps à travers la prairie, disparaît pendant une longueur de dix milles et va se jeter dans la rivière Rouge. Au dessous de l’endroit où elle disparaît sous la prairie, elle prend un autre nom ; mais c’est, sans aucun doute, la même rivière. Nous tuâmes sur ses bords un daim rouge (81) de l’espèce commune au Kentucky ; cet animal se rencontre rarement dans le nord.

Quand je rejoignis ma famille, il ne me restait plus que sept balles. Aucun traiteur ne se trouvant dans le voisinage, il m’était impossible de renouveler ma provision. Cependant je tuai une vingtaine de mooses et d’élans. Souvent, quand on frappe un élan ou un moose, la balle ne traverse pas de part en part et peut servir encore.

La saison étant fort avancée, j’allai au comptoir de Mouse-River chercher quelques provisions, et là Wa-me-gon-a-biew prit le parti de vivre séparément. Net-no-kwa choisit de rester avec moi. Comme nous allions nous séparer, nous rencontrâmes auprès du comptoir quelques membres d’une famille de Crees, qui, à une époque fort reculée, avait eu des querelles avec les ancêtres de Wa-me-gon-a-biew. Ils faisaient partie d’une bande considérable tout à fait étrangère à nous, et trop nombreuse pour qu’une lutte pût être égale. Nous fûmes instruits de leur projet de tuer Wa-me-gon-a-biew, et comme nous ne pouvions éviter d’être plus ou moins à leur discrétion, nous crûmes devoir nous concilier leur bonne volonté ou, au moins, acheter leur tolérance par un présent.

Nous avions deux barils de whiskey, nous les donnâmes à la bande, et un particulièrement au chef de la famille qui avait menacé Wa-megon-a-biew. Quand on se mit à les vider, un Indien, avec toutes les apparences d’une grande cordialité, invita mon frère à boire et voulut boire avec lui. Bientôt cet homme donna des signes d’ivresse ; je l’avais observé ; à peine avait-il bu, et il était parfaitement maître de lui-même. Je commis facilement ses projets, et je résolus de protéger, autant qu’il serait en moi, Wame-gon-a-biew contre les embûches de ses ennemis. Dans l’espoir de nous concilier l’amitié de cette famille de Crees, nous avions allumé notre feu très près des leurs ; trouvant mon frère beaucoup trop ivre pour en espérer la moindre discrétion, je le portai dans notre camp.

A peine l’avais-je déposé sous sa couverture, que je me vis entouré par la famille ennemie, armée de fusils et de couteaux. J’entendis parler de tuer Wa-me-gon-a-biew. Par bonheur notre présent avait tourné presque toutes les têtes, excepté celle de l’homme dont j’ai parlé, qui me semblait le plus à craindre de tous. Deux Indiens s’approchant pour poignarder Wa-me-gon-abiew, je me jetai entre eux et je les en empêchai. Ils me saisirent alors par les bras, et je ne leur opposai aucune résistance ; je savais qu’au moment de me frapper ils devaient me lâcher chacun d’une main, et c’était alors que je comptais m’échapper. J’avais empoigné fortement de la main droite et tenais caché dans le coin de ma couverture un grand et fort couteau dans lequel j’avais mis beaucoup de confiance. Très peu d’instans après m’avoir saisi, l’Indien qui me tenait du côté gauche saisit son couteau pour me percer les côtes ; mais son compagnon, un peu ivre, s’apercevant qu’il avait laissé tomber son couteau, le pria d’attendre qu’il l’eût retrouvé pour l’aider à me tuer, laissa ma main droite libre, et courut faire sa recherche auprès du foyer.

C’était l’instant que j’attendais ; je me dégageai par une secousse subite, et je fis briller aux yeux de l’autre Indien la lame de mon couteau. J’étais libre et je pouvais sauver ma vie par la fuite ; mais je savais qu’abandonner Wa-me-gona-biew dans l’état où on l’avait mis, c’eût été le livrer à une mort certaine, et je résolus de ne pas le laisser dans cette position critique.

Les Indiens parurent, un moment, étonnés de ma résistance et de ma fuite ; ils ne le furent pas moins de me voir soulever mon compagnon ivre, et, en deux ou trois bonds, le placer dans un canot tout prêt à partir. Je ne perdis pas de temps à traverser le court trajet qui séparait leur camp de la factorerie. Pourquoi ne tirèrent-ils pas sur moi pendant que la lueur de leur feu permettait encore de me distinguer ? je ne saurais le dire : peut-être furent-ils un peu intimidés en me voyant si bien armé, si actif et si entièrement maître de ma raison. Cette dernière circonstance me donnait un avantage évident sur la plupart d’entre eux.

