Mémoires de Michel de Castelnau/3

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Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 123-215).


LIVRE TROISIESME


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CHAPITRE PREMIER.


Marie Stuart, reyne d’Escosse, douairiere de France, conseillée de se retirer en Escosse. Son embarquement à Calais. Son arrivée. Retour des seigneurs qui l’avoient accompagnée. Compliment de la reyne Elizabeth d’Angleterre à cette Reyne. Sujet de la jalousie survenue entre ces deux Reynes. Eloge d’Elizabeth, reyne d’Angleterre ; douceur de son regne. Sa bonté et son action au soulagement de ses sujets : elle ne vend point les charges et n’emprunte point. Son apologie contre ceux qui l’ont crue encline à l’amour. L’autheur la propose pour exemple aux reynes à venir. Ledict autheur employé pour son mariage avec le duc d’Anjou. Defense faicte en Angleterre, sur peine de crime de leze-majesté, de parler de successeur à la couronne après cette Reyne.


Après la mort du roy François II, la Cour et tout le royaume changerent de face, et les affaires prirent un nouveau ply. Premierement, Marie Stuart veufve du feu Roy, et reyne d’Escosse, qui estoit lors en la fleur de sa beauté, et de l’aage de dix-huict ans, sentoit bien de quelle consequence luy estoit la perte du Roy son seigneur et mary, ayant esté amenée jeune hors de son royaume, lequel estoit en la puissance de ses sujets et de la reyne d’Angleterre, plustost que de la sienne. Après avoir mis quelque relasche à son ennuy, voyant qu’elle ne pouvoit demeurer à la Cour ny en France, autrement que comme une jeune douairiere, sans faveur ny credit, ceux de Guise ses oncles luy conseillerent[1] de s’en retourner en son royaume d’Escosse, tant pour asseurer son Estat, et y vivre avec plus d’authorité, se faisant cognoistre à ses sujets, que pour y restablir sa religion, et que par mesme moyen elle s’approcheroit de l’Angleterre, dont elle estoit la plus proche heritiere. Ce que la Reyne mere du Roy trouva fort bon et expedient de s’en defaire.

Surquoy luy ayant esté baillé un grand et honorable douaire, comme le duché de Touraine, le comté de Poictou et autres terres, sans ses pensions, après qu’elle eust faict ses adieux et donné ordre à son partement, un de mes freres fut envoyé à Nantes, pour faire passer à Calais deux galeres de celles que le grand-prieur de France son oncle avoit amenées l’année auparavant de Marseille, èsquelles il entreprit de la faire passer, contre les desseins que l’on disoit que la reyne Elisabeth avoit de la surprendre, ou d’empescher son passage. Mais cette crainte ne l’empescha de s’embarquer à Calais, où elle fut accompagnée fort honorablement jusques au bord de la mer par les ducs de Guise et de Nemours, et plusieurs autres seigneurs et gentils-hommes de la Cour. Et le duc d’Aumale, grand-prieur, general desdites galeres, son conducteur, le marquis d’Elbœuf, le sieur d’Anville[2] à présent héritier de la maison de Montmorency, et mareschal de France, de Strossy, La Nouë, La Guiche et plusieurs autres, tous pour lors affectionnez à la reyne d’Escosse et à la maison de Guise, la suivirent jusques en son royaume, où, le huitiesme jour après son embarquement, elle arriva, ayant eu la vue et quelque appréhension de l’armée d’Angleterre, qui estoit en mer, soit pour la prendre ou pour luy empescher le passage : ce qui estoit très-mal-aisé, pource que les galleres naviguent beaucoup plus légèrement que les vaisseaux ronds.

Aussi elle prit terre sans aucun danger à la rade du Petitlit un matin, lorsqu’elle n’estoit nullement attendue de ses sujets, et se fit conduire et porter en sa maison de Saint James, autrement appelée Le Cavignet, au fauxbourg de l’Islebourg, où soudain elle se mit au lit et y demeura vingt jours ou environ, pendant que les comtes, barons et seigneurs de son royaume, la furent trouver, ordonnant de ses affaires et de l’estat de son pays ; et comme on luy faisoit tout l’honneur et le service qu’elle pouvoit désirer, elle s’efforçoit de se rendre agréable et de contenter autant qu’il luy estoit possible aussi bien les petits que les grands. Et donna d’entrée si bonne opinion d’elle à ses sujets, que l’Escosse s’estimoit heureuse d’avoir la présence de sa Reyne, qui estoit des plus belles et plus parfaites entre les dames de son temps.

Ayant rallié tous ses sujets qui estoient divisés en factions, et se voyant en pleine et paisible possession, la pluspart des François se retirèrent les uns après les autres.

Le duc d’Aumale s’en retourna par mer avec les galères, et le grand prieur et le mareschal d’Anville passèrent par l’Angleterre, désireux de voir la Reyne, son royaume et sa Cour, où ils receurent beaucoup d’honneur, et tous les seigneurs et gentilshommes françois qui les accompagnoient : le marquis d’Elbœuf fut le dernier qui partit d’Escosse, où le comte de Muray, frère bastard de ladicte Reyne, demeura comme principal chef de son conseil, avec quelques autres seigneurs escossois.

La reyne d’Angleterre envoya se conjouir avec elle de son arrivée en Escosse, luy offrant toutes les amitiez d’une bonne parente, et demonstrant estre bien aise de la voir en mesme isle, où elles régneroient toutes deux en bonne et parfaite union, comme si elle eust oublié toutes les querelles passées par le moyen du traicté fait au Petitlit.

Je me souviens que la reyne Elizabeth disoit lors, ce qu’elle luy escrivit aussi, que toute l’isle seroit enrichie et décorée de sa venue et de sa beauté, vertu et bonne grâce, qui estoient toutes honnestetez peut estre fort esloignées du cœur. La reyne d’Escosse de sa part n’oublia aussi rien pour donner bonne response et faire pareilles offres à la reyne d’Angleterre. Ces commencemens d’amitiez furent nourris et entretenus quelques temps par ambassadeurs, honnestes lettres et présens réciproques.

Mais enfin l’ambition, qui rarement abandonne l’esprit des princes, et particulièrement ceux qui sont si voisins, et qui ne permet qu’ils soient longuement en repos, fraya le chemin à l’envie. Et comme la reyne d’Escosse estoit douée d’infinies perfections et de grande beauté, elle fut recherchée à cette occasion de plusieurs grands princes, comme de celuy d’Espagne, qui n’avoit lors que dix-sept ou dix-huict ans, de l’archiduc d’Austriche et de plusieurs princes d’Italie. Cela apporta incontinent de la jalousie à la reyne Elizabeth d’Angleterre, quelque démonstration qu’elle luy fist de la vouloir aimer comme sa sœur et plus proche parente. Et ainsi ces deux Reynes en une mesme isle commencèrent à se prendre garde, et espier les actions l’une de l’autre.

Mais la reyne d’Angleterre, comme elle avoit un plus grand royaume, aussi avoit-elle plus de prospérité en toutes ses affaires, comme elle a continué jusques à présent : non que cela luy vint de grandes superfluitez ni dons immenses qu’elle fist, car elle a tousjours esté grande ménagère, sans toutesfois rien exiger de ses sujets, comme ont fait les autres roys d’Angleterre ses prédécesseurs, et n’ayant rien eu en plus grande recommandation que le repos de ses peuples, qui se sont merveilleusement enrichis de son règne. Cette princesse ayant toutes les grandes qualitez qui sont requises pour régner long temps, comme elle a fait, quelque bon esprit qu’elle eust, toutefois n’a jamais voulu rien décider ny entreprendre de son opinion ; mais a toujours remis le tout à son conseil. Et pourroit-on dire de son règne ce qui advint au temps d’Auguste, lorsque le temple de Janus fut fermé à Rome par la paix universelle qu’il avoit de son temps. Ainsi la reyne d’Angleterre s’estant garantie de toutes guerres, en les rejettant plustost sur ses voisins que de les attirer et nourrir en son royaume, conservoit par ce moyen ses sujets en fort grand repos ; et si elle a esté taxée d’avarice, c’est à tort, pour n’avoir pas fait de grandes libéralitéz, lesquelles apportent non seulement de l’envie à ceux à qui elles sont conférées quand il y a de l’excès, mais aussi bien souvent du blasme à ceux qui les exercent sans raison, si le don n’est charitable ou nécessaire.

Ladicte Reyne ayant entièrement acquité toutes les debtes de ses prédécesseurs, et donné si bon ordre à ses finances, qu’il n’y a aucun prince de son temps qui ait amassé tant de richesses si justement acquises comme elle a fait, sans imposer aucun nouveau tribut ou subside, qui est une raison suffisante pour monstrer que l’avarice ne l’a point commandée, comme on luy en a voulu donner le blasme ; aussi a-t-elle esté huict ans sans demander l’octroy et don gratuit que l’Angleterre a de coustume de faire de trois en trois ans à son Roy : et, qui plus est, l’an 1570, ses sujets le luy ayant offert sans le demander, elle, non seulement les remercia sans en vouloir rien prendre, mais aussi les asseura qu’elle ne leveroit jamais un escu sur eux que pour entretenir l’Estat, ou lorsque la nécessité le requerroit. Ce seul acte mérite beaucoup de louange, et luy peut apporter le nom de bien libérale.

Davantage, elle n’a point vendu ny tiré d’argent des offices de son royaume, que la pluspart des princes mettent au plus offrant, chose qui corrompt ordinairement la justice, la police, et toutes loix divines et humaines. Et outre ce qu’elle a maintenu ses sujets en paix et en repos, elle a fait faire un grand nombre de vaisseaux, qui sont les forteresses, bastions et remparts de son Estat, faisant tous les deux ans faire un grand navire de guerre ; et font estat tels vaisseaux de ne trouver rien en mer qui leur puisse résister. Voilà les bastimens et palais que la reyne d’Angleterre a commencé depuis son advenement à la couronne, et lesquels elle continue. Elle a encore une autre sorte de prudente libéralité, qui est de ne rien espargner pour sçavoir des nouvelles des princes estrangers. Et a cela de particulier, qu’elle preste plustost gratuitement que d’emprunter à aucuns changes ou înterests.

Et si l’on la voulu taxer faussement d’avoir de l’amour, je diray avec vérité que ce sont inventions forgées de ses malveillans et es cabinets des ambassadeurs, pour degouster de son alliance ceux ausquels elle eust esté utile. Et si elle eust aimé le comte de Leicester, comme l’on a voulu dire, et qu’elle eust oublié l’amour de tous ses autres sujets et des princes estrangers qui l’ont recherchée, qui l’eust empeschée d’espouser ledict sieur comte de Leicester, veu que presque tous les estats de son royaume, et mesme les roys et princes ses voisins, l’en ont requise et luy en ont fait instance, ou de se marier à tel autre de ses sujets qui luy plairoit ? Mais elle m’a dict infinies fois, et longuement auparavant que je fusse résident auprès d’elle, que pour sa vie elle ne se voudroit marier qu’à un prince de grande et illustre maison et tige royale, et non moindre que la sienne, plus pour le bien de son Estat que par affection particulière, et que si elle pensoit que l’un de ses sujets fust si présomptueux que de la désirer pour femme, elle ne le voudroit jamais voir, mais, contre son naturel, qui ne tenoit rien de la cruauté, elle luy feroit un mauvais tour. De sorte qu’il n’y a point d’apparence de croire qu’elle n’aye tousjours esté aussi chaste que prudente, comme le demonstrent les effets. Ce qui en donne bonne preuve, est la curiosité qu’elle a eue d’apprendre tant de sciences et langues estrangeres, et a tousjours esté si employée aux affaires de son Estat, qu’elle n’eust pu oisivement vacquer aux passions amoureuses, qui n’ont rien de commun avec les lettres, comme les anciens ont sagement demonstré quand ils ont fait Pallas, déesse de sagesse, vierge et sans mère, et les muses chastes et pucelles. Toutesfois les courtisans disent que l’honneur, et principalement des femmes, ne gist qu’en la réputation, qui rend ceux-là heureux qui la peuvent avoir bonne.

Et si je me suis laissé transporter à la loüange de cette princesse, la cognoissance particulière que j’ay eue de ses mérites me servira d’excuse légitime, dont le récit m’a semblé nécessaire, afin que les reynes qui viendront après elle, puissent avoir pour miroir l’exemple de ses vertus, si ces mémoires (contre mon intention) estoient un jour mis en lumière ; remettant en autre lieu[3] à parler du contract de mariage que j’ay fait passer par une fort solemnelle ambassade, avec François duc d’Anjou, et les visites et grandes amitiez qu’il a demonstrées à ladite reyne d’Angleterre. A quoy j’ay eu l’honneur d’estre employé des premiers, par le commandement de la Reyne, mère du Roy, incontinent après que la pratique de Henry, fils de France, son frère aisné, à présent Roy, fut délaissée : où il fut advisé que, pour le bien des royaumes de France et d’Angleterre, celuy des enfans de France qui seroit le plus esloigné de la couronne, seroit le plus propre pour estre marié avec la reyne d’Angleterre, qui cependant tient non seulement ses sujets, mais aussi la chrestienté en attente de ce qu’elle veut faire ; ne voulant en façon que ce soit, durant sa vie, déclarer aucun successeur à sa couronne : aussi toutes les nations du monde regardent plustost le soleil levant que le couchant.

Et pour cette cause fut arresté aux Estats tenus en Angleterre, au mois de mars 1581, qu’il ne se parleroit poinct des successeurs, ny de droict successif à la couronne pour qui que ce fut, sur peine de trahison et crime de leze-majesté. Mais je laisseray en cet endroict ce qui est des affaires d’Angleterre, pour reprendre le fil de l’histoire de la France et les choses advenues vingt ans auparavant le traicté dudict mariage, selon la cognoissance que j’ay euë, tant des unes que des autres.


CHAPITRE II.


Changement arrivé en France par la mort du Roy, La Reyne mère faict un contre-poids des princes du sang avec la maison de Guyse. Le prince de Condé déclaré innocent. Les autres prisoniners délivrez. Le connestable de Montmorency maintient la maison royale contre ceux de Guyse. Sentimens du chancelier de l’Hospital sur les abus du clergé. Mauvaise administration des finances. Ordre apporté pour la despense du royaume. Le roy de Navarre refuse la régence. Les estats d’Orleans licentiez sans parler de la requeste des huguenots.


Pour retourner donc au lieu où j’ay fait la digression, lors de la mort du roy François second, auquel succéda Charles neufiesme son frère, par ce nouveau changement en tout le royaume, la maison de Guise particulièrement avoit occasion de porter beaucoup de dueil, parce que leurs ennemis se rehaussoient et fortifioient de tous costez, pour voir leur appuy au roy de Navarre, ce leur sembloit, et le prince de Condé eschappé du péril et hazard qu’il avoit couru, par la pleine liberté en laquelle il fut remis ; et dès-lors le roy de Navarre et luy furent tous jours fort bien suivis : qui sont mutations que l’on voit presque ordinairement naistre au changement des roys.

Toutesfois, la Reyne, mère du Roy, pour obvier aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme nous avons dict, avoit moyenne quelque reconciliation entr’eux et ceux de Guise, et avoit mis en crédit le roy de Navarre et le cardinal de Bourbon, et donné bonne espérance au prince de Condé, afin de tenir comme un contre-poids des princes du sang à la maison de Guise, et qu’au milieu de ces maisons jalouses et envieuses l’une de l’autre, le gouvernement luy demeurast, comme à la mère du jeune Roy. En quoy elle fit paroistre un traict politique de reyne et bonne mère bien advisëe, ne voulant laisser tomber le Roy son fils et le royaume en autre gouvernement que le sien ; où dèslors elle usa de telle prudence et authorité, que chacun commença à la craindre et luy déférer toutes choses.

Et lors le prince de Condé obtint lettres du Roy adressées à la cour de parlement, pour estre purgé du crime duquel il avoit esté accusé, et eut un arrest d’innocence[4]. Et tous les autres prisonniers pour le mesme faict, et détenus pour la religion protestante, bientost après furent élargis, et tous les défauts donnez contre les protestans révoquez.

Le connestable, qui estoit venu à la Cour[5] auparavant la mort du roy François second, accompagné de ses enfans et neveux de Chastillon, et de plusieurs seigneurs et gentilshommes ses amis, qui faisoient le nombre de plus de sept ou huict cens chevaux, avoit bien aidé pour asseurer le roy de Navarre et ledict prince de Condé contre la puissance de la maison de Guise.

Les protestans lors commencèrent à se ressentir des poursuites faites contr’eux ; car, outre la faveur qu’ils esperoient du roy de Navarre et du prince son frère, ils avoient espérance que le chancelier de L’Hospital, qui avoit succède à cette charge par la mort du chancelier Olivier, favoriseroit leur party. Ce qu’il fit cognoistre en la harangue[6] qu’il fit à l’ouverture des estats d’Orléans ; où ayant touché en general et en particulier toutes les calamitez publiques, il parla fort contre les abus qui se commettoient en tous estats, et principalement en l’ecclésiastique, ce qui avoit donné occasion aux protestans de vouloir introduire une nouvelle religion, sans toutesfois entier en la matière, ny au mérite de la doctrine. Ce qui fut cause que chacun pensant à la reformation desdicts abus, l’on fit plusieurs belles et louables ordonnances, que l’on appelle les ordonnances des estats d’Orléans, et particulièrement pour retrancher les venditions et trafics des bénéfices, et aussi pour supprimer les offices érigez depuis le règne du roy Louis douziesme.

Mais les Estats, qui ne savoient pas encorde fonds des finances, trouvèrent fort estrange que le Roy fust endebté de quarante et deux millions six cens et tant de mille livres, veu que le roy Henry ii, venant à la couronne, avoit trouvé en l’espargne dix-sept cens mille escus et le quartier de janvier à recevoir, outre le profit qui venoit du rachat des offices. Et si n’estoit deu que bien peu aux cantons des Suisses, que l’on n’avoit pas voulu payer pour continuer l’alliance avec eux. Toutes ces grandes debtes furent faites en moins de douze ans, pendant lesquels on leva plus d’argent sur les sujets, que l’on n’avoit fait de quatre-vingts ans auparavant, outre le domaine qui estoit presque tout vendu. Plusieurs des députez furent d’advis que l’on devoit contraindre ceux qui avoient manié les finances depuis la mort du roy François premier à rendre compte, et repeter les dons excessifs faits aux plus grands. Mais cela fut pour lors rabatu, parce que ceux qui estoient comptables estoient trop puissans, et, par conséquent, c’estoit se remettre en danger de quelque nouveau trouble, si l’on les vouloit rechercher. Mais l’on advisa de faire le meilleur mesnage qu’il seroit possible, en retenant une partie des gages des officiers pour cette année-là.

L’on retrancha de plus toutes les dépenses de la vénerie et de plusieurs autres offices qui sembloient estre inutiles ; car il y avoit lors en la maison du Roy plus de six cens officiers de toutes qualitez : mais d’autant qu’il n’y avoit guères plus d’un an que les officiers du royaume avoient payé le rachapt de leurs offices, que l’on appelle confirmation, il fut arresté qu’il n’en seroit rien payé par l’advenement du Roy à sa couronne, en recompense aussi de ce que la moitié de leurs gages leur estoit retranchée ; par quoy il ne fut besoin de reconfirmation ny nouvelles lettres.

