Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/Appendices/06

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Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 264-265).

vi
M. THIERS
Madame,

Je vous demande pardon de ne pas avoir répondu plutôt à votre aimable lettre ; quand vous recevez ma réponse, vos vœux seront ou déçus ou accomplis.

Vous savez que j’ai toujours le plus grand penchant à faire ce qui vous est agréable, et à me conserver votre amitié ; permettez-moi de ne pas vous en dire davantage aujourd’hui, et de faire ce que je n’ai jamais fait, c’est à dire le mystérieux.

En attendant que j’aie le plaisir de vous voir, agréez, madame, l’hommage de mon respect et de mon attachement.

A. Thiers
Jeudi 14,
Madame,

Je suis tout disposé à prendre votre femme de chambre, mais à une condition c’est que vous ne l’avertirez que lorsque je vous donnerai le signal ; alors je vous prie de l’envoyer prendre, de me la faire arriver sur le champ, sans aucune explication préalable. Quant à moi, je la mettrai en voiture et la ferai partir sans qu’elle ait pu voir toute la nation Carliste et prendre leurs ordres, leurs instructions, et surtout leur télégraphie. Je vous demande pardon de ces précautions, mais, depuis que ma fatale destinée a fait de moi un chef d’assassins, Elle en a fait aussi un geôlier, et je suis obligé à mille manœuvres révoltantes.

Adieu, madame, croyez-moi l’un de vos amis les plus respectueux et les plus dévoués

A. Thiers
Samedi matin 24.


Madame,

Vous auriez grand tort de croire que je vous ai oubliée, car ce serait me supposer ingrat. Je ne le suis pas, je vous assure, et je songe toujours avec une reconnaissance bien sentie à la bienveillance que vous m’avez témoignée. Ce n’est pas chose si commune que la bienveillance pour la si mal accueillir. Mille affaires, mille soucis m’ont toujours empêché d’aller vous présenter mes hommages. Je n’ose même plus en former le projet, tant j’acquiers l’expérience de l’instabilité de nos pauvres projets à nous, gens tourmentés. Je saisirai la première occasion de votre passage à Paris pour aller vous demander ma grâce. En attendant, je ne manquerai pas d’attacher un grand prix à votre recommandation en faveur de M. de Chateaugiron. Je le sais homme de mérite et d’expérience et propre à bien administrer. J’ai beaucoup et beaucoup de candidats, mais je vous promets de placer celui-ci en bon rang.

Croyez, Madame, à mon respectueux et sincère attachement.

A. Thiers
11 septembre 1834.