Bientôt après cette scène, Wa-me-gon-a-biew me quitta, selon sa première intention, et j’allai m’établir sur une rive de l’Assinneboin. Je n’y étais que depuis peu de jours, lorsque nous reçûmes la visite d’A-ke-wah-zains, frère de Net-no-kwa,et très peu de temps après nous vîmes, un jour, un Indien très âgé remontant la rivière dans un petit canot de bois. A-ke-wah-zains le reconnut aussitôt pour le père des hommes qui avaient si récemment menacé les jours de Wa-me-gon-a-biew. Le vieillard, s’entendant appeler, vint promptement aborder, et nous comprîmes bientôt qu’il ignorait ce qui s’était passé entre ses enfans et nous. A-ke-wah-zains, en lui en faisant le récit, s’anima jusqu’à un tel excès de rage, que j’eus beaucoup de peine à l’empêcher de massacrer sur la place ce pauvre vieillard sans défense. Il me fallut le laisser s’emparer d’une partie du rhum qu’avait apporté son ennemi, et j’aidai ce dernier à s’échapper sur-le-champ ; car je savais combien il serait peu sûr pour lui de se trouver parmi nous, lorsque sa liqueur commencerait à produire son effet.

Le même soir, A-ke-wah-zains me proposa son fusil court et léger en échange du mien qui était long, d’un bon poids et parfait. J’étais peu disposé à cet arrangement sans bien connaître la différence des deux armes, et Net-no-kwa n’en était nullement d’avis ; mais je ne sus pas me décider à un refus tout à fait contraire aux usages des Indiens de cette contrée.

Vers ce temps-là, je tuai une vieille ourse parfaitement blanche. De ses quatre oursons, l’un était, comme elle, blanc avec les yeux et les ongles rouges, un rouge-brun et deux noirs. Pour la taille et les autres rapports, elle ressemblait à l’ours noir commun ; mais elle n’avait rien de noir que la peau des lèvres. La fourrure de cette espèce est très belle ; toutefois les traiteurs l’estiment moins que la rouge (82). La vieille ourse était très peu féroce, et je la tuai sans peine. Deux des oursons furent tués dans la bauge, les deux autres grimpèrent dans un arbre. Je venais de les abattre à coups de fusil, lorsque je vis arriver trois hommes attirés par le bruit de mes décharges. Ils étaient très affamés ; je les conduisis à ma cabane, leur donnai à manger, et distribuai à chacun d’eux un morceau de viande au moment de leur départ. Le lendemain, je tirai un autre ours sur un petit peuplier, et j’eus occasion de reconnaître quel mauvais fusil m’avait donné A-ke-wah-zains, car je fis feu quinze fois sans succès ; il me fallut grimper sur l’arbre et tirer l’ours à la tête à bout portant pour pouvoir l’abattre.

Peu de jours après, je fis lever, en même temps qu’un élan, trois jeunes ours, qui grimpèrent sur un arbre. Je tirai ces derniers, et il en tomba deux ; mais comme ils pouvaient n’être que blessés, je m’élançai aussitôt vers l’arbre. A peine y étais-je arrivé, que je vis la mère ourse accourir en toute hâte dans la direction opposée. Elle releva l’ourson qui était tombé le plus près d’elle et se tenant sur ses pattes de derrière, le tint dans celles de devant comme une femme porte son enfant. Elle le regarda un moment, flaira le trou de la balle qui l’avait atteint au ventre, puis voyant qu’il était mort, elle le jeta et courut droit à moi en grinçant des dents et se tenant si droit que sa tête s’élevait à la hauteur de la mienne. Tout cela se passa si rapidement, qu’à peine avais-je rechargé mon fusil ; je n’eus que le temps de le relever pour tirer à bout portant. Jamais je n’avais mieux compris la nécessité d’un usage indien que je négligeais rarement. Après avoir déchargé son fusil, le premier devoir est de le recharger.