Plusieurs députez des Estats furent aussi d’advis qu’il falloit élire le roy de Navarre pour régent en France, parce que le roy Charles neufiesme n’estoit pour lors aagé que de dix à unze ans ; mais le roy de Navarre, peu ambitieux, dit à ceux qui le vouloient inciter à telle chose, que c’estoit à la Reyne mère du Roy d’avoir le gouvernement du Roy et du royaume ; joint aussi que le connestable, le duc de Guise, le chancelier de L’Hospital, de Morvillier, evesque d’Orléans, du Mortier de Montluc, evesque de Valence, et plusieurs autres bien versez aux affaires d’Estat, et qui estoient du conseil, n’estoient pas de cet advis. Cela fut cause que les députez ne voulurent pas insister davantage sur ce poinct. De sorte qu’après que l’on eust ordonné beaucoup de choses très-utiles et nécessaires pour la conservation du royaume, les Estats furent clos, et les députez licentiez.

Alors l’on jugeoit que toute la France seroit paisible et sans crainte d’aucuns ennemis, et espéroit-on un heureux succès de toutes choses. Quant à la requeste des protestans, qui avoit esté présentée six mois auparavant à Fontainebleau par l’Admiral, il n’en fut point parlé ausdits Estats, encore que ce fust l’un des poincts principaux pour lesquels ils avoient esté assemblez, comme il a esté dit par cy-devant. Aussi ceux de Guise avoient donné fort bon ordre qu’il n’y eust pas un député qui ne fust catholique, ou s’il y en avoit quelques-uns, c’estoit en petit nombre, ou bien ne s’osoient manifester. Joint aussi que les poursuites rigoureuses que l’on avoit faites en tous les endroits du royaume contre les protestans, les avoient si fort écartez et estonnez, qu’il n’y avoit personne qui osast parler ny des protestans ny de leur requeste : tellement que l’admirai de Chastillon, et ceux qui les favorisoient, voyans qu’il n’y avoit personne qui parlast pour eux, n’osèrent s’en formaliser. Mais, quelque temps après que les protestans eurent cognu que ceux de Guise n’avoient plus tant d’authorité au conseil, et que le roy de Navarre et le prince de Condé, le chancelier de L’Hospital, et autres dudict conseil, estoient mieux unis avec la Reyne, mère du Roy, ils commencèrent à reprendre courage et se rallier en leurs assemblées, en espérance que le temps leur seroit favorable pour reprendre leurs premières erres, et se remettre au chemin de leur requeste, et demander des temples et l’exercice de leur religion.


CHAPITRE III.


Requeste présentée au Roy par les huguenots, renvoyée au parlement. Diverses opinions. Edict de juillet dressé sur les délibérations du parlement. Sentimens de l’autheur en faveur dudict edict. Puissance des huguenots. La force ne sert de rien contre les hérésies. L’on propose de recevoir la confession d’Ausbourg. Progrez de l’hérésie en France. Ignorance des mistres calvinistes. Prétextes des huguenots pour avoir des temples. La Reyne justifiée de son intelligence avec eux.


Ils s’adressèrent derechef à l’Admirai, qui estoit conseil et partie en cette affaire, lequel en communiqua avec le roy de Navarre et le prince de Condé, et tascha à son possible de leur persuader, pour leur grandeur et bien du royaume, de favoriser la requeste desdicts protestans. Lors il fut advisë qu’elle seroit présentée au Roy, ce qui fut fait ; et à l’instant Sa Majesté la renvoya en son conseil privé : et pour autant que la chose estoit de grande conséquence, il fut advisé par ledict conseil de renvoyer ladicte requeste à la cour de parlement, pour estre bien pesée et meurement considérée avec tous les princes du sang, pairs de France et conseillers du privé conseil, afin que, d’un commun advis et consentement, l’on donnast sur icelle quelque bonne résolution : ceux de Guise, et tous les catholiques n’en estoient pas faschez, s’asseurans que la cour de parlement rejetteroit cette requeste, d’autant que la plus grande partie estoient fort bons catholiques. Et mesme le chancelier de L’Hospital, l’Admirai et autres du privé conseil, favorisans ladicte requeste, sçavoient bien que si elle estoit accordée au privé conseil, elle seroit rejettée par la cour de parlement, en laquelle se devoit admettre la publication et authorité desedicts : neantmoins l’on craignoit que l’authorité des princes et grands seigneurs du privé conseil, qui favorisoient les protestans, ne donnast courage aux conseillers de la cour de parlement qui eussent voulu avancer ladicte requeste, lesquels n’eussent osé l’entreprendre si librement sans l’appuy du conseil privé et des plus grands.

Ladicte requeste fut desbattue d’une part et d’autre à la cour de parlement par plusieurs jours du mois de juin et juillet 1561, où les plus sçavans et grands esprits s’efforcèrent de bien dire, tant ceux dudict parlement que du conseil privé, et se trouvèrent de cinq ou six opinions différentes : les uns estoient d’advis que la requeste devoit estre rejettée, et les edicts faits contre les protestans demeurer en leur, force et vertu. Les autres jugeoient que les peines des edicts, qui estoient capitales, fussent suspendues jusques à la décision du concile general. Aucuns disoient qu’il estoit plus expédient d’en renvoyer la cognoissance aux juges ecclésiastiques, avec deffenses de faire assemblées, ny en public ny en particulier, en armes ny sans armes. Il y en avoit d’autres qui estimoient que l’on leur devoit permettre de s’assembler es maisons particulières pour l’exercice de leur religion, sans estre inquiétez ny recherchez : on rapporta à ce sujet les edicts faits par les empereurs en la primitive Église, sur le différent des catholiques et des ariens, nestoriens et autres sectes, et les edicts faits en Allemagne pour faire l’interim et appaiser les catholiques et les protestans si esmeus les uns contre les autres.

Mais à la fin, les advis d’un chacun estans recueillis, l’on fit un edict, lequel depuis fut appelle l’edict de juillet, par lequel estoient faites deffenses expresses de s’injurier ny mal faire sous ombre de religion, et aux prédicateurs et ministres d’esmouvoir les peuples à sédition, sur peine de la hart, et pareilles deffenses, sous mesme peine, de faire assemblées en public ny en particulier, et de ne faire exercice d’autre religion que de la catholique, apostolique et romaine, remettant la cognoissance du fait de la religion aux juges ordinaires de l’Église, horsmis ceux qui ser oient livrez au bras séculier, encore le tout par manière de provision, jusqu’à la décision d’un concile general. Et pour le passé l’edict portoit une générale abolition.

Cet edict estant publié es cours de parlement, esmeut beaucoup d’esprits qui estoient contraires aux protestans ; beaucoup de politiques toutesfois estimoient, comme les affaires estoient disposées, qu’il estoit nécessaire pour avoir la vraye paix : car comme le pilote qui se voit en danger, se doit accommoder au temps et aux vents, et reculer le plus souvent en arrière, ou temporiser, pour éviter le péril de la fortune, afin qu’après la tempeste il puisse parvenir au port, aussi doivent les sages princes et prudens conseillers s’accommoder aux saisons, dissimuler et changer les edicts au besoin, et faire en sorte que l’Estat demeure en son entier, s’il est possible ; ce que la loy ancienne, souvent alléguée par le chancelier de L’Hospital, portoit en peu de mots : Salus populi suprema lex esto. Aussi le dernier but de la loy n’est point seulement l'observation de la mesme loy, ains le salut et conservation des peuples et des Estats. Et semble mesme que toutes les loix divines tendent à cette fin ; et combien que toutes nos actions doivent butter à la gloire et à l’honneur de Dieu, il est certain que sa puissance, qui est toute parfaite et immuable d’elle-mesme, ne peut estre augmentée par sacrifices ou louanges des plus grands saints, comme elle ne peut diminuer par les blasphesmes des meschans, qui ne sçauroient offencer Dieu de leurs paroles, ains plustost s’offencent et ruinent eux-mesmes. De sorte que tout le bien et le mal que font les hommes n’est que pour les hommes mesmes, et n’en revient rien à Dieu. Aussi voit-on souvent ces mots en la loy divine : Fais cecy ou cela, et il t’en prendra bien ; et si les republiques estoient peries, les loix divines et humaines ne serviroient plus de rien.

Si l’on veut dire que TEstat du royaume de France, n’eust pas esté subverty, quand l’on eust continué les poursuites et condamnations contre les protestans, sans leur permettre le changement de religion, peut-estre est-il vray ; mais neantmoins le royaume n’eust pas manqué de tomber aux dangers ou depuis il a esté, pour avoir pensé bien faire en continuant ces rigueurs contre lesdicts protestans, attendu qu’une grande partie des seigneurs et de la noblesse du royaume tenoient ce party, et favorisoient la religion nouvelle, comme le roy et la reyne de Navarre, le prince et la princesse de Condé, l’Admirai de Chastillon, d’Andelot son frère, colonel de toute l’infanterie françoise, le cardinal de Chastillon, tous frères, et avoient lesdicts protestans le duc de Nemours, pair de France, et le duc de Longueville pour amis ; et le chancelier de L’Hospital leur estoit du tout favorable, et plusieurs evesques que le Pape excommunia. Outre ce, les autres magistrats, menus officiers et peuples de toutes qualitéz, qui inclinoient à cette religion, estoient en beaucoup plus grand nombre que l’on ne pensoit ; d’autre part, les princes et peuples voisins, horsmis l’Espagne et l’Italie, estoient presque tous protestans, comme la plus grande part de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Escosse, Danemarck, Suède, Bohême, et la meilleure partie des six cantons des Suisses et les ligues des Grisons.

Je sçay que plusieurs bien exercez aux affaires d’Estat, diront que pour sauver un corps il faut couper les membres inutiles et pourris. Cela est vray quand il n’y a que les jambes ou les bras, ou quelque autre membre moins important, si pourry et gasté qu’il infecteroit le reste du corps s’il n’estoit coupé. Mais quand la maladie est venue au cœur, au foye, au cerveau ou autres parties nobles et principales, il n’est plus question en ce cas d’user de sections. Et ne faut pas, pour guérir le cerveau incurable, couper la teste, arracher le cœur ou le foye, et faire mourir tout le corps. Au contraire, il faut s’accommoder au patient et à sa maladie, et y apporter divers remèdes, par diette, médecines et tout ce que l’on pourra, sans avancer sa mort. Donc, puisque l’on n’avoit rien pu gagner en France contre les luthériens par le feu et par la mort et autres condamnations trente ans durant, mais au contraire qu’ils s’estoient multipliez en nombre infiny, il estoit expédient de tenter autre voye, et essayer si l’on gagneroit quelque chose de plus par la douceur : comme fit Auguste envers Cinna, auquel il sauva la vie, l’ayant convaincu de l’avoir voulu tuer, ce qui succéda bien à l’Empereur ; car depuis il n’y eut personne qui voulust entreprendre de conspirer contre luy. Voilà, ce semble, les raisons pour lesquelles l’edict de juillet fut fait, lequel toutesfois n’estoit que provisionnel, après y avoir employé des plus doctes et grands personnages, et des plus advisez du royaume : ce que j’ay bien voulu toucher en cet endroit, pour en faire juger la nécessité, et qu’il ne faut pas que les gens qui n’ont esté nourris qu’aux écoles, blasment témérairement les princes et les gouverneurs qui manient les affaires d’Estat, principalement à l’advenement d’un jeune roy, comme le nostre estoit lors, et plusieurs esbranlez aux factions.

Cet edict estant fait, aucuns des protestans commencèrent à respirer et reprendre courage, et quelques-uns de ceux qui n’osoient auparavant dire mot, se descouvrirent sans aucune crainte, disputans franchement de la religion de part et d’autre, sans exception de lieux. Et quoy qu’il fust deffendu par l’edict de faire assemblées en public ny en particulier, pour le faict de la religion, neantmoins les protestans ne se purent abstenir de s’assembler en des maisons où l’on baptisoit, faisoit la cène, les mariages et prières à la façon de Genève, fort différente de la confession d’Ausbourg, qu’aucuns proposèrent qu’il seroit meilleur d’admettre en France, si la nécessité y estoit, que de bailler entrée à la secte calviniste et aux ministres de Genève, que l’on disoit avoir beaucoup plus d’ignorance et de passion que de religion.

Bientost après les assemblées furent si grandes, que les maisons particulières qui avoient accoustumé de les recevoir, ne les pouvoient plus contenir. Toutesfois il y avoit encore bien peu de ministres qui se voulussent découvrir, et la pluspart estoient pauvres gens, ignorans et grossiers, et qui n’avoient autre sçavoir ny doctrine que leurs catéchismes et leurs prières imprimées à Genève, parce qu’il n’y avoit autre profit que le danger de perdre la vie et les biens s’ils en eussent eu, et les plus doctes et habiles avoient esté chassez ou faits mourir. C’est pourquoy ceux qui estoient demeurez, comme plus fins et advisez, envoyoient devant les plus grossiers, pour voir quel tems il y faisoit. Et dès-lors que quelque sçavant ministre venoit, tous les protestans couroient et le suivoient comme un prophète.

Trois mois après ils présentèrent une autre requeste au Roy, pour avoir des temples fondez, comme ils disoient, pour oster l’opinion à beaucoup de catholiques des paillardises que l’on avoit publié se faire es assemblées privées ; qui estoit bien une partie du prétexte, mais en effet les protestans esperoient que ces temples leur estans octroyez, chacun y courroit à l’envy.

Il sembloit à quelques-uns que la Reyne, mère du Roy, inclinoit à leur faveur, parce qu’elle escoutoit volontiers l’Admirai et ceux qui lui parloient pour le bien de l’Estat et le repos du royaume, comme c’estoit une princesse qui ne refusoit de prester l’oreille à tout ce qui pouvoit accroistre la grandeur de ses enfans et la paix en France ; aussi que pour lors on luy disoit qu’il n’estoit question que de réformer seulement quelques abus qui avoient pris accroissement en l’Eglise catholique par souffrance : et mesme l’on pensoit que la duchesse de Savoye et madame d’Lzès luy avoient donné quelque impression de la nouvelle opinion. Mais, si elle les a escoutées, elle n’y a jamais donné son consentement, et n’a rien voulu faire changer ny innover que par conseil, ny consentir à la requeste des protestans, ouy bien aux assemblées publiques, par souffrance et connivence des magistrats, qui estoient en partie de la religion protestante, ou qui n’osoient, ou ne vouloient s’y opposer.


CHAPITRE IV.


Tenue du colloque de Poissy. La régence de la Reyne mère confirmée. Les evesques et docteurs, et les ministres qui se trouvèrent à Poissy. Justification du cardinal de Lorraine qu’on taxoit d’hérésie. Blasphesme de Théodore de Beze. Remonstrance du cardinal de Tournon au Roy. Response des docteurs catholiques a la profession de foy des huguenots, par la bouche du cardinal de Lorraine. Seconde conférence faite en particulier. Rupture du colloque sans succès. Il est dangereux d’exposer la vérité de la foy au hazard de la dispute.


En ce temps fut advisé de faire le colloque de Poissy, composé des evesques de France, et des ministres des protestans, pendant que les députez des Estats qui estoient à Pontoise cherchoient les moyens d’acquiter le Roy. Là fut requis que l’edict de juillet fust cassé et aboly, et qu’il fust convoqué un concile pour décider les poincts contentieux de la religion, où le Roy présideroit, et que la jurisdiction fust ostée aux evesques, et rendue au Roy.

La Reyne demanda aussi que le gouvernement qui luy estoit laissé par le consentement mesme du roy de Navarre, et de tous les princes et seigneurs du conseil, fust emologué par les Estats. Il fut respondu que c’estoit contre la loy salique et ancienne coustume du royaume : toutesfois, puisque c’estoit par le consentement du roy de Navarre, des princes du sang et du conseil, il fut emologué. L’on tint encore quelques propos de faire rendre compte des finances à ceux qui les avoient maniées du temps du roy Henry second et François second.

Et pour le regard de la religion, un nommé Pierre Vermeil[7], qui se faisoit appeller Martyr, comme en ce temps chaque ministre changeoit de nom, et un ministre italien que l’on envoya quérir à Zurich sous la foy publique, d’Espina, La Rosière, Marlorat, Merlin, Morel, Male, et plusieurs autres ministres qui estoient en réputation, se trouvèrent audit Poissy, où ils demandèrent que le Roy y présidast, et que la dispute fust vuidée par la parole de Dieu et pureté de l’Evangile. D’autre part estoient les docteurs Despence, de Xaintes, et autres de la Sorbonne, et plusieurs evesques pour les catholiques. Pierre Martyr et Théodore de Beze voulurent user de grandes et vives persuasions à la Reyne, mère du Roy, pour l’induire à se ranger de leur costé ; mais cela ne servit qu’à la rendre plus constante à suivre et tenir la religion catholique, sans faillir un seul jour d’aller à la messe avec le Roy.

Il y eut aussi plusieurs propos familiers, qui furent tenus entre le cardinal de Lorraine et Théodore de Beze, que l’on a depuis imprimez, et toutefois deguisez et supposez en telle sorte, que ledict cardinal se trouveroit luthérien ; car il est dit qu’il n’approuve point la Transsubstanciation : à quoy il ne pensa jamais, comme il a bien fait cognoistre en plusieurs sermons qu’il a faits, et mesmement en la harangue qu’il fit en pleine assemblée audict Poissy, où le Roy estoit présent, laquelle depuis fut imprimée.

Enfin Théodore de Beze, assisté de douze ministres, fut ouy en pleine assemblée[8] du conseil privé, et de ceux qui estoient mandez de tous les endroits du royaume, le Roy et la Reyne sa mère présens. Il discourut fort amplement et disertement, comme aussi il estoit éloquent, de la religion protestante, sans estre nullement interrompu, jusques à ce qu’il se hazarda de dire en telle compagnie, que le corps de Jesus-Christ estoit autant éloigné de l’hostie comme le ciel de la terre.

Alors les evesques et seigneurs catholiques commencèrent fort à murmurer : ce nonobstant, le Roy permit qu’il eust entière audience. Mais ayant achevé, le cardinal de Tournon, tant pour la dignité qu’il avoit que pour son aage, avec le zèle de la religion catholique, et pour ce qu’il avoit toujours manié les affaires d’Estat, prit la parole, et, l’adressant au Roy, dit qu’il ne pouvoit plus ouyr tant de blasphèmes contre l’honneur de Dieu et son sainct Évangile, en suppliant le Roy, au nom de tous les prélats qui estoient présens, de ne croire en des propos si scandaleux : au contraire, que Sa Majesté ne se devoit jamais départir d’un seul poinct de la foy catholique, où tant de roys ses prédécesseurs avoient honorablement et heureusement vescu, et y estoient morts constamment. Le jour d’après, Théodore de Beze escrivit touchant le propos qu’il avoit tenu du Sainct Sacrement et de l’hostie, voulant adoucir son stile par une déclaration, qui fut depuis imprimée avec sa harangue, et neantmoins il persista en ce qu’il avoit dit.

Après la première session tous les prélats catholiques et docteurs de Sorbonne, pour lors assemblez, résolurent de faire response à la confession des protestans, portée par leur harangue, et touchèrent seulement les deux poincts principaux, à sçavoir l’article concernant le sacrement de l’autel et de l’Église catholique : et fut faite la response par le cardinal, à la seconde session de Poissy, le Roy présent, et ceux qui avoient ouy la harangue des protestans. Alors les cardinaux et députez du clergé, s’approchans du Roy, le supplièrent, pour le meilleur conseil que l’on lui pust donner, de continuer en la vraye foy de l’Église catholique et religion de ses prédécesseurs. Théodore de Beze supplia qu’il plust à Sa Majesté luy donner audience pour respondre sur le champ à tout ce qu’avoit dit le cardinal de Lorraine ; ce que le Roy ne voulut faire, mais fut remisa autre jour, afin que personne ne s’ofFensast, ou fust esmeu d’adhérer aux propos des protestans.

L’on advisa un lieu où l’on pourroit ouyr les ministres hors de la grande assemblée, et où le Roy et la Reyne pussent estre présens : où peu après l’on s’eschauffa si bien en la dispute, que l’ardeur surpassa la raison de part et d’autre, qui fut cause que le Roy diminua le nombre jusques à cinq de chaque costé ; et fut dit qu’il y auroit un greffier de chaque part, pour escrire ce qui seroit resolu par commun consentement des deux parties. Mais, après avoir bien disputé l’espace de trois mois, il fut impossible d’accorder entre eux un seul article, de sorte que le colloque fut rompu le vingt-cinquiesme novembre suivant. Le cardinal de Lorraine avoit envoyé quérir des ministres allemans, pour les faire disputer avec ceux de France sur l’article de la Cène, qui estoit le plus important, et par ce moyen donner plus d’authorité à l’Église catholique par leur discorde. Le semblable estoit advenu vingt ans auparavant au colloque de Ratisbonne, qui fut, par l’authorité de l’empereur Charles cinquiesme, entre quelques docteurs catholiques et protestans, autant d’une part que d’autre.

Ce qui ne servit de rien, sinon de révoquer en doute la religion des uns et des autres, et mettre ceux qui les oyoient, et plusieurs peuples, en deffiance de leur foy ; car il est bien certain que tout ce qui est mis en dispute engendre doute. Aussi est-ce une faute bien grande de vouloir mettre sa religion en doute, de laquelle l’on doit estre entièrement asseuré. Voilà pourquoy, non-seulement les princes musulmans et infidèles, mais davantage le duc de Moscovie, qui est un grand monarque, et qui est chrestien, a deffendu de disputer aucunement de la religion. Aussi fut-il deffendu estroitement entre les Hebreux de disputer de la loy de Dieu, et permis seulement de la lire. Et ne faut pas douter que toutes les hérésies ne soient provenues des disputes trop curieuses de la religion chrestienne ; laquelle ne se peut bien entendre que par foy et par humilité, accompagnées de la grâce de Dieu, parce qu’il y a choses contraires au sens humain, et qui surpassent la raison naturelle. Au contraire, les disputes ne cherchent que les argumens, avec trop de subtilitez et surprises, qui ne s’appuyent que sur la raison humaine.

Cependant que l’on disputoit à Poissy quelqu’un apporta la nouvelle que Philibert, duc de Savoie, ayant eu du pire contre les protestans de la vallée d’Engrogne[9], avoit esté contraint de leur permettre l’exercice de leur religion.


CHAPITRE V.


Emeute au fauxbourg Sainct Marcel de Paris contre les huguenots, qui forcent Véglise de Sainct Medard et la pillent. Edict de janvier en leur faveur. Réconciliation du prince de Condé et du duc de Guyse. La vérification de l’edict de janvier augmente l’hérésie. De la manière de prescher des huguenots, et leur façon de prier. Faute politique des ministres de France. Adresse des hérétiques qui conservent quelque chose des cérémonies anciennes de l’Église. Honneurs deus et rendus aux habits pontificaux. Raison de l'autheur contre le sentiment des ministres. Necessité des cérémonies en l’Église.


[1562] Après la dispute de Poissy tous les catholiques portoient impatiemment de voir que, contre l’edict de juillet, les protestans fissent assemblées publiques, preschans et baptisans en divers lieux, mesmement aux fauxbourgs de Paris ; qui fut cause que les prestres irritez de cela s’assemljlèrent en l’église de Sainct-Medard[10], au fauxbourg Saint-Marcel de Paris ; et si tost que le ministre eut commencé de prescher, ils sonnèrent les cloches le plus fort qu’ils peurent, de sorte que les protestans, qui estoient en fort grand nombre en un jardin près du temple, ne pouvoient rien entendre : qui fut cause que deux ou trois de l’assemblée des protestans allèrent par devers les prestres pour les faire taire, ce qu’ils ne peurent obtenir, et de là vinrent aux paroles et aux prises, dont il y en eut un qui mourut.

Les prestres incontinent fermèrent leur église, et montans au clocher sonnèrent le tocsin pour esmouvoir le peuple catholique, qui accourut soudain au lieu où se faisoit le presche. Mais les protestans s’y trouvèrent les plus forts, et avec grande violence rompirent les portes de l’église, où ils trouvèrent un des leurs battu et blessé à mort, ne se pouvant mouvoir, lequel ils avoient envoyé dire aux prestres qu’ils cessassent de sonner les cloches : irritez de cela ils pillèrent l’église, et abbattirent et rompirent les images, en menaçant de mettre le feu au clocher, si les prestres ne cessoient de sonner le tocsin : il y eut plusieurs prestres blessez et quelques autres emprisonnez par les sergens et chevaliers du guet.

Le jour d’après, les catholiques brûlèrent les bancs et sièges des protestans, et vouloient brûler la maison où se faisoit le presche, s’il n’y fust arrive des officiers de la justice et des forces pour les empescher : qui fut cause que la Reyne, mère du Roy, ayant fait acheminer à Sainct-Germain un nombre de personnages des plus suffisans du royaume et de tous les parlemens, pour, avec le conseil privé du Roy, faire quelque bon edict, et trouver remède au mal qui croissoit, et à l’altération qui estoit entre les catholiques et protestans, il en fut fait un le dix septiesme de janvier, portant qu’il seroit permis aux protestans de faire l’exercice de leur religion hors les villes seulement, et sans aucunes armes, avec injonction à tous de se comporter modestement, et à tous les magistrats et officiers du Roy, de tenir la main à l’exécution dudict edict, lequel n’estoit aussi que provisionnel, non plus que l’edict de juillet, fait auparavant.

En ce mesme temps[11] la Reyne, mère du Roy, cherchant toujours plus de moyen d’adoucir les aigreurs qui estoient de tous costez, fit un accord entre le prince de Condé et le duc de Guise, lequel fait en présence du Roy, des princes et de tous les plus grands seigneurs, le duc de Guise déclara qu’il n’avoit jamais incité le feu Roy à faire mettre le prince de Condé prisonnier, et se donnèrent quelques raisons l’un à l’autre, dont ils demeurèrent ou feignirent estre contens, et à l’instant s’embrassèrent, promettans de s’aimer comme parens : tellement qu’il ne restoit plus que le cardinal de Lorraine à accorder avec le prince de Condé ; mais d’autant qu’il ne faisoit pas profession des armes comme les autres, il ne falloit pas tant demeurer sur la réputation ny sur le poinct d’honneur qu’avec les gens de guerre, qui font profession d’employer la vie pour deffendre l’honneur : neantmoins le prince de Condé demeuroit toujours avec ressentiment contre le cardinal de Lorraine, pensant qu’il estoit cause du danger qu’il avoit couru.

Cependant l’edict fut vérifié et publié es parlemens, après trois jussions et très-exprès mandemens. Alors les ministres[12] preschèrent plus hardiment, qui çà qui là, les uns par les champs, les autres en des jardins et à découvert, par tout où l’affection ou la passion les guidoit, et où ils pouvoient trouver du couvert, comme es vieilles sales et masures, et jusques aux granges ; d’autant qu’il leur estoit deffendu de bastir temples, et prendre aucune chose d’eglise. Les peuples, curieux de voir chose nouvelle, y alloient de toutes parts, et aussi bien les catholiques que les protestans, les uns seulement pour voir les façons de cette nouvelle doctrine, les autres pour l’apprendre, et quelques autres pour cognoistre et remarquer ceux qui estoient protestans.

Ils preschoient en françois, sans alléguer aucun latin, et peu souvent les textes de l’Évangile, et commençoient ordinairement leurs sermons contre les abus de l’Église, qu’aucun catholique prudent ne voudroit deffendre. Mais de là ils entroient pour la pluspart en invectives, et à la fin de leurs presches faisoient des prières, et chantoient des pseaumes en rythme françoise, avec la musique et quantité de bonnes voix, dont plusieurs demeuroient bien édifiez, comme désireux de chose nouvelle, de sorte que le nombre croissoit tous les jours. Là aussi se parloit de corriger les abus, et d’une reformation, de faire des aumosnes et choses semblables, belles en l’extérieur, qui occasionnèrent plusieurs catholiques de se ranger à ce party ; et est croyable que si les ministres eussent esté plus graves et plus doctes, et de meilleure vie pour la pluspart, ils eussent eu encore plus de suite. Mais voulurent du premier coup blasmer toutes les cérémonies de l’Église romaine, et administrer les sacremens à leur mode, sans garder la modestie qu’observent encore aujourd’huy plusieurs protestans, comme ceux d’Allemagne et d’Angleterre, qui ont encore leurs evesques, primats et leurs ministres, qui ont pris et retiennent le nom de curez, diacres et soubs-diacres, chanoines, doyens, et portent les surplis et ornemens de l’Eglise catholique avec les robbes longues. Ce qui les fait plus estimer que les protestans de France, de Genève, d’Escosse et autres, qui, sous prétexte de religion plus reformée couvrans leurs passions, se sont pris mesme aux choses qui ne leur nuisoient point, mais servent à retenir les peuples en une honneste révérence et plus grande modestie à l’endroict des ecclésiastiques.

Aussi la pluspart de ceux qui regrettent la messe et l’exercice de la religion catholique, es endroicts d’où les princes l’ont chassée, ne peuvent encore quitter les habits des gens d’église, avec les cérémonies que les chrestiens ont si long-temps gardées, et lesquelles ont retenu les peuples en dévotion et admiration tout ensemble, avec beaucoup d’obéissance à leurs evesques, suffragans, curez, abbez, prieurs, et autres qui ont charge en l’Église. Qui fut la cause pourquoi les lévites furent séquestrez des peuples, et revestus d’ornemens qui témoignoient la révérence qui estoit deue à leur office, et leur grand pontife avoit un habit fort riche et de grande majesté. De sorte que Jaddus, pontife des Hébreux, n’eut aucun meilleur moyen que de se vestir de son habit pontifical, pour destourner l’armée d’Alexandre le Grand, lequel, ayant veu le pontife en tel habit, s’agenouilla devant luy, et luy accorda tous les privilèges, exemptions et prérogatives qu’il demanda, combien qu’Ephestion l’en voulust empescher.

L’on dit que le pape Urbain en usa de mesme avec son habit pontifical, pour empescher la fureur d’Attila. Et François Souderin[13], evesque de Florence, voyant les peuples de cette ville-là cruellement acharnez au sang et à la vie les uns des autres, et qu’il estoit impossible de les appaiser, prit aussi son habit episcopal, et se présenta à eux, leur faisant des remonstrances, ausquelles, et à la dignité de leur evesque, rêvestu en cette sorte, cédèrent leurs querelles, et chacun se retira en maison.

Or il est certain qu’Alexandre le Grand, duquel l’ambition surpassoit les cieux, pour conquester d’autres mondes, n’eust pas ployé les genoux devant le pontife, ny la fureur d’Attila, qui fut estimé le plus cruel et barbare capitaine de son aage, ny la rage et cruauté d’un peuple acharné de son propre sang et de sa patrie, n’eussent pas si-tost esté appaisez, si ces pontifes eussent esté rêvestus d’habillemens communs, comme les ministres de France. Lesquels, combien que par belle apparence ils disent et preschent qu’il faut oster et corriger les abus, et, comme le bon et diligent jardinier, emonder les arbres de chenilles et de branches mortes, et en couper quelquefois de vives pour avoir plus de fruict et de bois, si est-ce pourtant qu’il ne faut pas couper l’arbre par le pied, et n’y laisser que la racine : ainsi ne faut-il pas, pour amender les abus que ces réformez disoient estre en l’Eglise, en retrancher tout à fait la saincteté, l’ornement et les cérémonies, et s’attacher à la malveillance des habits, pour en abattre l’honneur et le service, et la renverser entièrement.

Aussi est-il impossible que le menu peuple, de longtemps contenu dans l’obeïssance par sa loy et coustume, élève son esprit plus haut que sa portée ; à l’infirmité duquel nos pères se sont très-sagement accommodez, les contenans avec l’usage de ces solemnitez extérieures en la crainte de Dieu, et obeissance de leurs princes supérieurs ; et estant loisible, voire necessaire, de s’accommoder aux habits et cérémonies, quand il n’y a rien qui soit contre la loy divine et de nature.


CHAPITRE VI.


L’hérésie oblige les evesques et autres ecclésiastiques à estudier et à se réconcilier avec les lettres. Nouveauté de religion cause nouveauté en l’Estat. Prières et jeusnes pour la foy. Le roy de Navarre détourné du parti des protestans, sous de belles espérances. Il s’unit, comme le connestable, avec la maison de Guyse. Les huguenots affoiblis par ceste union. Sédition arrivée contre eux à Cahors et ailleurs.


En ces temps, comme plusieurs choses se faisoient, ou par exemple, ou par imitation, ou par volonté de mieux faire, les evesques et docteurs, théologiens, curez, religieux et autres pasteurs catholiques, commencèrent à penser en ces nouveaux prescheurs, si désireux et ardens d’advancer leur religion, et dès-lors prirent plus de soin de veiller sur leur troupeau, et au devoir de leurs charges, et aucuns à estudier es sainctes lettres à l’envy des ministres protestans, qui attiroient les peuples de toutes parts : et craignans que lesdicts ministres n’eussent l’advantage sur eux par leurs presches et par iceux attirassent les catholiques, ils commencèrent aussi à prescher plus souvent que de coustume, en advertissant les auditeurs de se garder bien des hérésies des nouveaux dogmatisans, sur peine d’encourir la haine de Dieu en se départant de sa vraye Eglise.

Et ceux qui estoient plus politiques, preschoient à haute voix qu’il n’y avoit rien de plus dangereux en une république que la nouveauté de religion, nouveaux ministres, nouvelles loix, nouvelles coustumes, nouvelles cérémonies, nouveaux sacremens et nouvelle doctrine ; toutes lesquelles choses tiroient après elles la ruine des Estats, avec une effrenée désobéissance envers Dieu et les princes : parquoy il n’y avoit rien si asseuré que de suivre l’ancienne religion, l’ancienne doctrine, les anciennes cérémonies et les anciennes loix, publiées et gardées depuis les apostres : et remonstroient aux peuples que depuis quinze ou seize cens ans tous les chrestiens avoient tenu la religion catholique que les protestans s’efforçoient d’arracher et renverser, et qu’il n’estoit pas possible que tant de roys, princes et grands personnages, eussent erré si longuement, et fussent privez de la grâce de Dieu, et du sang de Jésus-Christ, qui seroit blasphémer contre sa bonté, et l’accuser d’injustice.

Davantage, les jésuites, tous les mandians et autres religieux, qui preschoient aussi plus qu’auparavant, alloient par les villes, villages et maisons des particuliers, admonester un chascun de la doctrine des pretestans. Et les evesques envoyoient quérir des pardons et jubilez à Rome, pour faire jeusner les peuples, et les convier à prier pour la manutention de la vraye Église catholique ; et plusieurs ne se pouvoient tenir de dire qu’il falloit empescher les protestans de prescher, puisque la justice n’en tenoit compte. Toutes ces choses empeschèrent beaucoup les desseins des ministres, qui ne preschoient qu’en crainte : de là commença à naistre et s’enraciner une plus grande hayne qu’auparavant, entre les catholiques et les protestans. Toutesfois cette année-là[14] se passa sans violence, hormis ce qui advint au faux-bourg Sainct-Marcel, comme j’ay dit, ce qui fut assoupi par l’authorité des magistrats. Mais depuis que les catholiques furent advertis que le roy de Navarre avoit esté distrait du party des protestans, et leur estoit plus contraire que favorable, et qu’il estoit uni avec ceux de Guise, le connestable et le mareschal de Sainct-André, ils commencèrent à se tenir plus asseurez qu’auparavant.

Cette reconciliation et amitié du roy de Navarre avec ceux de Guise avoit esté maniée fort dextrement, mesmement par le cardinal de Ferrare[15], qui estoit venu en France comme légat du Pape, afin de publier le concile de Trente, pensant par ce moyen empescher le concile national que la pluspart de la France demandoit, où l’on craignoit qu’il ne fust arresté quelque chose au préjudice de l’Église catholique et romaine, aussi qu’il tenoit grande quantité de bénéfices en France. L’on voyoit clairement que le party des protestans ne prenoit pied et accroissement que par la divison des princes et grands seigneurs. C’est pourquoy quelques-uns, désireux de les voir réunis ensemble, dirent au connestable, au duc de Guise et mareschal de Sainct-André, que le roy de Navarre et le prince de Condé, à l’instance et suscitation des protestans, leur vouloient faire rendre compte des finances de France qu’ils avoient maniées sous le roy Henry et le roy François II, et repeter les dons excessifs à eux faits ; à quoy s’ils ne remedioient leurs maisons en seroient ruinées, et que le moyen d'empescher cela seroit de tirer le roy de Navarre de leur costé, en luy persuadant que le Pape avoit tant fait avec le roy d’Espagne, qu’il luy rendroit le royaume de Navarre, pourveu qu’il tînt entièrement le party de la religion catholique, qu’il ne pouvoit délaisser sans la perte évidente du royaume de France, où il n’avoit pas petit interest, comme premier prince du sang après le Roy et ses frères, lesquels venans à mourir, il seroit exclus de la couronne s’il n’estoit catholique, comme l’avoient esté si long-temps les roys de France, sans qu’aucun d’iceux eust varié en aucune chose de l’obeissance de l’Église romaine : à quoy on luy alleguoit l’exemple du pape Jules ii, qui avoit osté le royaume de Navarre à Pierre d’Albret, ayeul paternel de la reyne de Navarre sa femme, l’ayant excommunié et exposé la conqueste de Navarre au roy d’Espagne, encore qu’il fust catholique. A plus forte raison estoit-il à craindre que le Pape ne le déclarast, s’il demeuroit en la religion protestante, et chef d’icelle, indigne de la couronne de France. Au contraire, se déclarant catholique, ou le royaume de Navarre luy seroit rendu, ou baillé pour recompense le royaume de Sardaigne, et par mesme moyen le royaume de France luy demeureroit asseuré, si le Roy et ses frères venoient à mourir : et si la Reyne, qui avoit le gouvernement, luy deffereroit autant en toutes choses que si luy-mesme avoit la régence ; joint que ce luy seroit un grand honneur d’estre lieutenant-général.

Ces propos et plusieurs semblables furent tenus au roy de Navarre par personnes qui avoient beaucoup de crédit auprès de luy, et confirmez par le nonce du Pape et l’ambassadeur d’Espagne, qui s’entendoient l’un avec l’autre, cognoissant la facilité du prince, qui estoit vaillant et de bon naturel, mais trop facile à estre persuadé : d’autre costé il luy faschoit d’estre controollé par l’admirai de Chastillon et autres protestans de la Cour, qui le vouloient par trop réformer et contraindre. Cela fut en partie cause de le faire incliner du costé des catholiques ; joint aussi que la doctrine des protestans ne luy estoit pas trop agréable, combien qu’il fust à toutes heures sollicité par les ministres de ne se mesler avec ceux de Guise, disans qu’ils luy avoient voulu oster la vie et l’honneur, avec plusieurs autres persuasions, par lesquelles l’on vouloit aussi empescher le connestable de se liguer avec la maison de Guise, ce qui ne put avoir lieu.

Car, d’autre costé, l’on luy persuadoit qu’il ne pourroit trouver meilleur appuy en sa vieillesse et pour sa maison que ceux de Guise, qui luy cederoient par mesme moyen le droict de la comté de Dammartin. Et pour lors il n’y avoit pas grande affection entre la Reyne, mère du Roy, et le connestable, pour avoir eu quelque mescontentement l’un de l’autre, accompagné de paroles assez aigres. Enfin, cette amitié et confédération de ceux de Guise, du connestable et mareschal de Sainct-André avec le roy de Navarre, fut si sagement conduite, qu’en peu de jours ils ne furent tous qu’une mesme chose. Et quelques-uns pour lors eurent opinion qu’ils eussent bien voulu que la Reyne, mère du Roy, n’eust pas eu le gouvernement, laquelle neantmoins l’a tousjours prudemment conservé.