Pendant un séjour de près d’un mois, malgré le mauvais état de mon fusil, je tuai vingt-quatre ours et dix mooses. Ayant amassé ainsi beaucoup de graisse (83) que nous ne pouvions pas manger, je visitai un sunjegwun que j’avais fait après avoir tué les vingt mooses avec les sept balles, et j’y déposai ces nouvelles provisions. Quand le gibier devint très rare, je me rendis en cet endroit avec ma famille dans l’intention d’y vivre de nos provisions jusqu’au printemps ; mais Wa-me-gon-a-biew, sa famille et plusieurs autres Indiens avaient violé le sunjegwun ; je le trouvai entièrement vide. Réduit ainsi à la crainte d’une misère prochaine, je me vis forcé de me mettre à la poursuite des bisons. Heureusement la rigueur de l’hiver repoussa les animaux dans les bois, et en peu de jours j’en tuai un grand nombre ; je fus rejoint alors par Wa-me-gon-a-biew et plusieurs autres Indiens.

Nous étions campés dans un petit bouquet d’arbres dans la prairie ; une nuit, la vieille femme et plusieurs autres membres de notre famille rêvèrent qu’un ours était près de notre hutte ; le lendemain matin, je le cherchai et le trouvai dans sa tanière. Je fis feu sur lui, et j’attendis un moment que la fumée de mon coup de fusil se fût dissipée : le voyant alors étendu au fond, je me baissai la tête en avant pour l’en tirer ; mon corps couvrait en partie la tanière et interceptait le jour. Je ne m’aperçus qu’il vivait encore qu’au moment où je mis la main sur lui ; il se releva et voulut sauter sur moi. Je m’enfuis de toute ma vitesse, mais il me serrait de si près, que pendant toute la course je sentis sur ma face la chaleur de son haleine ; il aurait pu me saisir, il ne l’essaya pas. J’avais pu prendre mon fusil en m’élançant de sa tanière, quoique poursuivi de très près ; aussitôt que je crus avoir gagné un peu de terrain, je lâchai par derrière un coup qui brisa la mâchoire de l’ours, et bientôt je l’eus tué.

Depuis cette épreuve, je pris plus de précaution, et n’entrai jamais dans la tanière d’un ours sans m’être assuré de sa mort. Vers la fin de l’hiver, les bisons devinrent si communs dans nos alentours, que nous les tuions à coups de flèches, et que nous prenions quelques uns des plus jeunes avec des nœuds coulans de cuir.

Dans la saison du sucre, nous allâmes chasser les castors à Pe-kau-kau-ne-sah-kie-gun (le lac de la Bosse de bison), à deux journées de la source du Pembinah. Nos femmes nous accompagnèrent, et la vieille Net-no-kwa resta à récolter le sucre avec les enfans. Nous voulions tuer assez de castors pour pouvoir acheter chacun un bon cheval qui nous portât dans l’expédition contre les Sioux, l’été suivant. En dix jours, je tuai quarante-deux beaux et grands castors, et Wa-me-gon-a-biew à peu près autant. Nous nous rendîmes aussitôt à la factorerie de Mouse-River. M. Mackie m’avait promis de me vendre un très beau cheval de grande taille que j’avais déjà vu ; je fus très mécontent d’apprendre qu’il l’avait cédé à la compagnie du Nord-Ouest, et je lui dis que, puisque le cheval s’était dirigé vers le nord-ouest, les castors suivraient la même direction. Je passai donc sur l’autre rive et j’y achetai une grande cavale grise pour trente peaux de castors. C’était, à quelques égards, une aussi bonne monture que l’autre ; mais elle ne me plaisait pas autant. Wa-me-gon-a-biew acheta aussi un cheval des Indiens, et nous allâmes rejoindre Net-no-kwa à la rivière du Grand-Bois ; mais elle était partie pour la rivière Rouge, où nous la suivîmes.


(80) Samuel Hearne (t. 2, p. 212 de la traduction française) consacre une notice assez développée aux mœurs du porc-épic. (p. 263)


(81) Samuel Hearne consacre d’assez longs détails (t. 2, p. 176 de la relation de son voyage, à la description du we-was-kish ou daim rouge, le plus stupide de tous les animaux de la race des daims. (p. 265)


(82) « Les ours rougeâtres sont méchans, ils viennent effrontément attaquer les chasseurs, au lieu que les noirs s’enfuient. Les premiers sont plus petits et plus agiles que les derniers. »

(La Hontan, Mémoires de l’Amérique, t. 2, p. 40. )

Buffon donne beaucoup de détails sur les variétés de couleurs parmi les ours d’une même espèce. (p. 271)


(83) « D’un seul ours on tire quelquefois plus de cent vingt pots de cette huile ou graisse. » (Buffon.) (p. 273)