Lors les partisans, serviteurs et amis de toutes ces maisons, ainsi unis, donnèrent un mauvais coup aux protestans, lesquels firent une lourde faute ; car, estans paisibles en l’exercice de leur religion, ils se voulurent mesler trop avant des affaires d’Estat, et proposer qu’il falloit faire rendre compte à ceux qui avoient manié les finances, comme s’ils eussent esté trésoriers ou receveurs : ce qui n’estoit pas aisé à faire à telles personnes, qui avoient fait tant de services à la couronne, et avoient beaucoup d’amis et serviteurs, et qui avoient plusieurs enfans, qui n’eussent pas eu moins d’esgard à leur conservation et de leur maison, qu’à l’Estat du royaume.

Or, le bruit de cette confédération estant publié, les catholiques commencèrent de mespriser les protestans avec paroles dédaigneuses ; et, les voyans sortir des villes pour aller aux faux-bourgs et villages où se faisoient les presches, et retourner mouillez et crottez se mocquoient d’eux ; et les femmes n’estoient pas exemptes que l’on n’en fist des contes, soit qu’elles fussent guidées de religion, ou d’amour et affection de voir leurs amis qui se trouvoient en telles assemblées. Et lors s’il se mouvoit quelque dispute pour la religion, elle estoit soudain accompagnée de colère et mépris, et de là on venoit aux mains, où les protestans estoient le plus souvent battus ; aussi estoient-ils en moindre nombre que les catholiques. Et sans la crainte des magistrats, ils eussent eu encore pis ; car les catholiques ne pouvoient supporter leurs presches et assemblées.

Et de fait, le seiziesme jour de novembre 1561, en la ville de Cahors en Quercy, les protestans s’estans assemblez en une maison pour faire leurs presches et prières, les catholiques, les voyans par les fenestres, commencèrent à murmurer et les appeler huguenots ; et parce que c’estoit un dimanche, les artisans, qui n’avoient que faire, s’assemblèrent devant la maison en grand nombre, et, après plusieurs injures, jetterent des pierres contre les fenestres ; et comme les choses s’emeurent de part et d’autre, on mit le feu aux portes, et y eut quelques-uns frappez et tuez. L’un des magistrats alla pour faire retirer les peuples, où il fut blessé, et y eut enfin beaucoup de désordre. Le Roy en estant adverty, envoya commission à Montluc pour en faire justice, lequel en fit pendre quelques-uns de part et d’autre des principaux autheurs de la sédition. Neantmoins les ministres ne désistèrent point de prescher, et les protestans y allèrent à grandes troupes, sans aucune crainte et considération de l’exemple de ce qui estoit survenu à Cahors.

Il advint en plusieurs autres villes du royaume, comme Sens, Amiens, Troyes, Abbeville, Thoulouse, Marseille, Tours, autres désordres où il y eut aussi des protestans tuez par leur insolence ; et y eut de la faute de part et d’autre.


CHAPITRE VII.


Histoire du massacre de Vassy. Plainte des huguenots contre cette action, louée des catholiques. Sentiment des politiques. La Reyne entre en soupçon du duc de Guise. Réception de ce duc à Paris. Amour du peuple de Paris envers la maison de Gujse. Dévotion des Parisiens.


Depuis, ce que l’on a appelle le massacre de Vassy, qui advint au mois de mars ensuivant, fut plus remarqué que tout ce qui estoit advenu à Cahors et autres lieux, que l’on disoit estre folies, ayant le mal esté augmenté et plus aigry par la présence du duc de Guise, lequel, après la confederation, reçut lettres et prières du roy de Navarre, pour s’advancer d’aller à la Cour avec bonne compagnie, afin de se rendre les plus forts auprès du Roy. Ledit duc ayant donc pour cet effet adverty ses amis et serviteurs, et donné charge au comte de Rokendolf[16] de lever quelques cornettes de reistres, partit de sa maison de Joinville avec le cardinal de Lorraine, quelques gentilshommes leurs voisins et serviteurs. Et, le premier jour de mars, qui estoit un dimanche, il alla disner à Vassy, où les officiers qui alloient devant, trouvèrent que les protestans y faisoient leur presche en une grange près de l’église. Et y pouvoit avoir environ six ou sept cens personnes de toutes sortes d’aages. Lors, comme m’a souvent dit le duc de Guise, aucuns de ses officiers et autres, qui estoient allés devant, curieux de voir telle assemblée et nouvelle forme de prescher, sans autre dessein s’approchèrent jusques à la porte du lieu, où il s’émeut quelque noise avec paroles d’une part et d’autre. Aucuns de ceux de dedans qui gardoient la porte jetterent des pierres, et dirent des injures aux gens du duc de Guise, les appellant papistes et idolastres. Au bruit accoururent les pages, quelques gentils-hommes et autres de sa suite : s’estans eschauffez les uns les autres avec injures et coups de pierres, ceux de dedans sortirent en grand nombre, repoussans ceux de dehors. Ce qu’estant rapporté au duc en se mettant à table, et que l’on tuoit ses gens, il s’en alla en grande haste, où, les trouvant aux mains à coups de poings et de baston, s’approchant du lieu où se faisoit le presche, luy furent tirez plusieurs coups de pierres, qu’il para de son manteau : et lors se voulant advancer plus près de la grange, tant pour se mettre à couvert que pour appaiser ce désordre, il se fit plus grand ; dont il advint, comme il disoit, qu’à son grand regret quelques-uns de ceux qui estoient audit presche furent blessez et tuez, dequoy chacun faisoit diverse interprétation. Cet accident estonna la Cour[17], et plus les protestans par toute la France : lors le prince de Condé, l’Admiral, le chancelier de L’Hospital, et autres qui tenoient le party, en firent de grandes plaintes à la Reyne mère du Roy ; les autres excusoient le cas, comme estant advenu par inconvénient et sans estre prémédité. Il y eut de là plusieurs ministres protestans qui preschèrent ce fait estre une impiété la plus grande et la plus cruelle du monde.

Au contraire, les prédicateurs catholiques soutenaient que ce n’estoit point de cruauté, la chose estant advenue pour le zèle de la religion catholique, et alleguoient l’exemple de Moyse, qui commanda à tous ceux qui aimoient Dieu de tuer, sans exception de personne, tous ceux qui avoient plié les genoux devant l’image d’or pour luy faire honneur ; et, après qu’ils en eurent tué trois mille, il leur dit qu’il leur donnoit sa bénédiction et la prélature de tout le peuple, pour avoir consacré leurs mains au sang de leurs frères pour le service de Dieu ; et que Jehu, roy de Samarie, fit mourir, pour mesme zèle, deux roys et cent douze princes de leur sang, et fit manger aux chiens la reyne Jezabel ; et, ayant fait assembler tous les prestres idelastres, feignant estre de leur religion, il les fit tous tuer dans le temple par le commandement de Dieu : dequoy il reçut sa bénédiction, et ses enfans héritiers du Roy, jusques à la quatriesme génération, pour avoir vengé l’honneur de Dieu.

Toutesfois, ceux qui en parloient plus politiquement, estimoient que cet inconvénient advenu audict Vassy apporteroit beaucoup de maux, attendu que l’assemblée n’estoit faite que suivant les edicts, èsquels il n’y avoit point de revocation, et que tels discours de part et d’autre, faits par les ministres et prédicateurs, estoient semences de sédition qu’il falloit reprimer.

En ce mesme temps la Reyne, mère du Roy, fut advertie par le prince de Condé, que le duc de Guise et le connestable venoient à Paris, armez et fort accompagnez ; ce qui occasionna Sa Majesté d’escrire audict duc de Guise, afin qu’il vînt à la Cour avec son train ordinaire seulement, et manda le semblable au roy de Navarre, le priant de demander au duc qu’il laissast les armes. Quoy qu’il en fust, il arriva à Paris le vingtiesme jour de mars, fort accompagné. Lors on recognut une très-grande affection que ceux de Paris luy portoient ; car, en premier lieu, les principaux de la ville allèrent au-devant de luy pour se conjouir de sa venue ; et, entrant dans la ville, tout le peuple montra une grande rejouissance, avec quelques particulières allégresses, qui ne furent faites ny aux princes du sang ny au connestable ; ce qui luy donna beaucoup de contentement, et d’espérance à ceux de sa maison d’accroistre leur puissance. Et la pluspart du peuple disoit qu’il ne faisoit rien par ambition, ains pour le seul zèle de la religion catholique, ce qu’ils ne disoient pas des autres ; chose qui luy augmentoit aussi la malveillance de ses ennemis et envieux : occasion pourquoy il leur fit dire qu’ils ne luy fissent pas tant d’apertes démonstrations d’amitié ; et leur faisoit mesmement signe des mains qu’ils se teussent.

Aussi le peuple de Paris estoit lors, et a tousjours esté, autant zélé à la religion qu’autre de tout le royaume de France, dans lequel il se voyoit beaucoup d’altération en la religion ; ce qui estoit remarqué des estrangers et de toutes sortes de gens, et que si-tost que la messe estoit dicte, en beaucoup de lieux l’on fermoit les églises ; au contraire à Paris elles estoient ouvertes tout le jour avec grande dévotion d’un chacun, qui oyoit la messe jusques à midy, et se faisoient plusieurs vœux et assemblées le reste du jour esdictes églises, avec offre de cierges et autres dons ; aussi en icelle il y a beaucoup d’hospitaux et grand nombre de religieux et couvens, dont le nombre croist tous les jours. Et entre toutes celles de France, cette ville se promettoit d’estre bien gardée, et qu’elle seroit exempte de presches, comme elle fut et a tousjours esté, depuis la déclaration faite quelques jours après sur l’edict de janvier[18].


CHAPITRE VIII.


Le roy de Navarre et ceux de son party mettent le prince de Condé hors de Paris, et d’authorité y ramenent le Roy qui voulait demeurer à Fontainebleau. Le prince de Condé et l’Admirai, ayans manqué leur dessein de se rendre les plus forts auprès du Roy, se saisissent d’Orléans. Persécution des huguenots à Paris. Ils s’assemblent à Orléans, font un party, et reconnoissent pour chef le prince de Condé. La qualité de prince du sang importante dans un party. Puissance du party huguenot, résolu à la guerre. Manifeste des huguenots.


Et d’autant que le prince de Condé avoit aussi quelques gens a sa dévotion en ladicte ville de Paris pour conforter le party des protestans, et qu’il y avoit danger évident que les partisans catholiques ne se jettassent sur les protestans, le prevost des marchands alla trouver la Reyne, mère du Roy, à Monceaux, pour la prier qu’elle y envoyast le roy de Navarre, lequel y alla : et, estant arrivé, ne put persuader le prince de Condé, son frère, de sortir de la ville. Sur ce il escrivit à la Reyne qu’elle luy fist exprès commandement de se retirer, ce qu’elle fit ; et, pour l’induire encore davantage, luy envoya le cardinal de Bourbon, son frère.

Alors on ordonna de bonnes et fortes garnisons à Paris, de peur qu’elle ne fust surprise ; le tout par le conseil de ceux de Guise, lesquels s’en allèrent au mesme temps à Fontainebleau, où estoit la Cour, avec le roy de Navarre, le connestable et le mareschal de Sainct-André, auparavant que le prince de Condé y pust arriver, parce que son intention estoit de se faire le plus fort auprès du Roy et de la Reyne sa mère : et d’autant que Fontainebleau n’estoit qu’une maison de plaisir, sans aucunes murailles ny fossez, le roy de Navarre remonstra au Roy et à la Reyne sa mère que Leurs Maj estez n’y pouvoient demeurer seurement, et pour cette occasion qu’il estoit expédient de retourner à Paris : ce qui fut fort disputé et desbattu, d’autant que l’on disoit à la Reyne que le Roy, elle et tous ses enfans, se mettroient du tout en la puissance de ceux de Guise, lesquels tacitement, comme aucuns vouloient dire, prendroient toute l’authorité, laquelle leur seroit conservée et maintenue par ceux de Paris. Davantage, l’on conseilla à la Reyne, mère du Roy, de ne se mesler des querelles du prince de Condé avec le duc de Guise, et fut conclu par le Roy qu’il ne falloit bouger de Fontainebleau ; mais, pensant que cela venoit du conseil, qui n’estoit pas favorable aux desseins du roy de Navarre, de ceux de Guise et du connestable, après que la chose fut quelque temps contestée de part et d’autre, le roy de Navarre dit à la Reyne que, pour le rang qu’il tenoit dans le royaume, comme premier prince du sang, il ne pouvoit accorder ny consentir que le Roy demeurast à Fontainebleau, la suppliant de faire condescendre Sa Majesté, avec le conseil du connestable et autres principaux officiers de la couronne, de mener le Roy à Paris. Alors Leurs Majestez, ne pouvant mieux, eurent recours à quelques larmes. Et ainsi le roy de Navarre estant du tout conseillé dudict connestable, du duc de Guise et mareschal de Sainct-André, emmena toute la Cour à Paris. Lors le prince de Condé et l’admiral de Chastillon, et ceux de leur party, ayans failly leur dessein et se voyans pressez, recoururent à leurs forces, et à trouver moyen de se loger, de peur de tomber entre les mains de leurs ennemis, qui faisoient des levées, et faisoient bailler commissions aux capitaines et gens de guerre catholiques ; et n’ayant pas les moyens autrement de résister ny se mettre en campagne, ils surprirent la ville d’Orléans par la diligence et bonne conduite de d’Andelot, colonel de l’infanterie françoise, lequel fit entendre aux habitans, après avoir gagné les portes, que ce qu’il faisoit estoit pour le service du Roy, et la conservation particulière de leur ville, en laquelle il y avoit grand nombre de protestans ausquels l’on faisoit entendre qu’ils estoient ruinez et perdus s’ils ne tenoient la main à l’entreprise, et leur disant qu’il estoit pour maintenir les edicts de la paix. Avec ces prétextes il se fit le plus fort ; et de vray il entretint quelque temps les edicts et la paix entre les catholiques et les protestans : ainsi cette ville là fut une retraite à tous les protestans ; ce qui leur vint fort à propos, parce qu’elle est forte d’assiette, et aussi bien située que ville de France. En ce mesme temps le connestable, par le consentement et l’authorité du Roy, de laquelle il se fortifioit tousjours, fit brûler les maisons hors la ville de Paris, où les protestans faisoient leurs presches et assemblées ; chose qui fut très-agréable aux catholiques et principalement au peuple de Paris, qui ne laissa pierre sur pierre. Alors tous les ministres, surveillans, et tous les chefs des protestans, sortirent de la ville ; aucuns d’iceux furent tuez par le peuple, ou emprisonnez par la justice, laquelle toutesfois ne leur usa d’aucune rigueur ny punition, aussi n’avoient-ils presché que par l’authorité des edicts. Plusieurs autres ministres protestans, qui n’estoient point ministres de ladicte ville, furent aussi emprisonnez pour estonner les autres, et les réduire par ce moyen à la religion catholique : à laquelle plusieurs s’y réduisirent, ou feignirent vouloir abandonner la protestante, voyans qu’il n’y avoit pas grande seureté aux edicts faits en faveur desdicts protestans. Ce nonobstant, en plusieurs autres endroits de la France, les ministres ne laissèrent pas de continuer les presches jusques à ce que la guerre fust déclarée et l’edict de janvier revoqué[19] ; et d’autant que plusieurs seigneurs qui s’estoient monstrez protestans, craignoient qu’estans écartez les uns des autres, ils ne fussent en danger, non-seulement de perdre l’exercice de leur religion, mais aussi les biens et la vie, cela les fit rallier ensemble en ladicte ville d’Orléans, en laquelle estoit le prince de Condé, et avec luy l’admiral de Chastillon, d’Andelot, le prince Porcian, le comte de La Rochefoucault, le sieur de Piennes, de Soubise, de Mouy, Sainct-Fal, d’Esternay et plusieurs autres, qui firent ledict prince de Condé leur chef : ce que volontiers il accepta, tant pour estre de son naturel ambitieux, et pour avoir moyen de se venger de ses ennemis, qu’aussi pour la crainte qu’il avoit de tomber en leurs mains. Lors il escrivit au connestable qu’il le prioit de cesser de tourmenter les protestans, et faire envers le Roy que les edicts, faits pour eux avec grande cognoissance de cause, fussent entretenus ; mais cela ne luy servit de rien.

Aucuns des plus politiques pensoient que les edicts ne se devoient revoquer, voyant que les protestans avoient un chef prince du sang, sans lequel ils n’eussent pu rien faire, parce que la noblesse et ces seigneurs qui avoient pris ce party n’eussent pas voulu suivre l’Admiral, quoy qu’il fust de grande experience ; lequel aussi ne s’y fust pas embarqué s’il n’eust cogneu le prince de Condé d’un tel courage, qu’il fust plustost mort que de fleschir en aucune chose et changer, comme il avoit monstré en prison. Ceux qui avoient traitté de la confédération entre le roy de Navarre, ceux de Guise et le connestable, pensoient que celuy-cy retireroit ses neveux de Chastillon, et le roy de Navarre le prince de Condé son frère, et ne pouvoient croire que les deux frères et l’oncle et les neveux se fissent la guerre ; mais entre les autres calamitez que la guerre civile tire après soy, elle porte ce malheur d’armer les pères contre les enfans, et les frères contre les frères, et principalement quand il y va du faict de la religion, et que l’ambition domine la raison ; lors il n’y a plus aucun parentage ou alliance qui soit respectée.

Ainsi, les seigneurs et la noblesse protestante conclurent que, puis qu’ils avoient un prince du sang pour leur chef, qui vivroit et mourroit avec eux, il leur falloit mettre le tout à la fortune et au hazard de la guerre, voyans aussi qu’ils avoient l’Admiral, principal officier de la couronne, et digne chef de party, pour les bonnes et grandes qualitez qu’il avoit en luy ; et d’autant qu’il avoit quelque apparence de tenir sa religion plus estroitement que nul autre, il tenoit en bride, comme un censeur, les appetits immoderez des jeunes seigneurs et gentilshommes protestans, par une certaine severité qui luy estoit naturelle et bien-seante. Et d’Andelot, son frère, combien qu’il n’eust pas tant d’experience, estoit tenu neantmoins fort vaillant et hazardeux, et avoit beaucoup de creance avec les soldats. Et pour le regard du cardinal de Chastillon leur frère, il avoit esté, dès sa jeunesse, nourry au maniement des grandes affaires, et estoit très-grand courtisan, qui aimoit et faisoit plaisir et caresse à la noblesse. Quant au prince Porcian, il estoit jeune, prompt, volontaire, et toutesfois bien suivy, comme estoient les sieurs de Rohan de Bretagne, de La Rochefoucault, de Genlis, de Montgommery, de Grammont, de Soubise, de Mouy, de Piennes, et plusieurs autres seigneurs, ausquels se rallioient de toutes parts quantité de leurs parens, amis et serviteurs, tant capitaines, soldats, qu’artisans, et plusieurs mesme de la maison du Roy et de la Cour : ce qui accrut tellement le nombre des protestans, qu’ils eurent moyen de faire une armée, mais non pas telle que celle des catholiques, qui avoient le Roy pour eux et la pluspart des villes.

Or, lesdicts protestans pour donner bonne impression de leurs armes, firent dès lors publier une déclaration, comme ils avoient esté contraints de les prendre, tant pour le tort que l’on faisoit au Roy, à messeigneurs ses frères, à la Reyne sa mère, qui estoient comme captifs, que parce que l’on avoit empesché à Paris l’exécution de l’edict de janvier ; et pretestoient n’avoir autre but devant les yeux en la confédération qu’ils avoient faite de prendre les armes et juré inviolaljlement de mourir tous ensemble que pour l’honneur de Dieu, la liberté du Roy, de ses freres, de la Reyne sa mère, et pour la conservation des edicts. Et pour tout ce que dessus, ils tenoient le prince de Condé, après le Roy, pour leur chef, et premettoient de luy obeyr et employer leurs vies et leurs biens, sans souffrir aucunes voleries, meurtres, assassinats, saccagemens d’églises, ny aucunes injures publiques. Cette protestation ainsi faite fut envoyée au Roy par le prince de Condé, avec ses lettres, et à la Reyne sa mère, au roy de Navarre, et au connestable.


CHAPITRE IX.


La Reyne tasche de regagner le prince de Condé. Veritables desseins de cette princesse. Massacre des huguenots à Sens. Guerre résolue. Livrée des huguenots, leurs raisons de faire la guerre. Déclaration du Roy contre leurs prétextes. Révocation de l’edict de janvier. Prise de plusieurs villes par les huguenots. Le prince de Condé defend les excès et sacrilèges. Grand estonnement a la Cour de tant de progrez. La Reyne et le parlement de Paris offrent toute satisfaction au prince de Condé. Sa response. Son manifeste envoyé aux princes estrangers. Leurs sentimens des malheurs des troubles de France.


La Reyne témoignant trouver mauvais que l’on dist que le Roy et elle eussent esté forcez contre leurs velontez d’aller à Paris, et qu’ils fussent comme prisonniers, pour adhérer aux particulières volontéz de ceux de Guise, du connestable et du mareschal de Sainct-André, et que l’on publiast que lesdicts sieurs eussent pouvoir de faire faire au roy de Navarre tout ce qui leur plaisoit, escrivit au prince de Condë, par le baron de La Garde[20], de la bonne affection qu’elle luy avoit tousjours portée, et du regret qu’elle avoit de voir les choses en telle extrémité, luy promettant que si à ce coup il se montroit bon serviteur et parent du Roy, elle ne l’oublieroit jamais, ny le devoir qu’il monstreroit à la conservation de l’Estat, et à appaiser les troubles dont il se faisoit chef d’une part, voyant bien que de l’autre le connestable et mareschal de Sainct-André prenoient beaucoup de licence avec ceux de Guise, pour s’animer peut-estre par trop contre les protestans ; en quoy elle n’avoit pas du tout esté crue desdicts sieurs, qui avoient des passions particulières, mais que, pour le service du Roy et le bien du royaume, il falloit tout oublier.

Et si l’on avoit dit du duc de Nemours qu’il avoit voulu tirer Henry, duc d’Anjou[21], frere du Roy, de la Cour pour le faire chef des catholiques, que c’estoit chose qui n’avoit point esté approuvée, encore que Rigneroles, pour lors escuyer dudict duc de Nemours, eust esté prisonnier pour ce sujet, la Reyne n’oubliant aucunes raisons pour persuader au prince de Condé qu’il ne se devoit embarquer legerement au dessein de se faire chef des protestans. En quoy il sembloit à quelques-uns qu’elle voulust favoriser son party ; mais il est croyable que, comme sage et prudente princesse, elle recherchoit par tous les moyens qui luy estoient possibles la conservation du Roy, de ses frères, et de l’Estat, craignant sur toutes choses la touche des guerres civiles. En ce mesme temps quelques-uns en la ville de Sens, qui retournoient du presche, par l’insolence du mal qui alloit toujours croissant, furent tuez, et y eut quelques maisons pillées par des soldats et autres gens armez en ladicte ville. De sorte que Fondisoit que le fait de Vassy[22] n’estoit rien au regard de celuy-là de Sens, dont les protestans vouloient imputer la faute au cardinal de Lorraine, qui en estoit pour lors archevesque. Le prince de Condé se plaignoit grandement à la Reyne de cet accident, l’appellant massacre et grande cruauté ; à quoy la Reyne se trouvoit bien empeschée de pouvoir satisfaire, et réparer le mal advenu : et lors ledict prince de Condé, entièrement résolu de ne se départir de la foy et promesse qu’il avoit donnée aux protestans, de vivre et mourir avec eux, dit qu’il ne falloit plus rien espérer que de Dieu et des armes. Ainsi chacun se résolut et appresta pour la guerre de part et d’autre. Les protestans donc, que nous appellerons cy-après huguenots, du nom que nous avons dit leur avoir esté donné à la conspiration d’Amboise, ayans pris ce nom, le voulurent honorer de tout le courage que les François ayent jamais eu à combattre leurs plus grands ennemis, et firent faire lors des casaques de drap blanc pour toute leur cavalerie, qui estoit une marque fort aisée à cognoistre ; aucuns des principaux chefs en avoient de velours, mais bien peu. Et, pour donner plus de couleur aux raisons qu’ils disoient avoir de prendre les armes, faisoient souvent publier et imprimer de petits livrets, par lesquels ils se plaignoient de la susdicte captivité du Roy, et confédérations faites contre Sa Majesté, de l’infraction des edicts, des meurtres et massacres, ainsi les appelloient-ils, faits en plusieurs lieux, de la nécessité en laquelle ils estoient réduits, et autres semblables protestations pleines de paroles fort aigres et piquantes contre ceux de Guise ; montrans par leurs paroles et discours grande affection envers le Roy et la Reyne sa mère, et principalement le prince de Condé, qui écrivit aussi lors à toutes les eglises des huguenots, afin qu’ils donnassent ordre que leur armée n’eust faute des choses nécessaires pour la deffense de la religion.

Mais d’autre part, pour oster l’occasion audict prince et à ses partisans de prendre les armes, le Roy fit publier un nouvel edict[23], déclaratif et limitatif de l’edict de janvier, par lequel Sa Majesté vouloit et entendoit que l'edict de janvier fust entretenu par tout le royaume, excepté seulement en la ville de Paris. Et par autres lettres patentes Sadite Majesté déclara comme les huguenots ne dévoient prendre occasion de se rebeller ny prendre les armes, sous couleur que le Roy et la Reyne estoient prisonniers avec ses frères, tant de ceux de Guise que du connestable : faisant ample déclaration du contraire, et qu’ils estoient en pleine et entière liberté pour deffendre l’Estat, avec l’aide de leurs bons sujets et serviteurs, tant ceux qui estoient près de leur personne, qu’autres qui en estoient plus esloignez. Laquelle déclaration sembloit monstrer que la confederation faite entre le roy de Navarre, le connestable et le duc de Guise, n’estoit point tant pour le fait de la religion que pour la conservation de l’Estat : c’est pourquoy beaucoup de catholiques qui n’avoient autre but que de maintenir leur religion, et pensoient auparavant que la confédération ne visast que là, commencèrent à se refroidir ; ce qui fut cause que l’edict de janvier fut entièrement révoqué, afin que tous bons catholiques s’employassent plus volontiers à la conservation du royaume quand ils verroient qu’il seroit question de la religion seulement, pour laquelle chacun prendroit de bon cœur les armes.

Cependant, afin de ne perdre temps, l’on manda la gendarmerie et ceux des ordonnances de se tenir prests pour le quinziesme du mois de may ; et se delivra plusieurs commissions pour lever des gens de pied, et furent faits nouveaux capitaines de tous âges et qualitez ; ce que voyans les huguenots, commencerent à s’emparer des villes de Blois, Poictiers, Tours, Angers, Baugency, Chaalon-sur-Saosne, Mascon, La Rochelle, Rouen, Ponteau-de-Mer, Dieppe, le Havre-de-Grace, Bourges, Montauban, Castres, Montpellier, Nismes, Castelnaudary, Pezenas, Beziers, Agen, la forteresse de Maguelone, Aigues-mortes, le pays de Vivarès, les Sevenes, Orange, Pierre-Latte, Mornas et presque de tout le comté Venaissin autour d’Avignon, Lyon, Grenoble, Montelimar, Pxomans, Vienne, Cisteron, Gap, Tournon et Valence, où La Mothe-Gondrin[24], gouverneur, fut tué par les huguenots, qui s’emparèrent de plusieurs autres villes, places fortes et chasteaux, comme ils les purent surprendre par diverses inventions et stratagèmes, où ils spolièrent toutes les églises et rompirent les images, et les jettèrent par terre avec grande animositë.

Dequoy le prince de Condé témoigna estre fort fasché, d’autant que cela contrevenoit à la protestation qu’il avoit faite et ses partisans avec luy, et que c’estoit une occasion aux catholiques de grand mescontentement, qui les encourageoit à prendre les armes ouvertement et avec plus de passion. Qui fut cause qu’il fit publier en toutes les villes que l’edict de janvier y fust entièrement gardé ; mais les courages estoient tellement animez, qu’ils avoient lasché la bride à toute sorte de desordre et de licence, sans aucune conduicte ny raison.

Or la prise de tant de villes, où les huguenots commandoient à discrétion, estonna fort la Cour et les catholiques, voyans que c’estoit chose très-difficile de les en chasser sans faire de grandes despenses pour y mener des armées et respandre beaucoup de sang, avec la ruine évidente du royaume, comme s’il eust fallu de nouveau reconquester telles places par le moyen desquelles ils tenoient en subjection les catholiques, et les desarmoient, encore qu’ils fussent en beaucoup plus grand nombre que les huguenots.

Cela occasionna la Reyne, par meur et prudent conseil, mesmement du chancelier de L’Hospital et des confederez, craignant que le Roy ne se trouvast à la fin dépouillé de son Estat, estant toutes choses réduites à l’extrémité de la guerre civile, d’escrire au prince de Condé pour le prier de venir à la Cour, où elle esperoit que toutes choses se pacifieroient à son contentement et pour le bien du royaume. La cour de parlement de Paris luy escrivit[25] semblablement, luy faisant response aux lettres qu’il leur avoit envoyées, et le certifiant qu’ils avoient donné arrest de son innocence pour le désir qu’ils avoient de luy faire service et le voir bien content auprès du Roy ; et que pour le regard de l’edict de janvier, il n’estoit que provisionnel, pour appaiser les troubles, et jusques à ce que l’on vist que les affaires s’en porteroient mieux, ce qui n’estoit point advenu. Quant au fait de Vassy, ils avoient commission du Roy pour en informer et faire la justice, comme ils esperoient faire ; si bien qu’il auroit occasion de s’en contenter. Et la conclusion estoit pour l’exhorter à se remettre avec le Roy, duquel il estoit si proche parent.

Mais telles remonstrances n’eurent pas beaucoup de vertu envers luy, d’autant qu’il estimoit que le parlement estoit du tout passionné contre les huguenots ; ce qui les affoiblissoit fort, attendu aussi que tous les autres parlemens, baillifs, seneschaux et autres juges et magistrats, suivoient entièrement ce qui leur estoit enjoint et mandé par ladite cour de parlement de Paris. Pourresponse, le prince fit derechef une déclaration[26], qui fut publiée, pleine de protestations et doléances telles et plus grandes que les précédentes. Neantmoins il offroit de se retirer en sa maison, pourvu que ceux de Guise, le connestable et mareschal de Sainct-André se retirassent aussi de la Cour, laissans les armes et le Roy, la Reyne et messeigneurs ses frères en liberté, cependant qu’il garderoit à Sa Majesté les villes saisies par les huguenots.

Il escrivit aussi à l’empereur Ferdinand, au duc de Savoye et au comte Palatin, afin qu’il leur plust s’interposer en ceste affaire comme bons amis et alliez de la maison de France, et induire les uns et les autres à quelque bonne union, ou du moins pour se justifier envers eux de la nécessité où il disoit que luy et tous les huguenots de France estoient reduicts.

Mais il estoit mal aisé d’esteindre un feu qui estoit trop allumé entre ceux d’un mesme sang et d’une mesme patrie, où chacun vouloit mettre le bon droict de son costé ; et aussi que ces princes estrangers, entr’autres ceux de la maison d’Austriche, ne demandoient pas mieux que de voir ce grand estât de France, si fort et si puissant, se ruiner par ses propres mains. Le duc de Savoye sentoit aussi encore le dommage qu’il avoit eu par la France, où il eust plustost attisé le feu que de l’estouffer, sçachant bien qu’elle auroit plus de perte en un an par les guerres civiles, qu’en vingt contre ses voisins, qui en estoient plus forts et plus asseurez. Car il est certain que la ruine et perdition d’un Estat est la conservation et accroissement des autres ; et nul ne perd en ce monde icy, que l’autre ne gagne, et de la corruption de beaucoup de choses se fait la génération. Il est vray que le comte Palatin, que j’ay de ce temps-là cogneu fort passionné pour les huguenots, avoit quelque volonté, s’il eust pu, de moyenner un accord, mais en faveur desdicts huguenots, encore qu’il fust pensionnaire de la maison de France, de laquelle il avoit reçu et les siens de grandes faveurs. Mais il estoit d’autre part suspect aux catholiques, car il avoit abandonné la religion luthérienne, receue par l’interim d’Allemagne, pour prendre la calviniste, dont il se rendoit fort partisan en toutes choses.


CHAPITRE X.


Nouvelles offres des huguenots. Ceux de Guyse engagez par le Pape et les catholiques contre les huguenots. Reproche des huguenots au cardinal de Lorraine. Division entre les calvinistes et les luthériens. Entreprise des huguenots sur Thoulouse. Ils s’emparent de Montauban. Synode tenu par les huguenots à Orléans. L’armée du Roy marche vers Orléans. La Reyne mère tasche en vain de terminer les affaires par conférence. Offres envoyées au prince de Condé avec les ordres du Roy. Sa response. Profanations et sacrilèges commis par les huguenots.


Donc les huguenots de France, se sentans forts de tant de villes et forteresses qu’ils avoient prises, estimèrent qu’il seroit aisé de se défendre, ou au moins se pourroient maintenir, combien que le prince de Condé offrist tonsjours de se retirer en sa maison, pourveu que ceux de Guise, le connestable et mareschal de Sainct-André fissent le semblable, ce qu’ils offrirent aussi au Roy de faite par plusieurs fois, pourveu que l’edict de janvier fust révoqué[27], et que nul ne demeurast avec les armes, sinon du vouloir et consentement de Sa Majesté et du roy de Navarre.

La Reyne, mère du Roy, leur fit response que le Roy ny elle ne commanderoient pas à ceux de Guise de se retirer : aussi n’en avoient-ils pas grande volonté, tant pour maintenir leur crédit et puissance, que pour estre sommez et interpellez, par le nonce du Pape et tous les catholiques, de maintenir la foy et vraye religion contre les huguenots, et essayer de les exterminer avant qu’ils fussent plus forts.

Si-tost que les huguenots eurent copie de la requeste, ils firent publier leur réponse toute pleine de protestations, comme ils avoient fait auparavant, avec belles parolles, toutesfois piquantes, contre le cardinal de Lorraine, disant qu’il contrevenoit à la promesse qu’il avoit faite un an auparavant à un prince de l’Empire, auquel il avoit dict qu’il trouvoit toutes bonnes choses et salutaires en la confession d’Ausbourg, et conformes à la religion catholique, ofTrans tousjours de garder au Roy les villes occupées par eux, qui se monstreroient en toutes choses bons et fidèles sujets. De sorte que chacun se vouloit couvrir et aider du manteau royal.

Aucuns disoient que les propos que le cardinal de Lorraine avoit tenus à ce prince de l’Empire touchant la confession d’Ausbourg, estoit un subtil moyen qu’il vouloit inventer pour diviser les luthériens d’avec les calvinistes de France, et les mettre en querelle les uns contre les autres : aussi estoient-ils en grande dispute, laquelle n’est pas encore vuidée. Et s’ils eussent esté bien unis et leurs forces conjointes, ils eussent bien donné des affaires aux catholiques ; mais ils ont tousjours esté si contraires, qu’au mois de may 1562 les protestans de la confession d’Ausbourg se jettèrent sur les François qui avoient leurs ministres et leurs presches à part en la ville de Francfort ; et n’y eut moyen d’appaiser la sédition, qu’au préalable les magistrats et la plus grande partie des bourgeois, qui tenoient la confession d’Ausbourg, n’eussent chassé les calvinistes.

En ce temps, les huguenots de Thoulouse, se voyans trop foihles pour se saisir de la ville comme ils avoient délibéré, et, craignans d’estre mal-traictez des catholiques, trouvèrent moyen d’attirer es environs d’icelle quelques soldats des monts Pirenées, qui se disoient bandolliers, lesquels, avec l’intelligence qu’ils avoient des huguenots, entrèrent en la ville et la surprirent ; puis ils se saisirent de la maison de ville, où estoient les poudres et artillerie, et tinrent en leur puissance une grande partie de ladicte ville ; mais, n’ayans pu se rendre tout à fait maistres d’icelle ny du chasteau, les catholiques prirent courage, s’assemblèrent, vinrent aux armes, et combattirent trois ou quatre jours contre les huguenots, où plusieurs furent tuez de part et d’autre, et quelques maisons brûlées. Et les huguenots, estans advertis que Montluc approchoit avec une armée, se retirèrent la nuict du jeudy devant la Pentecoste, et de là surprirent et gagnèrent la ville de Montauban, laquelle ils ont depuis tousjours tenue. Ceux qui demeurèrent en la ville de Thoulouse furent mal-traictez, car ils furent tous tuez, pendus ou prisonniers.

Enfin les huguenots, animez et bien résolus, se voyans hors d’espérance de paix, firent assembler leur synode general en la ville d’Orléans, où il fut délibéré des moyens de faire une armée, d’amasser de l’argent, lever des gens de tous costez, et enrooller tous ceux qui pourroient porter les armes. Puis ils firent publier jeusnes et prières solemnelles par toutes leurs églises, pour éviter les dangers et persécutions qui se presentoient contr’eux.

Lors la Reyne mère, craignant que la personne du Roy et de ses autres enfans fussent en danger, ou que ceux qui estoient auprès du Roy se retirassent en leurs maisons, comme ils en avoient fait courir le bruit, disans que Sa Majesté favorisoit les huguenots, etempeschoit tant quelle pouvoit que l’on leur fist la guerre, se résolut de laisser partir l’armée qui estoit toute es environs de Paris, en laquelle il y avoit plusieurs compagnies nouvelles de gens de pied, et la cavalerie pouvoit estre de dix-huit cens ou deux mille chevaux, avec une grande troupe de seigneurs et gentilshommes volontaires en fort bon équipage. Et ainsi l’armée du Roy s’achemina bien gaillarde, et conduite par de bons chefs, et commença à marcher en bataille aussitost qu’elle fut à cinq ou six lieues de Paris, pour tirer vers Orléans.

Les huguenots d’autre costé, qui estoient en cette ville avec le prince de Condé leur chef, pourvoyoient à leurs affaires le mieux qu’ils pouvoient, chacun d’une part et d’autre, monstrant beaucoup de résolution. L’on ne parloit que de donner la bataille : le prince de Condé, qui a tousjours eu plus de courage que de force, se prépare de sortir d’Orléans et se mettre en campagne. La Beauce se trouve avec deux armées pour luy aider à faire la récolte.

La Reyne, mère du Roy, voyant les armes au milieu du royaume, qui n’en promettoient que l’entière désolation, cherche le moyen de parier au prince de Condé, présent le roy de Navarre ; ce qu’elle fit au commencement du mois de juin, en un village près de Talsy, où se pensa donner la bataille ; et après plusieurs conférences sur le bien de la paix et le repos du royaume, et pour faire poser les armes de part et d’autre, la conclusion du prince de Condé fut que l’edict de janvier seroit gardé inviolablement, sans exception ny limitation, et que ceux de Guise se retireroient en leur maison, comme il offroit de faire de sa part, ce que la Reyne eust bien voulu pour éviter à plus grand inconvénient. Mais pour lors le conseil et toute l’authoritë ne gisoit qu’aux armes : et ce qui en estoit le pis, ceux qui les avoient en main, de part et d’autre, n’avoient pas grande volonté de les quitter ; aussi le roy de Navarre, par le conseil de ceux de Guise, ne voulut accorder ny l’un ny l’autre de ces poincts. Tellement que cette entrevue ne servit d’autre chose que d’aigrir davantage les affaires.

Chacun s’estant retiré, et les armées estans près l’une de l’autre, Villars fut envoyé de la part du Roy au prince de Condé, auquel il porta commandement de poser les armes et luy rendre les villes que luy et ses partisans tenoient ; et ce faisant, le duc de Guise et ses frères, le connestable et le mareschal de Sainct André, se retireroient en leurs maisons, et que l’edict de juillet seroit maintenu de poinct en poinct, et seroit pardonné aux huguenots d’avoir pris les armes contre le Roy.

Le prince de Condé fit response qu’il estoit prest de ce faire, pourvu que l’on restablist les choses en l’estat qu’elles estoient auparavant la venue de ceux de Guise à la Cour, et que l’edict de janvier fust observé, et le cardinal de Ferrare, que les huguenots disoient entretenir les divisions, et les autres confederez se retirassent, sauf le roy de Navarre ; que la Reyne, mère du Roy, et ledict roy de Navarre eussent le gouvernement libre avec ceux de leur conseil, et qu’il plust au Roy de publier et assembler un concile national, auquel il estoit prest d’assister, s’il plaisoit à Sa Majesté ; mais, pour le regard du pardon d’avoir pris les armes, il disoit n’en estre point de besoin, voulant soustenir que c’estoit pour le service du Roy, comme aussi les villes qu’ils tenoient n’estoient que sous son obéissance ; offrant de les quitter et faire retirer les huguenots, moyennant les conditions cy-dessus proposées, lesquelles il remettoit, comme il avoit desjà mandé, au jugement de l’Empereur, des princes de l’Empire, du roy d’Espagne, des reynes d’Angleterre et d’Escosse, des seigneurs et cantons des Suisses, et de la république de Venise. Et pour mieux justifier sa cause, il disoit aussi que s’il estoit question de révoquer l’edict de janvier, il y falloit procéder par les voyes ordinaires et avec meure délibération, vu qu’il estoit question de la religion, qui est la chose du monde en tous Estats la plus importante ; et, sans entrer au mérite de la religion, il n’y avoit aucune apparence, avant que l’edict fust révoqué, de tuer, massacrer et emprisonner les huguenots et faire piller leurs maisons, comme l’on avoit fait es villes de Vassy, Sens et Paris, ès unes par commandement du duc de Guise, ès autres du connestable ; veu mesmement que l’on ne trouvoit poinct, ny ne mettoit-on en fait, qu’ils eussent en aucune chose contrevenu à l’edict : nonobstant toutes ces choses, il persistoit en ses offres et conditions.

Mais tout cela n’estoit que belles paroles sans venir aux effets, car, se defians entièrement les uns des autres, nul ne se fust voulu desarmer le premier ; ainsi Jules-César, qui avoit le gouvernement des Gaules et avoit une grande armée, écrivoit au Sénat qu’il estoit prest de laisser les armes, pourvu que Pompeius les laissast aussi, et vinssent tous deux comme personnes privées à pourchasser la recompense de leurs services. Un autre ancien capitaine romain disoit que la guerre estoit juste à ceux auxquels elle estoit nécessaire ; les huguenots disoient la mesme chose.

Le roy de Navarre et les confederez, que l’on appelloit l’armée du Roy, après toutes ces entrevues et pourparlers, conseillèrent de faire sortir des villes tous les huguenots, et leur faire commandement d’en vuider. D’autre part, les huguenots, qui tenoient beaucoup de villes, prirent toutes les reliques des églises et ce qu’ils purent trouver èsdites villes et es villages où ils estoient les plus forts, et en fient battre de la monnoye au coin du Boy, disans que c’estoit pour le service de Sa Majesté. De là commencèrent toutes sortes de sacrilèges, voleries, assassinats, parricides, paillardises, incestes, avec une licence débordée de mal faire de part et d’autre. Il y eut quelques villes qui rachetèrent leurs reliques des huguenots, lesquels faisoient aussi fondre les cloches pour faire de l’artillerie : aucuns d’eux ne se proposoient pas moins que de marcher droit à Paris, et pressoient fort de donner la bataille ; mais l’Admiral ne vouloit en façon du monde bazarder ce peu de gens qu’il avoit ; qui fut cause qu’il se mit seulement sur la deffensive.


CHAPITRE XI.


La Reyne pratique une nouvelle conférence à Beaugency. Proposition du prince de Condé. Justification des seigneurs de son parti. Le prince insiste pour le maitien de l'edict de janvier. Rupture de la conférence. Lettre au roy de Navarre interceptée. La Reyne suspecte aux hugtœnots. L’Admiral ne veut hasarder la bataille. Blois assiégé et pris par l’armée du Roy. Tours rendu au Roy. Beaugency repris par le prince. Bourges reduict à l’obéissance. Angers repris sur les huguenots. Poictiers pris par le mareschal de Sainct André, et pillé.


Lors la Reyne, mère du Roy, chercha de nouveau de parlementer avec le prince de Condé, et le roy de Navarre lui écrivit plus gracieusement qu’il n'avoit de coustume. Et pour l’induire plus facilement à s'aboucher eux deux, ledict roy de Navarre fît un roole de ceux qu’il meneroit avec lui, qui estaient tous gentilshommes et ses plus favoris, comme fit le prince de Condé, desquels après estre convenus, le lieu fut ordonné à Beaugency, que le prince de Condé bailla pour cet effet audict Roy, à la chargea de lui rendre si la paix ne se pouvoit conclure : et lors ils firent une trêve de huit jours.

En ce second abouchement, le prince de Condé demanda derechef que le cardinal de Ferrare, légat du Pape, et les confederez, se retirassent, horsmis le roy de Navarre, et promit de demeurer entre les mains de la Reyne, mère du Roy, et dudict roy de Navarre, pour ostage de ce qui seroit promis par les huguenots, qui offriroient de faire toutes choses pour le bien de la paix, leurs consciences sauves. Lors se trouvèrent avec le prince de Condé l’Admiral, le prince Porcian, d’Andelot, La Rochefoucauld, Rohan, Genlis et Grammont, lesquels firent la révérence à la Reyne mère, qui les reçut fort gracieusement, et entendit bien volontiers toutes leurs raisons, par lesquelles ils remonstroient leur innocence et l’equité de la cause qui les avoit induits de prendre les armes, dont les principales occasions estoient l’infraction des edicts et les massacres de ceux qui alloient au presche suivant l’edict de janvier.

La Reyne leur fit pleinement response qu’il estoit impossible d’entretenir deux religions en France ; et d’autant que les catholiques estoient beaucoup les plus forts, il ne falloit pas espérer que l’edict de janvier pust demeurer en vigueur. Le prince de Condé et les seigneurs qui estoient avec luy contestèrent fort sur cela, offrans de se bannir plustost du royaume pourvu que l’edict fust gardé ; ce qu’ils disoient pour bailler plus de force et de justice à leurs causes et raisons de prendre les armes. Et lors la Reyne mere du Roy, pour essayer toute sorte de remèdes à un danger si proche et si grand, accepta aussi-tost leurs offres, ce qui les estonna fort, car ils ne pensoient pas que Sa Majesté leur portast si peu d’affection, qu’elle pust voir le prince de Condé et tant de noblesse bannie de France. Lors ils repondirent que c’estoit la pratique et le dessein des confederez, à quoy neantmoins ils n’avoient donné conseil ni opinion, car ils ne pensoient pas que les huguenots dussent faire telles offres ; mais le seul but de la Reyne estoit de voir le royaume paisible, et le Roy maistre en quelque sorte que ce fust : occasion pourquoy Sa Majesté promettoit au prince et à ses partisans toutes les seuretez qu’ils voudroient demander, leur remonstrant aussi qu’ils n’auroient ny les forces, ny les moyens de résister aux catholiques.

Or, après plusieurs disputes et raisons déduites de part et d’autre, sans pouvoir rien conclure pour le bien de la paix, le prince de Condé avec sa compagnie se départit de ses offres, neantmoins il fut sommé par la Reyne mère de se souvenir de ses promesses pour le bien du Roy et du royaume, à laquelle pour response il fit des excuses que l’on luy avoit envoyé des lettres interceptées, écrites par les confederez du cardinal de Lorraine, par lesquelles l’on luy mandoit que la Reyne mère et le roy de Navarre n’avoient autre désir que d’abolir et exterminer la religion des huguenots, et que les forces du Roy estoient assez grandes pour ce faire, davantage qu’ils estoient fort odieux.

L’on apporta en mesme temps un petit mot intercepté audict prince de Condé, que l’on écrivoit au roy de Navarre, par lequel les confederez l’advertissoient que sur-tout il ne fust point parlé de l’edict de janvier, mais que l’on parlast de rendre les villes usurpées par les huguenots, et que s’il vouloit faire un acte digne de luy, il fist retenir le prince de Condé son frère. Soit que la lettre fust véritable ou supposée, cela fit perdre toute espérance d’accord, et dès-lors les huguenots se défièrent grandement de la Reyne, disant qu’elle estoit du tout partiale, et gagnée par la maison de Guyse : par ce moyen le prince de Condé et les associez demandèrent de se retirer en leur camp, comme ils firent. Quoy voyant, l’armée du Roy résolut de ne perdre plus de temps, ains de combattre, ou avancer quelque chose.

L’Admiral, entendant cette délibération des catholiques, ne fut pas d’avis que l’on hasardast ce peu de gens qu’ils avoient, veu qu’ils esperoient plus grandes forces, et que par ruses et stratagèmes, en temporisant, ils renvoiroient l’armée du Roy sans faire aucun effect : laquelle, voyant que l’armée huguenotte ne vouloit en façon quelconque venir au combat, alla mettre le siège devant la ville de Blois, qui fit mine de se vouloir deffendre ; mais estant l’artillerie pointée sur le bord du fossé, en deux volées de canon fit brèche au portail et dedans la courtine, dont les assiégez et habitans de ladictc ville furent si estonnez, qu’en moins de trois heures ils levèrent la main pour parlementer. Le sieur Dalluye, secrétaire d’Estat, et moy, allasmes pour traicter de la composition ; mais les pauvres habitans, estonnez et esperdus, ne sçavoient sinon demander miséricorde avec telle condition que l’on voudroit, parce que quelques huguenots, qui avoient tenu la ville, incontinent qu’ils ouirent tirer l’artillerie, s’enfuirent, tant par la porte de Vienne que du long de la levée : et presque aussi-tost entrèrent par la bresche de la courtine le roy de Navarre, le duc de Guise, le grand prieur et quelques gentilshommes, pour garder que la ville ne fust pillée et saccagée.

Mais comme les choses estoient desjà en grande altération, et ces noms de huguenots et papistes portoient avec eux un mépris et une haine si grande, qu’ils se traictoient comme mortels ennemis, les soldats estans entrez de tous costez en la ville, chacun en print où il put, quelque ordre et commandement que l’on eust sceu faire ; et qui ne trouveit à piller et à prendre y vivoit à discrétion.

Incontinent après, la ville de Tours, qui n’avoit pas des garnisons suffisantes, et n’estoit pas meilleure que Blois, s’estonna ; et ceux qui estoient dedans pour les huguenots, n’avoient pas moins de crainte des catholiques qui estoient en la ville, que de l’armée du Roy. Qui fut cause qu’ils envoyèrent vers le roy de Navarre, pour dire que volontiers ils se rendroient à composition, ce qui fut accepté. Alors fut depesché le sieur de Beauvais Nangy, pour aller faire la composition, et avec luy quelques gens de pied et deux cens chevaux. Cette ville fut bien aise de se remettre en l’obéissance du Roy, où les habitans tuèrent et noyèrent quelques huguenots, pour les outrages qu’ils en avoient receus, et le regret qu’ils avoient d’avoir veu ruiner leurs églises. Le prince de Condé, pour revanche, reprit la ville de Beaugency, où la pluspart des soldats que le roi de Xavarre y avoit laissez en garnison furent tuez.

L’armée du Roy, qui se fortifioit cependant de tous endroicts, alla remettre le camp auquel j’estois devant la ville de Bourges, en laquelle commandoit Yvoy avec nombre de gens de guerre, lequel endura la batterie et les approches ; et enfin fut contraint de parlementer et rendre la ville par composition, laquelle luy fut gardée et tout ce qui avoit esté promis aux assiégez, dont la pluspart se mirent en l’armée du Rov, et mesmement ledict sieur d’Yvoy ; les autres s’en allèrent en la ville d’Orléans.

Quant à la ville d’Angers, ceux qui l’avoient prise s’estoient retirez à Orléans pour se joindre à l’armée du prince, et y avoieiit seulement laisse bien peu de soldats avec les huguenots du pays, qui avoient promis de garder la ville ; mais ils ne tenoient pas le chasteau, qui est l’un des meilleurs et plus forts de la France, et qui commande entièrement à ladicte ville. Le duc de Montpensier, qui estoit pour lors dans Chinon, envoya quérir le capitaine dudict chasteau, et trois ou quatre des principaux habitans de la ville, le plus secrettement qu’il put, où ils advisèrent du jour pour envoyer des forces, qui furent conduites et commandées par Puigaillard, lequel entra de nuit audict chasteau, et de là en la ville, un matin que tous les catholiques avoient le mot du guet de se mettre en liberté ; où ils usèrent tant de dextérité et diligence, qu’ils reprirent leur ville et y tuèrent plusieurs huguenots ; autres y furent exécutez par justice, et leurs maisons abandonnées à la mercy des soldats et habitans catholiques.

En mesme temps le mareschal de Sainct André prit la ville de Poictiers, en laquelle il entra par le chasteau, et y fut tué plus de huguenots qu’en aucune des autres, parce qu’ils estoient là en grand nombre ; toutesfois il s’en sauva beaucoup. Et la ville fut saccagée, où les catholiques n’eurent guère meilleur marché que les huguenots ; car plusieurs filles et femmes y furent traictées à la discrétion des soldats, sans grande exception d’aage ny de religion. La ville de Poictiers avoit esté prise par quelques Gascons et bandoliers, seulement trois mois auparavant, par le moyen des huguenots habitans d’icelle ; où ils avoient vescu à discrétion sur les catholiques, saccageans et ruinans toutes les eglises.


CHAPITRE XII.


Guerre contre les huguenots en Normandie. Le sieur de Castelnau Mauvissière employé pour le service du Roy au sujet de cette guerre. Le parlement de Rouen retiré à Louviers. Le duc d’Aumale fait lieutenant general en Normandie y par soupçon qu’on eut du duc de Bouillon qui en estoit gouverneur. Siège de Rouen. Le sieur de Castelnau Mauvissière continué en plusieurs emplois. Le duc de Bouillon le fait surprendre en une embuscade par les huguenots qui le mènent au Havre. Diverses intelligences par luy pratiquées durant sa prison. On luy permet d’aller en Cour. Le Havre livré aux Anglois par les huguenots. Les Anglais en mettent les François dehors. Le sieur de Castelnau Mauvissière fait un second voyage à la Cour sur sa foy, et se charge des complimens du comte de Warvick pour le Roy. Son retour au Havre. Levées faites en Allemagne par le sieur d’Andelot.


Le grand prieur de France, qui estoit allé voir madame de Nevers[28], comtesse de Sainct Paul, à présent vefve du feu duc de Longueville, et le sieur de Matignon, lieutenant du Roy en la basse Normandie, en ce temps se joignirent ensemble pour s’opposer aux desseins du comte de Montgommery, qui tenoit la campagne en ce pays-là, et se retirèrent en la ville de Cherbourg, d’où ils firent sçavoir au Roy que, s’il luy plaisoit de m’envoyer vers le duc d’Estampes[29], gouverneur de Bretagne, et de Martigues, son neveu, pour leur commander d’amener leurs forces de gens de pied et de cheval, attendu que la Bretagne estoit la province de France moins travaillée des huguenots, et joindre celles qu’y pourroit amasser le sieur de Matignon avec les leurs, ce seroit le moyen de défaire le comte de Montgommery, qui tenoit la basse Normandie en subjection, et se preparoit pour aller à Rouen, et de reprendre les villes que les huguenots y avoient tenues.

Donc incontinent après la composition de Bourges, le Roy me depescha pour aller trouver lesdits duc d’Estampes et de Martigues, avec grande prière et commandement, veu que les affaires n’estoient pas grandes en Bretagne, d’amener leurs forces comme il avoit esté advisé ; ce qu’ils offrirent fort volontiers de faire, et tout ce qui leur seroit commandé pour le service du Roy. Et aussi-tost s’acheminèrent par la basse Normandie, où le grand prieur, qui estoit de la maison de Guise, lequel avoit laissé ses amours pour reprendre les armes, et Matignon qui avoit les forces dudict pays, s’assemblèrent avec eux ; de sorte qu’estans les plus forts, ils hastèrent le comte de Montgommery de s’aller jetter dedans Rouen, parce que les huguenots, lesquels y commandoient à discrétion, craignoient le siège devant cette ville, comme celle qui leur importoit entièrement et qui incommodoit beaucoup la ville de Paris, à l’occasion du grand trafic et commerce qui est entr’elles : comme aussi la pluspart des nations de l’Europe ont de grandes correspondances en ladite ville de Rouen, l’une des plus riches et plus marchandes de toute la France.

Ceux du parlement s’estoient retirez à Louviers, où ils tenoient leur séance ; mais leurs plus grandes occupations estoient à condamner les huguenots, confisquer leurs biens et les faire mourir, quand ils les pouvoient attraper, comme rebelles. De sorte que ceux dudict parlement et ceux qui tenoient la ville, faisoient du pis qu’ils pouvoient, avec grande animosité les uns contre les autres.

Le duc d’Aumale fut fait lieutenant-général en toute la Normandie, à l’occasion que le duc de Bouillon[30], pour lors jeune seigneur et gouverneur de ladicte prevince, favorisoit le party des huguenots en tout ce qu’il pouvoit, combien qu’il témoignast vouloir tenir un certain milieu pour estre estimé politique, de ne se mesler ny d’une part ny d’autre. Mais, en matière de guerres civiles, il faut tenir un party asseuré ; car de toutes sortes de nations, du temps mesme des Romains, ceux-là ont este méprisez qui en ont usé autrement, et par la neutralité on ne se défait de ses ennemis et n’acquiert-on point d’amis.

Or le duc d’Aumale, ayant eu le commandement d’assiéger la ville de Rouen, commença par le fort Sainte-Catherine qu’il ne put prendre ; il demeura neantmoins avec ses troupes pour tenir la ville en subjection, attendant qu’il eust plus de gens de guerre, ou que le camp du Roy tournast de ce costé-là. Je fus aussi envoyé devers luy, pour sçavoir quelles forces il demanderoit ; puis j’allai vers le parlement, pour leur dire qu’ils ne fussent pas si violens à faire mourir les huguenots qui tomboient en leurs mains. Et de là ayant passé à Caen où estoit le duc de Bouillon, pour aller encore trouver le duc d’Estampes, de Martigues, le grand prieur et Matignon, pour leur commander, de la part du Roy, de donner bon ordre aux affaires de la Normandie, et, s’il estoit possible, d’empescher les Anglois d’entrer au Havre de Grâce et à Dieppe, et autres villes qui leur estoient promises en cette prevince, je demeuray une nuit à Caen avec ledict sieur de Bouillon, lequel me parla de l’affection qu’il avoit de faire service au Roy, faisant toutesfois beaucoup de plaintes de la défiance que l’on avoit de luy, et de ce que Matignon et les lieutenans du Roy en la Normandie ne luy obéissoient point, et ne le reconnoissoient en aucune chose : ce qu’il me prioit de dire à Sa Majesté quand je la verrois, et, en attendant, de luy escrire par un courrier qu’il depescheroit ce jour-là.

Cependant j’avois laissé quelques arquebusiers et gens de cheval avec mon train, à deux lieues de Caen, sur le chemin que je devois reprendre le lendemain pour aller trouver lesdicts duc d’Estampes et de Martigues ; de quoy estant jaloux ledict de Bouillon, et que je ne retournois pas trouver le Roy, et davantage qu’il y avoit quelques prisonniers entre les mains de ceux du parlement de Rouen qui luy avoient esté refusez, fit advertir de ses amis et plusieurs huguenots de me faire une embuscade pour me prendre prisonnier : à quoy ayant donné ordre toute la nuit, il me pria de disner encore le lendemain avec luy ; mais je partis du matin pour reprendre ma troupe, et fis une grande traitte ce jour-là, auquel ne m’ayant pu attraper, ils firent toute diligence d’advertir lesdicts huguenots et autres qui leur estoient favorables, et quelques troupes qui alloient trouver le comte de Montgommery, pour me couper chemin ; ce qu’ayant fait de plusieurs endroits, ils me chargèrent en un lieu estroit avec ce peu de gens que j’avois, de sorte que mon cheval ayant esté tué, moy blessé et porté par terre, je fus pris prisonnier par la pratique dudict duc de Bouillon, qui s’en est toutesfois depuis voulu excuser, disant qu’au contraire il avoit voulu empescher l’entreprise.

Je fus mené au Havre de Grâce, la nuit ensuivant, par mer, où d’arrivée l’on me menaça de mauvais traitemens, parce que le duc d’Aumale et ceux du parlement de Rouen, qui estoient à Louviers, faisoient, comme ils disoient, plusieurs cruautez contre aucuns de la noblesse qui s’estoient retirez là. Neantmoins je reçus beaucoup de faveur de Beauvois-la-Nocle, qui y commandoit, et fus mis en garde es mains du jeune de La Curée, qui me fit bon traitement. Cependant je trouvay moyen d’envoyer vers le duc d’Estampes et de Martigues, que j’advertis de tout ce que je leur eusse pu dire moi-mesme ; lesquels, estans joints avec Matignon et les forces de la basse Normandie, assiégèrent et reprirent Sainct-Lo, Vire et autres places, et en chassèrent toutes les forces des huguenots, qui estoient eparses et faisoient mille maux. Le comte de Montgommery en ce mesme instant arriva par mer au Havre de Grâce pour s’aller mettre dedans Rouen, et ne fut que deux jours à y aller avec ce qu’il put mener le long de la rivière, en plusieurs bons vaisseaux qui luy furent équipez.

Je trouvay aussi les moyens d’escrire au Roy, à la Reyne sa mère, au roy de Navarre, au duc de Guise et au Connestable, de tout ce qui se passoit audit Havre, par l’entremise d’un de mes gardes et un sergent major appelé le capitaine La Rose, lesquels j’avois gagnez, qui m’asseuroient ne désirer rien tant que de pouvoir partir de là avec quelque bon prétexte pour faire service au Roy, et eus beaucoup de grandes deliberations avec eux, pour voir quels moyens il y auroit d’avoir une porte, et faire une entreprise audit Havre de Grace. Comme nous traitions de ces affaires, je reçus lettres de Leurs Majestez, qui me mandèrent que je leur ferois un très-grand service si je pouvois traiter quelque chose avec Beauvois et les gentilshommes qui estoient retirez en cette ville de plusieurs endroits de la Normandie, pour la faire remettre en l’obéissance du Roy, sans la mettre entre les mains des Anglois. Mais ledict Beauvois, avec les principaux qui estoient en la ville, me dirent qu’ils ne pouvoient venir à aucune composition, sans en advertir premièrement le prince de Condé et l’Admiral.

Cependant ils me proposèrent que si je pouvois faire rendre certains prisonniers qu’ils me demandoient, qui estoient entre les mains des ducs de Guise et d’Aumale et du parlement de Rouen, ils me mettroient en liberté et escriroient au Roy et à la Reyne l’occasion qui les avoit meus de se retirer en cette ville-là, laquelle ils conserveroient pour le service de Leurs Majestez et pour le bien du royaume. De quoy ayant trouvé moyen d’advertir Leursdictes Majestez, ils m’escrivirent incontinent que je fisse tout ce que je pourrois pour les aller trouver ; ce qui me fut accordé, tant par ledict sieur de Beanvois que par les principaux du Havre, qui témoignoient désirer quelque bon accord. J’allay donc trouver Leurs Majestez, le roy de Navarre et le Connestable, ausquels je fis quelques ouvertures des choses que demandoient ceux qui estoient retirez audit Havre, toutesfois peu raisonnables.

Neantmoins pour le désir que la Reyne, mère du Roy, avoit que cette ville ne fust mise entre les mains des Anglois, lesquels avoient capitulé avec le vidame de Chartres[31], qui estoit en Angleterre de la part du prince de Condé et des huguenots pour avoir de l’argent, moyennant lequel ils avoient promis de livrer ledict Havre, Dieppe et quelques autres places de Normandie, je fus aussi-tost depesché pour retourner leur porter une sincère volonté du Roy, et des conditions raisonnables, avec la seureté de la vie, des biens et des estats de tous ceux qui estoient en ladicte ville, tant bourgeois qu’autres, qui y commandoient, et mesme pour le sieur de Gros, qui en avoit esté gouverneur.

Le lendemain, après que je fus de retour au Havre de Grace, les mareschaux des logis et fouriers de l’armée d’Angleterre arrivèrent pour marquer les logis ; et le premier qu’ils firent fut à la tour et aux principaux bastions, témoignans assez qu’ils se vouloient rendre les maistres de cette place, en laquelle les François qui y commandoient, au lieu d’en estre faschez, se rejouissoient de leur venue, me disant qu’ils n’avoient pas faute d’amis estrangers ; et comme le Roy et les confederez, et chefs de son armée, avoient fait faire des levées de reistres et lanskenets par les comtes Rhingrave et de Rokendolf, ils m’asseuroient qu’ils avoient eu nouvelles que d’Andelot auroit semblablement des reistres et lanskenets, et qu’ils mettroient tant d’estrangers en France, qu’il seroit malaisé de les en chasser quand l’on voudroit.

Quatre ou cinq jours après, le comte de Warwik, frère aisné du comte de Leicester, et grand-maistre de l’artillerie d’Angleterre, arriva avec cinq à six mille hommes de pied anglois, et deux à trois cens chevaux, et force jeunes gentilshommes de cette nation, tous lesquels et ledict comte de Warwik estoient de ma cognoissance. Je les vis débarquer et loger, et en moins de trois jours se faire maistres de ladicte ville et en mettre dehors les François, auxquels ils baillèrent quelques armes, poudres et munitions, pour s’aller mettre dans Rouen avec le comte de Montgommery, qui s’estoit entièrement asseuré de ladicte ville, et avoit fait rompre les églises pour prendre les reliques, et mis toutes choses à la mercy des soldats ramassez de plusieurs endroits, et mal policez, qui prenoient des catholiques tout ce qu’ils avoient, les chassoient ou rançonnoient à discretion. Et comme j’estois prisonnier des François sur ma foy, et avec beaucoup de liberté, je me trouvay avec eux aussi prisonnier des Anglois, y estant les François sans aucune autorité.

Mais ayant beaucoup de cognoissance avec le comte de Warwik, lequel me traita bien, et plusieurs desdicts Anglois, pour les affaires que j’avois traitées en Angleterre, il désira que je fisse encore un autre voyage sur ma foy, pour dire à Leurs Majestez qu’entrant dedans le Havre de Grace, il n’avoit autre commandement de la reyne d’Angleterre, sa maistresse, que de faire service au Roy et à son Estat, le voyant si affligé et en l’extrémité des guerres civiles. Je ne voulus pas accepter cette charge en cette façon, mais bien offris-je audict comte de Warwik d’aller devant le Roy, et luy dire comme il s’estoit entierement saisi de la forteresse du Havre de Grace, et que j’en avois veu les François, fors Beauvois et quelque peu de sa suite, qui n’y avoient plus aucun commandement ; et que si ledict sieur comte pretendoit quelque chose du Roy, je ferois volontiers le voyage, et luy en rapporterois les nouvelles.

Sur cela je pris l’occasion, estant toujours prisonnier sur ma foy, de retourner à la Cour et en nostre armée, pour faire entendre à Leurs Majestez ce que j’avois veu, et aux chefs de l’armée. Et comme j’estois allé avec des paroles de la part du comte de Warwik, sçachant bien qu’elles ne serviroient de rien que pour faciliter ma liberté, je fus semblablement redespesché de la Cour, avec autres paroles qui ne pouvoient que contenter ledict comte et la reyne d’Angleterre, sa maistresse, et aussi pour luy remonstrer que, n’y ayant encore que peu de temps qu’il s’estoit fait une bonne paix avec le feu roy Henry, par le moyen du traité de Casteau-Cambresis, ladicte reyne d’Angleterre n’avoit point d’occasion de s’en despartir envers le roy Charles IX son fils, estant prince jeune qui ne l’avoit point offensée ; et que davantage elle decherroit de son droit de Calais par le traité fait audict Cambresis, si elle faisoit la première quelque innovation de guerre.

Or cela, comme j’ay dit, n’estoient que paroles et discours, car la guerre s’eschauffoit de tous les costez de la France ; et les levées que faisoit d’Andelot en Allemagne s’avançoient fort, tant des dix cornettes de reistres, qui faisoient environ deux mille six cens chevaux, que de douze enseignes de lanskenets, qui faisoient trois mille hommes de pied, sous la conduite du mareschal de Hessen, qui estoit un pauvre soldat.


CHAPITRE XIII.


Siège de Rouen et prise du fort Saincte-Catherine. Le Roy tasche en vain de l’avoir par composition pour la sauver du pillage. Le sieur de Castelnau Mauvissière traicte de sa rançon y et vient servir au siège. Pourquoy on ne voulait point forcer Rouen. Le roy de Navarre blessé au siege. Rouen pris de force, pillé nonobstant les ordres du Roy et les soins du duc de Guyse, et mesme par ceux de la Cour qui accoururent au butin. Le comte de Montgommery, gouverneur de Rouen, se sauve. Punition de quelques rebelles et huguenots. Modestie des Suisses au pillage de Rouen. Mort du roy de Navarre. Resolution du siège du Havre. Le sieur de Castelnau Mauvissière y est employé.


L’armée du Roy s’avançant, alla mettre le siège devant Rouen et au fort Saincte-Catherine, qui fut pris après quelque batterie, lors que ceux de dedans estoient à disner, faisans mauvaise garde, ce que quelques-uns des nostres ayant recogneu, firent signe aux soldats, lesquels au mesme temps montèrent, et donnèrent l’espouvante à ceux de dedans, qui s’enfuirent en la ville : il y eut peu de perte, sinon de Randan, qui y fut blessé aux jambes d’une grenade, dont il mourut, ayant la charge de colonel de l’infanterie françoise en la place de d’Andelot : le Roy se vint loger dedans le fort.

Le camp resserra lors la ville de si près, que, n’estant poinct fortifiée, d’heure en autre ils couroient le hasard d’estre pris : néanmoins ils se monstroient résolus et opiniastres. L’on fit une batterie à la tour du Colombier, qui estoit une tour ronde et d’assez bonnes estoffes : quelques ravelins et flancs furent rompus et levez par nostre artillerie, qui estoit fort près du rempart ; le fossé fut percé et pris, et aussitost nos soldats y furent logez. Le Roy et toute la Cour, du mont saincte-Catherine voyoit battre cette ville, des plus riches de son royaume. Il y avoit quelques pièces au long du costeau dudict mont Sainte-Catherine, qui battoient en courtine tout du long de ladicte ville ; et de là se voyoient tous ceux de dedans, et leurs ouvrages, réparations, retranchemens, et les traverses qu’ils laisoient pour se sauver de l’artillerie qui les endommageoit fort. Neantmoms l’on ne désiroit pas prendre cette ville par force, s’il estoit possible de l’avoir par composition, pour la crainte que l’on avoit de la voir saccager sans remède, comme elle fut depuis par l’opiniastreté de ceux de dedans.

Un peu devant la prise de la ville, je fus encore renvoyé au Havre de Grace ; mais, voyant que c’estoit chose inutile de parler d’y faire aucune composition, je trouvay moyen de me faire libérer entièrement de ma foy, en faisant rendre quelques prisonniers, après avoir recognu tout ce qui se pouvoit de la place, et de l’ordre que tenoient les Anglois : lesquels s’estonnoient de voir Rouen serré de si près, qu’il eust esté pris vingt jours plustost qu’il ne fut, si l’on n’eust esperé d’y faire quelque composition, comme l’on en chercha tous les moyens, ayant souvent ouy dire au duc de Guise qu’en vingt-quatre heures il eust pris la ville d’assaut, si le Roy eust voulu : mais le chancelier de L’Hospital insistoit tousjours qu’il ne la falloit forcer, et que c’estoit une mauvaise conqueste que de conquérir sur soy-mesme par armes, et que si cette ville estoit pillée, Paris s’en ressentiroit, et les estrangers qui y avoient leurs biens en demanderoient la raison au Roy. L’on envoya le capitaine des gardes escossoises et le sieur d’O députez, pour voir s’il se pourroit faire quelque accord ; mais ceux de dedans demeurèrent résolus en leur opiniastreté.

Le roy de Navarre, prince vaillant, et jaloux de l’honneur plus que de la vie, estant dedans le fossé fut blessé en l’espaule droite, dont il mourut, ainsi que je diray cy-après. Le duc de Guise, voyant l’obstination des assiégez, et principalement du comte de Montgommery, lequel fît paroistre autant d’opiniastreté que de courage, m’envoya par plusieurs fois des tranchées, et mesme du fossé, devers le Roy, la Reyne sa mère et leur conseil, qui estoient au mont Saincte-Catherine, pour leur dire que s’ils vouloient la ville seroit prise en moins de deux ou trois heures, ce qu’il ne vouloit faire sans leur bien exprès commandement ; à quoy Leurs Majestez reculoient tant qu’il estoit possible, esperans tousjours de faire quelque composition.

Mais comme les obstinez se perdent à la fin, et voyant que l’on perdoit temps, il fut résolu, après leur avoir donné un faux assaut, où il demeura quelques lanskenets sur le haut du fossé, et avoir mis le feu à la mine, de les prendre par force, comme il fut fait : car ayant le duc de Guise gagné et saisi le ravelin d’une porte, et logé plusieurs enseignes dedans le fossé, où il y avoit quantité de jeunes seigneurs avec luy, entre lesquels le duc de Nevers et plusieurs autres de la noblesse françoise y furent tuez ou blessez, estant main à main avec ceux de dedans, ils furent incontinent contraints d’abandonner le rempart qui fut entrepris. Quoy voyant le duc de Guise, lequel estoit prest d’executer sa promesse de prendre la ville en peu de temps quand il seroit ordonné, envoya derechef devers le Roy pour sçavoir sa volonté ; mais Sa Majesté remit les choses à la victoire, priant et commandant, s’il estoit possible, que la ville ne fust point pillée, au contraire que l’on fist tout ce qui seroit possible pour contenir les capitaines et soldats, par quelques promesses d’honneur et de bienfaits, et d’une paye franche, s’ils s’abstenoient du pillage.

Lors le duc de Guise fit une harangue aux capitaines et soldats sur le haut du rempart, où j’estois présent, les priant et admonestant tous de considerer qu’ils estoient François, et que c’estoit l’une des principales villes du royaume, où plusieurs estrangers avoient tous leurs biens ; que ce seroit une très-mauvaise condition qu’ils les perdissent par l’opiniastreté de ceux qui y commandoient ; que la victoire de se commander estoit plus grande que celle qu’ils pouvoient remporter sur leurs ennemis ; que ce seroit chose indigne de soldats bien disciplinez de ruiner et saccager la ville de son souverain, contre sa volonté et en sa présence, et qui le trouveroit fort mauvais, et au contraire recognoistroit leur obéissance en cette occasion ; parquoy il prioit d’affection les seigneurs, capitaines et soldats, de ne se débander point, n’entrer en aucunes maisons, ne piller, ne prendre aucune chose sur les habitans, et n’exercer point de cruautez contre les vaincus : davantage il leur fit entendre qu’il estoit adverty que les gens de guerre s’estoient retirez au vieil marché et aux chasteaux, où il faudroit combattre. Et après avoir, autant qu’il put, persuadé un chacun, il les pria de luy faire cette promesse, qui luy fut donnée généralement ; aussi promit-il de faire donner une paye franche ausdits capitaines et soldats.

Ainsi nous entrons dedans la ville avec peu de résistance, les assiégez fuyent, la ville est incontinent pleine de gens de guerre, qui tous se débandent, vont au pillage, rompent et saccagent les maisons, prennent un chacun à rançon : les courtisans y accourent du mont Sainte-Catherine, qui sont les plus aspres à la curée ; chacun lors se loge à discrétion, quelque commandement que le duc de Guise fist à ceux qui avoient authorité, d’entrer es maisons, de tuer et chasser les soldats, et les jeter par les fenestres, pour les garantir de piller et saccager ; ce qui ne fut possible. La nuit estant proche, chacun qui en put avoir en prit, et toute l’armée se logea dedans la ville.

Le comte de Montgommery se sauva dedans une galere qui estoit en la rivière, de celles qui avoient mené la reyne d’Escosse en son royaume ; et, ayant promis liberté aux forçats, il passa par dessus la chaisne, qui fut rompue et faussée, au hasard de la galère et des hommes qui estoient dedans ; les autres assiégez se sauvèrent aussi en autres vaisseaux, quelque devoir que ceux qui estoient commis, tant sur la rivière que sur les bords d’icelle, avec quelques pièces d’artillerie, fissent pour les empescher de passer.

Il y eut quelques soldats qui estoient demeurez dedans la ville, qui furent pris prisonniers, bien peu de tuez ; trois ou quatre des principaux de la ville furent pendus, entr’autres le président Mandreville, le sieur de Cros, qui avoit baillé le Havre de Grace, et le ministre Marlorat.

Ainsi cette grande ville, pleine de toutes sortes de richesses, fut pillée l’espace de huit jours, sans avoir esgard à l’une ny à l’autre religion, nonobstant que l’on eust, dès le lendemain de la prise, fait crier, sur peine de la vie, que chaque compagnie et enseigne, de quelque nation qu’elle fust, eust à se retirer au camp et sortir de la ville ; à quoy fort peu obéirent, horsmis les Suisses (lesquels ont tousjours gardé et gardent encore grande discipline et obéissance), qui n’emportèrent autre butin, que quelque peu de pain et choses pour manger, chaudrons, pots, et autres ustenciles et vaisselles pour leur servir en l’armée : mais les François se fussent fait tuer plutost que de partir tant qu’il y eut dequoy prendre

La Cour se logea dedans la ville, où il fut advisé de faire porter le roy de Navarre, pour voir s’il y auroit moyen de trouver quelque remède à sa blessure : de laquelle, comme l’on deliberoit de le faire porter du long de la rivière, il mourut à Andely, le 17 décembre 1562, et fut fort regrette de la Cour et de toute l’armée, ayant esté l’un des plus vaillans et meilleurs princes de son temps, comme en cette race et maison il ne s’en est point vu d’autres.

Après la mort du roy de Navarre l’on advisa aux autres affaires qui estoient presque en tous les endroits du royaume, et ausquelles il falloit plus promptement remedier : comme d’assiéger le Havre de Grace où estoient les Anglois, pour ne laisser cette nation prendre pied en France, à l’occasion des grandes prétensions qu’ils y ont eues au temps passé. Ainsi il fut conclu d’y envoyer le comte Rhingrave, avec un régiment de trois mille lanskenets, et quatre cornettes de reistres, qui faisoient douze cens chevaux, afin de resserrer les Anglois en la ville, et les autres de cette nation qui estoient à Dieppe et autres endroits de la Normandie, et de leur retrancher les moyens d’avoir des vivres du pays, et autres commoditez qui se trouvent en lieu si fertile.

Et parce que je cognoissois cette place, de laquelle je ne faisois que sortir de prison, je fus mandé pour estre quelque temps avec ledit comte Rhingrave avec six compagnies de gens de pied, chacune de deux cens hommes, et cent chevaux françois, comme ledit comte l’avois requis ; lequel estoit l’un de mes plus grands amis, et avoit infiniment désiré que je demeurasse avec luy, et fit loger mes chevaux avec ses reistres et les gens de pied avec ses lanskenets ; et encore quelques enseignes françoises, qui estoient en Normandie nouvellement levées, furent ordonnées de demeurer avec luy pour clorre ledit Havre de Grace et tenir les Anglois qui y estoient en telle subjection qu’ils ne pussent sortir ny recevoir aucune commodité de la terre. L’un des régimens de lanskenets demeura depuis en l’armée du Roy, laquelle, après la prise de Rouen, l’on advisa d’employer à ce qui seroit le plus nécessaire, et en premier lieu pour couper chemin à celle des huguenots, lesquels se fortifioient de tous les costez de la France, avec les estrangers, lanskenets et reistres, que d’Andelot avoit levé sous la charge et conduite du mareschal du landgrave de Hessen pour joindre les forces qu’avoit le prince de Condé, qui se promettoit d’assiéger la ville de Paris ; chose de fort grande entreprise, et encore de plus difficile exécution, comme il se verra cy-après par les choses qui s’en sont ensuivies.

  1. Ceux de Guise ses oncles lui conseillerent. Marie Stuart se retira d’abord près du duc de Lorraine ; puis elle passa en Écosse, au mois d’aoùt 1561. Tout le monde sait quels furent ses regrets et ses tristes pressentimens, lorsqu’elle perdit de vue les côtes de France.
  2. Le sieur d’Anville. Ce seigneur, l’un des fils du connétable, aimoit éperdument Marie Stuart : Le Laboureur prétend qu’elle l’auroit épousé s’il fût devenu veuf.
  3. Remettant en autre lieu. Cette négociation dura depuis l’année 1572 jusqu’en 1581. Elle ne fait point partie des Mémoires de Castelnau, qui, comme on l’a vu, ne vont que jusqu’en 1570.
  4. Un arrest d’innocence. Par un arrêt du 13 juin 1561, le prince de Condé fut déclaré innocent, et il lui fut permis de se pourvoir en réparation, selon la dignité de sa personne, contre qui il appartiendroit.
  5. Estoit venu à la Cour. Tous les auteurs contemporains soulignent que le connétable ne vint à la Cour qu’après la mort de François II.
  6. En la harangue. Ce discours nous a été conservé par le président de La Place, et par La Popelinière. Il offre le défaut des écrits de ce temps, où l'on mêloit trop d'érudition aux discussions politiques ; mais il renferme des observations très-remarquables. « Il n’y a, dit L’Hospital, opinion qui s’imprime plus profondément dans le cœur des hommes que l’opinion de religion, ni qui tant les sépare les uns des autres. Nous l’expérimentons aujourd’huy, et voyons que deux François et Anglois qui sont d’une mesme religion, ont plus d’affection et d’amitié entre eux que deux citoyens d’une mesme ville, subjects à un mesme seigneur, qui seroient de diverses religions, tellement que la conjonction de religion passe celle qui est à cause du pays, et, par contraire, la division de religion est plus grande que nulle autre ; c’est ce qui sépare le père du fils, le frère du frère, le mari de la femme. » L’Hospital ne voit de remède que dans un concile national ; il prend l’engagement que le Roy et la Reyne ne négligeront rien pour le procurer. Jusque-là, il demande qu’on vive en paix. « La douceur, dit-il, profitera plus que la rigueur ; ostons ces mots diaboliques, noms de factions et de séditions : luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrestiens. » Le chancelier déclare qu’une armée levée contre les séditieux épuiseroit l’État : il autorise, au nom du Roi, les bourgeois des villes à s’armer et à maintenir l’ordre dans leur arrondissement. En général les maximes qui dominent dans ce discours sont saines et justes ; mais la suite a prouvé qu’elles étoient peu applicables aux circonstances.
  7. Pierre Vermeil. Il est plus connu sous le nom de Pierre Martyr. Lorsqu’il eut embrassé la religion nouvelle, il quitta la Toscane sa patrie, où il étoit chanoine régulier : il épousa une religieuse de Strasbourg, et passa en Angleterre, où il fut proscrit sous le règne de Marie. Il devint ensuite premier pasteur de l’église calviniste de Zurich.
  8. Fut ouy en pleine assemblée. Charles IX, âgé de onze ans, ouvrit le colloque de Poissy par le discours suivant : « Messieurs, vous estes assez advertis des troubles qui sont en ce royaume sur le faict de la religion. C’est pourquoy je vous ay fait assembler en ce lieu, à réformer les choses que vous verrez y estre à réformer, sans passion quelconque, ni regard aucun de particulier interest, mais seulement de l’honneur de Dieu, de l’accord de nos consciences et du repos public. Ce que je désire tant, que j’ai délibéré que vous ne bougiez de ce lieu jusques à ce que vous y ayez donne si bon ordre, que mes subjects puissent désormais vivre en paix et union les uns avec les autres, comme j’espère que vous ferez. Et, ce faisant, me donnerez occasion de vous avoir en la mesme protection qu’ont eue les roys mes prédécessemrs. » Le chancelier de L’Hospital parla ensuite, et l’on remarque dans son discours de grandes concessions aux nouvelles doctrines. Après avoir dit que le colloque est un véritable concile national, et qu’il est plus en état de guérir les plaies de l’église de France qu’un concile général, il ajoute : « Le premier et principal moyen est d’y procéder par humilité, et, tout ainsy que vous estes assemblés de corps, y estre unis d esprit ; ce qui adviendra si chascun de vous ne s’estime point par dessus l’autre, et que les plus scavans ne méprisent leurs inférieurs, ni les moins doctes portent envie aux autres, si l’on laisse toute subtilité et curieuses disputes, à exemple du bon homme, cognoissant Dieu tant seulement, et son fils crucifié : il n’est besoin aussy de plusieurs livres, ains de bien entendre la parole de Dieu, et se conformer à icelle le plus qu’on pourra. Outre plus, que ne devez estimer ennemis ceux qu’on dit de la religion nouvelle, qui sont chrestiens comme nous et baptisés j et ne les condamner par préjudices, mais les appeller, chercher et rechercher, ne leur fermer la porte, ains les recevoir en toute douceur, et leurs enfans, sans user contre eux d’aigreur et opiniastreté. » (Actes du colloque de Poissy, Mémoires de Condé, tome 2, pages 689 et 692.) Vers le même temps, Catherine de Médicis, allant plus loin que le chancelier, adressa au pape Pie IV des remontrances, où elle lui proposa d’admettre dans sa communion tous ceux qui recevoient les dogmes des six premiers conciles généraux. Elle ajouta que les calvinistes formoient la quatrième partie de la nation, et que les trois quarts des gens de lettres partageoieat leurs opinions. Ce calcul de Catherine de Médicis est évidemment exagéré, puisque Castelnau, dans le chapitre 1 du ive livre de ses Mémoires, dit qu’il y avoit pour lors en France cent catholiques pour le moins contre un huguenot.
  9. Les protestans de la vallée d’Engrogne. C’étoit un reste des Vaudois qui avoient été traités avec tant d’inhumanité sous le règne de François I. Le duc de Savoie avoit voulu les soumettre, et la guerre duroit depuis 1560 ; il leur accorda la paix au mois de juin 1562.
  10. En l’eglise de Sainct Medard. Les protestans, soutenus par le gouvernement, se livrèrent à cette occasion à de grands excès contre les catholiques. Ils enfoncèrent les portes de l’église de Saint-Mëdard, la saccagèrent, et firent prisonniers une trentaine de catholiques. Peu de temps après ils publièrent un pamphlet intitulé : Histoire véritable de la mutinerie, tumulte et sédition, faicts par les prebstres de Saint-Medard contre les fideles, le samedi 27e jour de decembre. Ce pamphlet, où respire l’esprit de parti, se trouve dans le second volume des Mémoires de Condé.
  11. En ce mesme temps. Il y a ici une erreur de date. L’accommodement du prince de Condé et du duc de Guise avoit été fait le 24 août précédent.
  12. Alors les ministres. Les ministres protestans avoient été convoqués à Saint-Germain, à l’époque de l’édit de janvier. Ils firent d’abord une déclaration par laquelle ils invitèrent leur troupeau à s’y conformer. Puis ils envoyèrent une circulaire à toutes leurs églises. Elle commence ainsi : « Grâce et paix par Nostre Seigneur Jésus-Christ. Très-chers frères, vous scavez que de tout temps l’obeissance que les hommes doivent à leurs princes et supérieurs, après celle qu’ils doivent à Dieu, a esté fort recommandée, tant pour le repos de leurs consciences que pour la conservation de la paix et tranquillité publique. » On voit ensuite qu’ils se flattent d’obtenir bientôt de nouvelles concessions. « Il faut considérer, ajoutent-ils, que si nous sommes privés pour un temps de quelque commodité, le grand bien qui s’offre de l’autre costé, doit effacer l’ennui qui en pourroit venir ; joint que ce n’est pas le dernier bénéfice que nous esperions de la main de nostre Dieu, par le moyen de nostre Roy. »
  13. Souderin : Soderini.
  14. Toutesfois cette année-là. Castelnau parle de l’année 1561. Suivant l'ancienne manière de compter, il la prolonge jusqu’à Pâques 1562.
  15. Le cardinal de Ferrare : Hippolyte d’Est.
  16. Rokendolf. Rockendorff.
  17. Cet accident estonna la Cour. Au moment du passage du duc de Guise à Vassy, les deux partis étoient très-animés l'un contre l'autre, parce que, le 17 décembre de l'année précédente, l'évêque de Châlons-sur-Marne, s’étant présenté au prêche pour faire réfuter la nouvelle doctrine par un théologien célèbre, fut indignement chassé. Le ministre qui prêchoit pendant ce tumulte, étoit Léonard Morel. Il avoit été envoyé de Genève à Vassy par Théodore de Bèze, et y étoit arrivé le 27 janvier 1562. Au milieu des clameurs des deux partis, il continua quelque temps de prêcher ; mais, voyant le danger extrême, il quitta sa robe, et voulut fuir. Le duc de Guise, devant lequel il fut amené, lui dit : Tu es la cause de la mort de tous ces gens ; et il donna l’ordre à son prévôt de le pendre. Le carnage dura une heure. Les protestaus évaluèrent leur perte à cinquante ou soixante personnes. Cependant l'ordre de pendre le ministre ne fut pas exécuté, et le duc de Guise le mena prisonnier à Saint-Dizier. Là on chercha, mais en vain, à lui faire abjurer sa religion. Il fut mis en liberté le 8 mai 1563, dix-neuf jours après la paix d’Amboise. Tous ces détails sont puisés dans une relation publiée par les ministres protestans, et intitulée : Discours entier de la persécution et cruauté exercées en la ville de Vassy par le duc de Guise, le 1er mars 1562.
  18. La déclaration faite quelques jours après sur l’edict de janvier. Cette déclaration est du 11 avril 1562 ; elle porte que l’édit de janvier sera maintenu partout, excepté à Paris, où l’expérience a enseigné que l’exercice de la nouvelle religion donne lieu à des troubles.
  19. Et l’edict de janvier révoqué. Cet édit cessa d’être exécuté pendant la guerre partout où les catholiques étaient les maîtres, mais il ne fut révoqué par aucun acte public.
  20. Par le baron de La Garde. Cette lettre, qui nous a été conservée dans les Mémoires de Condé, tome III, page 123, n’est pas tout-à-fait telle que l’annonce Castelnau : elle est curieuse en ce qu’elle donne une idée de la position où se trouvoit alors Catherine de Médicis, et de la politique tortueuse qu’elle avoit adoptée ; la voici : « Mon cousin, « j’ay entendu par le baron de La Garde ce que vous avez dict ; et, mon cousin, j’en ay esté et suis si asseurée que je ne m’asseure pas plus de moi-mesme. Je n’oublieray jamais ce que vous ferez pour le Roy mon fils ; et, pour ce qu’il s’en retourne pour l’occasion qu’il vous dira, je ne feray pas longue lettre, et vous prieray seulement de croire ce qu’il vous dira de la part de celle de qui vous vous pouvez asseurer comme de vostre propre mère. Vostre bonne cousine, Catherine. »
  21. Qu’il avoit voulu tirer Henry, duc d’Anjou. Le duc de Nemours (Jacques de Savoie) avoit fait cette tentative au mois de novembre 1561, avant que le trimnvirat fût formé. Ayant séduit mademoiselle de La Garnache, proche parente de la reine de Navarre, et n’ayant pas voulu l’épouser, il craignoit la vengeance d’Antoine de Bourbon. Ce fut, à ce qu’il paroît, cette crainte qui le porta à faire au jeune frère de Charles IX, l’étrange proposition dont parle Castelnau.
  22. On disait que le fait de Vassy. Il est à remarquer que le prince de Condé, dans tous ses manifestes, ne dit pas un mot du tumulte de Sens : il n’en parle que dans une lettre qu’il écrivit à la Reine mère le 19 avril 1562.
  23. Un nouvel edict. C’est la déclaration du 11 avril 1562, dont nous avons parlé dans la note de la page 169.
  24. Où la Mothe-Gondrin. Blaise de Pardaillan, seigneur de la Mothe-Gondrin. Le chef protestant contre lequel il avoit eu à lutter, etoit le fameux baron des Adrets, qui s’étoit emparé du gouvernement du Dauphiné, et qui souilla ses victoires par les plus monstreuses cruautés.
  25. La cour de parlement de Paris lui escrivit. Cette lettre peut passer pour un modèle de sagesse et de modération. Le prince de Condé se plaignoit de ce que le Roi et sa mère étoient prisonniers des Guise, et de ce que les édits de juillet et de janvier n’avoient pas été exécutés. Le parlement réfute victorieusement ces deux griefs. « Le principal point de vos plaintes, dit-il, est qu’on vous a rapporté que le Roy et la Reyne sont en captivité. Nous vous supplions n’adjouster et plus foy à tels mauvais rapports, qui, tant plus seront publiés, moins seront creus, puisque, non seulement les subjets du Roy, mais tous ses voisins sçavent que le roy de Navarre, vostre frère aisné, tant vertueux et sage, qu’il a tant par évidence monstre l’amour et obéissance qu’il porte aux magistrats et à la conservation du royaume, est avec eux, et ne permettroit pas qu’il leur fust faict tort, tant petit qu’il fust, estant oncle et lieutenant general, représentant la personne dudict seigneur, et a le moyen d’y résister, quiconque fust si osé de l’entreprendre ; et que monseigneur le cardinal de Bourbon, vostre autre frère, l’accompagne, très prudent, et non moins affectionné à la couronne que vous. Ils sont très-contens du gouvernement, vous désirent unis avec eux et les autres princes et seigneurs dudict conseil : ce doit vous estre une preuve certaine de la malice desdicts rapports ; lesquels, si la magnanimité et fidélité desdicts roy de Navarre et mondict seigneur le cardinal de Bourbon, n’estoient connues, les offenseroient. » Le parlement réfute ensuite les allégations relatives à la non exécution des traités. « L’edict de juillet, continue-t-il, arresté en très-grande et honorable assemblée, où vous estiez, a aussitost esté rompu que publié celuy de janvier a depuis esté faict. Craignant qu’au lieu de repos il apportast de plus grands troubles, nous fismes quelque temps les difficiles à le passer : nos remonstrances manifestent nos intentions et motifs. Après, sur l’assurance qu’on nous donna de la tranquillité publique, nous le publiasmes, et ne l’eussions autrement faict. La fin dudict edict n’a esté pour innover la religion et le royaume, ains, comme dict est, pour appaiser les subjets et les faire vivre en paix. S’il y a eu désobéissance au dernier, comme il y a eu au premier, la conservation ou changement des loix du Roy lui appartient, non aux subjets de leur authorite, et par armes. Et que nous ne pouvons vous dissimuler, nostre très-bonoré seigneur, ayant leu en vostre dicte déclaration, que vous exposerez vostre vie et celle de cinquante mille hommes de pareille volonté à vous. S’il vous plaist, ferez profit de nostre remonstrance, et regarderez que l’honneur que vous avez d’estre du sang et maison du Roy, vous oblige plus que tous ceux qui ne sont pas de ce sang, à conserver la couronne en estat. Si, par vostre faute, le royaume est troublé, la coulpe et blasme en seront plus grands. Escript à Paris en parlement, le vingt et uniesme jour d’avril 1562. Les gens tenant le parlement du Roy, bien vostres. Signé, du Tillet. »
  26. Fit de rechef une déclaration. Les protestans publièrent en même temps, au nom du prince de Condé, une épître en vers, où le prince reproche à la Reine mère de lui avoir ordonné de prendre les armes. Dans cette pièce, la règle des rimes masculines et féminines n’est pas observée. En voici deux passages.

    J’appelle maintenant, non seulement les hommes,
    Mais le ciel et la terre à témoins que nous somme
    Par trop mal recogneus, et nostre honneur trahy,
    Pour vous avoir en tout promptement obey.
    ……….
    Avex-vous oublié de m’avoir faict armer,
    Et m’avoir commandé de ne me désarmer
    Tant que vos ennemis auroient l’espée au poing
    Combien de fois loué avez-vous le grand soing
      Que vous voyez en moy, et la sollicitude
    Pour vos enfans et vous garder de servitude
    Les Estats maintenir, et leur authorité,
    Cependant que le Boy est en minorité ?

  27. Fust revoqué. Il paroitroit devoir y avoir ne fust révoqué.
  28. Madame de Nevers. Marie de Bourbon fut mariée d’abord à Jean de Bourbon, comte d’Enghien, puis à François de Clèves, duc de Nevers, dont elle étoit veuve en 1562. Elle épousa ensuite Léonor d’Orléans, duc de Longueville, qui mourut en 1573.
  29. Le duc d’Estampes. Jean de Brosse, époux de la fameuse duchesse d’Etampes, maîtresse de François I.
  30. Le duc de Bouillon. Henri Robert de La Marck : il avoit épousé une princesse de la maison de Bourbon ; il mourut en 1574. Henri IV maria, en 1591, sa fille unique, Charlotte de La Marck, à Henri de La Tour d’Auvergne, l'un de ses généraux, qui prit le titre de duc de Bouillon. C’est celui dont nous publierons les mémoires.
  31. Le vidame de Chartres. On a vu dans la note de la page 26 du tome XLII, page 45 de l’édition de Le Laboureur, que François de Vendôme, vidame de Chartres, amant de Catherine de Médicis, étoit mort après avoir subi à la Bastille une longue captivité. Jean de La Ferrière, seigneur de Maligny, dont il est ici question, avoit succédé à ce titre par son mariage avec Louise de Vendôme, tante du dernier vidame. Le traité conclu avec le vidame fut signé à Hamptoncourt le 10 septembre. Elizabeth, en fournissant des troupes aux protestans, ne déclara pas la guerre à Charles IX, et elle soutint, dans un manifeste, qu’elle ne prenoit les armes que pour sauver de l’oppression et du massacre les sujets de son bon frère.